Par François Brélaz, ancien député, Cheseaux-sur-Lausanne
Tout d'abord, un petit traité de géopolitique...
Le peuple kurde vit sur plusieurs pays, l'est de la Turquie, le nord de la Syrie et de l'Irak et l'ouest de l'Iran. Ces territoires ont toujours été une poudrière, les kurdes revendiquant leur autonomie. En 1995 le nord de l'Irak, un territoire grand comme la Suisse, négocie une certaine autonomie avec le gouvernement de Bagdhad et cela donne la Région autonome du Kurdistan. Le 25 septembre 2017 le parlement du Kurdistan organise un référendum sur la question suivante : « Acceptez-vous l'ouverture de négociations devant aboutir à l'indépendance de la Région autonome du Kurdistan ? »
Dès l'annonce de ce référendum, la Turquie, la Syrie, l'Iran et le parlement de Bagdhad manifestent leur opposition à cette volonté sécessionniste.
J'étais à Erbil la semaine précédent le vote et constaté que le référendum n'était pas démocratique, les opposants n'ayant pas la voix au chapitre et il n'y a pas eu de débat contradictoire. A la télévision, la quasi totalité du temps d'antenne était consacré à glorifier le OUI.
Erbil compte une importante communauté chrétienne et les villes et villages proches de la frontière mais sur territoire irakien sont également chrétiens. La frontière est réelle et pour aller de Erbil à Qaraqosh, en Irak, 65 km. j'ai du franchir pas moins de 6 check-points.
L'insoutenable misère des chrétiens déplacés
A Pâques 2016, préoccupé par la situation des chrétiens d'Irak, je suis allé à Erbil et fait quelques connaissances. La France a un consulat dans cette ville et ceux qui désirent émigrer dans ce pays y demandent un visa. C'est ainsi que 2 mois plus tard je retrouvais à Lyon 2 familles venues tenter leur chance en France. Si l'une s'est bien adaptée, l'autre a eu de réelles difficultés, notamment au point de vue de l'apprentissage de français. Tant et si bien que le 14 avril 2017 Dounia, son époux et ses 3 enfants retournent à Erbil, ou plutôt à Kasnazan où la famille a vécu dans un camp de personnes déplacées avant le départ pour la France.
Leur maison de Qaraqosh étant intacte, la famille décide de retourner dans cette ville où les gens qui avaient fui reviennent petit à petit. En effet, le gouvernement d'Erbil semble pressé de fermer les camps de personnes déplacées. Le mari reprend son métier de barbier, les affaires ne sont pas brillantes mais la famille est dans son élément. Toutefois, c'est une ville où les services, notamment la poste, ne fonctionnent pas. Quant' à l'école, elle devrait reprendre en novembre au lieu d'octobre. Ils sont relativement favorisés.
Nidal, son mari et leurs 3 enfants habitaient Bartella, village chrétien en Irak. Lors de l'arrivée de Daech ils fuient direction Erbil. A la frontière un soldat de Daech leur demande de se convertir à l'islam, ce qu'ils refusent. Alors le soldat tape sur la tête de la dernière-née qui n'a que 2 mois. Le père proteste : on lui passe des menottes et on l'emmène. Sa famille ne le reverra jamais...
Nidal vit avec ses 3 enfants et sa mère à Ankava, le quartier chrétien d'Erbil dans un logement des plus sommaire à tout de même 300.- francs par mois. Elle fait des ménages mais cela ne lui suffit pas. Depuis son agression au passage de la frontière, la dernière-née fait des crises genre épilepsie et sa mère n'a pas les moyens d'acheter des médicaments, tout comme la grand-mère qui a du diabète...
La grand-mère est amère. Elle me dit : A un moment donné, une famille chrétienne assez aisée a fui Mossoul, je leur ai donné un étage de ma maison sans demander d'argent, et les propriétaires de notre logement, qui sont aussi des chrétiens aisés, nous demandent trop.
Sa maison ayant été incendiée, elle ne peut pas retourner à Bartella et les aides, notamment de l'église, diminuent, voire sont supprimées.
Bassima, aussi, vit une situation pénible. Séparée de son mari, elle habitait également Bartella. A l'arrivée de Daech, elle ne s'en aperçoit pas tout de suite, et elle reste seule avec sa mère et sa fille alors que les autres habitants ont quitté le village. Elle cohabitera 45 jours avec eux mais, ils ont été corrects. Finalement elle réussit à s'enfuir à Mossoul où elle y restera jusqu'au printemps dernier. Devant quitter cette ville, elle se réfugie à Erbil.
Je vais chez elle un début de soirée. La pièce principale est quasiment vide, sauf un lit contre chaque paroi.
Et au milieu de la pièce, à même le sol excepté une couverture, la grand-mère de 87 ans gémit. Elle est malade, on ne sait pas exactement ce qu'elle a mais de toute manière il n'y a pas d'argent pour acheter des médicaments...
Par mesure d'économie le frigo est débranché. Dans ce cas aussi, les aides diminuent. Les églises et diverses associations n'ont plus d'argent.
Elle a une soeur qui vit avec mais celle-ci, qui travaille, aimerait avoir un logement personnel. Bassima vit au rez-de chaussée d'une villa pour 400.- francs de loyer mensuel ; elle devrait avant tout chercher un logement meilleur marché. Et elle me fait remarquer qu'il n'y a même pas de tapis sur le sol et rien pour se chauffer en hiver.
Sa fille a 10 ans mais n'a jamais été à l'école ! A Bartella, comme on commence l'école à 7 ans, elle n'avait pas l'âge, à Mossoul, comme il y avait beaucoup d'insécurité, les enfants n'allaient pas à l'école et lors de l'arrivée à Erbil c'était les vacances.
Et, pour ne pas être trop long, je passe brièvement sur les histoires de Fars, l'électricien de Bagdhad qui a fui cette ville en 2012 à cause de l'insécurité et travaille maintenant comme chauffeur de taxi au noir à Erbil. Tout comme la vie de Hanna, de son mari et leurs 7 enfants qui végètent dans 2 containers dans le camp de Ashti 2 après avoir été trimbalés d'un camp à l'autre, y compris dans une maison sans toit !
En conclusion, l'avenir n'est pas radieux pour les déplacés, les églises n'ont plus d'argent, les ONG de même et diminuent leur personnel. L' Etat veut fermer au plus vite les camps comme il l'a fait avec Mar Elia et Kasnazan. Les déplacés dont la maison a été démolie ou incendiée sont dans une situation difficile, d'autant plus que les personnes qui avaient été en Jordanie dans le but d'aller en Australie et dont la demande a été refusée reviennent à Erbil.
François Brélaz, 25 septembre 2017
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