Ecole obligatoire et harmonisation scolaire : remettre les pieds sur terre de toute urgence

L’harmonisation scolaire décidée au niveau romand se déroule d’une bien curieuse façon. Jugez-en par vous-même.

Dès 2003, une déclaration d’intention politique exprimant la volonté des différents départements de l’instruction publique d’harmoniser les contenus de l’école obligatoire était signée. Ce document n’ayant pas de portée juridique concrète, les responsables d’alors se sont lâchés et ont formulé toute une série de vœux n’ayant à peu près aucun fondement sérieux. Par exemple, on a vu apparaitre les notions de « pensée créatrice », de « réflexion » ou autre « démarche critique » découplée des connaissances à acquérir. Or, les expériences menées dans le domaine des sciences cognitives démontrent qu’il n’est tout simplement pas possible de faire preuve de créativité, d’esprit critique ou autre sans faire appel à des connaissances précises dans les domaines d’étude en question. Essayez juste pour voir de faire preuve de créativité au piano sans connaitre vos gammes ou de poser une réflexion critique au sujet de la physique quantique sans en connaitre les fondements. C’est tout simplement impossible.

La déclaration en question a, en outre, été jusqu’à prescrire des attitudes pédagogiques (« différencie ses démarches pédagogiques selon les dispositions intellectuelles et affectives des élèves ») qui, elles non plus, ne trouvent aucun fondement sérieux dans les données empiriques à disposition à ce jour et ne relèvent que de la théorie et non du fait avéré (scientifiquement ou non).

Dans le même temps, la constitution fédérale subissait elle aussi quelques modifications enjoignant à harmoniser les contenus (art 62 al.4). Mais ces exigences sont en fait fort peu développées et ne touchent que des compétences fondamentales dans les branches principales.

Avec l’entrée dans le processus d’harmonisation proprement dit, la donne changea quelque peu. Le concordat HarmoS du 14 juin 2007  fixe à son tour les finalités de la scolarité obligatoire dans l’espace romand. Et là, c’est la surprise puisque les exigences précédemment citées n’apparaissent tout simplement pas dans l’accord en question ! HarmoS se borne à fixer des finalités acceptables par tout un chacun. Prenons le cas des sciences humaines et sociales (histoire-géographie) pour exemplifier la chose : HarmoS exige l’acquisition d’une « culture scientifique permettant de connaître et de comprendre les fondements de l’environnement physique, humain, social et politique » (caractères mis en gras par moi). Autrement dit, des connaissances de base et pas des pseudos compétences analytiques (celles-ci existent mais en tout cas pas de la manière dont certains voudraient les faire exister, mais c’est un autre sujet), de la pensée créatrice ou je ne sais quelle autre démarche critique. La seule explication crédible à ce revirement de situation qui me vienne à l’esprit est la suivante : conscients que certaines formulations poseraient vraisemblablement problème devant les parlements cantonaux, voir devant le peuple en cas de référendum, les décideurs du moment se sont résolus à ne pas risquer l’échec et ont donc supprimé de l’accord tout ce qui pouvait prêter à discussion. Il fallait bien cela pour qu’HarmoS, déjà fortement contesté dans certains milieux puisse passer la rampe. Si quelqu'un  a autre chose à proposer, je suis preneur...

Une fois HarmoS accepté et l’écueil démocratique évité, les autorités scolaires ont à nouveau changé leur fusil d’épaule. La déclaration de 2003 est notamment réapparue avec toutes ses exigences délirantes. Pire encore, la conférence intercantonale des départements de l’instruction publique (CIIP) s’est attribuée le droit de mettre sur pied le plan d’étude romand  (PER) (HarmoS ne précise en effet pas qui est responsable de le faire) et s’est livrée à un véritable feu d’artifice puisqu’elle impose toute une série de démarches pédagogiques totalement invalidées par l’ensemble des tests empiriques menés à ce jour. De plus, ce que l’on appelle « compétences transversales » du type « pensée créatrice » dont il a été question plus haut réapparaissent en force et se voient même renforcées acquérant un rôle central dans le PER. Enfin, l’acquisition de connaissances, pourtant centrale dans le domaine des sciences humaines et sociales notamment selon HarmoS, est largement diluée voir même remplacée. Pour illustrer le cas, signalons qu’il est aujourd’hui possible, en suivant scrupuleusement le PER, de finir son école obligatoire sans avoir jamais entendu parler de Staline. Certains se demandent peut-être comment c'est possible. C’est bien simple, le PER s’acharne plus à obliger les enseignants à procéder de telle ou telle manière qu’à fixer des objectifs d’apprentissage. Il est plus question d'imposer le constructivisme que de décrire précisément ce qui doit être acquis. Vous ne me croyez pas ? Et si je vous dis que le plan d’étude impose l’utilisation de bandes dessinées ou autres films pour enseigner l’histoire et que les thèmes à aborder sont à choix ? Ou alors qu’en géographie, il est impératif pour les élèves de « repérer des éléments essentiels liés au risque dans une illustration ou un film » en travaillant sur le thème des changements climatiques? Dans celui-là et pas un autre donc…Pire encore, en ce qui concerne le vocabulaire à acquérir quelques exemples sont donnés et le reste est signifié par l’utilisation des … Ce qui démontre clairement le niveau d'importance accordé aux connaissances dans le plan d'étude romand.

De manière globale, l’ensemble de ce qui est exigé par le PER en histoire-géographie notamment ne se décline pas sous forme de connaissances tel que le préconise HarmoS mais se décline sous forme de pseudos compétences qui n’en sont pas vraiment mais servent de prétexte à imposer une méthode de travail aux enseignants.

Pour couronner le tout, et pour être bien sûr que personne ne fasse autre chose, la CIIP a pris à sa charge de créer des moyens d’enseignement sur mesure. Là aussi, la démarche est totalement hallucinante puisqu’il n’est pas possible pour un autre organisme de proposer un livre alternatif. La démarche a été tentée en mathématiques, mais s’est heurtée à un refus catégorique. Même l’éducation nationale française n’a pas de si grandes prérogatives et ne centralise pas autant. Un comble pour un pays qui se veut libéral comme la Suisse…

En résumé, le processus d’harmonisation de l’enseignement obligatoire en Romandie, c’est :

  • Le contournement de la démocratie
  • L’imposition de méthodes pédagogiques parmi les plus inefficaces existantes
  • Le quasi abandon des connaissances
  • La centralisation la plus absolue et le monopole de la production des moyens d’enseignement

L’avenir s’annonce décidément radieux si on ne remet pas immédiatement les pieds sur terre…

 

Stevan Miljevic, le 6 juillet 2015

A l’école obligatoire, l’apprentissage de la seconde guerre mondiale est optionnel avec le PER

Je l'avoue, j'ai toujours autant de peine à digérer le fait que les responsables qui ont conçu le PER ont autant démoli l'enseignement de l'histoire. J'écris encore ce billet à ce sujet et après, promis juré, je change de sujet. Cela dit, si quelqu'un pense pouvoir me faire changer d'avis et contredire mes arguments, je suis tout à fait disposé à l'écouter, voir même à me renier si par le plus grand des hasards il parvenait à me convaincre de mon erreur. Mais j'en doute.

Je le dis et le répète, les démarches historiennes qu'ils ont massivement poussées en avant n'ont aucun intérêt (1). Non seulement elles n'ont aucune utilité mais, contrairement à ce qu'on pourrait croire si on n'analyse pas un peu en détail la question, elles n'amènent aucune compétence réelle. Les véritables compétences ne sont en effet pas possibles sans avoir acquis des connaissances au préalable (2).

Mais il y a pire encore. Aujourd'hui, j'ose affirmer que non seulement les élèves perdent leur temps avec ces élucubrations constructivistes, mais qu'en plus, celles-ci sont néfastes et les rendent incultes. Voici pourquoi.

L'autre jour, me baladant sur le site de l'animation pédagogique valaisanne à la recherche de documents que je pourrai utiliser, je suis tombé sur le fil rouge proposé pour les 3ème années du cycle d'orientation. J'ai été très étonné de constater que, concernant la thématique de la 2ème guerre mondiale, les différentes parties qui la constituent, à savoir l'histoire suisse/valaisanne, l'Europe nazie, la Shoah et la résistance française n'étaient en fait pas impératives. L'animation précise noir sur blanc qu'il s'agit de faire des choix dans ces différents thèmes.

