L’analogie, pierre angulaire du monde éducatif?

Les sciences cognitives ont depuis longtemps démontré que tous les choix que nous faisons sont largement tributaires de ce que nous possédons en mémoire. Nos connaissances et expériences dictent la manière dont nous pensons et nous agissons.

Reste à savoir maintenant comment le cerveau fonctionne, de quelle manière il organise et réorganise le contenu sa mémoire lors de ses apprentissages. Comment il traite les données des situations vécues et y donne réponse. Dans un ouvrage récent[1], les cognitivistes Hofstadter et Sandler avancent une réponse plutôt originale : la clé de voûte de tout l’édifice de la pensée résiderait dans les analogies.

Notre cerveau n’aurait de cesse d’élaborer continuellement des analogies entre les situations qu’il rencontre et ce qu’il connait déjà afin d’interpréter ce qui est nouveau et inconnu dans des termes anciens et connus. En clair, toute forme de pensée ne serait rien d’autre que le fruit d’analogies avec les contenus de notre mémoire à long terme.

Comprendre un énoncé dans une perspective analogique

Lorsque des élèves sont confrontés à de nouveaux contenus, ils font inconsciemment des analogies avec des évènements ou avec des notions simples et familières pour eux. C’est par le biais de ces analogies qu’ils pourront acquérir de nouveaux concepts.[2]

Chaque notion nouvelle est comparée à ce qui se situe dans la mémoire à long terme. C’est comme cela que l’élève les appréhende, qu’il construit une représentation de ce qu’il rencontre. Il va systématiquement chercher quelque chose de plus ou moins similaire dans sa mémoire afin de pouvoir interpréter la nouvelle donnée. Par exemple, imaginons un enfant qui connait la soustraction mais à qui on n’a pas encore enseigné les nombres relatifs. S’il se retrouve devant l’intitulé 3 – 8 = ?, il ira chercher une similitude dans la réserve de sa mémoire et réalisera une analogie avec la résolution de la soustraction. Il prendra donc le plus grand des deux nombres (8) et lui soustraira le plus petit (3) pour arriver au résultat de 5.

De ce mode de fonctionnement découle l’idée qu’une mémoire à long terme bien fournie permet d’appréhender plus facilement de nouvelles notions. Plus la mémoire est riche en concepts et catégories sur le domaine en question et plus elle permet d’adopter de points de vue différents, de comprendre les différents éléments constituant la nouveauté à appréhender. Et donc d’en atteindre l’essence. Bien entendu, d’autres concepts qui ne sont pas directement en lien avec le domaine en question entrent également en jeu. Il suffit d’approfondir un peu l’exemple précédent pour s’en rendre compte. Avant de pouvoir résoudre 3 – 8, il faut entre autres, outre des connaissances sur la soustraction des relatifs, savoir lire, écrire, et comprendre les quantités ainsi représentées. Quoi qu’il en soit, la qualité et la quantité des connaissances déjà en possession de l’élève détermineront sa capacité à en acquérir de nouvelles et à se les approprier.

Apprendre par l’analogie

Lorsque nous rencontrons des situations nouvelles, le cerveau ne se contente pas d’aller puiser dans sa mémoire à long terme. La nouveauté va, elle aussi, agir sur le contenu de notre mémoire, bonifier ce qui s’y trouve, l’étendre et/ou le réorganiser. Quoi que nous fassions, nous apprenons toujours quelque chose de ce que nous vivons. Si chaque idée nouvelle dépend des idées antérieures, elle  donne, dans le même temps, un regard nouveau et plus profond sur celles-ci.

Chaque nouvel apprentissage se fait par analogie. Les concepts que nous avons dans notre mémoire s’étendent, se raffinent sans cesse par analogie. Par exemple, la première fois que vous avez vu une tasse dans votre vie et qu’on vous a dit qu’il s’agissait d’une tasse, alors vous avez assimilé au concept tasse ce que vous avez vu. Peut-être était-elle bleue. Avec une anse. Et donc pour vous, une tasse était nécessairement bleue avec une anse. A la longue, vous avez été confronté à de multiples autres tasses, des grandes, des petites, de toutes les couleurs etc. Dans votre esprit, la « tasse » a donc évolué en prenant en considération l’ensemble de ces variations si bien qu’aujourd’hui, quelle que soit la tasse qu’on vous présente, vous savez que c’en est une. Votre cerveau n’a eu de cesse que de faire des analogies entre les différentes tasses pour en abstraire un prototype/stéréotype autour duquel gravitent toutes les autres.

Ce raffinement de ce qu’est une tasse dans votre esprit a été jusqu’au point où vous comprenez aujourd’hui ce que signifie l’expression boire la tasse. Lorsque vous entendez cette expression, vous n’imaginez pas quelqu’un dégustant un breuvage dans une tasse. Ce qui démontre à quel point l’évolution de ce que vous comprenez sous le concept de tasse peut aller loin dans le raffinement.

Partir des représentations préalables des élèves

Cette manière de fonctionner doit faire prendre conscience que partir des représentations préalables des élèves n’est pas un souhait mais un constat. Qu’on le veuille ou non, l’élève interprète nécessairement à partir de ce qu’il connait. Il n’est donc pas pertinent de rentrer dans une nouvelle matière sans en tenir compte. Si la nouveauté est trop éloignée de ce qu’il sait, l’élève n’accrochera pas le bon wagon dès le départ et risque fort de se retrouver perdu ou de produire une interprétation qui soit totalement erronée. Faire un rappel au sujet des prérequis nécessaires en guise d’introduction semble donc une bonne entrée en matière.

Il est tout aussi possible de mettre sur pied un dispositif visant à prendre connaissance de ce que savent déjà les élèves et d’ainsi adapter l’entrée en matière du dispositif consacré au nouvel objet d’apprentissage. Il faut toutefois veiller à bien gérer son temps afin de ne pas se retrouver à devoir meubler une fin d’heure entière en attendant de pouvoir adapter ses documents d’ici le cours suivant.

Enfin, une dernière solution consiste à proposer un point d’entrée fixe dont on est à peu près sûr que l’ensemble des élèves peuvent saisir et de les faire partir de là. C’est le principe même qui prévaut dans la méthode de mathématiques utilisée à Singapour et qui donne de si bons résultats dans les tests internationaux : l’élève rentre dans la nouvelle notion par des notions concrètes qui vont petit à petit s’effacer pour laisser leur place aux abstractions nécessaires. Par exemple, si l’objectif est d’enseigner l’addition à des élèves qui savent déjà compter, alors, l’enseignant va représenter sur une première ligne un ensemble de 4 oranges et en mettre un autre de 3 oranges sur une deuxième ligne. L’élève va donc pouvoir compter le nombre d’oranges total au lieu de commencer directement par un 4 + 3 = 7

L’apprentissage par analogie démontre la faiblesse des approches axées sur la découverte…

Aussi en vogue que puissent être dans les milieux académiques consacrés à la formation les approches dites « centrées sur l’élève » elles n’obtiennent généralement dans les mesures effectuées, que des résultats assez faibles voir médiocres.

Ces résultats se comprennent, à mon avis, aisément si on adopte la grille de lecture de la pensée analogique. Si le cerveau fonctionne effectivement de la sorte, alors l’aspect chronophage de la découverte par soi-même parait radicalement rédhibitoire. Car même si l’élève parvient à saisir l’essence de la nouveauté ainsi enseignée, il ne sera confronté qu’à un nombre plus réduit de cas partageant cette même essence. En conséquence, sa capacité à mettre ceux-ci en lien les uns avec les autres, à étendre la portée des analogies possibles entre ceux-ci sera plus limitée qu’avec un enseignement plus directif. Le concept nouveau ne peut donc pas se développer de manière optimale. Et l’élève se retrouve ainsi avec une vision, éventuellement correcte, mais étriquée de ce qu’est réellement la nouveauté ainsi enseignée. Il est donc faux de prétendre que le fait de chercher par soi-même induit une plus grande profondeur dans la compréhension.

Bien entendu, tout cela dépend largement du temps consacré à la découverte et ne prête pas trop à conséquence dès lors que les élèves ne sont pas laissés trop longtemps en situation de découverte pure.

… et consacre les principes de l’enseignement explicite

Adopter la grille d’analyse de la pensée par analogie parait en outre également justifier l’écrasante supériorité démontrée par l’enseignement explicite dans la totalité des tests empiriques sur le terrain.[3] En effet, un enseignant explicite fournit de nombreux exemples à ses élèves (phase de modelage). Des exemples qui mettent à nu l’essence du concept et en démontre l’étendue tout comme les limites. Des exemples qui ont de plus la vertu d’être correctement résolus et ainsi n’induisent ainsi pas de mauvaise compréhension.

Comme l’enseignant passe également un temps conséquent à vérifier ce que les élèves ont compris en travaillant de concert avec eux toute une série d’exemples supplémentaires, il s’assure que ceux-ci se façonnent un stéréotype/prototype correct et que les limites du concept sont bien saisies avant qu’ils ne se lancent dans une phase de travail autonome.

Au final, les élèves se retrouvent donc à façonner un concept de manière plus facile et disposent d’un corpus de présentation riche, permettant de multiples analogies et conduisant ainsi à un raffinement plus poussé de la connaissance récemment acquise.

Si l’hypothèse de l’analogie s’avère exacte, alors il faut en déduire que l’enseignement explicite semble être la manière de procéder la plus en phase avec le fonctionnement du cerveau humain. Comme ce dernier, cette approche va s’obstiner à créer un stéréotype/prototype du concept, en étendre la portée au maximum et même en démontrer les limites par une multitude de situations offertes à la compréhension des élèves.

Une telle symbiose ne peut que permettre au cerveau d’exploiter en plein ses capacités. Ce qui d’ailleurs se démontre par les tests réalisés et donne, à mon sens, un crédit supplémentaire à l’hypothèse de la pensée analogique tout comme à l’enseignement explicite…

Pour LesObservateurs et Contre-Réforme, Stevan Miljevic, le 14 décembre 2016

[1] Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander « L’analogie, coeur de la pensée », Odile Jacob, Paris 2013

[2] Ibid. p.469

[3] Pour n’en citer que quelques uns, le Visible Learning de John Hattie, plus grande méga analyse réalisée à ce jour, tout comme le projet Follow Through ou même le dernier test PISA sont sans équivoque à ce sujet. Pour une liste plus complète, je vous invite à consulter « Échec scolaire et réforme éducative: quand les solutions proposées deviennent la source du problème » ou « Comment enseigne-t-on dans les écoles efficaces? Efficacité des écoles et des réformes » des professeurs Gauthier, Bissonnette et Richard

La situation problème est le tombeau des constructivistes

A l’école des compétences, résoudre des problèmes est devenu la panacée. Par problème, on entend des situations dont le chemin menant à la solution n’est pas immédiatement disponible. Généralement, ces situations demandent, pour être résolues, de mettre en œuvre plusieurs savoirs et/ou habilités différentes.

Ces situations problèmes sont le fleuron des constructivistes et de tous ceux qui se rattachent aux pédagogies dites centrées sur l’élève. Paradoxalement, une analyse détaillée de la manière dont les scientifiques perçoivent les situations problèmes et leur mode de résolution va nous mener à quelques conclusions plutôt surprenantes.

Un peu d’histoire : le behaviorisme

Au début du 20ème siècle, les premiers théoriciens a avoir étudié la notion de problème se rattachaient au courant dit du behaviorisme. Ces gens se focalisaient sur l’idée que lorsqu’on soumettait un être à des stimulis, celui-ci adoptait un comportement nouveau en réaction à ceux-ci. Les behavioristes ne s’intéressaient pas franchement à ce qui se passait dans la tête du sujet, mais plutôt à la réaction de celui-ci face à la situation vécue.

Thorndike est un des grands penseurs du behaviorisme. Sa contribution principale à la recherche a été la conceptualisation de l’apprentissage par essai-erreur. Un exemple emblématique des recherches expérimentales menées par Thorndike est celui de la boite-problème (1911). Il s’agit d’une cage dans laquelle un chat est enfermé. La cage est dotée d’un dispositif d’ouverture que le félin doit trouver. Les observations de Thorndike l’ont amené à considérer que dans un premier temps, le comportement de l’animal dans la boite paraissait extrêmement désordonné, tentant de s’évader en passant par les barreaux, se débattant, griffant la porte… En agissant de la sorte, le chat finit tôt ou tard par actionner accidentellement le dispositif d’ouverture et par s’échapper. En répétant l’expérience, au bout d’un certain nombre d’essais plus ou moins grand, le temps que met l’animal pour sortir de la cage va se raccourcir.

Cette approche de la résolution de problèmes s’appuie sur deux idées centrales : la première est que la situation doit être motivante, sans quoi l’exploration n’aura pas lieu. Dans la conception behavioriste, la motivation n’est que le moteur déclenchant l’activité de l’individu. La seconde, elle, réside dans le renforcement, c'est-à-dire l’augmentation de l’association de la réponse à la situation. Autrement dit, la répétition des essais-erreurs de la pratique permet au chat d’augmenter sa capacité à sortir de la cage. Il apprend de ses erreurs.

L’approche gestaltiste

A la suite du courant behavioriste, une nouvelle manière de concevoir la résolution de problèmes va voir le jour : la Gestalt. Pour les gestaltistes, la solution ne peut pas venir de la répétition des essais-erreurs, mais d’un changement soudain de point de vue. Cette découverte brusque d’une organisation (Insight) permettant de comprendre la situation et donc de la résoudre ne dépend pas des tâtonnements préalables et peut survenir d’un seul coup.

Une expérience menée par Koehler (1927) au sujet de l’intelligence des singes supérieurs permet d’illustrer cette approche. Koehler a enfermé un chimpanzé dans une cage et posé une banane sur le sol à l’extérieur de la cage de telle sorte que le singe ne puisse pas l’atteindre. Un bâton est également déposé dans la cage. Le singe va d’abord tenter de s’emparer de la banane avec ses bras. N’y arrivant pas, il renonce et va s’assoir dans la cage. Tout à coup, il se lève, se saisit du bâton et va l’utiliser pour déplacer la banane vers la cage afin de s’en saisir.

Il y a bien entendu un comportement nouveau dans cette situation. Mais celui-ci ne dépend pas de ses expériences ultérieures puisqu’il n’y a pas d’amélioration progressive de sa part. Ce qui va provoquer l’apparition d’un comportement mieux adapté. La relation nouvelle et soudaine que le singe a été capable de réaliser entre la banane et le bâton va lui permettre de résoudre son souci.

L’approche de la Gestalt ne contredit pas les apports du behaviorisme, elle se contente uniquement de remettre en cause leur généralité.

L’émergence du cognitivisme

La Gestalt a commencé à déplacer le regard des chercheurs des comportements vers ce qui se passe dans la tête des individus. Mais elle n’a fait qu’effleurer la question. Les gestaltistes ne voient en effet dans le changement d’attitude qu’un simple mécanisme perceptif. Dans cette optique, que la situation soit dotée en contraintes et incitations suffisamment fortes pour que se fasse la découverte est amplement suffisant.

La psychologie cognitive, elle, voit dans la résolution de problème tout un ensemble de mécanismes de résolution dont le sujet n’a pas forcément conscience. Il s’agit de les faire émerger afin de comprendre où se situent les difficultés et de trouver le moyen de les contourner.

Globalement, la résolution de problème passe par deux stades important : l’interprétation du problème et les mécanismes de résolution.

Comment interprète-t-on un problème ?

Si le problème est écrit comme c’est souvent le cas dans le cadre scolaire, la première étape réside dans la compréhension syntaxique de l’énoncé. Va s’ensuivre la construction d’une représentation de l’état initial et de l’état final demandé. Enfin, si possible, l’individu doit se représenter la procédure optimale à suivre pour passer de l’état initial à l’état final.

Les études menées aux Etats-Unis sur la compréhension des journaux démontrent que la phase de compréhension n’est pas évidente et que nombreux sont ceux qui échouent simplement parce qu’ils ne comprennent pas les documents relatifs à l’état initial de la situation. Il est alors impossible de construire des représentations réalistes. La quantité de connaissances disponibles va également influencer la précision de la construction de la représentation des états initiaux et finaux. Pour donner un exemple, un élève qui ne connait pas le verbe « retrancher » ne peut pas construire l’état final qu’on lui demande dans un intitulé du type « retranchez 5 à 13 » . Il sait peut-être soustraire mais n’arrive pas à savoir où on lui demande d’aller et donc va être incapable de choisir la procédure adéquate.

Les mécanismes de résolution

Lorsqu’il se trouve face à un problème, l’individu puise dans le répertoire de procédures qu’il a mémorisé afin d’en trouver une qui soit analogue à ce qui lui est demandé. Au pire va-t-il en sélectionner une se rapprochant du problème et tenter de la particulariser. En face d’une situation problème, on essaie toujours, consciemment ou non, de l’assimiler à une situation connue. Plus un individu a résolu d’énigmes, plus il a de cordes à son arc. C’est là une des caractéristiques qui distingue un expert d’un novice. L’expert connait beaucoup plus de mouvements possibles pour aller de l’état initial à l’état final. Par exemple, face à l’intitulé « Pierre a cinq billes. Il en a gagné à la récréation. Après, il en a 8. Combien en a-t-il gagné ? », un adulte sait qu’il lui suffit de soustraire le nombre initial du nombre final. L’enfant, qui n’a vu l’addition que dans le sens a+b=c, va comprendre que Pierre a augmenté son capital-bille mais ne dispose pas de la bonne procédure. Il va alors logiquement appliquer la seule règle qu’il connait, à savoir 5+8=13.

