Par Mireille Vallette
Oui au foulard, oui à la burqa, oui à la vente de Corans, non au lien entre islam et terrorisme: le magistrat incline à la complaisance davantage qu'à la fermeté.
Invité par la LICRA vendredi 23 juin sur le thème de la laïcité, le conseiller d’État Pierre Maudet a rappelé quelques dispositions qui figurent dans son projet de loi, et rapporté le climat de tension qui règne au sein des députés qui le traitent.
La Constitution genevoise prévoit que «l’État doit reconnaitre les communautés religieuses et entretenir des relations avec elle». C’est le cadre de ces relations que pose le projet de loi actuellement discuté par la Commission des droits de l’homme. Pierre Maudet en a rappelé quelques ingrédients et a énoncé quelques idées personnelles.
Le thème est si chaud (vu les innombrables revendications juives et chrétiennes que nous connaissons) que les députés ne sont pas loin de s’étriper. Les divisions traversent la plupart des partis, les débats sont interminables. Après six mois, la commission n’en est qu’à l’article 8 (sur 13) du projet. Nul ne sait si elle terminera ses travaux avant la fin de l’année. Si elle le fait, le débat parlementaire risque de tomber en pleine campagne électorale, ce qui échauffera encore les esprits. Et au cas où les députés ne pourraient pas rendre leur copie avant l’échéance du 31 mai, la loi sera abandonnée. Enfin, si le délai est tenu, un référendum n’est pas exclu.
La route de la «laïcité ouverte», comme l'appelle le magistrat, est longue et escarpée.
Pour être reconnues, les organisations religieuses devront, c’est bien le moins, respecter l’ordre juridique et les valeurs fondamentales de notre société. Mais comment vérifier? Exemple donné: les aumôniers des hôpitaux, des foyers pour requérants d’asile et des prisons –où est détenue, rappelle le magistrat, «une forte proportion de musulmans». La question s’est posée avec l’imam-aumônier de Dituria, association albanaise qui vient d’inaugurer sa nouvelle mosquée: pas de maitrise du français (il s’y est mis sérieusement pour obtenir le titre); formation en Égypte: quels rites défend-il? qui paie ses services? Pierre Maudet n’est pas opposé à une certaine intrusion qui évite le risque d’extrémisme.
Un débat «homérique» divise les commissaires, la dissimulation des cheveux et du visage des femmes. Le foulard sera interdit aux fonctionnaires qui sont en relation avec le public. Des députés voudraient, comme nombre de citoyens, interdire le foulard pour toutes. Quant à l'avilissante «burqa», le Conseil d’État est opposé à son interdiction dans nos rues. Sauf, précise le projet, si ce vêtement conduit à des «troubles à l’ordre public». C’est une manière d’éviter, explique le magistrat, «un vote similaire à celui du Tessin» qui l'a banni de ses rues.
Les troubles pourraient se manifester par des «braquages à la burqa», ce qui justifierait «une entorse à des principes fondamentaux comme celui de s’habiller comme on veut». Un rien contradictoire, le ministre affirme à un autre moment qu’on ne doit pas transigera «sur des valeurs telles que montrer son visage ou serrer la main.» Il aurait pu ajouter qu’on ne transige pas sur une valeur telle que la dignité des femmes, et pas non plus sur un des symboles les plus radicaux de cette religion. Pas un mot non plus sur la discrimination des sexes qui règne dans les mosquées. Conforme à nos valeurs?
Contrairement à son homologue vaudois Pierre-Yves Maillard, partisan de l’interdiction de la «burqa», Pierre Maudet communie avec toutes les mosquées, leurs imams et porte-parole et regrette amèrement que «l’interdiction de la burqa a été reconnue comme conforme à la Constitution fédérale».
Quant au burkini, qu’il refuserait d'interdire, le magistrat divague légèrement: «C’est un costume de bains qui, si on regarde bien, fait référence à des pratiques du début du siècle dernier. Il n’est pas inintéressant de voir ce qu’était la mode à ce moment-là.» Le burkini? Juste un effet de mode, rien à voir avec les autres moyens de dissimuler le corps féminin.
Le projet de loi prévoit aussi l’enseignement du fait religieux afin de «lutter contre l’ignorance»… Au cas où sans ces cours, des ignorants penseraient que l’islam n’est pas une religion d’amour et de tolérance?
A propos du terrorisme (qui ne concerne pas la loi), le spécialiste Maudet explique: «Le ministre de la police que je suis n’est pas très rassuré quand il voit qu’on découvre des armements dans les caves des cités… d’immigrés de la 4ème génération qui n’ont strictement aucune perspective et dont le trait d’union complètement artificiel est soi-disant la religion.» Les innombrables études sur la question montrent au contraire que nombre de djihadistes possédaient un travail et un avenir, ce qui ne les a pas empêchés de partir en Syrie ou de tuer en France, tous au nom de l'islam. Et c’est justement au sein de la jeune génération musulmane que les problèmes de radicalisme sont les plus aigus.
Le magistrat ne voit pas de problème à la distribution du Coran dans les rues (une interdiction de la Ville de Genève avait été cassée par les juges) pour autant qu’il n’y ait «pas de prosélytisme, qu’on n’oblige pas les gens à le prendre». Le Tages Anzeiger rappelait hier que sur les 72 djihadistes listés en Suisse, «onze d'entre eux ont également milité avec l'organisation «Lis!» qui promeut un prosélytisme agressif avec la distribution de Corans dans les rues.»
Désireux d’anticiper les riches relations qu’il se promet d’entretenir avec les organisations religieuses, le ministre aurait bien voulu se rendre à l’inauguration de la mosquée de Plan-les-Ouates. «Pour moi, c’est très important de faire sortir des caves des musulmans de rite balkanique, beaucoup moins «fort» que d’autres, mais qui à un moment sont obligés de s’empiler, voire de déborder sur le domaine public. Ça va juste pas.» Malheureusement, de très nombreuses mosquées albanaises -sorties des caves?- sont liées à l’islam wahhabite.
Question inauguration, Pierre Maudet a dû rester à la maison, la majorité de ses collègues du Conseil d’État étant opposé à infliger cette balafre à la laïcité.
Enfin, le magistrat est enchanté par la toute nouvelle chaire de l’université consacrée à des formations pour imams et qui bénéficie de la générosité du mécène Charles Pictet. «Nous aimerions la développer, mais c’est très contesté, pour la formation et l’information sur un islam de Suisse. Ça me semble fondamental.»
Le rêve d’un islam de Suisse qui s’éloigne de l’islam tout court?
Source : Boulevard de l'islamisme