Sans titre

Cela revient à dire que certains élèves sortiront de l'école obligatoire sans avoir aucune notion sur l'Europe nazie, l'histoire suisse ou la Shoah par exemple. Remarquez que ces élèves auront peut-être la chance d'en savoir un rayon sur les hippies, qui sait!

Pourtant, à bien y regarder, la dotation horaire est de 12 périodes pour ce sujet. En principe, en 12 périodes, il devrait être possible de couvrir l'ensemble de ces aspects. Mais penser de la sorte, c'est oublier que de travailler selon les dogmes constructivistes est extrêmement chronophage. Pour tout dire, travailler avec des démarches historiennes, c'est passer nettement plus de temps pour acquérir beaucoup moins de connaissances factuelles. Exit donc l'espérance de former des spécialistes du mouvement hippie. De plus, rien ne permet d'affirmer que ces connaissances sont mieux ancrées dans la mémoire d'un élève qu'une méthode d'enseignement plus conventionnelle.

Mais de cela, les constructivistes n'en ont cure puisque l'important n'est plus l'acquisition de connaissances historiques, mais l'entrainement de ces démarches historiennes. A ce propos, un bref regard sur le plan d'étude romand finira de nous en convaincre. Car en comparaison de celui-ci, le fil rouge valaisan fait office de véritable encyclopédie de la connaissance!

Quantitativement, dans le PER, il y a plus d'exigences à travailler de pseudos démarches historiennes que des connaissances historiques. Pour être précis, si quelques thématiques historiques y sont énoncées, il est également précisé noir sur blanc que la liste en question est "non exhaustive et non prescriptive" (3).

En clair, aucun sujet n'est imposé, il suffit de traiter des domaines compatibles avec d'autres objectifs que l'on trouve dans une partie dénommée "Etude des permanences et changements dans l'organisation des sociétés" (4) (oui je sais ça commence à être compliqué tout cela, mais le PER semble avoir été écrit de manière à être le moins lisible possible pour le non-initié), dernier bastion de ce qui ressemble de plus ou moins loin à des connaissances historiques dans le plan d'études romand. Et dans cette section, si on trouve les exigences d'analyser des conflits politiques, idéologiques et territoriaux et de leurs règlements et d'analyser l'influence des idéologiques (5), en revanche rien n'oblige ni à traiter des guerres mondiales, ni du nazisme ou du communisme. Il est tout à fait envisageable d'avoir approché le pacifisme, la décolonisation ou je ne sais quoi d'autre à la place.

Dans un tel cas de figure, on se retrouvera avec des jeunes qui sauront identifier les références historiques dans des représentations documentaires ou de fiction (bien que sans connaissances préalables, cela reste à démontrer) ou identifier la pluralité des organisations du temps mais qui n'auront jamais entendu parler d'Hitler, de Staline ou autre Stalingrad (6).

Après cela, quelqu'un osera-t-il prétendre que le PER ne fabrique pas de l'inculture? Est-ce vraiment là ce que nous voulons pour nos enfants?

 Stevan Miljevic, le 3 septembre 2014

 http://stevanmiljevic.wordpress.com

(1) http://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/08/23/pourquoi-les-demarches-historiennes-nont-pas-leur-place-a-lecole-obligatoire/

(2) http://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/04/21/les-competences-sont-impossibles-sans-les-connaissances/

(3) Plan d'études romand/cycle 3, version 2.0, mai 2010 "Mathématiques et sciences de la nature-Sciences humaines et sociales" p.92

(4) ibid p.90-91

(5) Ibidem

(6) cette remarque vaut pour à peu près tous les sujets historiques d'importance

L’enseignement de l’informatique à l’école obligatoire : un échec?

La récente décision des autorités scolaires vaudoises de retirer les cours d’informatique de la gamme des prestations de l’école obligatoire démontre une nouvelle fois à quel point le Plan d’Etude Romand (PER) nous fait marcher sur la tête.

Dans la philosophie du PER, l’informatique n’est pas un objet d’étude suffisamment important pour qu’on lui consacre un cours en soi. Le PER reconnait volontiers la pertinence de l’outil informatique, mais en tant qu’accompagnateur des apprentissages. En clair, on n’apprend plus à utiliser un traitement de texte ou un tableur pour eux-mêmes, mais pour faire des maths, du français, des sciences ou je ne sais quoi d’autre.

Certains ont pu avancer que les élèves avaient ça dans le sang, bien plus que les générations précédentes. Ceux qui pensent justifier ainsi la disparition de l’informatique des programmes scolaires n’ont vraisemblablement pas du avoir beaucoup de contacts avec des adolescents. Ou alors, ils confondent allègrement Office et Instagram ou Twitter. C’est selon. Si les élèves utilisent massivement l’informatique, c’est pour jouer, parler, échanger des photos ou faire des recherches pas toujours très intelligentes sur internet. Mais en ce qui concerne un usage un peu plus sérieux de la chose, on s’approche doucement du néant. Pas pour tout le monde, certes , mais ceux-ci sont bien loin de former une majorité.

L’intégration de l’informatique dans l’enseignement d’autres branches ne permet pas d’acquérir des notions aussi développées qu’un cours qui lui est exclusivement consacré, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, un prof d’anglais ou de géographie, ce n’est pas un prof d’informatique. Tout le monde n’est pas nécessairement versé dans l’utilisation des nouvelles technologies. Et il est impossible, dans un domaine aussi technique, de transmettre ce qu’on ne maitrise pas.

De plus, le programme des autres branches scolaires est déjà suffisamment chargé. Il n’est donc pas possible de consacrer autant de temps que nécessaire à enseigner aux élèves les diverses manipulations des outils bureautiques. Dans tous les cas de figure, et même avec la meilleure volonté du monde, les connaissances acquises ne pourront être que partielles.

En troisième lieu, à supposer que les enseignants soient motivés à introduire massivement l’usage de l’informatique dans leurs cours, il n’est pas sûr que les cours en question leur permettent d’aborder les fonctions élémentaires et essentielles des outils bureautiques. Il est même plutôt probable qu’ils incitent les élèves à user de moyens en ligne qui n’ont pas grand sens en terme d’apprentissage de l’informatique. Utiliser un logiciel de géométrie, un générateur de frise chronologique ou je ne sais quoi d’autre en ligne peut bien entendu s’avérer intéressant pour la branche concernée, mais n’a strictement aucun intérêt en terme d’apprentissage de l’utilisation d’un ordinateur.

Quatrièmement, en admettant que l’ensemble des enseignants veuillent jouer le jeu de manière intelligente et concentrer les efforts sur la bureautique, un gros problème de coordination va se poser: qui va enseigner quoi et à quel moment. Le secondaire I n’est pas le primaire et ce n’est pas un mais une dizaine d’enseignants différents qui sont en charge de la formation de chaque élève. Et même au cas où une répartition détaillée des divers objectifs à atteindre en informatique avait lieu, des problèmes d’accès aux salles d’informatiques peuvent surgir. Toutes les communes ne sont pas forcément dotées de nombreuses salles équipées en ordinateurs et, par conséquent, leur utilisation par l’ensemble des enseignants complique singulièrement la tâche.

Et je ne parle même pas de l’aspect dactylographique qui n’entre tout simplement pas en considération. A supposer donc que les élèves apprennent le minimum en terme d’utilisation des logiciels, les programmes scolaires ne leur permettront de toute manière pas de taper d’une manière et à une vitesse convenable.

Le constat est évident: considérer que l’apprentissage de la bureautique doit se faire par le biais des autres branches est un pari plus que risqué qui risque fort de se retourner contre ses initiants. Ce d’autant plus que puisque l’informatique n’est pas évaluée, les moyens de savoir où ils en sont en la matière sont extrêmement réduits. Avec la suppression de la note disparait un des plus puissants moteurs de mise en activité de l’élève. Croire qu’à cet âge-là, ils sont suffisamment responsables pour approfondir eux-mêmes la question relève de la naïveté la plus totale. Bien sûr, ici aussi des exceptions existent, mais dans l’ensemble il ne faut pas rêver.