Si la personne ne possède pas en mémoire de problème se rapprochant de celui qu’elle doit résoudre, elle peut faire des inférences sur la base des connaissances qu’elle a en stock. Inférer consiste à ajouter une information à celles qui sont fournies afin d’interpréter la situation. Par exemple, en tentant de résoudre le problème DONALD + GERALD = ROBERT avec D=5, elle va naturellement commencer avec l’addition des deux D finaux, trouver que T vaut 0 et qu’il y a une retenue. Puis continuer en déduisant que R est impair puisque L+L ne peut que donner un chiffre pair auquel on ajoute 1. Et de déduire que R est forcément inférieur ou égal à 9 et n’est pas 5 puisque c’est D. Il ne reste donc que les possibilités 1-3-7-9. La personne continuera alors les inférences jusqu’à restreindre au maximum le champs des possibilités.

S’il n’est pas/plus possible non plus de se servir de ses connaissances pour résoudre le problème, il ne reste à l’individu plus qu’à avancer à l’aide d’heuristiques. Les heuristiques sont des règles générales qui peuvent être appliqués à peu près n’importe où. L’heuristique d’essais et tests est la plus courante : elle consiste à tenter dans chaque état de sélectionner l’action qui mène à un nouvel état semblant se rapprocher le plus du but et d’essayer de l’appliquer. Si cela ne fonctionne pas, on teste autre chose jusqu’à ce qu’on trouve une solution. On est là dans un processus à peu près purement hasardeux.

D’autres types d’heuristiques sont possibles, comme celle des fins et moyens. Elle consiste à comparer l’état initial et le but, à noter les différences, à les ordonner et à chercher pour chacune d’elles un moyen de les faire disparaître. Il s’agit toutefois d’une heuristique que des débutants n’arriveront vraisemblablement pas à produire tant elle surcharge la mémoire de travail (il faut garder en mémoire l’état initial, l’état final, les sous-buts qu’on a découpé en plus de chercher les opérateurs permettant d’avancer). Il n’est de plus pas certain qu’il pense à agir de la sorte si on ne lui a pas enseigné explicitement cette stratégie.

Que déduire de tout cela ?

Plusieurs conclusions peuvent être tirées de cette présentation :

  • Tout d’abord, la recherche de procédures analogues en mémoire à long terme demande qu’un maximum de problèmes aient été résolus au préalable. Il n’est pas nécessaire que ceux-ci aient été faits de A à Z par les élèves. L’enseignant peut tout aussi bien faire démonstration de la manière dont un expert s’y prend pour résoudre un problème. A condition bien entendu de faire en sorte de ne pas perdre ses élèves en route. Un minimum de bon sens permet de constater qu’on confrontera l’élève à un nombre bien plus important de résolutions réussies si l’enseignant montre un maximum d’exemples avant que l’élève ne se lance lui-même dans l’activité. D’une part parce que l’élève les résoudra plus rapidement que s’il doit chercher seul et d’autre part parce qu’il aura vu travailler un expert à plusieurs reprises. Le top réside dans l’addition d’une phase où l’élève et l’enseignant travaillent ensemble avant que les apprenants ne se jettent à l’eau seuls. Enseigner des stratégies de résolution de problèmes est donc bien plus efficace que de mettre l’élève en situation de problème directement. Plus le modelage (la transmission) de ces stratégies est conséquent et plus l’élève va emmagasiner de schémas de résolution qu’il pourra tenter de réutiliser dans d’autres cas.
  • La capacité de faire des inférences dépend des connaissances emmagasinées par l’élève. La seule manière de raisonner en situation problématique sans se fier à un processus hasardeux exige des connaissances. Plus un élève connaît de choses, plus il a possibilité de les réutiliser pour produire ces fameuses inférences et ce dans des domaines variés. Et plus il sera apte à continuer à avancer dans la complexité sans arriver à une surcharge cognitive qui le mettra hors d’état de continuer.
  • Un élève qui ne possède ni un grand répertoire de situations résolues ni des connaissances étendues ne pourra que se rabattre sur des méthodes hasardeuses pour résoudre son problème.
  • Laisser les élèves user de ces fameuses heuristiques hasardeuses n’a pas grand sens. C’est là une méthode fort chronophage. De plus, qu’on n’améliore nullement un processus hasardeux en le pratiquant à outrance. Pour accroître au maximum le réservoir des procédures et connaissances disponibles de chaque élève, il convient d’utiliser le temps à l’école de la manière la plus judicieuse qui soit.
  • le bref historique des recherches sur la résolution de problème devraient nous inviter à reconsidérer les pédagogies constructives « centrées sur l’élève » d’un autre œil. Surtout si on s’adonne à une relecture du discours constructiviste typique. On va au devant de quelques bonnes surprises. Lorsque les constructivistes et autres pédagogos de tout poil se revendiquant du progrès critiquent les tenants d’une pédagogie transmissive au prétexte que celle-ci rendrait les élèves passifs, ils adoptent un point de vue qui fait fi de ce qui se passe dans la tête des élèves. Un point de vue qui se concentre uniquement sur la relation stimulus (transmission)-comportement (passivité de l’élève). Un regard qui n’est donc rien d’autre qu’un point de vue…behavioriste du début du 20ème siècle !!!
  • Ils sont d’ailleurs tout autant behavioristes lorsqu’ils arguent de la nécessité de mettre les élèves dans des situations motivantes pour réaliser leurs apprentissages. Souvenez vous l’exemple du chat dans sa cage. Depuis lors on a bien avancé dans la compréhension de la motivation et on sait qu’elle peut tout aussi bien, voire même mieux apparaître en relation avec un travail bien fait et maitrisé.
  • Le conflit socio-cognitif qu’ils cherchent à développer (pour autant qu’il fonctionne) pour réorganiser différemment les connaissances de l’élève est un pur produit de la Gestalt. Il s’agit simplement de faire en sorte qu’un changement de point de vue survienne. Dans cette optique, les obstacles dressés volontairement dans les documents de travail et l’environnement de groupe suffisent à produire ce changement. Une approche basée sur les sciences cognitives aurait,elle, chercher à favoriser ce changement de point de vue. Par le biais d’une démonstration du maitre par exemple. Alors certes, les enseignants constructivistes interviennent également, mais leur manière de faire pour imposer ce fameux changement de point de vue, mais cela ne sera jamais aussi rapide et efficace qu’une transmission préalable. Autant dire que si on peut y voir une petite incursion dans le monde des sciences cognitives, elle est relativement timide.
  • Il en va de même pour leur notion de l’erreur. Si les constructivistes voient à juste titre, dans l’erreur une manière d’apprendre, ils en restent plus ou moins à Thorndike et à sa manière de laisser le chat faire ses erreurs pour apprendre au lieu de prendre les devants. Après tout l’élève peut tout aussi bien apprendre de celle-ci si c’est l’enseignant qui les lui montrent au préalable. Là aussi, le nombre d’erreurs et le pourquoi de celles-ci que l’enseignant peut montrer est largement supérieur à celui qu’un élève va faire tout seul ou en groupe. C'est supérieur quantitativement comme qualitativement.

En définitive, à peu près tout dans le discours des tenants du progrès et du constructivisme nous ramène à une période antérieure au développement des sciences cognitives. Ce que ces gens nous présentent comme la panacée en matière de nouveauté est en fait un vieux disque rayé dont les plages évoquent des recherches datant du début du 20ème siècle et qui tourne en boucle depuis cette époque…

Stevan Miljevic, le 16 avril 2016 pour Lesobservateurs.ch et contrereforme.wordpress.com

Bibliographie:

Jean-Marc Meunier "Raisonnement, résolution de problèmes et prise de décision", Dunod, Paris, 2016

Françoise Cordier et Daniel Daonah'h "Apprentissage et mémoire", Armand Colin, 2ème édition, 2012

http://edutechwiki.unige.ch/fr/R%C3%A9solution_de_probl%C3%A8me

Les réformes scolaires actuelles favorisent-elles l’esprit critique?

L’école qui transmet des connaissances est régulièrement présentée comme une institution remplissant des têtes de notions n'ayant que peu de sens au lieu d’apprendre aux élèves à raisonner.  J’ai déjà montré que cette idée est fausse et trompeuse car c’est sur la base des connaissances que s’élabore le raisonnement (1). Le but du présent billet est d’approfondir encore un peu plus la question afin d’exercer une lecture critique des réformes qui secouent l’école francophone ces dernières années.

Qu’est-ce que le raisonnement ?

Qu'entend-on par pensée critique ou raisonnement? Raisonner, c’est "exercer une activité mentale par laquelle on produit des arguments complets, ou par laquelle on produit ou évalue la conclusion d’un argument ou sa preuve". (2) Un argument se compose de deux types de propositions : d’une part des propositions évidentes  par elles-mêmes  ou démontrées dans un autre raisonnement appelées prémisses et d’autre part une proposition unique appelée conclusion qu’on tente de justifier, d’affirmer ou  de soutenir par le biais des prémisses. Les prémisses et la conclusion sont reliées par des liens ou connexions. Pour donner un exemple très simple, « Si le chevalier combat, alors la reine est inquiète » est un argument dans lequel « le chevalier combat » est une prémisse alors que « la reine est inquiète » en est la conclusion. La liaison s’effectue à l’aide de « Si, alors ».(3)

Pour pouvoir argumenter ou juger de la validité d’un argument, il faut donc être au minimum capable de comprendre ses prémisses et sa conclusion, d’en juger la pertinence ainsi que  d’établir ou d’interroger la validité des liens et connecteurs les liant entre elles.  En d’autres termes, il faut avoir des connaissances portant sur ce qui constitue les prémisses et la conclusion et être capable de faire des inférences logiques pour relier ces deux ensembles.

Notez bien que l’activité de résolution de problème suit globalement la même structure et s’inscrit elle aussi parfaitement dans cette définition du raisonnement.

Le rôle des connaissances

L’architecture cognitive humaine impose des limites strictes. L'esprit ne peut traiter que peu d’éléments simultanément. (4) La seule manière de pouvoir mobiliser de nombreuses connaissances en parallèle consiste à les avoir déjà retenues et comprises. Tout ce qui est déjà mémorisé est gratuit en terme de coût cognitif alors que les informations provenant de  l’environnement (internet, livres etc) pèsent lourdement sur les capacités de la mémoire de travail et peuvent amener à une surcharge. Le cerveau n’est alors plus apte à faire ce qu’on lui demande. Il est donc évident  que tout ce qui est du domaine du travail sur les prémisses ou la conclusion qu’implique d’argumenter est largement favorisé par la possession et la maîtrise d’une solide culture générale.  Et redisons-le une énième fois: cette acquisition est maximisée par la pédagogie explicite par opposition aux méthodes dites actives. (5)

Certains thuriféraires de la fausse modernité ripostent que notre société génère tant de connaissances que celles-ci sont très rapidement désuètes. Et de conclure sur l’inutilité de les apprendre. Coupons court à ces affabulations : les contenus scolaires sont traditionnellement des connaissances éprouvées depuis des lustres. Ce qui implique que leur durée de vie est bien plus longue que celle des savoirs générés par les dernières avancées scientifiques,  encore largement débattues et dont la pérennité n’est pas encore assurée.

Développer la capacité d’inférence ?

Reste à savoir  s’il est plus opportun d’accentuer l’acquisition de connaissances ou la capacité d’inférer. Et le cas échéant, de trouver la meilleure manière de bonifier celle-ci. Plusieurs écoles de pensées s’opposent puisque « certains théoriciens défendent l’idée que les individus effectuent des inférences logiques de façon parfaitement naturelle et spontanée car ces inférences relèvent d’une base innée, alors qu’à l’opposé d’autres soutiennent qu’elles sont le produit de l’expérience et de l’apprentissage. » (6) Il n’y a donc pas de consensus et les positions varient, partant de celles affirmant n’avoir jamais rencontré d’erreurs pouvant être attribuées sans ambiguïté à un raisonnement erroné jusqu’à celles niant à peu près toute forme d’innéité en passant par des postures mixtes et intermédiaires.

Les deux traditions majeures de la psychologie cognitive qui se sont penchées sur la question, à savoir celle des travaux sur l’expertise et celle qui analyse ce qui ressort de la lecture du journal peuvent nous éclairer. Elles arrivent à la conclusion que la caractéristique la plus universelle de la pensée critique est la possession d’un vaste background de connaissances bien maîtrisées. (7) La plupart du temps, ce n’est pas l’éventuel manque de structure logique des inférences qui est à l’origine de l'incapacité à penser de manière critique mais bien plus l'incapacité à concevoir ou à comprendre des prémisses. Cette position serait justifiée par plusieurs études empiriques sérieuses. (8)

Il semble donc que l’accent doive être mis sur les connaissances plutôt que sur le développement de stratégies spécifiques à l’élaboration d’une pensée critique si on veut maximiser les  gains éducatifs. Ce qui n’empêche bien entendu pas un travail sur les deux aspects en simultané. Tout en gardant bien  à l’esprit où doivent se situer les priorités.

Toutefois, si décision est prise de focaliser sur le développement des inférences, les expériences menées à ce jour démontrent là aussi que la meilleure manière de procéder est de transmettre  explicitement les manières de faire plutôt que de miser sur l’implicite, la découverte ou autre faribole axée projet. (9)

Le raisonnement comme inhibition des automatismes

Certains auteurs ajoutent une  dimension supplémentaire au raisonnement. Selon eux, raisonner c’est aussi être capable, dans certaines circonstances, de stopper les réflexes automatiques afin de laisser place à la réflexion logique. Pour les constructivistes, le prétexte était trop beau et permettait de critiquer les apprentissages menant à l’automatisation. Mais même en admettant cette hypothèse, les expériences empiriques réalisées à ce jour leur donne tort puisque la manière la plus efficace pour apprendre aux élèves à faire cette transition de l’automatisme à un système logique consiste à émettre des alertes exécutives verbales. (10) Dit plus simplement, il s’agit d’indiquer aux élèves concrètement le piège et comment y remédier. On est donc à mille lieux des méthodes dites actives…

A première vue, il peut sembler raisonnable qu'un automatisme empêche de raisonner. Mais c'est oublier que tout automatisme permet de diminuer la charge cognitive qui s’exerce sur l’esprit. Et permet ainsi de traiter plus de données en parallèles ! Un équilibre fin doit ainsi être trouvé. Ce d’autant plus qu’un certain nombre d’études démontrent que plus le niveau d’expertise (que l’automatisation facilite et dont elle est un des traits) dans un domaine augmente, plus la pensée se dérigidifie et permet à l’expert de basculer plus facilement consciemment de l’automatisme au raisonnement logique. (11) Dès lors, l’automatisation n'est ni plus ni moins qu'un passage nécessaire afin de permettre à un individu de mieux contrôler sa pensée.

Explication de ce pseudo paradoxe: le fait de continuer à travailler avec une connaissance déjà apprise permet de la rendre flexible : la manière dont elle est stockée en mémoire à long terme va évoluer vers quelque chose de plus profond, de plus abstrait. La multiplication des situations où ces connaissances interviennent permet de les comparer et de déplacer ainsi peu à peu  l'attention de l'élève des connaissances vers la structure profonde de la situation, la manière dont les concepts et connaissances se lient entre eux. (12)

L’esprit critique se transfère-t-il aisément d’un domaine à l’autre?

Puisque des structures profondes identiques se retrouvent dans un certain nombre de situations à priori radicalement différentes, on peut dès lors se demander s’il ne serait pas utile d’enseigner ces structures profondes directement. Malheureusement, l’esprit ne fonctionne pas de la sorte. Si les éléments composants les prémisses ne sont pas maîtrisés au point d’être des connaissances flexibles, il sera très difficile de passer directement à la structure profonde de la situation. Ce d’autant plus que la capacité de travail de la mémoire à court terme va se retrouver réduite d’autant que les divers éléments de la situation ne sont pas acquis.

Si donc on veut augmenter au maximum les capacités de transfert, on est obligé de maximiser la quantité des connaissances réellement acquises et  de multiplier autant que possible la nature des structures profondes dans lesquelles on les utilise.  Pour y arriver, la meilleure manière est de mettre l’accent sur l’acquisition des connaissances tout en réinvestissant systématiquement les anciennes connaissances dans les activités qui ont trait aux nouvelles.

Quid de l’interdisciplinarité ?

Mettre sur pied des dispositifs scolaires d’interdisciplinarité n’a pas grand sens au regard de ce qui a été dit. Certes le mérite de rendre plus flexibles les connaissances utilisées existe, mais cela ne contribue pas à créer une capacité générale à relier des connaissances de nature différente. Tout au plus cela permet-il de déplacer le cloisonnement existant entre les différentes savoirs acquis dans les diverses branches et de re-cloisonner le tout autrement. Mais surtout, le temps consacré à réaliser des projets (qui, rappelons-le, ne sont pas du tout efficaces en terme d’acquisition de nouvelles connaissances) est un temps sacrifié en terme d’augmentation du capital de savoir disponible. Et cela sans même évoquer les problèmes de coordination entre enseignants ou de savoirs  que partiellement maîtrisés par ceux-ci (puisqu'hors de leur champ disciplinaire) qui ne peuvent que tirer encore un peu plus le niveau vers le bas.

