HEP Vaud et Valais: un premier bilan pas vraiment convaincant

Stevan Miljevic
Enseignant

Il n’y a aucune logique à garder une formation qui ne satisfait pas ceux qui en bénéficient et qui ne permet pas d’augmenter significativement les résultats des élèves?

Les organismes qui, aujourd’hui, ne sont pas soumis à évaluations régulières se font de plus en plus rares. Surtout lorsqu’ils engendrent des frais de fonctionnement importants, de l’ordre de plusieurs millions annuellement. De plus, si cette somme est à la charge de la collectivité, alors les pouvoirs publics ont le devoir moral de s’intéresser à la manière dont l’argent du contribuable est utilisé.

Dès lors que des manquements sont constatés, que l’efficacité n’est pas au rendez-vous, alors les pouvoirs publics sont invités à mettre de nouveaux moyens en oeuvre  afin de corriger le tir et de faire en sorte que l’argent public serve à une cause bien défendue. Les Hautes Ecoles Pédagogiques ne font pas exception à la règle (coût annuel en Valais: 17.2 millions de francs suisses (0)). Elles doivent aussi rendre des comptes et accepter de se remettre en question si le besoin s’en fait sentir. Il n’est bien entendu pas ici question de remettre en cause leur existence, mais bien plutôt leur manière de fonctionner ainsi que les contenus qu’elles dispensent. Les cantons qui ont décidé d’engager des moyens conséquents pour bonifier la formation des enseignants et, par là même, celle des futures générations, sont en droit d’attendre qu’on fasse au mieux pour les satisfaire.

J’ai déjà à plusieurs reprises remis en question sur ce site le fonctionnement des HEP, notamment leur fâcheuse tendance à orienter les futurs enseignants vers des styles d’enseignement désormais clairement identifiés comme peu efficaces tels que le constructivisme ainsi que la méthode conscientisante qu’elles mettent en branle pour y parvenir. Plusieurs articles se basant sur diverses recherches y ont été consacrés, je n’y reviendrai pas (1).

Mais dans les faits, y a-t-il moyen de vérifier que ces critiques se justifient ici en Suisse romande? Je le crois et c’est d’ailleurs la raison qui me pousse à écrire ce billet. Je l’ai déjà dit et je le répète, la seule véritable manière de juger de la qualité de la formation des enseignants est d’interroger les résultats des élèves. Si les enseignants sont bons, alors les élèves le deviennent aussi. S’il est évident que de nombreux critères entrent en compte, tels que le niveau socio-culturel, le goût de l’effort ou le soutien des parents, plusieurs études d’envergure suggèrent que l’effet enseignant est le plus important de tous (2).

En testant les élèves, on peut donc se faire une idée de l’efficacité de la formation des enseignants. Malheureusement, à ce jour, il semble qu’aucun canton n’ait mis sur pied un tel dispositif d’évaluation. Qu’à cela ne tienne, il existe malgré tout un outil performant pouvant nous donner quelques pistes intéressantes: les études PISA. Elles sont d’autant plus pertinentes qu’elles permettent d’établir un comparatif pour les cantons de Vaud et du Valais avant l’introduction des HEP (2001) par le biais du PISA 2000 et 8 ans après par le PISA 2009, l’analyse cantonale du PISA 2012 n’étant malheureusement pas encore disponible.

S’il est évident que 8 ans ne sont pas suffisants pour que les HEP puissent déployer l’intégralité de leur effet, en revanche, il est tout aussi certain que cela doit suffire à faire une première estimation. Au vue du nombre d’enseignants passés par là, et qu’en Valais, la HEP ait pris également à sa charge la formation continue des enseignants ainsi que l’animation pédagogique (3) (il serait étonnant que cela ne soit pas pareil sur Vaud, mais connaissant mal le système je ne peux le garantir), il ne me parait pas raisonnable d’estimer qu’aucun impact ne se soit fait sentir jusqu’ici. Si cette formation est bonne, alors les résultats obtenus par les jeunes Valaisans et Vaudois doivent s’être un peu bonifiés durant ce laps de temps.