Reste donc à savoir si, au moins, l’informatique peut être un outil efficace pour l’enseignement des autres branches. Afin de mesurer l’impact des nouvelles technologies sur l’apprentissage, tournons-nous vers la méga-analyse Visible Learning réalisée par John Hattie qui fait, à ce jour, référence en terme de mesure d’efficacité de diverses pratiques scolaires. Selon cette étude synthétisant des données issues de plus de 50’000 études menées auprès de plus de 80’000’000 d’élèves, l’impact de l’utilisation des nouvelles technologies dans les salles de classe est assez faible. Alors qu’Hattie fixe la moyenne de l’acceptable en terme d’efficacité à un effet d’ampleur de 0.4, l’ensemble des variables concernant les nouvelles technologies confondues, obtiennent une moyenne de 0.22 (1). Par conséquent, si cela n’en fait pas un outil inutile, ce n’est pas non plus une révolution spectaculaire.  Si l’on considère en plus dans l’équation, les coûts générés par l’installation massive d’ordinateurs dans les écoles, il faut bien admettre que de nombreux critères autres, nettement meilleur marché, permettent de bonifier d’une manière tout aussi efficace (voir plus) l’enseignement.

Je conclurai ce billet sur une anecdote ne concernant pas vraiment les niveaux concernés par cette réforme: une étude menée récemment aux Etats-Unis démontre que l’utilisation de l’informatique dans le processus de prise de note s’avère moins efficace que le crayon. La raison en est qu’une personne qui prend des notes grâce aux nouvelles technologies a tendance à reproduire textuellement les exposés sans traiter mentalement l’information (2).

Loin d’être une avancée majeure dans l’histoire de l’école, l’informatique risque donc bien, si l’on s’en tient à la perspective du PER, de prendre la forme d’un retentissant échec. Mais après tout, en termes de réformes absurdes, on n’est plus à ça près.

 Stevan Miljevic, le 7 juin 2014

https://stevanmiljevic.wordpress.com

(1) https://docs.google.com/file/d/0B9acqT9DN0pjUE5tbi1aREc2V2s/edit

(2) http://pss.sagepub.com/content/early/2014/04/22/0956797614524581

Les compétences sont impossibles sans les connaissances

Plus j'avance et plus je m'interroge sur le rapport entre connaissances et compétences. Je rappelle qu'en géographie et histoire, le plan d'étude romand a plus ou moins passé les connaissances par pertes et profits pour les remplacer par des compétences. Enfin tout du moins par quelque chose qui s'y rattache puisque dans plusieurs cas, lorsqu'on met le plan d'étude en pratique, ce qui semble être une compétence n'est rien d'autre que la capacité de faire des analyse de texte de faible difficulté ou d'analyser des diagrammes eux aussi pas très compliqués. Prenons par exemple les objectifs d'identifications d'acteurs, d'actions ou je ne sais quoi d'autre qu'on retrouve en géographie: il s'agit ni plus ni moins que de prendre connaissance d'un ou plusieurs documents et d'en extraire des informations, ce qui n'a rien de propre au géographe et que l'on retrouve dans l'enseignement du français et des mathématiques. A une nuance près, c'est que ce qui est vu en français et mathématiques est généralement plus complexe que ce que nous faisons en histoire-géo: les textes sont plus longs, avec des spécificités stylistiques plus poussées, les graphiques sont plus fins etc. Autant dire que lorsque de tels objectifs sont travaillés en histoire-géo, on fait du sous-français et des sous-mathématiques.

Ceci dit, il y a d'autres cas où le PER prône réellement l'acquisition de compétences. Pour autant bien sûr que celles-ci soient travaillées sérieusement et pas de manière minimaliste comme c'est bien souvent le cas. Répondre à des questions qui téléguident complètement le raisonnement à obtenir sans que celui-ci ne soit jamais synthétisé et sans que l'élève ne soit à un moment donné confronté aux documents sans le questionnement n'a rien à voir avec le fait de travailler des compétences. Par exemple, si vous voulez travailler les distinctions existantes entre le récit d'un témoin et un texte historique et que vous vous contentez de mettre en parallèle ces deux textes avec des questions précises sans jamais en arriver au stade où l'élève peut faire cette analyse sans les questions, alors vous n'avez rien travaillé de plus que de l'analyse de texte une nouvelle fois.

En définitive, la manière dont le PER formule les objectifs d'apprentissage est suffisamment mal foutue (malgré sa tendance maladive à la complexité) pour qu'on puisse ne jamais réellement travailler les compétences exigées tout en le respectant à la lettre. Mais je m'égare, ceci n'est pas l'objet de ce billet. Revenons-en donc au rapport entre compétences et connaissances. Le neuroscientifique Daniel Willingham a traité du sujet dans un de ses livres. Quelques extraits:

Les facultés intellectuelles que nous voulons stimuler chez nos élèves (réfléchir de manière logique avec un regard critique) sont indissociables de la culture générale. Tout d'abord, sachez que, la plupart du temps, quand on croit qu'une personne réfléchit logiquement, elle ne se sert en fait que de sa mémoire. (…) la mémoire est le processus cognitif de premier recours, Quand vous êtes confronté à un problème, vous allez commencer par chercher la solution dans vos souvenirs, et si vous en trouvez une, vous allez très certainement vous en servir. Cette méthode est facile et souvent efficace; vous vous souviendrez probablement de la solution à un problème parce qu'elle a fonctionné la fois précédente, pas parce qu'elle a échoué. (…) Pour résoudre des problèmes, les gens se servent de leur mémoire plus souvent qu'on ne le pense. Par exemple, on a constaté que la plus grande différence entre les meilleurs joueurs d'échecs du monde n'est pas leur raisonnement tactique ni leur longue réflexion avant d'effectuer le moindre déplacement; c'est plutôt leur souvenir des différentes positions et situations possibles. (…) ce qui différencie les meilleurs joueurs des autres, c'est la mémoire. Quand des joueurs d'échecs de haut niveau choisissent un mouvement, ils commencent par évaluer le jeu, en décidant quelle partie de l'échiquier est la plus critique, en repérant lesquelles de leurs pièces ne sont pas assez protégées et celles qui sont faciles à attaquer du côté adverse… Or un joueur a forcément déjà eu affaire à des situations semblables sur l'échiquier et, puisque son analyse du jeu repose sur son souvenir, elle lui prend très peu de temps- seulement quelques secondes. (…) la grande majorité de leurs coups est effectuée de mémoire, ce qui leur prend très peu de temps. C'est pourquoi les meilleurs joueurs restent excellents, même lors des tournois de blitz. Après avoir observé ces joueurs professionnels, des psychologues ont estimé qu'ils doivent avoir environ cinquante mille positions sur l'échiquier enregistrées dans leur mémoire à long terme! Par conséquent, la "culture générale" - dans le sens de "connaissances contenues dans la mémoire" - est décisive même pour les échecs, alors même que ce jeu est considéré comme un prototype de jeu de raisonnement.

Mais tous les problèmes ne peuvent pas être résolus par le simple souvenir de cas semblables. Il nous est parfois nécessaire de réfléchir, bien sûr. Mais même dans ce cas, la culture générale nous aide. (…)  Voici un exemple dont vous avez déjà peut-être fait l'expérience: un ami entre dans une cuisine qui n'est pas la sienne- la vôtre par exemple- et prépare rapidement un bon dîner avec la nourriture dont il dispose, à votre grande surprise. Pourquoi? Parce que, quand cet ami regarde dans votre placard, il ne voit pas des ingrédients, il voit des recettes. (…)

Pourquoi est-ce que je vous explique tout cela? Parce que le regroupement d'informations s'applique à l'enseignement. Prenez deux élèves dans un cours d'algèbre. Le premier n'est pas très à l'aise avec la distributivité, l'autre la connait sur le bout des doigts. Quand le premier élève essaie de résoudre le problème et voit a(b+c), il n'est pas sûr que ce soit la même chose que ab+c, b+ac ou ab+ac. Il va donc faire une pause et remplacer les lettres a(b+c) par des chiffres pour être sûr de lui. Le second élève "voit" a(b+c) d'un seul coup et il n'a pas besoin de faire de pause et d'encombrer sa mémoire de travail avec ces considérations. Le second élève a nettement plus de chances de réussir le problème.