Tout au plus, si vraiment un besoin irrépressible d’interdisciplinarité se fait sentir, peut-on imaginer un dispositif où l’acquisition des connaissances dans une branche se ferait en partant des savoirs acquis dans une autre discipline (Par exemple, un enseignement d’histoire partant des connaissances géographiques, de sciences prenant appui sur les mathématiques etc. L’inverse étant tout aussi valable). Dans ce cas, on se retrouverait effectivement dans une situation impliquant le franchissement des frontières disciplinaires désiré, l’augmentation du capital-savoir et la flexibilisation des connaissances déjà acquises.

Au vu de ce qui a été dit, je vous laisse juge pour évaluer la pertinence des réformes engagées dans le monde scolaire francophone, que cela soit les plans d’étude axés sur le travail d’analyse au détriment de l’acquisition des connaissances, sur l’imposition de modalités pédagogiques peu efficaces (méthodes de l’enquête, de la découverte, du projet, de l’entrée par le complexe, du ludique etc.) ou sur les fantasmes d’interdisciplinarité.

Stevan Miljevic, le 8 janvier 2016 pour lesObservateurs.ch et contrereforme.wordpress.com

(1) https://contrereforme.wordpress.com/2015/12/17/les-tetes-bien-faites-et-les-tetes-bien-pleines/

(2) « Psychologies du Raisonnement » sous la direction de Sandrine Rossi et Jean-Baptiste Van der Henst, de Boeck, Paris, 2007, p.15

(3) http://www.unifr.ch/philo/modern-contemporary/lauper/documents/argumentation consulté le 3 janvier 2016

(4) https://contrereforme.wordpress.com/2015/12/17/enseigner-des-competences-ou-des-connaissances/

(5) Voir par exemple le classement établi par John Hattie qui relègue les pédagogies axées sur la découverte ou le jeu bien loin derrière http://visible-learning.org/hattie-ranking-influences-effect-sizes-learning-achievement/

(6) « Psychologies du Raisonnement » sous la direction de Sandrine Rossi et Jean-Baptiste Van der Henst, de Boeck, Paris, 2007, p.41

(7) D. Hirsch JR « The Schools we need  and why we don’t have them“, Anchor Books, New York, 1999, p.152

(8) Ibid p.136-1377

(9) Lisa M. Marina, Diane F. Halpern « Pedagogy for developing critical thinking in adolescents: Explicit instruction produces greatest gains » https://drive.google.com/file/d/0B9acqT9DN0pjMzdmODRhMzQtY2Q4My00ZWY3LTg0YjAtNTExMTFmNTA2MTNm/view consulté le 3 janvier 2016

(10) Olivier Houdé « Le raisonnement », Que sais-je ?, PUF, Paris, 2014, p.85

(11) Fernand Gobet, « Psychologie du talent et de l’expertise », De Boeck, Bruxelles, 2011, p.129

(12) http://www.formapex.com/daniel-willingham/1004-les-connaissances-inflexibles-premiere-etape-vers-lexpertise?616d13afc6835dd26137b409becc9f87=4d34101224fa8bcc8a53050fda55c277 Consulté le 4 janvier 2016

Les têtes bien faites et les têtes bien pleines

Les promoteurs des pédagogies farfelues actives aiment à user abusivement de citations pour étayer leur propos. Sans doute est-ce là une manière de démontrer le vide abyssal l’étendue de leur culture. Montaigne fait partie de leurs références favorites. De tonitruants « Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine » sont assénés régulièrement un peu partout où enseignants et formateurs sont formatés formés en guise d’argument imparable coupant court à toute discussion sérieuse opposition formulée par ceux qui ne savent pas.

 Dans la même veine, une citation tronquée exhumée du Moyen-Âge leur permet d’affirmer de manière imparable que les enseignants faisant oeuvre de transmission passéistes considèrent que l’élève est un vase à remplir de force. Peu importe si la citation en question portait à l’origine sur l’extrême délicatesse avec laquelle il faut agir au contact de l’esprit humain et de ses limites, l’important est de mettre l’accent sur le côté je-te-fourre-tout-ça-dans-la-tête-et-tant-pis-pour-toi.

 L’idée sous-jacente à cet ersatz d’ argument consiste à dire que la transmission de connaissances contribue à former des abrutis cultivés mais incapables d’utiliser cette culture au lieu de former les gens à ne pas réfléchir. Ce d’autant plus que ces fameuses connaissances sont en deux coups de clic à la portée de tous. Néanmoins, ces démagogues penseurs ne savent même pas oublient que la réflexion est largement dépendante du nombre de connaissances bien acquises stockées dans la mémoire à long terme des individus. Les approches cognitivistes sur le développement de l’expertise chez les individus, et ce dans une multitude de domaines, démontrent clairement que la profondeur de réflexion d’un individu dépend totalement de la quantité de connaissances qu’il maitrise réellement. Celles-ci permettent d’élaborer des schémas de pensée plus complexes dont nos fameux experts sont incapables puisque la maitrise des données nécessaire au traitement d’un problème libère de la place dans la mémoire de travail des individus et que celle-ci a des capacités extrêmement limitées. On peut faire ce qu’on veut, on ne peut pas raisonner à partir de rien. Une personnes qui, comme moi, n’a aucune idée en matière de physique quantique, ne comprendra pas grand chose à un texte écrit par un éminent spécialiste de la question et ce même en ayant à sa disposition un accès à internet ou toute autre ressource documentaire à portée de main. La compréhension du texte va débuter dès lors que va commencer l’apprentissage des différentes notions de la discipline en question. Et ce ne sont pas des gesticulations techniques palliatives ou autre dispositif de travail sur document qui combleront ce manque. Attention, je ne dis pas que ces méthodes n’apportent rien, je dis qu’elles apportent beaucoup moins que des connaissances. La nuance est de taille.

 Toujours dans le même ordre d’illusion idée, la traditionnelle sempiternelle répétition des notions est présentée, elle aussi, comme tuant l’esprit (drill and kill). Pourtant, dans la pratique, c’est exactement l’inverse qui se produit. En effet, biologiquement, ce sont les connexions inter-neuronales qui déterminent le fonctionnement mental. Plus celles-ci sont nombreuses et plus un apprentissage est effectif et assuré. Or, il n’existe qu’une seule manière efficace d’augmenter le nombre de ces connexions : s’entrainer et répéter.[1] Encore et encore. Répéter permet d’ancrer les nouvelles notions dans la mémoire lexicale[2]. Le nouvel apprentissage est alors enregistré mais pas encore compris. C’est ce qu’on appelle « apprendre par cœur ». Incontournable puisque sans cela, il n’y a pas de nouveau mot, de nouvelle définition, formule ou je ne sais quoi d’autre. A cet apprentissage doit toutefois s’ajouter un second volet pour faire passer la nouvelle connaissance dans la mémoire sémantique, autrement dit là où se situe la compréhension. Et là aussi, c’est par le biais de la répétition qu’elle s’y installe définitivement. Toutefois, une nuance de taille doit être ajoutée : pour comprendre, il s’agit de répéter dans différents contextes[3]. Il n’est pas très rentable de faire inlassablement la même chose, il faut en varier les applications. Ce n’est que comme cela que l’apprentissage prend vraiment du sens. Mais on reste envers et contre tout dans le domaine de la répétition.

 Puisque méthodes inefficaces actives axée sur l’évitement la construction du savoir par l’apprenant sont horriblement chronophages, elles sont confrontées à deux choix : soit elles font une croix sur un bon nombre de répétitions et donc l’élève doit se rabattre sur un apprentissage par cœur à domicile qu’il aura à peu près oublié le lendemain même du test, soit la quantité de connaissances dispensée dans ces cours est réduite comme peau de chagrin et on en arrive à se féliciter qu’un élève sache dire son prénom correctement et compter jusqu’à 6 ne fasse que des progrès ridiculement fort modestes.

 En revanche, les modèles axés sur la transmission permettent, eux, d’augmenter massivement le nombre de répétitions. Surtout si l’enseignant, dans la phase où il montre, varie déjà considérablement les contextes, qu’il fait travailler ses élèves eux aussi dans cette constante variation et qu’il fait le nécessaire pour s’assurer continuellement de l’avancement de l’apprentissage.

 On est donc à des années lumières de l’opposition entre têtes bien faites et têtes bien pleines dénoncées par certains esprits chagrins et, à vrai dire, il n’est tout simplement pas possible d’avoir les premières sans passer par les secondes !

 Pour Les Observateurs, Stevan Miljevic, le 2 octobre 2015

 [1] Alain Lieury « Mémoire et réussite scolaire », Dunod, Paris, 2012, p.126-127

[2] Ibid p.25

[3] Ibid p.43

La transmission rendrait l’élève passif

Il s’agit là certainement d’un des arguments les plus répandus pour justifier l’utilisation des pédagogies constructivistes. Quelqu’un a un jour décrété que lorsqu’un enseignant transmet des connaissances, les élèves sont passifs et, comme chacun le sait, on ne peut pas progresser au travers de la passivité. Depuis lors, cette antienne est systématiquement reprise en boucle et ce alors que personne n’a jamais apporté une quelconque preuve de cette passivité !

En fait, il s’agit d’une grave confusion entre la passivité comportementale et la passivité cognitive. D’ailleurs, généralement, cette passivité comportementale est même souhaitée puisque, lorsque l’enseignant parle, il est recommandé de se concentrer sur ce qui est dit/montré sans faire autre chose. Mais ce n’est pas parce que les élèves ne font rien en apparence que leur cerveau n’est pas actif. Le simple bon sens permet de comprendre qu’un élève à qui on expose une théorie, une règle de mathématique ou de grammaire notamment pourra difficilement reproduire l’exemple qui lui a été transmis s’il ne reconstitue pas mentalement les opérations que l’enseignant montre devant lui. Il lui est d’ailleurs totalement impossible de reproduire une série d’opérations si celles-ci n’ont pas été réalisées mentalement au moment de l’exposition à l’enseignement puisque cela reviendrait à dire que l’élève invente de toute pièce la procédure.

Ainsi donc, lorsque l’enseignant enseigne, loin d’être passif, le cerveau de l’élève reconstitue chaque geste que le maître expose. Cela peut mener à utiliser les fonctions cognitives les plus hautes qui soient puisque, si l’enseignant réalise une synthèse, pratique une évaluation ou fait de l’analyse, l’élève en fait tout autant. Et même plus si l’on en croit ce que nous démontrent les dernières avancées réalisées dans le domaine des neurosciences. Certains chercheurs ont en effet utilisé l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour observer l’activité cérébrale d’enfants âgés de 3 à 5 ans au moment où on leur faisait la lecture d’histoires et ont notamment constaté une activation de la région du cerveau responsable du traitement des stimuli visuels.[1] Autrement dit, non seulement le cerveau de l’enfant suit l’histoire qui lui est contée, mais il va même jusqu’à activer ses propres connaissances au sujet des éléments qui lui sont décrits et reconstitue un visuel de la situation, faisant ainsi preuve de créativité ! Une personne à qui l’on transmet des informations est donc potentiellement également capable de dépasser le stade de la simple reproduction de ce qui est transmis et de mettre en branle des fonctions cognitives supérieures à celles que l’enseignant essaie de lui transmettre. Peut-être met-il en lien le nouveau savoir avec d’anciens ou alors compare-t-il ce qu’il est en train d’apprendre avec d’autres procédures qu’il connaît ou autre. Il ne me semble pas y avoir de raison valable de penser que ce qui fonctionne avec l’enfant cesse avec l’âge. On est donc bien loin de la passivité et de l’abrutissement généralisé dénoncé par les penseurs constructivistes puisque, rappelons-le, l’élève atteint au minimum le même stade cognitif que son enseignant. Pour autant que celui-ci lui enseigne correctement les choses bien entendu.

En revanche, il n’est de loin pas certain que l’élève puisse atteindre de tels niveaux de pensée dans les dispositifs de découverte préconisés par les constructivistes. Un élève qui échoue à découvrir par lui-même ce qu’on essaie de lui faire trouver n’atteindra jamais le stade cognitif de l’opération qu’il lui faut trouver. Il risque même de se décourager et de tourner son attention vers autre chose, se rendant ainsi actif du point de vue comportemental mais cognitivement passif au regard de ce qu’il doit apprendre. Ou alors, il peut tout aussi bien se retrouver dans la situation de n’avoir que partiellement correctement reconstruit ce qu’il doit trouver et ainsi encombrer son cerveau de faux théorèmes. Et comme ces cas de figure arrivent de manière assez fréquente, il faut bien conclure que les dispositifs constructivistes de découverte ont bien plus de chances de rendre les élèves passifs ou de les emmener sur de fausses pistes qu’un dispositif transmissif.

Certains se demanderont certainement quel est l’intérêt de faire remarquer ce que n’importe qui possédant un peu de jugeote a compris. Ils ne savent vraisemblablement pas que dans les instituts de formation initiale comme continue et même dans les organes de contrôle des enseignants, ces formules sont systématiquement rabâchées car constituant un des piliers fondamentaux sur lesquels le constructivisme éducatif tente de se déployer. Le constructivisme forme des perroquets à tour de bras et ce jusque dans les plus hautes sphères de la formation!

Stevan Miljevic, 11 septembre 2015

[1] http://rire.ctreq.qc.ca/2015/08/lecture-histoires-cerveau/

Education: une révolution post moderne silencieuse en marche

L’acharnement des décideurs scolaires à défendre contre vents et marées les pédagogies constructivistes a de quoi laisser pantois. Disons carrément qu’elle ne s’explique pas tant qu’on reste dans une optique humaniste. Il n’est en effet pas possible de continuer à promouvoir rationnellement des méthodes d’enseignement et d’apprentissage dont les sciences de l’éducation ont définitivement prouvé l’inanité que cela soit par le biais des tests empiriques réalisés ou par les apports de la psychologie cognitive, voir même des neurosciences. Tout concorde à démonter que les approches constructivistes, qu’elles soient basées sur la découverte, le projet ou autre approche par compétence, ne valent pas grand chose en terme d’efficacité et que le fonctionnement du cerveau humain n’est guère adapté à ces manières de faire.

 Mais, peut-être n’est-ce pas là la bonne question. D’ailleurs, lorsqu’on leur fait remarquer à quel point leurs pratiques sont peu efficientes au regard des résultats de l’unanimité des innombrables études menées sur le terrain, les constructivistes rétorquent que les tests ne sont pas valides, qu’ils ne mesurent pas ce qu’eux veulent travailler réellement. Sans, bien entendu, jamais préciser exactement ce sur quoi portent leurs efforts. Et si cela était exact ? Si effectivement les intentions constructivistes ne portaient qu’accessoirement sur l’acquisition des savoirs scolaires ? Mon hypothèse est que, loin de chercher à offrir aux élèves le meilleur bagage pour se développer et s’insérer dans la société qui est la nôtre, le constructivisme éducatif est plutôt une tentative de changer la société, de fomenter une sorte de révolution silencieuse. Il ne s’agirait pas d’un précédent : nombreuses déjà furent les tentatives de faire évoluer la société dans le sens de l’idéologie par le biais de l’école. Qu’on pense au marxisme soviétique[1] ou même au fascisme mussolinien[2]. Se servir de l’école comme d’un levier pour activer une révolution n’a rien de bien original.

 La révolution amorcée en question est d’essence post-moderne. Elle se construit sur la base des écrits des penseurs de ce courant de pensée (qu’on appelle également occasionnellement constructivistes, étonnant non ?).

 Feyerabend et la destitution de la raison et du savoir scientifique

 Paul Feyerabend fut un des précurseurs de la post-modernité. Son travail a consisté, entre autre, à déconstruire et donc déconsidérer la science. Dans son optique, celle-ci n’est rien d’autre qu’une forme de superstition comme une autre. D’ailleurs, il préconise que les directions dans lesquelles doivent s’orienter les recherches scientifiques soient déterminées par des votations populaires. Plus encore, les conclusions de ces mêmes études doivent elles aussi être déterminées par les citoyens. Autrement dit, dans son optique, la science et la raison sont totalement déconsidérées et leur rationalité niée. Feyerabend va jusqu’à dire que personne ne doit être obligé de croire ce qu’elles nous disent.

 Il n’est pas difficile de faire le lien entre ce mode de pensée et le mode de fonctionnement de l’école constructiviste actuelle puisque celle-ci, sous prétexte de motiver les élèves, prône des approches où les élèves peuvent choisir eux-mêmes leur objet d’étude (le citoyen qui détermine l’orientation des recherches scientifiques). De plus, on se targue de faire travailler les élèves à la manière des experts (qu’on pense aux démarches historiennes par exemple). L’idée sous-jacente à ce fonctionnement est que tout le monde peut faire ce travail et que donc l’expertise n’est pas nécessaire pour produire de la connaissance. Autrement dit, la population devient celle qui fait œuvre de science et en valide les conclusions. Cette vision est également celle que défend, à sa manière, Derrida, autre penseur de la post-modernité selon qui le sens d’un texte est forcément relatif.

 Cette relativisation du savoir et du travail d’expert se retrouve également dans le développement de la transversalité, de l’interdisciplinarité et de l’entrée par le complexe à l’école: alors que toute la science moderne s’est développée sur l’idée du découpage du complexe en une somme de différentes parties plus simples à appréhender, l’école constructiviste, elle, en appelle à une approche globale qui croit possible de se mouvoir dans les ensembles complexes et transdisciplinaire sans dégâts. Ce que même des experts ne font qu’avec beaucoup de précaution et après avoir emmagasiné une quantité colossale de savoir, l’école constructiviste le donne à exécuter à des élèves !