Voyons donc ce que nous disent les résultats de ces deux PISA. En préalable, il faut préciser que lors du PISA 2000 n’ont été testés pour le Valais que les élèves francophones. Pour être juste, il faut donc écarter du PISA 2009, le résultat des élèves germanophones et s’en tenir à la même population qu’en 2000. Il convient aussi de préciser que le rapport romand pour l’an 2000 contient quelques petites inexactitudes concernant le Valais puisque les graphiques ne donnent pas tout à fait les mêmes résultats que ceux qui sont déclarés dans le texte (4).  Afin de choisir quelles performances étaient les bonnes, je me suis appuyé sur la présentation fournie par le DIP genevois récapitulant les résultats de l’ensemble des cantons romands (5). Les résultats sont synthétisés dans les tableaux suivants:

Pour le canton du Valais:

Valais francophone PISA 2000 PISA 2009
Lecture 518 522
Mathématiques 551 553
Sciences 521 525

Si une toute légère augmentation se fait sentir, elle n’est cependant pas significative. D’un point de vue statistique, il n’est pas possible de conclure que cette augmentation est le fruit d’un meilleur travail et peut tout à fait n’être que le résultat des inévitables variations de résultats survenant d’une année  à l’autre. Pour illustrer ce cas, constatons qu’en 2006, le PISA donnait des résultats peu concluants. La HEP et le département valaisan de l’éducation émettaient alors un document considérant une différence de 8 points comme non significative statistiquement (6). De son propre aveu, la HEP valaisanne admet donc que la différence de performance survenue dans le laps de temps qui nous intéresse ne peut pas être considérée comme un progrès et que donc les élèves sont restés stables.

Au canton de Vaud la situation est plus tranchée: si la lecture et les sciences sont restées stables, en revanche les mathématiques se sont effondrées (-18 points) depuis l’entrée en fonction de la Haute Ecole Pédagogique.

Vaud PISA 2000 PISA 2009
Lecture 498 501
Mathématiques 538 520
Sciences 490 490

D’autres facteurs sont vraisemblablement en cause, mais il n’empêche que 8 ans après la délégation de la responsabilité de la formation des enseignants aux Hautes Ecoles Pédagogiques, le résultat n’est guère brillant puisque, dans le meilleur des cas, les élèves n’ont fait que maintenir leur niveau de performance de 2000 alors que dans le pire, le niveau moyen s’est effondré significativement.

Les différences de performances enregistrées au niveau suisse entre le PISA 2009 et le PISA 2012 ne laissent pas augurer d’un spectaculaire renversement de perspective puisque les mathématiques comme les sciences n’ont pas amené de changements marquants au niveau suisse. Il reste cependant la lecture où notre pays s’est distingué par une très forte progression. Reste à savoir si Vaudois et Valaisans ont participé activement à cette remontée, si d’autres facteurs n’entrent pas en jeu et si cette progression va rester dans le temps. Toujours est-il qu’en l’état de nos connaissances, il n’est pas possible de dire que les HEP ont fourni un plus certain au niveau de l’apprentissage des élèves.

De mon point de vue, il ne peut en fait que difficilement en être autrement: on sait (même si on tente de l’ignorer) depuis l’étude de Jeanne Chall en 2000 (7) que les méthodes d’enseignement traditionnelles sont plus efficaces que les pratiques socio-constructivistes largement répandues dans les Hautes Ecoles Pédagogiques. Comme les jeunes enseignants ne sont pas stupides, il s’ensuit qu’ils n’utilisent que peu ce genre de méthodes dans leur pratique professionnelle et reprennent à leur compte les trucs et astuces des anciens qui ont fait leurs preuves. Tout au plus ajoutent-ils quelques pincées des quelques éléments pertinents dispensés dans les HEP, ce qui laisse augurer, je pense, un potentiel d’amélioration fort limité. Au final, est-ce vraiment ceci que les décideurs avaient à l’esprit lorsqu’ils ont décidé de consacrer un budget important à la formation des enseignants? C’est peu probable.