Un dernier point sur le rapport entre connaissances et compétences: quand un expert explique ce qu'il fait, la façon dont il réfléchit dans sa discipline, nous avons besoin d'avoir certaines connaissances relatives à son domaine d'expertise. Prenons les scientifiques, par exemple. Nous pouvons expliquer à nos élèves la façon dont raisonnent les scientifiques et il se peut qu'ils mémorisent ces explications. Nous pouvons dire aux élèves qu'au moment d'interpréter les résultats d'une expérience, les scientifiques s'intéressent particulièrement aux résultats "anormaux", c'est à dire aux résultats auxquels ils ne s'attendaient pas. Pourquoi? Parce que ces résultats inattendus leur prouvent que leurs connaissances sont incomplètes, que cette expérience met en jeu des éléments qui leur sont encore inconnus. Mais pour obtenir des résultats inattendus, encore faut-il avoir des attentes! Et pour avoir des attentes, il faut avoir un certain nombre de connaissances. Ainsi, ce que nous expliquons à nos élèves sur les stratégies de réflexion de scientifiques - sur les compétences, donc - est inutile si nous ne leur avons pas auparavant enseigné les connaissances nécessaires.

Cela s'applique généralement à l'histoire, aux langues étrangères, à la musique… Les généralités que l'on inculque aux élèves sur la réflexion et le raisonnement peuvent sembler indépendantes de toute culture générale, mais pour appliquer ces théories, on en a réellement besoin. (1)

En partant de l'avis d'un spécialiste mondialement réputé, j'en conclus donc que le dispositif mis en place par le Plan d'Etude Romand dans les branches éducatives et culturelles que sont la géographie et l'histoire est totalement erroné et place la charrue avant les boeufs. Conclusion: Machine arrière toute!

(1) Daniel Willingham "Pourquoi les enfants n'aiment pas l'école! La réponse d'un neuroscientifique", édition La Librairie des Ecoles, Paris, 2010, p.37 à 42

Le plan d’étude romand : une machine à fabriquer des incultes…

J'ai fourni, il y a quelques temps de cela, une première ébauche d'analyse du plan d'étude romand concernant le secondaire I. Du moins sous l'angle de la liberté pédagogique par rapport à l'histoire et à la géographie. Les lectures et l'approfondissement aidant, je me rends compte que mon analyse était bien trop superficiel et que le mal est beaucoup plus profond que cela.

La pédagogie de projet, colonne vertébrale du plan d'étude

Tout d'abord, le PER se décrit lui-même comme "un projet global de formation".

projet global de formation

J'ai, dans un premier temps, cru qu'il s'agissait là d'un "projet" au sens où les décideurs avaient un projet qu'ils avaient décidé de mettre en vigueur. Je dois dire que j'ai été d'une naïveté stupéfiante puisque les précisions édictées par le canton du Valais pour une bonne mise en pratique des activités créatrices et manuelles dit explicitement que

La rédaction du PER a été élaborée afin de privilégier la pédagogie de projet (1).

Outre cette première précision ne laissant déjà subsister aucun doute, plusieurs exigences du PER vont dans le même sens:

En activité créatrices et manuelles toujours:

Conception, élaboration et réalisation d'un projet personnel (2)

En arts visuels:

Conception, élaboration et réalisation d'un projet (3)

Dans le volet Formation générale de l'aperçu des contenus à l'usage des parents, enseignants, étudiants et responsables scolaires:

choix et projets personnels - orientation scolaire et professionnelle. Cette thématique est commune à plusieurs disciplines et permet aux élèves de mener un travail où une grande partie des choix et de l’organisation lui incombent. Au cycle 3, elle accompagne les élèves dans la constitution d’un projet scolaire et/ou professionnel (4).

Le PER consacre donc la pédagogie de projet comme élément central de la quasi totalité des branches non intellectuelles de l'école romande, ce qui constitue, en premier lieu, une violation flagrante de la liberté pédagogique des enseignants. Si certains professeurs veulent procéder de la sorte, je n'y vois aucun problème, en revanche, il n'est pas justifié d'imposer une méthode de travail aux autres. Ce d'autant plus que cette méthode de travail n'a, à ma connaissance et à ce jour, reçu aucune confirmation de son efficacité par des études empiriques d'envergure (5).

Pour être plus exact, les quelques informations qui sont à notre disposition auraient plutôt tendance à faire pencher la balance mais dans l'autre sens.  Ainsi le cas de la Belgique où une implantation massive de la pédagogie de projet a été tentée au tournant du siècle a amené B. Rey, en guise d'évaluation de cette implantation, à affirmer que:

C’est sur le plan de la dynamique pédagogique propre à l’école que nous avons eu des résultats surprenants voire paradoxaux. Nous nous attendions à ce que soient plus performants les élèves des écoles qui nous avaient été signalées par les inspecteurs comme engagées dans des projets pédagogiques novateurs (l’implantation de la pédagogie de projet). Non seulement nous n’avons pas constaté cette tendance, mais dans certains cas les résultats provenant d’écoles réputées dynamiques ont été particulièrement mauvais (6).

A ce constat, il faut ajouter que, par sa nature même, la pédagogie de projet se trouve étroitement liée à la pédagogie de l'enquête dont John Hattie, référence absolue en terme d'étude empirique à ce jour, a mesuré un effet d'ampleur de 0.31 et à la pédagogie de l'apprentissage par situation-problème mesurée, elle, a un effet d'ampleur ridiculement faible de 0.15 alors que Hattie fixe le seuil des pratiques vraiment efficaces à 0.4 (7).

En conséquence, en l'état actuel des choses, il faut bien admettre que les décideurs ont introduit massivement dans l'école romande un concept dont l'efficacité n'est absolument pas avérée. Un projet dont il faut dire en sus qu'il est extrêmement chronophage et qu'il demande de la part des enseignants toute une séries de compétences qu'ils ne possèdent pas forcément.

A ces aspects qui devraient déjà suffire à questionner radicalement ceux qui ont pris une telle décision, il faut ajouter que lorsqu'on habitue des élèves à pouvoir travailler de cette manière, le risque est réel qu'ils désirent procéder de la sorte partout et se mettent à se braquer face aux enseignants des autres branches qui voudraient pouvoir travailler autrement et efficacement.

Louanges du collectivisme

Comme si cela ne suffisait pas, le PER va encore plus loin: non seulement il s'agit de faire la part belle à la pédagogie de projet, mais, de surcroît, il s'agit également de faire des projets collectifs. On trouve ainsi dans le PER les exigences suivantes:

Activités créatrices et manuelles:

Choix d'un thème et implication des élèves dans la réalisation d'une exposition, d'une œuvre collective, d'un objet, d'un projet (spectacle, exposition, fresque en haut-relief, construction,…) (8)

Musique:

Choix d'un thème et implication des élèves dans la réalisation d'une représentation musicale, d'une œuvre, d'un projet (spectacle, exposition,…) (9)

et

Réalisation d'une activité musicale interdisciplinaire (théâtre, langues, histoire, géographie,…). Présenter l'activité interdisciplinaire dans le cadre d'un projet de groupe, de classe ou d'établissement (10)

Arts visuels:

Choix d'un thème et implication des élèves dans la réalisation d'une exposition, d'une œuvre collective, d'un objet, d'un projet (spectacle, exposition, fresque, journal,…) (11)

Si l'aspect coopératif du travail en équipe obtient un effet d'ampleur tout juste acceptable chez Hattie (0.41 pour une moyenne de l'acceptable à 0.4) en revanche, il semble que la participation des élèves à des projets collectifs n'ait pas un impact positif sur la réussite des élèves comme l'atteste un rapport de recherche sur l’environnement éducatif dans les écoles publiques par l’université de Montréal réalisé en octobre 2008. 65 établissements d’enseignement secondaire de la région ont été étudiés dans le cadre de ce travail. Il en ressort que plus les élèves sont impliqués dans des activités de type collectiviste plus leur taux d’obtention de diplôme s’effondre comme l'atteste le diagramme suivant:

projet

 

 

 

 

(12)

 

Tout ceci ne permet pas non plus de rendre compte du chaos qui peut s'installer dans les classes lorsque les élèves travaillent sur des projets communs. Ni d'ailleurs de l'effet de parasitage obtenu lorsque les élèves volontaires font le travail de ceux qui n'ont pas envie de s'impliquer dans la démarche.