 Irrationalité, émotivité et relativisme à gogo

 Conséquence directe de ce mode de fonctionnement, l’acquisition des connaissances développées par les experts n’a plus grande importance. De manière plus globale, il n’est plus question d’acquérir une culture générale afin de mieux pouvoir se mouvoir dans la société comme c’était le cas dans le cadre de la culture humaniste. Etre capable de comprendre le monde sur des bases rationnelles et scientifiques n’est plus à l’ordre du jour. On retrouve d’ailleurs cette même attaque frontale contre la raison dans les œuvres du sociologue Michel Maffesoli qui voit se développer une société irrationnelle et émotive plutôt que raisonnable.

 Outre ce premier assaut, on trouve également chez le sociologue français l’idée que la morale classique se délite et laisse place à un relativisme généralisé. A ce sujet, le constructivisme éducatif contribue lui aussi à saper l’existence de l’éthique et ce sous au moins deux aspects.

 Le premier, aisément identifiable, se loge, par exemple, dans les excès que certains tentent d’ajouter aux cours d’éducation sexuelle. Faire la promotion de la théorie du genre, user de sexes en peluche dans des cours destinés aux tout petits ou d’extraits de films pornos comme certains le préconisent s’inscrit totalement dans cette lignée de relativisme moral absolu. Fait remarquable, ces tentatives de passage en force ne proviennent pas d’acteurs étrangers à l’institution scolaires mais bien des centres en charge de la pédagogie et qui font la promotion la plus forcenée du constructivisme (pensons par exemple à la HEP lucernoise et à son centre de compétence pour l’éducation sexuelle fort heureusement fermé à ce jour).

 Le deuxième aspect, plus insidieux, ne se loge pas dans les contenus mais dans les manières de travailler en classe. Dès lors que les élèves construisent eux-mêmes leur propres connaissances, la porte est grande ouverte au relativisme. Puisque, comme on l’a déjà montré, il n’est plus question d’enseigner des connaissances scientifiques mais bien de faire travailler les élèves à la manière des experts, alors nécessairement de nombreuses conceptions différentes peuvent émerger. Puisque selon cette manière de voir les choses, elles se valent à peu près toutes, il n’y a aucune raison que cette relativisation du savoir ne déteigne pas dans d’autres domaines. Après tout, si la science n’est pas quelque chose à quoi on peut se fier et que chacun peut faire la sienne, il n’y a pas de raison qu’un sujet comme la morale y fasse exception. Ce d’autant plus que celle-ci découle notamment de la raison.

 Le retour au tribalisme pré-civilisationnel

 Un troisième élément clé de la pensée post-moderne trouve son expression dans la reconfiguration de la personnalité et des appartenances sociétales. Maffesoli voit l’établissement de nouvelles communautés, des tribus post modernes ayant chacune l’équivalent de leur totem en lieu et place des appartenances traditionnelles (pays, famille…) : certaines ne jurent que par telle marque (les conducteurs de coccinelle, les utilisateurs d’Apple …) alors que d’autres se rattachent à tel style musical (les gothiques, les rappeurs etc.), à certaines pratiques sportives (skateurs, snowboarders …) voir à tout autre type de totem (sexualité, gangs…). Cette évolution a pour conséquence, en plus de l’effondrement des loyautés traditionnelles, le déclin de l’individualité : la personne passant désormais au second plan et se dévouant corps et âme si j’ose dire au groupe.

 Là aussi, le lien avec les pratiques scolaires est flagrant : la déconsidération de la culture classique sur laquelle se fonde les appartenances traditionnelles (histoire, géographie etc.) sape les fondements organisationnels de la société. Ce d’autant plus vu le peu de considération apporté à l’efficacité avec laquelle les derniers vestiges de connaissances sont transmis. A côté de cela, la promotion acharnée de travaux de groupe (communauté) au détriment du groupe-classe (population totale) rend les jeunes ultra-dépendants les uns des autres. De plus, au sein de certains groupes s’exerce une division du travail : chacun n’en réalise qu’une partie et seul le groupe a une vision complète et globale, ce qui amène certain à parler du développement d’une intelligence collective. Tout cela, au final, ne peut que mener à l’effacement des individualités pour laisser émerger des entités collectives fortes, véritable tremplin pour une tribalisation de la société.

 Le contenant plutôt que le contenu

 La quatrième pierre posée à l’édifice de la post-modernité trouve son expression dans la pensée de Marshall McLuhan, celui-là même à qui on doit l’expression de « village global » ou de « village planétaire ». McLuhan est également très connu pour sa phrase « The medium is the message ». Autrement dit, il affirme la prééminence du contenant sur le contenu. Ici également, la pensée éducative constructiviste ne dit pas autre chose. Qu’on observe les plans d’étude plus prompts à imposer la manière de travailler plutôt que le contenu à enseigner, l’hystérie à vouloir utiliser les nouvelles technologies à toutes les sauces sans même réfléchir un instant à leur pertinence ou l’obstination à promouvoir des méthodes constructivistes inefficaces (contenant) au mépris de la médiocrité des résultats obtenus (contenu). Tout concourt à montrer que l’école constructiviste fait primer le medium sur le message.

 Une révolution volontaire ?

 Ces quelques éléments tendent, à mon sens, à appuyer l’hypothèse selon laquelle une révolution post moderne silencieuse est à l’œuvre dans les écoles. Bien sûr, la question mériterait d’être, affinée, traitée plus en profondeur. En attendant, elle colle assez bien à la réalité éducative telle que la prônent certains.

 Reste également à définir si cette orientation radicale de l’école est le fruit d’un travail mûrement réfléchi, d’une intention délibérée de faire glisser la société dans le paradigme post-moderne ou s’il s’agit simplement de la conséquence d’une intoxication idéologique post moderne généralisée de ceux qui donnent le la éducatif et qui ne verraient plus la différence entre le réel tel qu'il est et tel que leur idéologie le leur fait voir. La nuance est de taille, mais dans les deux cas, le constat est le même, l’école constructiviste n’est pas au service des individus qui la fréquentent mais bien plutôt à celui d’une dangereuse idéologie révolutionnaire dont pratiquement personne ne veut.

Stevan Miljevic, le 30 juillet 2015

NB: Les grandes lignes de la pensée post moderne décrite dans cette articles ont été tirées de l'ouvrage de Jean Staune "Les Clés du Futur, Réinventer ensemble la société, l'économie et la science", Plon, Paris, 2015 pp.322 à 336

[1] http://www.lesobservateurs.ch/2014/09/14/heures-gloire-du-constructivisme-educatif-lurss-annees-20/

[2] J’ai déjà écrit un texte à ce sujet qui n’est actuellement plus en ligne mais qui, au besoin, pourrait refaire surface

La transmission est à la racine de tout acte d’enseignement

Nous sommes aujourd'hui arrivé à un stade de développement (je mets en italique parce que je ne suis pas sûr qu'il s'agisse là d'un terme véritablement adéquat comme vous allez le constater) plutôt étonnant. Certaines personnes s'opposent en effet à ce que les jeunes générations soient instruites par le biais de la transmission. Pour ces personnes, il ne doit plus être question de transmettre quoi que ce soit. Dans la foulée, elles proposent donc de substituer au phénomène transmissif  des méthodes où les élèves construisent leurs savoirs appelées méthodes actives ou (socio-)constructivisme. 

De vieilles lunes régulièrement ressorties de leur placard

Comme cela fleure bon la nouveauté, ces méthodes obtiennent un certain succès auprès d'esprits peu critiques pour qui l'important est d'évoluer, et ce peu importe dans quelle direction. Il est vrai que d'après l'expérience scolaire vécue par le plus grand nombre, il semblerait que les méthodes transmissives soient les méthodes du passé et que ces autres manières de faire relèvent de la nouveauté. Il ne s'agit là que d'une illusion. Comme je l'ai déjà souligné à plusieurs reprises, les méthodes actives ou constructivistes sont en fait de vieilles lunes qui réapparaissent épisodiquement. J'ai déjà montré que l'ensemble de l 'arsenal constructiviste a eu son heure de gloire dans l'URSS des années 20 (ce qui démontre en passant que la charge de démocratie qu'elles contiennent est plutôt faible contrairement aux dires de leurs promoteurs), que les soviétiques l'avait tiré des rares réflexions menées par Marx (1818-1883) sur l'éducation et sur diverses expérimentations déjà faites à l'époque de la Révolution industrielle dans le système scolaire allemand notamment. Auparavant, Rousseau (1712-1778) en avait lui aussi déjà esquissé le contour dans l'Emile (bien que cet apport soit à relativiser puisque Rousseau n'avait pas là pensé un système adapté à un maître en face d'une multitude d'élèves dans un laps de temps réduit mais à un précepteur face à un disciple à plein temps). A la lecture du dernier ouvrage de François Xavier Bellamy (les Déshérités), j'apprends que Descartes  (1596-1650) avait lui aussi déjà élaboré les idées maîtresses d'un système éducatif allant dans ce sens, et ce bien avant Rousseau. Au bas mot, cette pédagogie aujourd'hui qualifiée de novatrice a donc, au bas mot, soufflé ses 400 bougies. Il faut donc une sacré dose de malhonnêteté pour continuer à la présenter comme une innovation.

Certains seront peu être fort étonnés d'apprendre ces quelques faits et peuvent être tentés de se demander pourquoi alors si peu de monde connait l'ancienneté de ce courant. La réponse est assez simple: partout où ces conceptions ont été testées à large échelle, elles se sont soldées par de retentissants échecs et ont dû battre en retrait. Elles n'ont donc jamais pu s'imposer définitivement et devenir la modalité dominante sur de longues périodes, si bien que peu nombreux sont ceux qui l'ont déjà connue. Apparaît dès lors l'illusion qu'il s'agit là d'une nouveauté à opposer à un vieux modèle transmissif dont, soi dit en passant, on omet sciemment de se demander s'il peut évoluer (l'enseignement explicite en est pourtant la plus éclatante démonstration).

Quand les constructivistes transmettent leurs idées...

Mais ce n'est pas là le sujet de ce billet. J'aimerai traiter ici de l'opposition farouche à la transmission qui émane du camps constructiviste. Est-ce vraiment une position tenable? Pour ma part, je ne le crois pas un seul instant: je pense qu'à la racine de tout acte d'enseignement, constructiviste, transmissif ou autre, il y a transmission. Je vais donc essayer de démontrer que les pratiques constructivistes sont toutes, sans exception, construites sur une base transmissive, certes inavouée et occultée, mais existante.

Commençons cette quête de la transmission en nous basant sur la manière dont les constructivistes communiquent leurs idées. Il est somme toute assez intéressant de constater que Meirieu, Perrenoud et consort ont tous en commun d'utiliser le livre et l'article comme moyen de communication. Or, qu'y a t-il de plus transmissif que ces outils? A ce que je sache, leurs écrits ne se présentent pas sous forme de situation problème ou je-ne-sais-quoi-d'autre mais prennent bien la forme de textes totalement conventionnels, écrits par des gens ayant le désir de transmettre leurs idées. Dès lors, la volonté exprimée d'expulser la culture livresque de l'école prête à sourire puisque leurs propres actes sont en contradiction avec ce qu'ils prônent. Si donc mêmes les papes du constructivisme ne parviennent pas à enseigner à des adultes autrement que par le biais de méthodes transmissives, qui parviendra à le faire avec des enfants ou des adolescents? Si ces messieurs veulent être pris au sérieux, il ne leur reste donc plus qu'à innover et à trouver des moyens réellement opposés à la transmission pour promouvoir leurs idées. Je leur souhaite bien du courage.

Si les constructivistes sont incapables de diffuser autrement leurs idées à grande échelle que par des moyens transmissifs comme cela vient d'être relevé, ils sont tout aussi incapable de se passer de la transmission lorsqu'ils forment des enseignants. L'ensemble des formations à l'enseignement trouvent également à leur base une transmission: une transmission très mal assurée et pas du tout assumée, mais une transmission quand même. Tous les enseignants qui sont passés par des institutions formatives constructivistes (HEP et autres) savent qu'on y présente des outils avant de laisser l'apprenti enseignant réfléchir à la manière de s'approprier l'outil en question. On n'y donne donc pas l'ensemble des informations nécessaires à son utilisation, on force à réfléchir sur son utilisation. La rupture de transmission se situe à ce niveau, c'est à dire au refus de transmettre les pratiques adéquates. En revanche, l'outil en lui-même est transmis. Peut être un exemple est-il nécessaire pour illustrer le cas. On peut tout à fait présenter aux étudiants une carte mentale. En revanche, on ne leur dira pas vraiment comment et à quelles occasions utiliser cette carte mentale. Il sera du ressort des étudiants d'en comprendre le fonctionnement et l'utilité.

En conséquence, dans le chemin d'appropriation de la carte mentale par l'enseignant en formation, la première partie (la présentation de l'outil) est transmise alors que la seconde (l'appropriation de celui-ci) doit être construite. Il s'agit là d'un aveu d'impuissance : sans transmission préalable, il est impossible d'entrer dans un processus constructiviste. Une deuxième conclusion qui peut dès lors être tirée de ce cas est que toute une frange d'enseignement échappe donc à la possibilité d'être traitée par des méthodes constructivistes. Le contraire ne sera démontré que le jour où les enseignants en formation ne construiront pas uniquement leurs savoirs relatifs à l'utilisation de ces outils, mais qu'ils construiront d'eux-mêmes ces outils sans qu'ils ne soient présentés au préalable. Tant que ce n'est pas le cas, toutes les critiques sur la transmission ne méritent même pas d'être écoutées.

Bien entendu, tout le monde aura connu un ou plusieurs formateurs expliquant également l'utilisation de l'outil en question. Ce n'est cependant pas là un argument pour contredire ce qui est avancé: ce n'est pas parce que certains ne respectent pas l'orthodoxie constructiviste que celle-ci est fondée. D'ailleurs, pour tout dire, cela ne fait que renforcer l'idée contraire puisqu'il s'agit là d'un nouveau aveu désaveu de l'idéologie constructiviste.

Troisième aspect relatif à la transmission des conceptions constructivistes, la conception d'un plan d'étude. Lorsque des constructivistes réalisent un plan d'étude, ils ont beau changer la terminologie, remplacer les savoirs et savoir faire par des compétences ou je ne sais quoi d'autre, ils restent toujours dans le même schéma, à savoir celui de la transmission/imposition  de directives aux enseignants. Il est totalement impossible de concevoir un plan d'étude en expurgeant totalement la notion de transmission puisque d'une part, le plan physique lui-même a pour vocation d'être transmis aux enseignants et, d'autre part, puisque le contenu de ce plan doit lui aussi se transmettre. Sans quoi les enseignants seraient libres de faire à peu près tout et n'importe quoi dans leurs salles de classe au prétexte qu'ils construisent leurs représentation du plan d'étude.  Sinon, il faut bien reconnaître que des bornes sont transmises. Le fait d'utiliser un langage abscon ne change absolument rien à la question.

L'impératif du transmettre dans les salles de classe

Plus encore que le plan d'étude, il est intéressant de remarquer que l'ensemble des gestes exécutés par des enseignants constructivistes sont en fait surchargés de transmission. Prenez par exemple l'organisation d'une situation problème en classe. Si l'enseignant ne transmet pas directement le savoir nécessaire à sa résolution, il organise un dispositif qui devrait théoriquement permettre aux élèves d'y arriver par eux-mêmes. Se faisant, il inscrit dans le génome de son dispositif des contraintes qu'il espère suffisantes pour que les élèves parviennent à réaliser un certain cheminement. Un cheminement qu'il a préparé d'avance et qu'il va donc transmettre.  Pour tout dire, les contraintes en elles-mêmes sont également transmises puisqu'elles partent de l'action de l'enseignant pour aller rejoindre celle de l'élève. Tout cela relève ainsi de la transmission. En définitive, la seule chose qui change réside dans le fait que les constructivistes délèguent au dispositif mis en place la responsabilité de transmettre au lieu de le faire par eux-mêmes. Si tel n'était pas le cas, alors le constructiviste devrait accepter que n'importe quel acte posé par l'élève dans le cadre de sa situation problème est un progrès acceptable. Sinon, il faut bien admettre qu'il est en train de lui transmettre quelque chose.

A ce sujet, un élève qui resterait complètement immobile sur sa chaise sans rien faire me semble le seul exemple valide de refus catégorique de toute transmission: il se développe puisque son cerveau n'est jamais totalement inactif et, par conséquent ses connaissances se construisent (dans quel sens, on ne le sait pas vraiment) tout en rejetant tout apport transmissif provenant de l'extérieur.

Allons plus loin dans l'analyse des dispositifs mis à disposition des élèves: le simple fait de lui donner un texte, une carte ou un schéma est déjà bourré de transmission. Celui qui a écrit le texte, réalisé la carte ou le schéma n'a-t-il pas voulu transmettre une information? En mettant ces documents dans les mains  des élèves, le constructiviste favorise donc cette forme de transmission. Il en va d'ailleurs de même avec tous les dispositifs où les élèves sont sensés construire leurs connaissances en allant les chercher sur internet. A la base de toute information trouvée sur internet, il y a quelqu'un qui a construit un site internet et qui l'a enrichi d'informations dans le but de les transmettre à celui qui le désire. En définitive, on constate donc que le constructiviste ne fait que déplacer la transmission qui va traditionnellement de l'enseignant à l'élève en transitant par les documents (exercices etc.) vers une nouvelle forme de transmission allant du document vers celui qui apprend (en transitant par l'enseignant coach).