Surtout si l’on prend en considération ce que nous disent les recherches quantitatives actuelles: si le socio-constructivisme est moins efficace que les méthodes traditionnelles, celles-ci peuvent être largement bonifiées par la greffe des pratiques prônées par la pédagogie explicite (8). De plus, d’autres études amènent également à penser que les méthodes de transmission des savoirs proposées par les HEP peuvent elles aussi être largement améliorées grâce aux enseignements de la pédagogie explicite (9).

Si donc les décideurs romands en charge de la formation cherchent réellement à faire au mieux, la solution à adopter crève les yeux: il est impératif qu’au moins une HEP se distingue des autres par les contenus proposés ainsi que par les moyens de les transmettre. Ce d’autant plus que les plaintes formulées par les étudiants devant suivre le cursus HEP sont légions. Il n’y a aucune logique à garder une formation qui ne satisfait pas ceux qui en bénéficient et qui ne permet pas d’augmenter significativement les résultats des élèves? Un tel changement serait salutaire puisqu’il permettrait d’établir une comparaison dont tout le monde pourrait tirer profit (sauf bien sûr les idéologues): si cette manière de faire s’avère efficace, alors l’ensemble des écoles pédagogiques pourront s’en inspirer. Dans le cas contraire, il ne sera jamais trop tard pour faire machine arrière ou pour tester autre chose.

Stevan Miljevic, le 13 mai 2014

stevanmiljevic.wordpress.com

(0) https://www.vs.ch/navig/navig.asp?MenuID=32168&RefMenuID=0&RefServiceID=0 p.147 consulté le 12 mai 2014

(1) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/03/11/pourquoi-les-formations-a-lenseignement-sont-des-usines-a-mediocrite/ et https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/01/29/de-nouvelles-lois-necessaires-pour-encadrer-lenseignement/ notamment

(2) voir par exemple la méga analyse de Fraser (1987), celle de Wang, Haertel et Walberg (1993) ou celles de Hattie (2003 et 2012) citées par Gauthier, Bissonnette, Richard, Castonguay dans "Enseignement explicite et réussite des élèves", de Boeck, Bruxelles, 2013, p.10 à 18

(3) http://www.hepvs.ch/index.php?option=com_content&task=blogcategory&id=152&Itemid=860 consulté le 11 mai 2014

(4) http://www.vs.ch/NavigData/DS_13/M14180/fr/pisa-2000-Rapport-Romand.pdf consulté le 10 mai, par exemple, le texte parle d’une performance de 546 en mathématiques alors que les graphiques disent, eux, 551.

(5)  ftp://ftp.geneve.ch/Dip/pisa2003_dip.pdf consulté le 10 mai 2014

(6) http://www.vs.ch/NavigData/DS_314/M6694/fr/Portrait%20du%20canton%20du%20Valais%20-%20Comparaison%20sur%20l’ensemble%20du%20canton.pdf  p.13 consulté le 12 mai 2014

(7) Jeanne Chall "The Academic Achievement Challenge", 2000, cité dans Hollingsworth et Ybarra "L’enseignement explicite, une pratique efficace", Chenelière Education, 2013, Montréal, p.5

(8) Faut-il encore présenter le Visible Learning de John Hattie?

(9) Castonguay et Gauthier "La formation à l’enseignement, atout ou frein à la réussite scolaire?", Presses universitaires de Laval, 2012, p.84

Un commentaire

  1. Posté par Yann le

    J’ai eu la chance de passer par cette formation épouvantable que la HEP de Lausanne je pourrais en écrire un roman entier dans le système est dysfonctionnel impartial et disons-le totalement subjectif. Il faudra aussi un jour qu’on parle des praticiens formateurs en formation qui suivent des élèves alors qu’ils n’ont même pas 3 ans d’enseignement. Il faudra aussi un jour que quelqu’un mettre les mains dans le cambouis de se petit mail envoyé qui disent explicitement de faire barrage à tel ou tel. Il faudra aussi un jour que la Haute école pédagogique arrête de former des fournées entières de professeur d’histoire de sociologie de philosophie de géographie de psychologie certaines de ces disciplines non même pas eu 5 postes dans les gymnases en 10 ans… je suis tout à fait disposé à vous donner un témoignage éloquent.

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