Le PER ne se contente pas d'implanter de force l'aspect pédagogie coopérative en totale contradiction avec la liberté pédagogique des enseignants concernés dans les branches qualifiables de manuelles, il a  la prétention de faire déborder cet excès sur les autres branches comme en témoigne l'injonction faite en musique de travailler de manière interdisciplinaire.

Et comme cela ne suffit pas, le chapitre des capacités transversales impose:

Des activités de groupe sont pratiquées dans toutes les disciplines (13).

Dans "Vivre ensemble et exercice de la démocratie" (oui oui ils ont osé..):

L'élève participe à des projets en s'investissant dans les collaborations nécessaires (14).

Autrement dit, aucun enseignant n'est épargné par le dogme collectiviste. Et ce même s'il désire user de méthodes plus efficaces.

Enquêtes, découvertes et situations problèmes

Même si les socio-constructivistes n'ont pas réussi (pour le moment) à imposer la pédagogie de projet partout, n'allez pas croire que les branches dont il n'a pas été question jusqu'ici soient préservées de cette idéologie.. Jugez en par vous-mêmes:

histoire-géographie-citoyenneté:

L'élève mène des enquête (15).

Allemand dans la catégorie ayant trait à la lecture de textes:

Observation et découverte de règles (place des éléments, constructions avec auxiliaires de mode, particules séparables, subordonnées et infinitives,…) (16)

Pour faire simple: la grammaire n'est pas enseignée au préalable, elle doit être découverte au travers de la lecture de textes.

Education nutritionnelle:

Observation des réactions des éléments nutritifs lors de préparations culinaires et de modes de cuisson (oxydation, coagulation des protéines,…), Recherche de la valeur nutritionnelle des différents groupes d'aliments et produits alimentaires, Recherche des besoins nutritionnels : vitamines, protéines, sels minéraux, glucides, lipides, oligo-éléments pour un bon fonctionnement du corps (formation du squelette, des muscles, protection contre les maladies, énergie du corps, hydratation du corps,…) (17)

Les verbes utilisés sont clairs: pas question d'expliquer tout cela au préalable aux élèves, ils doivent le découvrir par eux-mêmes. Et ce alors que la pédagogie d'enquête/découverte obtient, comme déjà relevé, un médiocre effet d'ampleur de 0.31 (rappel: Hattie fixe le seuil des pratiques vraiment efficaces à 0.4).

Le cas des mathématiques est encore plus grave:

Résolution de problèmes (...) par (ndlr: entre autre)

  • ajustement d'essais successifs
  • pose de conjectures, puis validation ou réfutation
  • déduction d'une ou plusieurs informations nouvelles à partir de celles qui sont connues (18)

Il faut être cohérent: d'autres formes de pédagogie permettent l'enseignement de la résolution de problème (notamment de manière explicite, avec un effet d'ampleur largement supérieur se fixant à 0.61). Mais les seules qui obligent à ce que l'élève passe par des ajustements d'essais successifs, la pose de conjectures validées ou réfutées et la déduction d'infos nouvelles par rapport à ce qui est déjà connu sont la pédagogie de découverte (effet d'ampleur 0.31) ou l'apprentissage par situation-problème (effet d'ampleur 0.15).

En effet, si la méthode nécessaire à la résolution des problèmes est donnée avant que les élèves ne se lancent dans cette résolution, si elle est bien expliquée, alors les élèves n'auront pas besoin de tâtonner comme l'exige le PER pour les résoudre. Remarquez bien que l'imposition de cette méthode ne touche pas à certains chapitres particuliers des mathématiques mais à l'ensemble de ceux-ci, ce qui ne laisse aucun doute sur la volonté de contraindre les enseignants à utiliser des tactiques idéologiques complètement inefficaces pour enseigner.

Dans ce fatras d'inepties, le sommet est vraisemblablement atteint dans le domaine de l'éducation physique puisque le plan d'étude va jusqu'à imposer une

Évaluation formative par les pairs d'une production selon des critères fixés (tenue du corps, choix du support acoustique, fonctionnement du groupe, originalité, expression,…) (19)

Si l'évaluation formative est une excellente pratique, imposer que celle-ci soit faite par les autres élèves est tout simplement ahurissant. Au final, il ne manque en fait que l'imposition de la différenciation (mais peut-être l'ai-je loupée?) pour que la coupe soit pleine.

La disparition (ou presque) des connaissances dans les branches culturelles

Au délà de ces considérations portant sur l'imposition dictatoriale de certaines méthodologies, je vais revenir rapidement (je reviendrai plus en détail dans un futur billet) sur la problématique connaissances ou compétences dans les branches culturelles que sont l'histoire et la géographie. Je reste convaincu que les deux aspects doivent être traités. Cependant, si on se réfère au PER, fort peu d'éléments ont trait à l'acquisition de connaissances. La manière dont le plan d'étude est rédigé laisse ouverte la porte à celles-ci, mais, force est de reconnaitre que l'écrasante majorité de ce qui y est prescrit a trait aux compétences. Je ne vais pas revenir en détail sur le fait que la culture générale est bien plus utilisée que ce que l'on veut bien le dire mais sur un autre fait important qui a été porté à mon attention. Le spécialiste en psychologie cognitive qu'est Daniel Willingham affirme que les compétences sont impossibles sans les connaissances. Il va même plus loin en affirmant que la quantité d'informations que nous sommes capables de retenir dépend de la quantité d'informations factuelles (donc de connaissances) que l'on possède déjà. Toute nouvelle information que nous tentons de retenir le sera beaucoup plus facilement si elle peut être reliée à des éléments de culture générale que nous possédons déjà au préalable (20). En faisant la quasi impasse sur les connaissances, le PER contribue à créer une société de l'ignorance avec un savoir et donc, conséquemment, des compétences restreintes.

Conclusion

Si l'analyse précédente ne porte que sur le troisième cycle du PER, nul ne doute que les deux premiers cycles subissent les mêmes outrages. L'ensemble de ce qui a été dit jusqu'ici devrait nous amener à exiger certaines réponses de la part des décideurs qui ont pondu le PER. Ce d'autant plus que la CIIP dont dépend le PER a adopté en 2003 une déclaration sur les finalités et objectifs de l'école publique qui stipule noir sur blanc que

L'Ecole publique assume des missions d'instruction et de transmission culturelle auprès de tous les élèves (…) (21).

Or, manifestement, tout ce qui a été dit jusque là ne relève pas de la transmission culturelle et aurait plutôt tendance à empêcher cette transmission. Puisque la quasi-totalité des branches est touchée (le français semble encore épargné), il est quasi impossible de considérer que l'école publique assume sa mission. L'école publique que prône le PER ne transmet rien ou presque.

Devant l'avalanche de ces constats, les décideurs doivent répondre aux questions suivantes:

- Comment justifient-ils l'implantation de méthodes largement moins efficaces que des techniques explicites pour l'acquisition de connaissances et compétences?

- Ont-ils consulté ce que disent les recherches empiriques sérieuses ou se sont-ils contenté d'interroger certains spécialistes dont les propos relèvent plus des discussions de bistrot que d'une expertise empiriquement fondée?

- Comment justifient-ils l'imposition de telles méthodes au mépris de la liberté pédagogique des enseignants?

- L'école doit-elle contribuer au développement des capacités mémorielles des individus?

Parce qu'honnêtement, au vu des mes investigations, j'ai vraiment l'impression qu'on a mis sur pied une machine à fabriquer des incultes, voir des analphabètes.