A ce stade là, certains rétorqueront peut-être que si effectivement la transmission est toujours présente, le taux d'activité de l'élève change dans une perspective constructiviste. Celui-ci s'approprierait plus activement ce qu'on veut lui transmettre. On peut légitimement se poser des questions sur la véracité de cette information ainsi que sur sa pertinence. Voici pourquoi.  Au stade précédant l'enseignement, l'élève dispose en mémoire d'un certain nombre de concepts, connaissances, savoir-faire regroupés sous formes de schèmes. Un apprentissage réussi est un apprentissage qui va modifier un schème de façon à y inclure la nouvelle conception. C'est là tout ce qui importe. Si je veux apprendre à un élève à additionner, mon objectif est qu'il sache manier cette opération. Peu importe le temps et l'intensité de l'activité déployée par l'élève pour y parvenir puisqu'il a été suffisamment actif mentalement pour parvenir à maîtriser cette nouvelle technique. Plus encore, j'aurai tendance à penser qu'en fait, ce taux d'activité devrait être le plus faible possible pour arriver au résultat attendu. Explication: un enseignement qui permet à un élève d'apprendre du premier coup est plus opportun et plus efficace qu'un enseignement arrivant à un résultat équivalent mais qui demande à l'élève une somme de travail beaucoup plus conséquente. L'économie de temps réalisée ainsi peut être réinvestie dans des apprentissages supplémentaires.

Si on veut être cohérent jusqu'au bout, le fait de laisser une plus grande part de chemin à parcourir seul à l'élève par ses propres forces implique automatiquement une déperdition au niveau des résultats! La plupart des élèves apprennent en effet nettement mieux si on les enseigne que si on les laisse se débrouiller tout seul. Dit plus simplement, il vaut mieux un enseignement où le maître démontre à plusieurs reprises le savoir à acquérir, travaille ensuite avec ses élèves oralement avant de les laisser agir de manière autonome qu'un maitre qui donne une fois l'explication et laisse ses élèves travailler. Je pense que personne ne peut dire le contraire! D'ailleurs, toutes les comparaisons effectuées à ce jour ne disent pas autre chose.

Partant de ce constat, il est stupéfiant de constater que le fondement du constructivisme consiste justement à rendre l'enseignement plus restreint pour laisser l'élève agir par ses propres forces, à l'image de l'enseignement transmissif mal exécuté ne consistant qu'à expliquer une fois avant de laisser l'élève se débrouiller dont on vient de parler! En définitive, le constructivisme n'est donc, au vu de ce qui a été dit jusqu'ici, qu'une transmission mal exécutée, brouillonne et déléguée au support de travail!

La réflexion ne s'arrête pas là. L'acte d'enseigner implique d'évaluer les progrès réalisés ou non par les élèves. Or, là aussi, la philosophie constructiviste se heurte à des difficultés insurmontables! Si on veut évaluer, on a des critères de ce que les élèves ont du apprendre. Par conséquent, on mesure leur capacité à digérer ce qu'on leur a transmis d'une manière ou d'une autre. Si on ne veut pas évaluer une transmission, quelle qu'elle soit, on ne peut tout simplement rien évaluer! Tout au plus peut-on évaluer le fait d'avoir évoluer simplement, mais là également, vouloir faire évoluer un élève c'est vouloir lui transmettre un mouvement, un processus. Rejeter la transmission c'est donc rejeter d'office la possibilité d'évaluer selon des critères cohérents, car il ne reste plus que l'arbitraire qui permette d'évaluer une prestation non basée sur une quelconque forme de transmission.

Conclusion

Bien entendu, la plupart des adeptes de constructivisme diront qu'on ne peut pas être si extrême et que les diverses situations de vie de classe existantes offrent de multiples occasions de varier les méthodes.  Je répondrais simplement en disant que si toute situation implique nécessairement transmission comme cela a été exposé jusqu'ici, il faut m'expliquer au nom de quels critères on peut choisir la voie du constructivisme. L'ensemble de ce texte démontre qu'il n'est en fait qu'une mauvaise version de transmission non avouée déléguée à un dispositif non structuré, ce qui est d'ailleurs corroboré par les multiples études comparatives réalisées sur le terrain par des myriades de chercheurs. Choisir l'option constructiviste c'est faire le choix délibéré de l'outil le moins efficient que le monde de la transmission connaisse.

Au fait, à bien y réfléchir, la seule manière de permettre à quelqu'un d'apprendre en rejetant toute forme de transmission, c'est de ne lui fixer aucun objectif, de ne rien lui enseigner, de n'utiliser aucun dispositif porteur de transmission, de ne pas l'évaluer et, en définitive, le laisser choisir lui ce qu'il veut faire tant la transmission est au coeur de tout acte d'enseignement. Dès lors, il est éventuellement possible de le questionner de manière à lui permettre d'approfondir ses conceptions, tout en se gardant bien de diriger d'une quelconque manière cette réflexion, ce qui semble totalement illusoire.

Stevan Miljevic, le 7 novembre 2014, sur le net et pour les Observateurs.ch

La vie réelle en démocratie également donne tort aux constructivistes

La transmission culturelle par l'école est fortement contestée. Décriée car rendant les élèves passifs et donc incapables d'apprendre quoi que ce soit et décriée car autoritaire, donc non démocratique. Ces deux aspects comptent parmi les plus importantes sources de justification sur lesquelles se basent les adeptes des pédagogies dite "actives" ou "constructivistes" pour imposer leurs méthodes.

Qu'en est-il concrètement? S'agit-il de faits avérés qui appellent réellement modification ou est-on en face de croyances quasi religieuses promulguées par une secte d'intégristes pédagogistes? Essayons d'y voir un peu plus clair. Pour y parvenir, des situations de la vie de tous les jours vont être convoquées. Après tout, puisque les constructivistes estiment qu'il faut traiter les élèves comme des citoyens à part entière dans l'enceinte scolaire, il n'y a guère de raison de penser qu'on ne peut se servir d'exemples tirés de la vie quotidienne des citoyens pour illustrer la pertinence ou non de certaines pratiques scolaires.

Le premier de ces exemples est la publicité. La pub est omniprésente dans notre monde, à la télé, dans la rue comme dans nos boites aux lettres. Dans la plupart des cas, nous ne nous intéressons pas franchement à elle et la subissons d'une manière plutôt passive. Or, puisque les différentes entreprises continuent à nous bombarder de messages publicitaires, il faut conclure que cela fonctionne et qu'elles en tirent bénéfice. Les sommes gigantesques investies dans le domaine permettent d'affirmer sans trop d'hésitations que les résultats obtenus sont à la hauteur de l'investissement. Par conséquent, il nous faut bien conclure que, même si nous subissons la publicité passivement, celle-ci parvient à modifier nos comportements dans le sens désiré par le commanditaire du message. Autrement dit, même dans des situations de passivité présumée très prononcée, nous ne sommes pas inactifs contrairement à ce qu'affirment les constructivistes puisque nous assimilons un message suffisamment fort pour changer(ou renforcer) nos habitudes.

Cette entrée en  matière ne doit toutefois pas nous inviter à considérer qu'un élève amorphe est un élève qui apprend avec assiduité, bien au contraire. Elle invite simplement à ne pas confondre illusion de passivité avec inactivité. Lorsqu'un élève écoute avec attention son enseignant, il n'est pas si inactif que cela et son activité mentale est largement supérieure à ce que prétendent les constructivistes. Bien sûr, il convient de distinguer entre un élève amorphe et un élève attentif, distinction que les constructivistes peinent donc à faire étant donné leur affirmation, ce qui, vous le conviendrez, n'aide pas à supposer que ces gens soient des enseignants hors pair.

En passant, ce genre de déformations grossières sont assez courantes dans la rhétorique constructiviste. Je pense par exemple à la vieille métaphore de la cruche. Qui n'a jamais entendu dire que, dans la pédagogie traditionnelle, on voyait l'esprit de l'enfant comme une simple cruche à remplir? Or, la métaphore d'origine, tirée des textes du père Jouvency au XVIIème siècle est en réalité beaucoup plus subtile: "Le maître n'oubliera pas que l'esprit des enfants est comme un petit vase d'étroite embouchure, qui rejette la liqueur qu'on y jette à flots et qui reçoit celle qu'on y introduit goutte à goutte." (1) En clair, ce que ce jésuite exprimait était la nécessité de tenir compte des limites imposées par l'architecture cognitive des élèves, ce qui, vous le conviendrez, n'a pas grand chose à voir avec la manière dont les constructivistes présentent la chose. Je laisse à chacun le soin d'apprécier la nécessité de ce type de stratagèmes lorsqu'on est sûr de son fait et que ce qu'on a à dire est réellement pertinent...

Fermons cette parenthèse pour revenir au sujet de base de ce billet et intéressons nous à l'information telle que nous la vivons dans notre société. La presse écrite ou le journal télévisé sont d'excellents exemples de transmission que nous vivons au quotidien. Dans les deux cas, il n'est pas question de construction des savoirs par le lecteur ou téléspectateur et, pourtant, dans les deux cas, ceux-ci arrivent à emmagasiner les informations qui leur sont données. Ils arrivent également à changer leur représentation du monde et de son fonctionnement sur la base de ces canaux d'information, ce qui exclut l'idée que ces connaissances n'ont pas un bon impact sur leur développement. Qu'on soit clair, le propos n'est pas ici de savoir si la presse écrite ou la télévision fournisse une information adéquate. Je ne traite pas des contenus. Il s'agit simplement de constater que ces vecteurs communicatifs sont amplement suffisants pour qu'un apprentissage se fasse et que rien n'exige une participation plus active au sens constructiviste du terme pour y arriver.

Passons maintenant à l'aspect démocratie. Les constructivistes se targuent de fournir un modèle éducatif plus démocratique. En fait, il s'agit là d'une énorme confusion. L'effacement du maître en tant que figure autoritaire n'a absolument rien de plus démocratique puisque toutes les démocraties fonctionnent à l'aide d'institutions autoritaires telles que la police par exemple. Personne, hormis quelques extrémistes, n'oserait prétendre que la dotation en forces de l'ordre d'un pays le rend antidémocratique puisque cela rejetterait à peu près toutes les nations dans le camp des dictatures. De même aucun de ces mêmes pays ne fonctionne sans hiérarchie puisque le principe même des démocraties telles que nous les vivons consiste à déléguer le pouvoir de gouverner à des instances législatives, exécutives et judiciaires et que ces instances se trouvent à la tête de hiérarchies (notamment l'exécutif) nécessaires au fonctionnement d'un état moderne. Il y a donc grave confusion entre démocratie et nivellement égalitaire et collectiviste dans les écrits des théoriciens constructivistes. Je rappelle en passant que la réalisation la plus aboutie en terme d'état collectiviste et égalitaire (l'URSS) s'est immédiatement muée en une société outrancièrement hiérarchisée et policée. Le fait que cette création se soit emparée du constructivisme éducatif pour en faire le pilier de son système de formation n'est aucunement du au hasard (2).

Plus encore que la confusion entretenue vis-à-vis de ce qu'est une démocratie, j'affirme que, paradoxalement, l'enseignement constructiviste est fondé sur des bases qui ne sont pas compatibles avec la pratique de la démocratie telle que nous la vivons. Dans notre société, le citoyen vote sur des projets et élit des représentants. Or, ces projets et les orientations de ces représentants doivent être présentés aux citoyens pour que ceux-ci puissent se décider en pleine connaissance de cause et choisir ce qui leur convient le mieux. Nous n'avons ni le temps ni la compétence de construire nos savoirs à propos de ces sujets. Cela demanderait, en effet, à chaque citoyen de passer par chaque fonction  touchant à chaque projet ou chaque programme politique, ce qui est totalement impossible. L'usage de la démocratie exige donc la transmission par les candidats ainsi que divers intervenants plus ou moins experts dans leur domaine des informations nécessaires aux citoyens pour que ceux-ci puissent faire des choix raisonnables. Penser qu'on pourrait fonctionner sur la base d'une philosophie de construction des savoirs est irréaliste car cela exigerait de chaque citoyen un degré de formation impossible à obtenir mais également la mise sur pied d'un système assez similaire à celui de l'esclavage pour dégager le temps nécessaire à la construction de ces savoirs si celle-ci était possible. Autant dire que lorsque les constructivistes prétendent faire de l'école le lieu de la vie réelle, ils sont complètement à côté de la plaque. Sauf bien sûr à considérer la praatique citoyenne comme relevant de l'échange de bistrot avec ses pairs.

Il est même possible d'aller plus loin en affirmant que si les pratiques transmissives ne sont pas aptes à fournir les savoirs et savoir faire nécessaires dans le cadre scolaire comme le soutiennent les constructivistes, elles ne sont alors pas non plus capables de fournir au citoyen les outils mentaux sur lesquels repose le bon fonctionnement de la démocratie puisque, comme on l'a vu, la pratique de celle-ci se base sur la nécessité de la transmission par les candidats et les experts des éléments nécessaires à la prise de décision démocratique!

Autant dire tout de suite que nier la transmission à l'école ne favorise en aucun cas la pratique de cette même transmission dans la vie extra-scolaire. L'inverse aurait même tendance à être beaucoup plus réaliste.

Stevan Miljevic, le 23 octobre 2014, pour les Observateurs et sur le net

(1) Clermont Gauthier, "De la pédagogie traditionnelle à la pédagogie nouvelle" in Gauthier, Tardiff "La pédagogie, théories et pratiques de l'Antiquité à nos jours", 3ème édition, Gaëtan Morin, p.101

(2) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/09/14/heures-de-gloire-du-constructivisme-lurss-des-annees-20/

Enseigner la complexité sérieusement

Cette semaine encore, je découvrais dans une revue spécialisée les grandes considérations d'un éminent spécialiste de l'université de Genève (1). S'extasiant devant la complexité du réel, ce monsieur postulait que l'école devait absolument s'y mettre au plus vite et proposer aux élèves des activités permettant de titiller cette fameuse complexité.

Pour y parvenir, son esprit retors préconisait notamment l'entrée par le complexe des situations-problèmes. Soit, la crème de la crème (ou plutôt la tarte à la crème) du constructivisme. Cerise sur la tarte en question, il justifiait ce point de vue par la nécessité de tenir compte des dernières avancées en matière de sciences cognitives.

Bien entendu, pas un mot sur ces fameuses et spectaculaires découvertes cognitives. Pas l'ombre d'un auteur, d'une citation, d'une référence. Rien. Ni même d'ailleurs l'ébauche d'une explication sur la manière dont l'entrée par le complexe préconisée par les constructivistes peut s'accommoder de l'architecture cognitive des élèves que j'ai décrite dans mon précédent billet  et qui, elle, exige, de partir du simple pour aller vers le complexe(2). Ce black-out est tout aussi total au sujet de l'armada d'études empiriques comparatives qui démontrent toutes, résultats à l'appui, que l'entrée par le complexe, la découverte ou autre enquête est ce qu'on peut faire de plus efficace si on tient absolument à ce que les élèves n'apprennent rien ou presque (3).

Cela étant dit, ce n'est pas parce que ce monsieur délire en plein que cela signifie qu'on ne peut pas traiter de la complexité à l'école. Bien au contraire. D'ailleurs, pour être précis, cela fait depuis belle lurette que dans certaines disciplines, ce genre de choses se font. Qu'on pense aux travaux rédactionnels dans les langues où les élèves doivent jongler avec de multiples mots de vocabulaire et de nombreuses règles de grammaire notamment. Ou alors aux activités mathématiques où différents types de connaissances issues de la géométrie comme du calcul littéral par exemple s'entremêlent afin d'arriver à la solution.

La gestion de la complexité demande en fait tout ce que les approches constructivistes (ou autres approches par compétences) ne peuvent pas fournir, à savoir des connaissances durables et  profondément ancrées. Comme les cognitivistes John Anderson ou Daniel Willingham l'ont démontré (4), une gestion experte de la complexité demande qu'au préalable des connaissances soient solidement acquises. Ce constat, désormais clairement établi par les sciences cognitives, devrait faire réfléchir nos concepteurs de plan d'étude et les empêcher de céder à toutes les modes infondées du moment (moment qui s'éternise, puisque, comme on l'a déjà vu, ce genre d'expériences ont déjà été tentées il y a de cela 100 ans en URSS avec des conséquences catastrophiques (5)). Il ne s'agit pas de refuser l'enseignement de la complexité, bien au contraire, mais de le programmer à un moment du cursus où les bases sont solidement posées d'une part, et d'autre part, de l'aborder intelligemment comme on va le voir.

De solides bases de connaissances ne sont en effet pas suffisantes pour aborder la complexité. Pour être domptée, celle-ci demande à celui qui descend dans l'arène des outils de pensée relativement complexes eux aussi. Si donc, on veut éviter la stratégie consistant à tâtonner pour s'en sortir, stratégie que mettent en place les élèves soumis aux fabulations constructivistes tout comme les personnes n'ayant jamais suivi aucune formation et qui peut, selon le cognitiviste John Sweller (6), mener à une résolution de problème n'ayant entraîné aucun apprentissage, il faut enseigner aux élèves/étudiants des outils mentaux permettant de gérer la complexité. Dans leur dernier ouvrage commun, John Hattie et Gregory Yates (encore un spécialiste des sciences cognitives qui dit le contraire de notre illustre chercheur du début, décidément...) donnent deux exemples concrets pour illustrer le cas.