Stevan Miljevic, le 22 mars 2014

http://stevanmiljevic.wordpress.com

Notes de bas de page

(1) http://www.plandetudes.ch/documents/10253/13159/VS+-+AC&M.pdf consulté le 18 mars 2014
(2) http://www.plandetudes.ch/web/guest/A_31_ACM/ consulté le 19 mars 2014
(3) http://www.plandetudes.ch/web/guest/A_31_AV/ consulté le 19 mars 2014
(4) http://www.plandetudes.ch/documents/10136/19192/Cycle+3+web+CIIP/75420548-b10b-4a5b-af1c-dd7d27b70ca5 p.30 consulté le 19 mars 2014
(5) http://www.crifpe.ca/download/verify/187 consulté le 17 mars 2014
(6) B. Rey "Création d’épreuves étalonnées en relation avec les nouveaux socles de compétences pour l’enseignement fondamental", Belgique, 2001, p.82 cité dans S.Bissonnette, M.Richard et C.Gauthier "Echecs scolaires et réformes éducatives: quand les solutions proposées deviennent la source du problème", les presses de l’université Laval, 2005, p.84
(7) http://visible-learning.org/hattie-ranking-influences-effect-sizes-learning-achievement/ consulté le 17 mars 2014
(8) http://www.plandetude.ch/web/guest/A_34_ACM/ consulté le 19 mars 2014
(9) http://www.plandetude.ch/web/guest/A_34_Mu/ consulté le 20 mars 2014
(10) http://www.plandetude.ch/web/guest/A_31_Mu/ consulté le 20 mars 2014
(11) http://www.plandetude.ch/web/guest/A_34_AV/ consulté le 20 mars 2014
(12) http://www.reseaureussitemontreal.ca/centredoc/recherches/environnement_educatif_diplomation.pdf p.55 consulté le 7 décembre 2013
(13) http://www.plandetude.ch/documents/10136/19192/Cycle+3+web+CIIP/75420548-b10b-4a5b-af1c-dd7d27b70ca5 p.28 consulté le 20 mars 2014
(14) http://www.plandetudes.ch/web/guest/FG_34/ consulté le 22 mars 2014
(15) http://www.plandetude.ch/documents/10136/19192/Cycle+3+web+CIIP/75420548-b10b-4a5b-af1c-dd7d27b70ca5 p.14-15 et 16 consulté le 20 mars 2014
(16) http://www.plandetudes.ch/web/guest/L2_31/ consulté le 21 mars 2014
(17) http://www.plandetudes.ch/web/guest/CM_35/ consulté le 21 mars 2014
(18) http://www.plandetude.ch/web/guest/MSN_31/
        http://www.plandetude.ch/web/guest/MSN_32/
        http://www.plandetude.ch/web/guest/MSN_33/
        et http://www.plandetude.ch/web/guest/MSN_34/ consultés le 20 mars 2014
(19) http://www.plandetudes.ch/web/guest/CM_32/ consulté le 21 mars 2014
(20) Daniel Willingham "Pourquoi les enfants n'aiment pas l'école! La réponse d'un neuroscientifique", La Librairie des Ecoles, Paris, 2010, P.37 à 45
(21) http://www.plandetudes.ch/documents/10136/19192/Cycle+3+web+CIIP/75420548-b10b-4a5b-af1c-dd7d27b70ca5 dans les pages introductives consulté le 22 mars 2014

Quid de la liberté pédagogique dans le plan d’étude romand?

Au préalable je veux préciser qu'il ne sera pas question dans ce billet de la pertinence ou non des attentes fixées par le Plan d'Etude Romand (PER). Ce sujet sera vraisemblablement traité dans un futur article. Il ne sera donc question que du rapport qu'entretient le PER avec la liberté pédagogique. Car s'il y a bien une notion sacrée dans le petit monde de l'enseignement, c'est celle de liberté pédagogique. Chaque enseignant a ses sensibilités propres, ses techniques personnelles et il est largement plus efficace lorsqu'il officie en usant de méthodes qui le mettent à l'aise. Un enseignant dont on force les usages ne sera jamais efficace.

Si certaines pratiques doivent être dénoncées avec ardeur, ce n'est pas pour les interdire dans les salles de classe. Non, il s'agit plutôt de promouvoir ce qui est réellement efficace dans les cursus de formation et de fournir aux maitres des outils de travail en adéquation avec ces manières de faire statistiquement validées comme supérieures. Après, chacun doit être libre d'agir différemment s'il en ressent la nécessité. Les autorités scolaires ont donc la tâche de promouvoir et non d'imposer les pédagogies les plus efficaces. Pas celles que certains auteurs déclarent comme telles sans avoir aucune base de comparaison sérieuse, mais celles dont on a clairement mesuré la supériorité par le biais de comparaisons à grande échelle. L'unique cas où la liberté pédagogique peut être mise en cause réside dans un manque flagrant de résultats attribuable objectivement aux pratiques du maître.

Si l'écrasante majorité de mes collègues adhèrent vraisemblablement dans les grandes lignes à ces dires, il semble qu'au niveau des instances dirigeantes ce ne soit pas toujours le cas. Les concepteurs du plan d'étude romand ne semblent pas sur cette longueur d'onde. Tout particulièrement ceux qui ont rédigé les programmes d'histoire et de géographie.

Un plan d'étude est un document qui recense les objectifs que les enseignants doivent faire atteindre à leurs élèves. On distingue grosso modo deux types d'objectifs: les connaissances et les compétences. Connaitre une date, une règle de grammaire ou une série de mots est de l'ordre de la connaissance. Du côté des compétences, on peut lister des habilités telles que savoir lire une carte, construire des schémas ou analyser la nature de sources historiques. Les compétences sont donc des méthodes enseignables et mobilisables par les élèves pour résoudre des situations problématiques. Elles ne doivent pas être confondues avec les méthodes d'enseignement qui, elles, n'ont strictement rien à faire dans un plan d'étude. Afin de distinguer clairement les compétences attendues des élèves des méthodes d'enseignement, on attend des élèves qu'ils soient capables par eux-mêmes d'appliquer de manière autonome les premières alors que les secondes consistent en des mises en situation dans le cadre scolaire et ne sont donc pas forcément applicables de manière autonome. Dans le premier cas, l'élève sait faire quelque chose tout seul, dans le second il est mis par l'enseignant dans une certaine situation n'impliquant pas un quelconque savoir/savoir-faire.

Ainsi, lorsque les fascicules fournissant un aperçu des contenus du Plan d'Etude Romand  à l'intention des parents, enseignants, étudiants et responsables scolaires disponibles sur le site du PER présentent "l'élève mène des enquêtes" (1) comme objectif d'apprentissage, ils outrepassent largement leurs attributions. Mener une enquête n'est pas un objectif d'apprentissage à atteindre mais une méthode dont dispose l'enseignant pour faire travailler ses élèves. Une méthode qui, soit dit en passant, n'atteint que des faibles rendements bien inférieurs à la moyenne si l'on se fie à la principale étude sortie à ce jour sur les différentes méthodes pédagogiques. (2)

Quiconque creuse un peu plus le sujet réalise rapidement qu'il ne s'agit en fait que de la partie émergée de l'iceberg. Le PER ne se contente en effet pas d'indiquer des contenus aux professeurs d'histoire-géographie mais bien la manière de les enseigner. Comment expliquer sinon que la lecture (et la comparaison) de cartes en géographie soit un objectif à atteindre durant les trois années du cycle d'orientation? Apprendre à lire une carte est effectivement un objectif que l'on peut travailler, mais lorsque celui-ci est signalé comme tel pour l'ensemble des 3 années (3) et dans la totalité des thématiques à traiter en géographie (3 par année) (4), il n'y a plus d'hésitation possible. Apprendre à lire une carte n'est pas très compliqué: il s'agit de prendre l'habitude de lire la légende, puis de repérer sur la carte les éléments pertinents décrits dans la légende et de les relever. Si un enseignant a besoin de 2 cours pour enseigner cette habilité, c'est un grand maximum (Allez, allons jusqu'à 3…). Mais il n'est en tout cas pas question d'en faire un objectif nécessitant trois ans d'apprentissage. En fait, en matière de sciences humaines, le PER regorgent d'instructions de la sorte.  Qu'on pense à l'exigence faite de traiter les différentes thématiques d'histoire par le biais de démarches historiennes (5). Nul doute que les démarches historiennes peuvent être un objectif d'apprentissage en elles-mêmes. En revanche, l'obligation faite de traiter les thématiques historiques au travers de ce biais les fait allègrement sortir de la case objectif pour rejoindre celle de la méthodologie imposée. Tout aussi parlante est l'attente fondamentale exigeant qu'à la fin du cycle l'élève identifie les références historiques dans les représentations documentaires, ou de fiction (6). La seule manière d'identifier ce qui est faux ou vrai dans une oeuvre de fiction est d'avoir un certain bagage de connaissances. Lorsqu'un élève prend une bande dessinée d'Astérix, sa seule chance de savoir si effectivement l'empereur romain baissait le pouce ou non pour condamner un gladiateur comme lui suggère l'ouvrage est d'avoir appris si ce fait est sérieux oui ou non. Les supports (films, BDs etc) peuvent être multipliés à l'infini, il est impossible d'identifier des références historiques sans les connaissances. La bonification de cette capacité d'identification des élèves par la multiplication de ces supports ou par le biais d'une technique d'analyse qui serait enseignée n'existe pas. En conséquence, il s'agit une nouvelle fois d'une injonction à utiliser une certaine méthode d'enseignement. D'ailleurs le PER ne s'en cache même pas puisque des indications pédagogiques (varier le choix des oeuvres et médias proposés) sont fournies à ce sujet.