L'illustration la plus frappante, à mon humble avis d'enseignant en histoire, de l'ouvrage est tiré d'une étude menée dans deux hautes écoles du Maryland aux Etats Unis. Il s'agissait d'apprendre aux étudiants l'analyse de documents historiques. On a ainsi donné à un groupe un enseignement explicite du schéma analytique suivant:

Stratégie Questions de procédure Questions évaluatives
Questions sur l’auteur
  • Que savez-vous sur l’auteur ?
  • Quand le document a-t-il été écrit ?
  • Comment l’auteur a-t-il eu connaissance des événements ?
Quel effet le point de vue de l’auteur a-t-il sur son argumentation ?
Compréhension de la source
  • Quel type de document est-ce ?
  • Pourquoi a-t-il été écrit ?
  • Quelles valeurs la source reflète-t-elle ?
  • Quelles hypothèses sous-tendent l’argumentation?
Quel type de vision du monde la source reflète-t-elle ?
Critique de la source
  • Quelles preuves l’auteur donne-t-il ?
  • Y a-t-il des erreurs ?
  • Manque-t-il quelque chose dans les arguments ?
  • Quelles sont les idées qui se répètent dans plusieurs sources?
  • Quelles sont les différences existantes entre les différentes sources ?
  • Sont-elles consistantes ?
La preuve est-elle apportée de ce qui est prétendu être prouvé ?
Création d’une compréhension plus ciblée
  • Décider ce qui est ouvert à interprétation
  • Décider ce qui est le plus fiable et crédible
Comment chaque source approfondit-elle votre compréhension de l’événement historique ?

(7)

En clair, l'enseignant a verbalisé l'ensemble de ces questions qu'un chercheur expérimenté se pose lorsqu'il analyse des documents historiques. Plus encore, l'enseignant les a non seulement verbalisées, mais a encore fait démonstration de la manière d'user de ce questionnement et ce à plusieurs reprises. Il a également fait travailler ce questionnaire à ses étudiants usant de nombreux feedbacks correctifs pour qu'ils aient assimilé la manière correcte d'utiliser ce schéma. Ce travail préparatif s'est étalé sur 5 périodes. D'après les résultats obtenus, cet investissement en a valu la peine puisque les auteurs de l'étude en question concluaient:

Our results suggest that students developed sophisticated task representations for writing because they experienced firsthand how reading and writing strategies converge to accomplish clearly defined goals in historical writing. In this way, the inquiry process provided focus and made the purpose of reading, pre-writing and writing strategies transparent to students (8)

En clair, si l'on veut enseigner sérieusement la gestion de la complexité, il faut non seulement commencer par user des moyens les plus efficaces (enseignement explicite) pour ancrer profondément des connaissances solides et durables dans la mémoire des élèves/étudiants qui leur permettront par la suite d'entrer dans l'analyse, mais il faut de aussi enseigner tout autant explicitement les processus mentaux que déploie un expert au travail. De cette manière, l'architecture cognitive de nos élèves/étudiants est respectée et de solides schémas de connaissances mentaux leur sont fournis. On leur permet alors de savoir parfaitement ce qu'il faut faire face à la complexité et de comprendre comment se construit la connaissance.

Dès lors qu'un maximum de schémas de ce type auront été assimilés, ils pourront à leur tour développer de nouveaux questionnements, de nouvelles stratégies encore plus complexes. On est donc à des années lumière de ce que proposent les têtes pensantes du monde francophone de l'éducation constructiviste. Et tout aussi loin des pauvres stratégies de tâtonnement et de l'inculture généralisée que leurs méthodes induisent.

Stevan Miljevic, le 11 octobre 2014 sur le web et pour les Observateurs.ch

(1) https://dl.dropboxusercontent.com/u/2745999/Publications%20-%20Laurent%20Dubois/Complexit%C3%A9%20-%20LD%20Resonances%20oct-2014%2011-13.pdf

(2) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/09/28/lapport-des-sciences-cognitives-en-education/

(3)Vous en trouverez quelques unes ici https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/06/01/moyens-denseignement-le-constructivisme-toujours-a-la-barre-au-mepris-des-recherches-scientifiques-serieuses/

(4) pour Anderson voir le point (2) et pour Willingham: https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/04/21/les-competences-sont-impossibles-sans-les-connaissances/

(5) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/09/14/heures-de-gloire-du-constructivisme-lurss-des-annees-20/

(6) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/09/28/lapport-des-sciences-cognitives-en-education/

(7) Hattie and Yates, Visible Learning and the Science of How we learn", Routledge, London and New York, 2014, p.74

(8) De La Paz et Felton, 2010, p.190 cité par Hattie and Yates, Visible Learning and the Science of How we learn", Routledge, London and New York, 2014, p.75

A l’école obligatoire, l’apprentissage de la seconde guerre mondiale est optionnel avec le PER

Je l'avoue, j'ai toujours autant de peine à digérer le fait que les responsables qui ont conçu le PER ont autant démoli l'enseignement de l'histoire. J'écris encore ce billet à ce sujet et après, promis juré, je change de sujet. Cela dit, si quelqu'un pense pouvoir me faire changer d'avis et contredire mes arguments, je suis tout à fait disposé à l'écouter, voir même à me renier si par le plus grand des hasards il parvenait à me convaincre de mon erreur. Mais j'en doute.

Je le dis et le répète, les démarches historiennes qu'ils ont massivement poussées en avant n'ont aucun intérêt (1). Non seulement elles n'ont aucune utilité mais, contrairement à ce qu'on pourrait croire si on n'analyse pas un peu en détail la question, elles n'amènent aucune compétence réelle. Les véritables compétences ne sont en effet pas possibles sans avoir acquis des connaissances au préalable (2).

Mais il y a pire encore. Aujourd'hui, j'ose affirmer que non seulement les élèves perdent leur temps avec ces élucubrations constructivistes, mais qu'en plus, celles-ci sont néfastes et les rendent incultes. Voici pourquoi.

L'autre jour, me baladant sur le site de l'animation pédagogique valaisanne à la recherche de documents que je pourrai utiliser, je suis tombé sur le fil rouge proposé pour les 3ème années du cycle d'orientation. J'ai été très étonné de constater que, concernant la thématique de la 2ème guerre mondiale, les différentes parties qui la constituent, à savoir l'histoire suisse/valaisanne, l'Europe nazie, la Shoah et la résistance française n'étaient en fait pas impératives. L'animation précise noir sur blanc qu'il s'agit de faire des choix dans ces différents thèmes.

Sans titre

Cela revient à dire que certains élèves sortiront de l'école obligatoire sans avoir aucune notion sur l'Europe nazie, l'histoire suisse ou la Shoah par exemple. Remarquez que ces élèves auront peut-être la chance d'en savoir un rayon sur les hippies, qui sait!

Pourtant, à bien y regarder, la dotation horaire est de 12 périodes pour ce sujet. En principe, en 12 périodes, il devrait être possible de couvrir l'ensemble de ces aspects. Mais penser de la sorte, c'est oublier que de travailler selon les dogmes constructivistes est extrêmement chronophage. Pour tout dire, travailler avec des démarches historiennes, c'est passer nettement plus de temps pour acquérir beaucoup moins de connaissances factuelles. Exit donc l'espérance de former des spécialistes du mouvement hippie. De plus, rien ne permet d'affirmer que ces connaissances sont mieux ancrées dans la mémoire d'un élève qu'une méthode d'enseignement plus conventionnelle.

Mais de cela, les constructivistes n'en ont cure puisque l'important n'est plus l'acquisition de connaissances historiques, mais l'entrainement de ces démarches historiennes. A ce propos, un bref regard sur le plan d'étude romand finira de nous en convaincre. Car en comparaison de celui-ci, le fil rouge valaisan fait office de véritable encyclopédie de la connaissance!

Quantitativement, dans le PER, il y a plus d'exigences à travailler de pseudos démarches historiennes que des connaissances historiques. Pour être précis, si quelques thématiques historiques y sont énoncées, il est également précisé noir sur blanc que la liste en question est "non exhaustive et non prescriptive" (3).

En clair, aucun sujet n'est imposé, il suffit de traiter des domaines compatibles avec d'autres objectifs que l'on trouve dans une partie dénommée "Etude des permanences et changements dans l'organisation des sociétés" (4) (oui je sais ça commence à être compliqué tout cela, mais le PER semble avoir été écrit de manière à être le moins lisible possible pour le non-initié), dernier bastion de ce qui ressemble de plus ou moins loin à des connaissances historiques dans le plan d'études romand. Et dans cette section, si on trouve les exigences d'analyser des conflits politiques, idéologiques et territoriaux et de leurs règlements et d'analyser l'influence des idéologiques (5), en revanche rien n'oblige ni à traiter des guerres mondiales, ni du nazisme ou du communisme. Il est tout à fait envisageable d'avoir approché le pacifisme, la décolonisation ou je ne sais quoi d'autre à la place.

Dans un tel cas de figure, on se retrouvera avec des jeunes qui sauront identifier les références historiques dans des représentations documentaires ou de fiction (bien que sans connaissances préalables, cela reste à démontrer) ou identifier la pluralité des organisations du temps mais qui n'auront jamais entendu parler d'Hitler, de Staline ou autre Stalingrad (6).

Après cela, quelqu'un osera-t-il prétendre que le PER ne fabrique pas de l'inculture? Est-ce vraiment là ce que nous voulons pour nos enfants?

 Stevan Miljevic, le 3 septembre 2014

 http://stevanmiljevic.wordpress.com

(1) http://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/08/23/pourquoi-les-demarches-historiennes-nont-pas-leur-place-a-lecole-obligatoire/

(2) http://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/04/21/les-competences-sont-impossibles-sans-les-connaissances/

(3) Plan d'études romand/cycle 3, version 2.0, mai 2010 "Mathématiques et sciences de la nature-Sciences humaines et sociales" p.92

(4) ibid p.90-91

(5) Ibidem

(6) cette remarque vaut pour à peu près tous les sujets historiques d'importance

Hors de question de supprimer les notes!

Décidément nos compatriotes alémaniques naviguent tout autant en eaux troubles que nous. Peut-être même plus puisque le président du parti socialiste bernois  en vient à proposer qu’on cesse d’évaluer le français en 6ème primaire.

Selon ce monsieur, le fait qu’une nouvelle méthode didactique constructiviste (forcément…) a été implantée ne permet  plus de « comparer le niveau de connaissances des élèves et de les sélectionner sur cette base pour la suite de leur scolarité ». Les arguments invoqués sont que « les élèves n’apprennent ni la grammaire, ni la syntaxe, c’est la compréhension qui compte » et que « les professeurs n’ont pas les outils. Ça leur prendrait cinq à six heures de travail et ils n’ont pas le temps! (ndlr : de faire des examens) »

Ecartons d’entrée de jeu l’argument du temps. Il n’est évidemment pas question de dire que les enseignants travaillent peu et ont donc beaucoup de temps à disposition. Ceux qui pensent ainsi oublient d’une part que tout ce qui se déroule dans une salle de classe doit être préparé au préalable et, d’autre part, que gérer une classe avec une vingtaine d’élèves (voir plus) est bien plus éprouvant que de travailler derrière un bureau par exemple. Malgré cela, l’argument du temps est intenable dans le cas bernois. Le tableau suivant récapitule le temps de travail en classe des enseignants de divers cantons. Comme vous pouvez le constater, si les Bernois travaillent en moyenne une semaine de plus chaque année que les Romands, en revanche, le nombre d’heures hebdomadaire où ils enseignent est plutôt faible. Surtout si on le met en comparaison des Valaisans, notamment, qui passent 6h de plus par semaine devant leurs élèves.

image

(1)

Le président du parti socialiste peut bien dire que cela prendrait 5 à 6 heures supplémentaires aux enseignants de réaliser des évaluations, il ne précise pas dans quel laps de temps. Et je ne crois pas un instant qu’il s’agisse là d’une durée hebdomadaire. On ne fait jamais une évaluation importante par semaine. En conséquence, et puisque ce genre de travaux pourrait même être réalisés dans le cadre du temps de collaboration qui semble imposé aux enseignants bernois, il faut conclure que l’argument du temps n’est que démagogique.

Une fois cet écueil écarté, entrons dans le vif du sujet. Selon monsieur Näf, la méthode didactique employée (le constructivisme) est une méthode qui ne permet pas la comparaison par le biais de notes. C’est vraisemblablement l’aspect le plus litigieux de son argumentaire puisqu’il mélange allègrement méthode didactique (comment on enseigne) et objectifs d’apprentissage poursuivis. Cette confusion relève nécessairement soit d’une totale ignorance du sujet, soit d’une volonté certaine de brouiller les esprits.  Ne connaissant pas monsieur Näf, je ne me permettrai pas d’affirmer laquelle de ces deux pistes est la bonne.

Toujours est-il qu’un objectif formulé est toujours évaluable. En Romandie, au sujet des langues étrangères, nous évaluons, outre les aspects formels que sont la grammaire et le vocabulaire, la compréhension de l’écrit, la compréhension de l’oral ainsi que l’expression écrite et orale.  Il n’y a aucune raison de penser qu’il n’est pas possible de le faire pour le français. Faut-il en déduire que le constructivisme est tel dans l’école bernoise qu’il ne formule pas d’objectif d’apprentissage ? Si tel est le cas, alors les Bernois doivent sérieusement se poser des questions puisque cela signifie que personne ne sait exactement ce qu’apprennent les élèves en cours de français.

En passant, relevons que si grammaire et syntaxe ne sont pas enseignées comme le prescrit le constructivisme, on n’échappe pas, au minimum, à l’acquisition du vocabulaire sans lequel toute forme de compréhension d’une langue étrangère est totalement impossible. De ce côté, aucun problème pour évaluer ce que l’on désire…

Mais à ce propos, il serait quand même bon de s’interroger sur les conséquences de la mise au placard des aspects grammaticaux. Il me semble que cela risque d’amener bon nombre de confusions vis-à-vis de ce que peut exprimer quelqu’un en français. La grammaire et la syntaxe sont porteuses de sens, alors si on peut éventuellement en minorer l'importance, on ne peut pas non plus faire l'impasse dessus. De plus, à ma connaissance, on ne s’est encore jamais penché sur le rôle que peut jouer l’apprentissage de la grammaire du point de vue du développement logique de l’enfant : n’y-a-t-il pas là une manière de bonifier sa capacité à créer des liens logiques entre différents éléments dans la vie de tous les jours ? Autrement dit, la grammaire n’a-t-elle pas un rôle à jouer dans l’établissement d’éventuelles compétences d’esprit critique si recherchées ?

J’en viens maintenant à l’aspect le plus important. Monsieur Näf relève que la méthode didactique est constructiviste. Que doit-on comprendre ? Que les outils à disposition des enseignants sont conçus de la sorte ? Ou que les enseignants sont obligés d’œuvrer avec cette méthode dont l’inefficacité n’est maintenant plus à démontrer tant les études comparatives menées à ce jour sont accablantes. (2) Dans le premier cas, les profs n'ont aucune obligation de se plier au diktat, dans le deuxième, il faut déduire un sérieux problème du côté des décideurs scolaires bernois puisqu’ils ont choisis là la pire option qui s’offre à eux. Si le but est d’éviter à tout prix que les élèves sachent évoluer un minimum dans un contexte francophone, on a frappé en plein dans le mille. Et dans le cas où les enseignants seraient obligés de procéder de la sorte, alors il s’agit d’une violation grave de leur liberté pédagogique. D’autant plus grave qu’il existe mille et une autre manières bien plus efficaces (et avérées comme telles) que le constructivisme de travailler la compréhension des langues étrangères (ou même à peu près tout autre objectif décliné par des constructivistes d'ailleurs).

A ce stade de notre réflexion, tous les arguments avancés par le président du parti socialiste bernois ont déjà volé en éclats. Reste encore à amener quelques considérations sur la problématique de la suppression des notes elle-même. Jean Romain a parfaitement raison de dire que les constructivistes ne veulent pas des notes car elles permettent de comparer et de prendre conscience de la débâcle généralisée qui résulte de l’utilisation de leurs méthodes pour enseigner.  Mais il n’y a pas que cela. Si nous suivons le raisonnement de monsieur Näf, c’est la construction d’outils d’évaluation qui pose problème et pas la note. Ce qui signifie qu’il ne semble même pas dans une démarche visant à promouvoir une appréciation à la place puisque celles-ci nécessitent également des instruments pour évaluer. Inutile, je pense, de préciser que de nombreux élèves ne feront alors tout simplement plus rien.

Si toutefois, dans un élan d’incohérence totale, il prenait à monsieur Näf de soutenir une démarche d’évaluation par appréciation, je me permets de lui répondre que l’appréciation n’est en définitive rien d’autre qu’une note non chiffrée :

  • moins précise que la note traditionnelle
  • plus arbitraire que la note traditionnelle
  • n’indiquant que peu de choses à l’élève sur son véritable niveau, par conséquent moins encline à lui permettre de savoir précisément ce qui lui reste à accomplir.

 Stevan Miljevic, le 9 août 2014

http://stevanmiljevic.wordpress.com/

(1) http://www.irdp.ch/documentation/dossiers_comparatifs/enseignants/2011_2012/enseignantsdocumentcomplet1112.pdf

(2) Voir http://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/06/01/moyens-denseignement-le-constructivisme-toujours-a-la-barre-au-mepris-des-recherches-scientifiques-serieuses/ ou http://stevanmiljevic.wordpress.com/2013/11/06/pour-un-enseignement-de-qualite/ par exemple

HEP Vaud et Valais: un premier bilan pas vraiment convaincant

Les organismes qui, aujourd’hui, ne sont pas soumis à évaluations régulières se font de plus en plus rares. Surtout lorsqu’ils engendrent des frais de fonctionnement importants, de l’ordre de plusieurs millions annuellement. De plus, si cette somme est à la charge de la collectivité, alors les pouvoirs publics ont le devoir moral de s’intéresser à la manière dont l’argent du contribuable est utilisé.

Dès lors que des manquements sont constatés, que l’efficacité n’est pas au rendez-vous, alors les pouvoirs publics sont invités à mettre de nouveaux moyens en oeuvre  afin de corriger le tir et de faire en sorte que l’argent public serve à une cause bien défendue. Les Hautes Ecoles Pédagogiques ne font pas exception à la règle (coût annuel en Valais: 17.2 millions de francs suisses (0)). Elles doivent aussi rendre des comptes et accepter de se remettre en question si le besoin s’en fait sentir. Il n’est bien entendu pas ici question de remettre en cause leur existence, mais bien plutôt leur manière de fonctionner ainsi que les contenus qu’elles dispensent. Les cantons qui ont décidé d’engager des moyens conséquents pour bonifier la formation des enseignants et, par là même, celle des futures générations, sont en droit d’attendre qu’on fasse au mieux pour les satisfaire.

J’ai déjà à plusieurs reprises remis en question sur ce site le fonctionnement des HEP, notamment leur fâcheuse tendance à orienter les futurs enseignants vers des styles d’enseignement désormais clairement identifiés comme peu efficaces tels que le constructivisme ainsi que la méthode conscientisante qu’elles mettent en branle pour y parvenir. Plusieurs articles se basant sur diverses recherches y ont été consacrés, je n’y reviendrai pas (1).

Mais dans les faits, y a-t-il moyen de vérifier que ces critiques se justifient ici en Suisse romande? Je le crois et c’est d’ailleurs la raison qui me pousse à écrire ce billet. Je l’ai déjà dit et je le répète, la seule véritable manière de juger de la qualité de la formation des enseignants est d’interroger les résultats des élèves. Si les enseignants sont bons, alors les élèves le deviennent aussi. S’il est évident que de nombreux critères entrent en compte, tels que le niveau socio-culturel, le goût de l’effort ou le soutien des parents, plusieurs études d’envergure suggèrent que l’effet enseignant est le plus important de tous (2).

En testant les élèves, on peut donc se faire une idée de l’efficacité de la formation des enseignants. Malheureusement, à ce jour, il semble qu’aucun canton n’ait mis sur pied un tel dispositif d’évaluation. Qu’à cela ne tienne, il existe malgré tout un outil performant pouvant nous donner quelques pistes intéressantes: les études PISA. Elles sont d’autant plus pertinentes qu’elles permettent d’établir un comparatif pour les cantons de Vaud et du Valais avant l’introduction des HEP (2001) par le biais du PISA 2000 et 8 ans après par le PISA 2009, l’analyse cantonale du PISA 2012 n’étant malheureusement pas encore disponible.

S’il est évident que 8 ans ne sont pas suffisants pour que les HEP puissent déployer l’intégralité de leur effet, en revanche, il est tout aussi certain que cela doit suffire à faire une première estimation. Au vue du nombre d’enseignants passés par là, et qu’en Valais, la HEP ait pris également à sa charge la formation continue des enseignants ainsi que l’animation pédagogique (3) (il serait étonnant que cela ne soit pas pareil sur Vaud, mais connaissant mal le système je ne peux le garantir), il ne me parait pas raisonnable d’estimer qu’aucun impact ne se soit fait sentir jusqu’ici. Si cette formation est bonne, alors les résultats obtenus par les jeunes Valaisans et Vaudois doivent s’être un peu bonifiés durant ce laps de temps.

Voyons donc ce que nous disent les résultats de ces deux PISA. En préalable, il faut préciser que lors du PISA 2000 n’ont été testés pour le Valais que les élèves francophones. Pour être juste, il faut donc écarter du PISA 2009, le résultat des élèves germanophones et s’en tenir à la même population qu’en 2000. Il convient aussi de préciser que le rapport romand pour l’an 2000 contient quelques petites inexactitudes concernant le Valais puisque les graphiques ne donnent pas tout à fait les mêmes résultats que ceux qui sont déclarés dans le texte (4).  Afin de choisir quelles performances étaient les bonnes, je me suis appuyé sur la présentation fournie par le DIP genevois récapitulant les résultats de l’ensemble des cantons romands (5). Les résultats sont synthétisés dans les tableaux suivants:

Pour le canton du Valais:

Valais francophone PISA 2000 PISA 2009
Lecture 518 522
Mathématiques 551 553
Sciences 521 525

Si une toute légère augmentation se fait sentir, elle n’est cependant pas significative. D’un point de vue statistique, il n’est pas possible de conclure que cette augmentation est le fruit d’un meilleur travail et peut tout à fait n’être que le résultat des inévitables variations de résultats survenant d’une année  à l’autre. Pour illustrer ce cas, constatons qu’en 2006, le PISA donnait des résultats peu concluants. La HEP et le département valaisan de l’éducation émettaient alors un document considérant une différence de 8 points comme non significative statistiquement (6). De son propre aveu, la HEP valaisanne admet donc que la différence de performance survenue dans le laps de temps qui nous intéresse ne peut pas être considérée comme un progrès et que donc les élèves sont restés stables.

Au canton de Vaud la situation est plus tranchée: si la lecture et les sciences sont restées stables, en revanche les mathématiques se sont effondrées (-18 points) depuis l’entrée en fonction de la Haute Ecole Pédagogique.

Vaud PISA 2000 PISA 2009
Lecture 498 501
Mathématiques 538 520
Sciences 490 490

D’autres facteurs sont vraisemblablement en cause, mais il n’empêche que 8 ans après la délégation de la responsabilité de la formation des enseignants aux Hautes Ecoles Pédagogiques, le résultat n’est guère brillant puisque, dans le meilleur des cas, les élèves n’ont fait que maintenir leur niveau de performance de 2000 alors que dans le pire, le niveau moyen s’est effondré significativement.

Les différences de performances enregistrées au niveau suisse entre le PISA 2009 et le PISA 2012 ne laissent pas augurer d’un spectaculaire renversement de perspective puisque les mathématiques comme les sciences n’ont pas amené de changements marquants au niveau suisse. Il reste cependant la lecture où notre pays s’est distingué par une très forte progression. Reste à savoir si Vaudois et Valaisans ont participé activement à cette remontée, si d’autres facteurs n’entrent pas en jeu et si cette progression va rester dans le temps. Toujours est-il qu’en l’état de nos connaissances, il n’est pas possible de dire que les HEP ont fourni un plus certain au niveau de l’apprentissage des élèves.

De mon point de vue, il ne peut en fait que difficilement en être autrement: on sait (même si on tente de l’ignorer) depuis l’étude de Jeanne Chall en 2000 (7) que les méthodes d’enseignement traditionnelles sont plus efficaces que les pratiques socio-constructivistes largement répandues dans les Hautes Ecoles Pédagogiques. Comme les jeunes enseignants ne sont pas stupides, il s’ensuit qu’ils n’utilisent que peu ce genre de méthodes dans leur pratique professionnelle et reprennent à leur compte les trucs et astuces des anciens qui ont fait leurs preuves. Tout au plus ajoutent-ils quelques pincées des quelques éléments pertinents dispensés dans les HEP, ce qui laisse augurer, je pense, un potentiel d’amélioration fort limité. Au final, est-ce vraiment ceci que les décideurs avaient à l’esprit lorsqu’ils ont décidé de consacrer un budget important à la formation des enseignants? C’est peu probable.

Surtout si l’on prend en considération ce que nous disent les recherches quantitatives actuelles: si le socio-constructivisme est moins efficace que les méthodes traditionnelles, celles-ci peuvent être largement bonifiées par la greffe des pratiques prônées par la pédagogie explicite (8). De plus, d’autres études amènent également à penser que les méthodes de transmission des savoirs proposées par les HEP peuvent elles aussi être largement améliorées grâce aux enseignements de la pédagogie explicite (9).

Si donc les décideurs romands en charge de la formation cherchent réellement à faire au mieux, la solution à adopter crève les yeux: il est impératif qu’au moins une HEP se distingue des autres par les contenus proposés ainsi que par les moyens de les transmettre. Ce d’autant plus que les plaintes formulées par les étudiants devant suivre le cursus HEP sont légions. Il n’y a aucune logique à garder une formation qui ne satisfait pas ceux qui en bénéficient et qui ne permet pas d’augmenter significativement les résultats des élèves? Un tel changement serait salutaire puisqu’il permettrait d’établir une comparaison dont tout le monde pourrait tirer profit (sauf bien sûr les idéologues): si cette manière de faire s’avère efficace, alors l’ensemble des écoles pédagogiques pourront s’en inspirer. Dans le cas contraire, il ne sera jamais trop tard pour faire machine arrière ou pour tester autre chose.

Stevan Miljevic, le 13 mai 2014

stevanmiljevic.wordpress.com

(0) https://www.vs.ch/navig/navig.asp?MenuID=32168&RefMenuID=0&RefServiceID=0 p.147 consulté le 12 mai 2014

(1) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/03/11/pourquoi-les-formations-a-lenseignement-sont-des-usines-a-mediocrite/ et https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/01/29/de-nouvelles-lois-necessaires-pour-encadrer-lenseignement/ notamment

(2) voir par exemple la méga analyse de Fraser (1987), celle de Wang, Haertel et Walberg (1993) ou celles de Hattie (2003 et 2012) citées par Gauthier, Bissonnette, Richard, Castonguay dans "Enseignement explicite et réussite des élèves", de Boeck, Bruxelles, 2013, p.10 à 18

(3) http://www.hepvs.ch/index.php?option=com_content&task=blogcategory&id=152&Itemid=860 consulté le 11 mai 2014

(4) http://www.vs.ch/NavigData/DS_13/M14180/fr/pisa-2000-Rapport-Romand.pdf consulté le 10 mai, par exemple, le texte parle d’une performance de 546 en mathématiques alors que les graphiques disent, eux, 551.

(5)  ftp://ftp.geneve.ch/Dip/pisa2003_dip.pdf consulté le 10 mai 2014

(6) http://www.vs.ch/NavigData/DS_314/M6694/fr/Portrait%20du%20canton%20du%20Valais%20-%20Comparaison%20sur%20l’ensemble%20du%20canton.pdf  p.13 consulté le 12 mai 2014

(7) Jeanne Chall "The Academic Achievement Challenge", 2000, cité dans Hollingsworth et Ybarra "L’enseignement explicite, une pratique efficace", Chenelière Education, 2013, Montréal, p.5

(8) Faut-il encore présenter le Visible Learning de John Hattie?

(9) Castonguay et Gauthier "La formation à l’enseignement, atout ou frein à la réussite scolaire?", Presses universitaires de Laval, 2012, p.84

Apprendre l’histoire, ça sert à quoi?

 Pour tout dire, les grands penseurs du domaine éducatif se sont aussi posé la question. A témoin les changements fondamentaux survenus dans le Plan d'Etude Romand (PER) dans l'enseignement de l'histoire. Si les connaissances factuels n'ont pas entièrement disparues, elles ont largement été supplantées par des démarches historiennes. Il est considéré comme plus important aujourd'hui d'identifier la nature et la diversité des sources historiques, d'analyser ces natures et diversités  ou d'élaborer des propositions de périodisation (NDLR:autres que celles traditionnellement acceptées) (1) que de connaitre la manière dont s'est forgé le monde qui nous entoure. En clair, l'école romande insiste désormais plus sur les méthodes de construction de l'histoire que sur le récit que ces méthodes peuvent nous livrer. Pour faire simple, dès l'école obligatoire, les élèves sont formés à devenir de petits historiens en herbe plutôt qu'à connaitre les résultats des travaux d'historiens.

A titre anecdotique, il est spécifié dans le résumé édité du PER en matière de méthodologie que l'élève mène des enquêtes (2). Il ne s'agit plus là d'objectifs d'apprentissage à atteindre mais de la manière de procéder et donc d'une violation parfaitement inacceptable de la liberté pédagogique de l'enseignant. Cette atteinte est d'autant plus scandaleuse que, selon la méga-analyse réalisée par John Hattie (la référence ultime actuelle en matière d'analyse des méthodes d'enseignement), l'enseignement basé sur l'enquête n'obtient qu'un faible effet d'ampleur (0.31), en dessous de la moyenne des différentes méthodes utilisables (0.40) (3).

Il semblerait que cette volonté de remplacer en partie les connaissances historiques au profit des compétences historiennes vise à faire de cette branche un "élément essentiel  de la culture générale, à la citoyenneté, au développement de l'esprit critique" (4). Si les intentions sont louables, en revanche, il parait peu vraisemblable que le remplacement potentiel des connaissances par des méthodes de travail contribue réellement à faire de l'histoire un élément essentiel de culture générale. Si la démarche d'analyse de documents et de construction de l'histoire a son intérêt, en revanche, il est impératif de redonner aux connaissances factuelles la place qui doit être la leur : lorsqu'un individu se trouve en société, il est plus régulièrement confronté à des conversations touchant à ce domaine plutôt qu'à des questions annexes. La meilleure manière de ne pas passer pour un imbécile et ainsi de mieux s'intégrer en société consiste donc plutôt dans l'acquisition de connaissances historiques plutôt que de compétences.

Pour ce qu'il en est de la citoyenneté et de l'esprit critique, il est nécessaire d'admettre que la première découle en partie du second. Outre la capacité à exercer librement sa pensée, la citoyenneté demande, en préalable, des connaissances sur le cadre de vie dans lequel évolue le citoyen, ainsi que des alternatives possibles. En ce sens, l'histoire se prête admirablement bien à la découverte de concepts tels que les différentes organisations institutionnelles et politiques ayant existé au travers des âges, leurs avantages et inconvénients, les changements sociétaux ayant eu lieu etc. Ce n'est qu'une fois que la connaissance de tous ces aspects est suffisante que peut alors entrer en lice l'esprit critique qui doit permettre au citoyen de choisir librement ce qu'il estime bon, utile ou néfaste. Il n'est en effet pas possible d'émettre un avis/jugement sur quelque chose qu'on ne connait et qu'on ne comprend pas. Les connaissances sont un fondement incontournable pour l'exercice d'une citoyenneté véritable. Non pas des connaissances qu'on a appris par coeur telle une chaîne de mots se suivant mais n'ayant aucun sens, mais des connaissances qu'on a comprises en les emmagasinant. On peut dire ce que l'on veut, mais il n'est pas possible d'atteindre ces objectifs par la simple mise en avant de compétences historiques à l'école.

Enfin, il existe encore au moins un grand domaine malheureusement négligé que l'histoire à l'école permet d'entraîner: la mémorisation. Il faut arrêter de penser qu'une branche scolaire n'a d'intérêt que dans le contenu direct qu'elle amène. Indirectement, elle peut avoir une tout autre utilité. D'une part il s'agit là du mécanisme qui permet l'acquisition des connaissances et se veut donc un incontournable de l'acquisition d'une bonne culture générale, d'un esprit critique tout comme d'une bonne pratique de la citoyenneté. En second lieu, dans la vie de tous les jours, il est important de pouvoir se rappeler de certaines choses. Si cette mise en mémoire n'est pas entraînée et que l'école se contente de permettre aux élèves d'apprendre à utiliser des outils, un manque certain va se faire sentir à la longue. L'histoire et la géographie sont les branches par excellence où l'élève peut entraîner sa mémoire par l'apprentissage de faits, de dates ou toutes autres connaissances factuelles. Supprimer cette dimension, c'est réduire la capacité de mémorisation à long terme des gens. Ce d'autant plus que les personnes qui se livrent par elles-mêmes à des exercices de mémorisation ne sont pas la majorité. De plus, lorsque l'élève s'astreint à mémoriser des données, c'est en même temps le goût de l'effort qu'il apprend: la répétition de données pour arriver à les mémoriser n'est pas des plus intéressantes, mais c'est par ce fastidieux travail de mémorisation que s'ouvrent pour lui les portes de la réussite de l'évaluation (pour autant bien sûr que celle-ci cherche à tester cette forme d'acquisition). Et cette réussite donne la satisfaction du travail accompli, satisfaction qu'on ne retrouve que plus difficilement dans des évaluations ne nécessitant pas le même fastidieux travail en guise de préparation comme peuvent l'être certains tests sur les compétences.

En définitive, il faut reconnaître que si les démarches historiennes ne sont pas inintéressantes et méritent d'avoir une place dans les cursus scolaires, notamment dans le but de favoriser l'acquisition des connaissances, il ne faut pas se tromper et laisser la priorité aux connaissances, bien plus utiles pour le développement des élèves quoi qu'en disent certains. Loin d'être futile, cette question est d'une brûlante actualité puisque de nouveaux moyens d'enseignement en histoire sont en chantier. Espérons que les personnes chargées de concevoir ces nouveaux livres en prennent conscience et ne nous livrent pas, à l'image de ce qui s'est passé en mathématiques il y a quelques années de cela (5), un ouvrage totalement constructiviste dans l'esprit (à savoir complètement focalisé sur les démarches historiennes) donc parfaitement inutile et inutilisable pour quiconque veut permettre aux élèves de réellement s'épanouir et se développer.