L'utilisation systématique des verbes identifiercompareranalyser et décrire dans le plan d'étude pour l'histoire-géo est une autre illustration de cette dérive contre la liberté pédagogique des enseignants. Identifier n'est pas connaitre. Quand il est demandé en géographie que soit faite une identification des différents acteurs  (7) ou une identification des stratégies (…) développées par les différents acteurs sur le terrain (8) il n'existe pas de technique généralisable qui permette à l'élève à coup sûr par la suite d'identifier des acteurs ou des stratégies dans une situation quelconque. Cela ne s'enseigne pas. Il est donc clair qu'il s'agit de mise en pratique et non d'un objectif d'apprentissage. Il en va de même pour un intitulé du type Analyse d'une situation de dominance et/ou de conflit lié à la gestion et/ou à l'accès à l'eau (9). Il n'y a aucune règle ou méthode généralisable qui puisse être déduite et donc transmise aux élèves, ce qui signifie que nous ne sommes pas en face d'une exigence d'apprentissage mais d'une exigence de mise en situation. Enfin, lorsqu'il est demandé que soit faite description (…) de l'organisation de l'état fédéral, il ne s'agit pas de faire apprendre à l'élève l'organisation de ce même état fédéral sinon, le terme utilisé aurait été acquisition par exemple. Le PER est en effet suffisamment précis dans les termes qu'il utilise pour ne pas prêter à confusion. Quiconque a encore besoin d'éléments pour se convaincre des dérives pédagogiques autoritaires du PER peut jeter un oeil aux documents émis par les différents départements de l'instruction publique. Il n'existe aucun cas où l'élève apprend à faire ces analyses et autres identifications de manière autonome. L'élève sera systématiquement guidé par une batterie de questions allant dans ce sens. Il ne s'agit donc pas d'objectifs d'apprentissage mais d'établir un contrôle total sur les pratiques de l'enseignant et de faire dévier celles-ci au maximum dans le sens des pédagogies constructivistes. Remarquons au passage qu'une fois allégé de l'ensemble de ces occurrences il ne reste plus grand chose au plan d'étude romand dans les domaines de la géographie et de l'histoire. Surtout si en plus on retire également les formulations d'hypothèses. Il faut être sérieux un instant, une hypothèse est par définition un dire dont on ne sait pas s'il est valide ou non. Par conséquent, à chaque fois que les élèves répondent à une question, de manière correcte ou non, ils formulent une hypothèse. Il n'est pas possible de considérer qu'il s'agit là d'un objectif d'apprentissage puisque l'élève peut dire n'importe quoi, tant que cela est en relation avec la question posée pour poser une hypothèse. Encore une fois il ne s'agit donc pas d'apprendre aux élèves quoi que ce soit.

Si certaines graves entorses à la liberté pédagogique sont aisément identifiables comme les précédentes, d'autres sont un peu moins évidentes. Elles apparaissent sous leur vrai visage lorsque le plan d'étude est mis en relation avec les supports de cours fournis par les départements de l'instruction publique eux-mêmes. Le repérage des éléments essentiels liés au risque dans une illustration ou un film (10) dans la thématique des changements climatiques en géographie fait partie de cette catégorie. En tirant par les cheveux, il aurait été possible d'estimer que le travail d'extraction d'informations d'un documentaire puisse être un objectif. Que cela fasse partie de la géographie aurait pu en surprendre plus d'un mais c'était encore envisageable.  En revanche, lorsque les ressources mises à disposition des enseignants sont passées au crible fin, il ne fait plus guère de doute: nous nous situons à nouveau dans de la méthode imposée. Personne ne peut prétendre que cette compétence ait pu être acquise lorsque cet exercice n'est réalisé qu'à une ou deux reprise dans l'ensemble de la séquence. Dans à peu près n'importe quelle branche, une habilité doit être répétée plusieurs fois pour être bonifiée. Ce d'autant plus que les classes d'histoire-géo valaisannes notamment sont hétérogènes et comportent des élèves de tous niveaux confondus. Les élèves faibles ont besoin de bien plus qu'une simple confrontation pour maitriser une certaine habilité.  Si tel n'était pas le cas, la scolarité obligatoire pourrait être singulièrement réduite. Les génies n'ont pas besoin de beaucoup pour apprendre.

Cette liste de violations de la liberté pédagogique des enseignants n'est pas exhaustive. Elle pourrait certainement être complétée. Elle n'est qu'une simple illustration de ce que les concepteurs du Plan d'Etude Romand ont essayé de faire: à savoir non pas d'élaborer des objectifs d'apprentissage unifiés mais d'uniformiser la manière d'enseigner. Dans un sens qui, vous le devinez, rejoint les courants socio-constructivistes. Ceux-là même qui sont systématiquement démolis par toutes les recherches empiriques sérieuses menées dans le domaine de l'éducation.

Qu'on s'entende bien:  je n'ai rien contre l'utilisation de ces méthodes. Apprendre à lire des cartes, à se servir de celles-ci ou visionner un documentaire pour l'acquisition de nouvelles connaissances peuvent être, suivant l'utilisation qui en est faite, de bonnes pratiques. En revanche, leur imposition par un plan d'étude,  non pas en tant qu'objectifs mais en tant que pratique pédagogique,  est absolument inacceptable. Le Plan d'Etude Romand doit être revisité de fond en comble dans le sens du respect des enseignants et de leurs pratiques.

Stevan Miljevic, le 16 janvier 2014

http://stevanmiljevic.wordpress.com

Notes de bas de page

(1) http://www.plandetudes.ch/documents/10136/19192/Cycle+3+web+CIIP/75420548-b10b-4a5b-af1c-dd7d27b70ca5 p.14-15 consulté le 15 janvier 2014

(2)http://visible-learning.org/hattie-ranking-influences-effect-sizes-learning-achievement/ consulté le 15 janvier 2014. Cette méthode n'obtient un effet d'ampleur que de 0.32 alors que la moyenne de l'ensemble des techniques pédagogiques, toutes confondues y compris les plus farfelues est de 0.40

(3) http://www.plandetudes.ch/web/guest/SHS_31/ consulté le 15 janvier 2014

(4) Plan d'étude romand, Cycle 3, version 2.0, 27 mai 2010 "Mathématiques et Sciences de la nature - Sciences humaines et sociales" 3, p.76-78-80 ou alors sur http://www.plandetuderomand.ch/web/guest/SHS_31/ en ouvrant les différents menus déroulants du fond consultés le 15 janvier 2014

(5) Ibid p. 86 et 92 ou sur http://www.plandetuderomand.ch/web/guest/SHS_32/ dans le menu déroulant du fond consulté le 15 janvier 2014

(6) Ibid p.87 ou sur http://www.plandetuderomand.ch/web/guest/SHS_32/ consulté le 16 janvier 2014

(7) Ibid p.72 ou sur http://www.plandetuderomand.ch/web/guest/SHS_31/ consulté le 16 janvier 2014

(8) ibid p.76 ou sur http://www.plandetuderomand.ch/web/guest/SHS_31/ dans le menu déroulant sur les thèmes de 9ème année consulté le 16 janvier 2014

(9) Ibid p.81 ou sur http://www.plandetuderomand.ch/web/guest/SHS_31/ dans le menu déroulant sur les thèmes de 11ème année consulté le 16 janvier 2014

(7) Ibid p.78 ou sur http://www.plandetuderomand.ch/web/guest/SHS_31/ dans le menu déroulant sur les thèmes de 10ème année consulté le 16 janvier 2014

Apprendre l’histoire, ça sert à quoi?