Stevan Miljevic, le 5 janvier 2014

http://www.stevanmiljevic.wordpress.com

 

(1) Plan d'Etude Romand, Cycle 3, Version 2.0, 27 mai 2010, "Mathématiques et Sciences de la nature - Sciences humaines et sociales" p.86 à 93

(2)http://www.plandetudes.ch/documents/10136/19192/Cycle+3+web+CIIP/75420548-b10b-4a5b-af1c-dd7d27b70ca5 p.15 consulté le 2 janvier 2014

(3) http://visible-learning.org/hattie-ranking-influences-effect-sizes-learning-achievement/ consulté le 2 janvier 2014

(4) http://animation.hepvs.ch/vs/index.php?option=com_content&view=article&id=95&catid=24&Itemid=145 consulté le 2 janvier 2014

(5) http://www.arle.ch/cycle-dorientation/mathematiques/255-methode-qui-fache-enseignants-maths consulté le 3 janvier 2014

Ce qu’on ne vous a pas dit sur PISA 2012

 

Une fois l'euphorie passée, on peut essayer de creuser un peu plus loin. En fournissant un accès direct à la base de données du PISA 2012 (1), l'OCDE fournit à tous les curieux d'intéressantes informations complémentaires: PISA, ce n'est pas seulement une moyenne, c'est aussi une batterie de questionnaires proposés aux élèves, aux directeurs d'établissement et aux parents. Sans compter bien entendu les rapports d'analyse fournis par l'organisation elle-même (2).

L'étude de ces données a tendance à donner des résultats plutôt surprenants que vous ne risquez pas de trouver dans la presse grand tirage tant ils ne sont pas en conformité avec les théories en vogue dans certains milieux influents. Nous verrons dans ce billet des aspects en lien avec 3 domaines bien distincts: la pédagogie, l'égalité homme-femme et l'immigration.

 

Les méthodes explicites traditionnelles au firmament

Si PISA n'a pas (encore) vocation à se pencher sur les meilleures pratiques pédagogiques, certaines données de la dernière évaluation sont quand même assez révélatrices. Il y a tout d'abord la domination absolue des pays asiatiques et ce dans l'ensemble des domaines étudiés. Or, il semble que le constructivisme ne soit absolument pas à l'ordre du jour dans ces contrées (3). Il faut donc conclure que, contrairement aux allégations délirantes des théoriciens constructivistes, un enseignement de type plus transmissif, direct et instructionniste, permet aux élèves d'atteindre les sommets en matière de connaissances comme de compétences. D'ailleurs, le rapport établi par l'OCDE sur les principaux résultats de l'enquête PISA reconnait que:

Les élèves qui ont déclaré que leur professeur de mathématiques pratiquait l'instruction dirigée (le professeur fixe par exemple, des objectifs clairs d'apprentissage et demande régulièrement aux élèves de faire part de leur avis ou raisonnement) et utilisait des évaluations formatives (le professeur informe, par exemple, les élèves de leurs forces et leurs faiblesses en mathématiques) se distinguent également par des valeurs très élevées dans les indicateurs relatifs à la persévérance, à l'ouverture à la résolution de problèmes et à la volonté de choisir des études ou une profession en rapport avec les mathématiques (4).

En clair, pour les non-initiés, un enseignement traditionnel allant du simple vers le complexe, complété d'un véritable et constant suivi du niveau de compréhension des élèves permet d'atteindre les plus hautes cimes de la performance.

Plus finement, un second élément de l'étude PISA permet de comprendre que le constructivisme est au mieux inefficace, au pire nuisible: l'évaluation PISA permet de classifier les élèves en 6 niveaux de performances bien distincts, allant de la capacité à tout juste comprendre une source d'information simple jusqu'aux niveaux 5 et 6 où les élèves "sont capables d'élaborer des modèles et de les utiliser dans des situations complexes"(5). Si on regarde en détail cette échelle, le terme "complexe" n'apparaît qu'au niveau 4 (6). (Cliquer sur les images pour les agrandir) 

Ce qui signifie qu'en moyenne, dans l'OCDE, 74% des élèves ne sont tout simplement pas capables de se dépatouiller dans des situations complexes par eux-mêmes en fin de scolarité obligatoire. Pour la Suisse, ce pourcentage s'élève à 56% (7).

Comment donc peut-on espérer qu'un tel pourcentage d'élèves puisse s'en sortir si on les met en face de situations complexes sans leur donner le B-A-BA des règles à utiliser au préalable comme le préconisent les constructivistes? Ce d'autant plus que s'il s'agit de l'école obligatoire, alors les élèves en question ont un niveau de développement plus bas que ceux testés par l'enquête PISA. Il est vrai qu'avec un bon coach (enseignant), ce pourcentage va diminuer, mais de là à le faire passer au-dessous des 30%, il y a un pas à franchir  qui semble totalement irréalisable. Est-il dès lors concevable de produire un enseignement qui laisse sur le bas côté de la route 3 élèves sur 10 à l'école obligatoire? La réponse est un non catégorique! Ce d'autant plus que ce n'est pas parce que les 7 autres sont capables d'aller du complexe vers le simple que cette méthode sera plus efficace qu'une méthode plus conventionnelle. Si on ajoute à cela que la pratique consistant à rentrer dans les connaissances/compétences par le complexe plutôt que par le simple est fort coûteuse en temps, inutile de préciser que la question de l'inefficacité de cette démarche ne se pose même plus.

 

Les revendications de genre déboutées

Alors que le féminisme et la théorie du genre ont le vent en poupe en Occident, PISA 2012 vient largement tempérer les vociférations anti-patriarcat. Pour rappel, la théorie du genre postule que les individus ne sont que le fruit d'une construction sociale et que si les filles et les garçons ont des goûts et des comportements différents, c'est uniquement parce que la société les a formaté de cette manière. En clair, si on change le formatage, alors la femme est un homme comme un autre (ou l'homme une femme comme une autre à choix). Une abondante littérature est pondue chaque année par de grands penseurs préconisant toute une panoplie de mesures visant à la neutralisation des stéréotypes genrés. Une brève recherche sur internet à ce sujet vous convaincra aisément de cet acharnement.

Certains pays nordiques (la Suède et la Finlande, notamment, pour ne pas les nommer) sont ainsi devenus les phares de la civilisation progressiste. On y enseigne aux enfants dès leur plus jeune âge que leur sexe biologique n'a strictement rien à voir avec leur identité de genre et qu'ils peuvent être du bord qu'ils veulent. Dans ces pays, le politique se fait un point d'honneur à traquer les discriminations en tout genre, allant jusqu'à tenter d'obliger les hommes à uriner assis sur les toilettes (8). Vu sous cet angle, les scandinaves ne pouvaient trouver qu'intolérable la traditionnelle infériorité des filles en mathématiques et donc mettre le paquet pour y remédier. C'est désormais chose faite puisque les filles obtiennent des résultats équivalents à ceux des garçons au test PISA.

Une lecture qui s'arrête à ce niveau de superficialité ne peut que se féliciter des efforts entrepris par les nordiques et leur emboîter le pas. Une hystérie collective s'empare du monde de la recherche, allant dans certains cas jusqu'à gémir sur l'utilisation de personnages trop masculins dans les manuels scolaires de mathématiques. Toute trace de testostérone doit être traquée et éradiquée du monde scolaire (et pas seulement).

Or il s'avère que les enquêtes PISA nous fournissent d'autres précieuses indications à ce sujet. En page 4 du premier rapport émis par l'OCDE sur le PISA 2012, une synthèse des principaux résultats de l'enquête affirme:

En mathématiques, les garçons ne devancent les filles que dans 37 des 65 pays et économies qui ont participé à l'évaluation PISA 2012; les filles devancent quant à elles les garçons dans 5 pays (9).

Mais ces 5 pays où les filles s'en sortent mieux, quels sont-ils? La Suède? La Norvège? La Finlande? Pas vraiment. En fait, les 5 pays en question sont la Jordanie, le Qatar, la Thaïlande, la Malaisie et l'Islande. Outre ces leaders incontestés du féminisme, Une petite dizaine de pays (dont les nordiques) obtiennent des résultats équivalents entre filles et garçons. Il s'agit notamment de l'Albanie, de la Bulgarie, des Emirats Arabes Unis et du Kazakhstan comme le démontre l'extrait de base de la base de données PISA 2012 suivant.

Ces modèles en matière de féminisation de la société caracolent ainsi largement devant l'ensemble des pays dits développés de l'OCDE (surtout les nordiques). Comme si cela ne suffisait pas, nombre d'entre eux n'ont tout simplement pas les capacités financières pour s'amuser à faire la promotion du féminisme à l'école. Ceci dit, peut-être ces pays ont-ils fournis un effort particuliers ces trois quatre dernières années afin de redorer un blason passablement terni par trop de patriarcat. Pour en avoir le coeur net, jetons un oeil sur la base de données de PISA 2006 (10). Rien n'y fait, les femmes en burqa du Qatar tenaient déjà alors le haut du pavé, tout comme les Jordaniennes ou les Bulgares. Quand aux autres, ils ne participaient alors tout simplement pas à l'enquête.

Des sociétés ultra-patriarcales permettent ainsi à leurs filles d'exploiter leur potentiel mathématique mieux que leurs garçons et ce alors même que les chantres du progressisme le plus féminisé qui soit rament loin derrière. Il est donc vain de vouloir impérativement transformer les petites filles en garçons comme les autres. PISA démontre sans contestation possible que si vraiment elles en ressentent le désir ou le besoin, les filles arrivent parfaitement à le faire par elles-mêmes.  Inutile de continuer à gaspiller de considérables moyens pour faire évoluer les choses. Entre parenthèse, remarquons que si l'on parle toujours de rendre les filles meilleures en mathématiques, jamais on ne se penche sur le cas des garçons complètement largués dans tous les pays et depuis le début de l'existence du PISA en matière de compréhension de l'écrit. Nos féministes en herbe ne sont donc pas dans l'égalité mais bien dans la discrimination anti-masculine.

 

L'immigration en question

Enfin, le PISA 2012 nous fournit également de précieux renseignements au sujet de l'impact de l'immigration dans les salles de classe. Avant tout, il faut signaler que seuls 3 ou 4 pays comptent une plus grande proportion de personnes issues de l'immigration dans leurs salles de classe (et donc dans leur société) que la Suisse, ce qui disqualifie complètement le discours suivant lequel certains partis politiques essaient de faire de notre pays une forteresse ethniquement pure et fermée sur elle-même. Tenir de tels propos alors qu'un quart de la population est étrangère relève de la simple diffamation envers les tenants d'une immigration contrôlée. Je précise cet avant-propos pour signaler que, du fait de la forte importance quantitative de l'immigration en Suisse, les réflexions suivantes ne sont pas forcément transposables dans d'autres contextes nationaux.

Commençons par comparer les performances des migrants avec les natifs helvétiques. En fait, vont être comparés les non-immigrants (enfants nés ici et dont un des parents au moins est suisse), les immigrés de seconde génération (enfants nés ici mais avec des parents étrangers) et les immigrés de première génération (enfants arrivés ici au cours de leur vie). Puisque PISA 2012 est majoritairement axé sur les mathématiques et qu'il s'agit là d'un domaine disciplinaire qui transcende les différences linguistiques, il parait opportun de l'utiliser pour illustrer le cas. Remarquez toutefois que ce qui est valable pour les mathématiques l'est aussi dans les deux autres domaines testés.

Les résultats sont assez significatifs: sans les migrants de première et seconde génération, les non-immigrants obtiennent un score de 550, soit largement plus que la moyenne du pays, moyenne déjà pourtant bien haute alors que les secondes générations obtiennent un 494 (ce qui les placerait grosso modo au niveau de la France et du Portugal et au niveau de la moyenne de l'OCDE) et les premières générations 475 (entre la Hongrie et la Croatie) (11).

On peut estimer raisonnable l'idée que les migrants de première génération sont moins performants: après tout, ils subissent un choc, mais surtout proviennent de pays dont les systèmes sont clairement évalués comme moins performants que le nôtre. Ceci dit, leur score est quand même assez faible malgré tout. En revanche, le résultat des secondes générations s'explique moins: après tout, ils ont suivi le même parcours scolaire que les enfants du crû et devraient donc arriver à des niveaux supérieurs. Se révèle ainsi l'impact du milieu familial et, par la même, la faillite retentissante du système multiculturel: on peut extrapoler que si ces familles avaient été suissisées/assimilées les résultats auraient de bonnes chances d'être fort différents. Certains objecteront que les secundos vivent peut-être dans des conditions matérielles moins bonnes que leurs camarades ou que le niveau d'instruction de leurs parents est plus faible. C'est peut-être vrai, mais, en définitive, ce sont des variables inhérentes au phénomène migratoire et, par conséquent, elles importent peu au niveau où se pose la réflexion, à savoir non pas sur ce que l'on peut faire pour aider les migrants à mieux réussir mais si l'immigration, dans toute son immédiateté, a des répercussions sur les performances des élèves.

Pour enfoncer le clou, PISA a également testé l'impact du taux de multiculturalisme dans les classes. Les résultats sont clairs: plus une classe est homogène plus ses résultats sont hauts. A l'inverse, plus une classe est métissée, composée d'élèves de cultures et de langues différentes, plus la performance s'effondre (12).

Ceci dit, ce constat ne suffit pas à dire que les migrants exercent une influence néfaste: après tout, on l'a vu un peu plus haut, les non-immigrants ont un niveau de performance tout à fait remarquable. Il se peut donc que les moyennes plutôt faibles des classes les plus multiculturelles n'aient pas d'impact négatif sur les Suisses et ne soient dues qu'à la pression sur la moyenne exercée par les résultats moins bons des migrants.

Le rapport "Untapped Skills, realising potential of immigrant students" édité par l'OCDE va pouvoir répondre à cette question. On trouve à la page 63 de ce rapport un tableau qui montre l'évolution des performances des non-migrants, des migrants de première et des migrants de deuxième génération en compréhension de l'écrit en fonction du pourcentage de personnes ne parlant pas la langue du test à la maison. Et les résultats sont décapants (13):

On constate que jusqu'à une proportion de 20% d'élèves ne parlant pas la langue du lieu à la maison, les différentes catégories d'élèves ne subissent pas de malus notoire. En revanche, dès qu'on dépasse la dose fatidique des 20%, les performances de tous sont revues largement à la baisse. Les victimes de cette multiculturisation de l'école sont l'ensemble des élèves, étrangers comme locaux sans distinction aucune!

Les politiques multiculturelles où chacun est invité à garder son mode de vie traditionnel (et donc sa langue d'origine au maximum) sont un échec retentissant. Une politique d'assimilation  donnerait selon toute vraisemblance des résultats largement supérieurs. Espérons que cela puisse donner quelques idées aux cantons qui paient des cours de langue aux jeunes migrants pour qu'ils apprennent leur langue d'origine et diminue ainsi encore largement les possibilités de parler la langue du coin à la maison!

En second lieu, on peut également déduire la nécessité de mieux dispatcher les migrants et d'éviter ainsi toute forme de concentration. Etant donné que pour diverses raisons, les nouveaux venus sont systématiquement concentrés en certaines régions (les villes) et à se regrouper pour des raisons évidentes de proximité culturelle, je ne sais pas comment on peut s'y prendre pour mieux répartir les migrants sur le territoire helvétique. Ce d'autant plus que nous ne sommes pas vraiment un pays de tradition aussi planificatrice que cela.

Enfin, force est de conclure que les principales victimes de cette situation sont les enfants des citadins, ceux-là même qui, traditionnellement, sont les plus ouverts au concept d'immigration incontrôlée. Leur choix est somme toute assez simple: soit ils continuent à prôner l'ouverture à tout-va, soit ils privilégient l'éducation des enfants. La balle est dans leur camp.

Stevan Miljevic, le 18 décembre 2013
https://www.stevanmiljevic.wordpress.com

Notes de bas de page:
(1) http://pisa2012.acer.edu.au consulté le 11 décembre 2013
(2) http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/pisa-2012-results.htm consulté le 10 décembre 2013
(3)http://explicitementvotre.blogspot.fr/2013/12/a-lest-quoi-de-nouveau.html consulté le 13 décembre 2013
(4) http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/PISA-2012-results-overview-FR.pdf consulté le 13 décembre 2013, p.22
(5) ibid p.4
(6) http://www.oecd.org/pisa/pisaproducts/Cadre%20d'%C3%A9valuation%20PISA%202012%20e-book_FR.pdf p.45 consulté le 18 décembre
(7) http://pisa.educa.ch/fr document "ergebnisse pisa2012" p.3
(8) http://www.lefigaro.fr/international/2013/04/26/01003-20130426ARTFIG00685-les-suedois-bientot-forces-d-uriner-assis.php consulté le 14 décembre 2013
(9) http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/PISA-2012-results-overview-FR.pdf consulté le 9 décembre 2013
(10) http://pisa2006.acer.edu.au/index.php consulté le 13 décembre 2013
(11) http://www.oecd.org/edu/Untapped%20Skills.pdf p.134, consulté le 11 décembre 2013
(12) http://pisa2012.acer.edu.au consulté le 11 décembre 2013
(13) http://www.oecd.org/edu/Untapped%20Skills.pdf p.63, consulté le 11 décembre 2013