 Pour tout dire, les grands penseurs du domaine éducatif se sont aussi posé la question. A témoin les changements fondamentaux survenus dans le Plan d'Etude Romand (PER) dans l'enseignement de l'histoire. Si les connaissances factuels n'ont pas entièrement disparues, elles ont largement été supplantées par des démarches historiennes. Il est considéré comme plus important aujourd'hui d'identifier la nature et la diversité des sources historiques, d'analyser ces natures et diversités  ou d'élaborer des propositions de périodisation (NDLR:autres que celles traditionnellement acceptées) (1) que de connaitre la manière dont s'est forgé le monde qui nous entoure. En clair, l'école romande insiste désormais plus sur les méthodes de construction de l'histoire que sur le récit que ces méthodes peuvent nous livrer. Pour faire simple, dès l'école obligatoire, les élèves sont formés à devenir de petits historiens en herbe plutôt qu'à connaitre les résultats des travaux d'historiens.

A titre anecdotique, il est spécifié dans le résumé édité du PER en matière de méthodologie que l'élève mène des enquêtes (2). Il ne s'agit plus là d'objectifs d'apprentissage à atteindre mais de la manière de procéder et donc d'une violation parfaitement inacceptable de la liberté pédagogique de l'enseignant. Cette atteinte est d'autant plus scandaleuse que, selon la méga-analyse réalisée par John Hattie (la référence ultime actuelle en matière d'analyse des méthodes d'enseignement), l'enseignement basé sur l'enquête n'obtient qu'un faible effet d'ampleur (0.31), en dessous de la moyenne des différentes méthodes utilisables (0.40) (3).

Il semblerait que cette volonté de remplacer en partie les connaissances historiques au profit des compétences historiennes vise à faire de cette branche un "élément essentiel  de la culture générale, à la citoyenneté, au développement de l'esprit critique" (4). Si les intentions sont louables, en revanche, il parait peu vraisemblable que le remplacement potentiel des connaissances par des méthodes de travail contribue réellement à faire de l'histoire un élément essentiel de culture générale. Si la démarche d'analyse de documents et de construction de l'histoire a son intérêt, en revanche, il est impératif de redonner aux connaissances factuelles la place qui doit être la leur : lorsqu'un individu se trouve en société, il est plus régulièrement confronté à des conversations touchant à ce domaine plutôt qu'à des questions annexes. La meilleure manière de ne pas passer pour un imbécile et ainsi de mieux s'intégrer en société consiste donc plutôt dans l'acquisition de connaissances historiques plutôt que de compétences.

Pour ce qu'il en est de la citoyenneté et de l'esprit critique, il est nécessaire d'admettre que la première découle en partie du second. Outre la capacité à exercer librement sa pensée, la citoyenneté demande, en préalable, des connaissances sur le cadre de vie dans lequel évolue le citoyen, ainsi que des alternatives possibles. En ce sens, l'histoire se prête admirablement bien à la découverte de concepts tels que les différentes organisations institutionnelles et politiques ayant existé au travers des âges, leurs avantages et inconvénients, les changements sociétaux ayant eu lieu etc. Ce n'est qu'une fois que la connaissance de tous ces aspects est suffisante que peut alors entrer en lice l'esprit critique qui doit permettre au citoyen de choisir librement ce qu'il estime bon, utile ou néfaste. Il n'est en effet pas possible d'émettre un avis/jugement sur quelque chose qu'on ne connait et qu'on ne comprend pas. Les connaissances sont un fondement incontournable pour l'exercice d'une citoyenneté véritable. Non pas des connaissances qu'on a appris par coeur telle une chaîne de mots se suivant mais n'ayant aucun sens, mais des connaissances qu'on a comprises en les emmagasinant. On peut dire ce que l'on veut, mais il n'est pas possible d'atteindre ces objectifs par la simple mise en avant de compétences historiques à l'école.

Enfin, il existe encore au moins un grand domaine malheureusement négligé que l'histoire à l'école permet d'entraîner: la mémorisation. Il faut arrêter de penser qu'une branche scolaire n'a d'intérêt que dans le contenu direct qu'elle amène. Indirectement, elle peut avoir une tout autre utilité. D'une part il s'agit là du mécanisme qui permet l'acquisition des connaissances et se veut donc un incontournable de l'acquisition d'une bonne culture générale, d'un esprit critique tout comme d'une bonne pratique de la citoyenneté. En second lieu, dans la vie de tous les jours, il est important de pouvoir se rappeler de certaines choses. Si cette mise en mémoire n'est pas entraînée et que l'école se contente de permettre aux élèves d'apprendre à utiliser des outils, un manque certain va se faire sentir à la longue. L'histoire et la géographie sont les branches par excellence où l'élève peut entraîner sa mémoire par l'apprentissage de faits, de dates ou toutes autres connaissances factuelles. Supprimer cette dimension, c'est réduire la capacité de mémorisation à long terme des gens. Ce d'autant plus que les personnes qui se livrent par elles-mêmes à des exercices de mémorisation ne sont pas la majorité. De plus, lorsque l'élève s'astreint à mémoriser des données, c'est en même temps le goût de l'effort qu'il apprend: la répétition de données pour arriver à les mémoriser n'est pas des plus intéressantes, mais c'est par ce fastidieux travail de mémorisation que s'ouvrent pour lui les portes de la réussite de l'évaluation (pour autant bien sûr que celle-ci cherche à tester cette forme d'acquisition). Et cette réussite donne la satisfaction du travail accompli, satisfaction qu'on ne retrouve que plus difficilement dans des évaluations ne nécessitant pas le même fastidieux travail en guise de préparation comme peuvent l'être certains tests sur les compétences.

En définitive, il faut reconnaître que si les démarches historiennes ne sont pas inintéressantes et méritent d'avoir une place dans les cursus scolaires, notamment dans le but de favoriser l'acquisition des connaissances, il ne faut pas se tromper et laisser la priorité aux connaissances, bien plus utiles pour le développement des élèves quoi qu'en disent certains. Loin d'être futile, cette question est d'une brûlante actualité puisque de nouveaux moyens d'enseignement en histoire sont en chantier. Espérons que les personnes chargées de concevoir ces nouveaux livres en prennent conscience et ne nous livrent pas, à l'image de ce qui s'est passé en mathématiques il y a quelques années de cela (5), un ouvrage totalement constructiviste dans l'esprit (à savoir complètement focalisé sur les démarches historiennes) donc parfaitement inutile et inutilisable pour quiconque veut permettre aux élèves de réellement s'épanouir et se développer.

Stevan Miljevic, le 5 janvier 2014

http://www.stevanmiljevic.wordpress.com

 

(1) Plan d'Etude Romand, Cycle 3, Version 2.0, 27 mai 2010, "Mathématiques et Sciences de la nature - Sciences humaines et sociales" p.86 à 93

(2)http://www.plandetudes.ch/documents/10136/19192/Cycle+3+web+CIIP/75420548-b10b-4a5b-af1c-dd7d27b70ca5 p.15 consulté le 2 janvier 2014

(3) http://visible-learning.org/hattie-ranking-influences-effect-sizes-learning-achievement/ consulté le 2 janvier 2014

(4) http://animation.hepvs.ch/vs/index.php?option=com_content&view=article&id=95&catid=24&Itemid=145 consulté le 2 janvier 2014

(5) http://www.arle.ch/cycle-dorientation/mathematiques/255-methode-qui-fache-enseignants-maths consulté le 3 janvier 2014