L’analogie, pierre angulaire du monde éducatif?

Les sciences cognitives ont depuis longtemps démontré que tous les choix que nous faisons sont largement tributaires de ce que nous possédons en mémoire. Nos connaissances et expériences dictent la manière dont nous pensons et nous agissons.

Reste à savoir maintenant comment le cerveau fonctionne, de quelle manière il organise et réorganise le contenu sa mémoire lors de ses apprentissages. Comment il traite les données des situations vécues et y donne réponse. Dans un ouvrage récent[1], les cognitivistes Hofstadter et Sandler avancent une réponse plutôt originale : la clé de voûte de tout l’édifice de la pensée résiderait dans les analogies.

Notre cerveau n’aurait de cesse d’élaborer continuellement des analogies entre les situations qu’il rencontre et ce qu’il connait déjà afin d’interpréter ce qui est nouveau et inconnu dans des termes anciens et connus. En clair, toute forme de pensée ne serait rien d’autre que le fruit d’analogies avec les contenus de notre mémoire à long terme.

Comprendre un énoncé dans une perspective analogique

Lorsque des élèves sont confrontés à de nouveaux contenus, ils font inconsciemment des analogies avec des évènements ou avec des notions simples et familières pour eux. C’est par le biais de ces analogies qu’ils pourront acquérir de nouveaux concepts.[2]

Chaque notion nouvelle est comparée à ce qui se situe dans la mémoire à long terme. C’est comme cela que l’élève les appréhende, qu’il construit une représentation de ce qu’il rencontre. Il va systématiquement chercher quelque chose de plus ou moins similaire dans sa mémoire afin de pouvoir interpréter la nouvelle donnée. Par exemple, imaginons un enfant qui connait la soustraction mais à qui on n’a pas encore enseigné les nombres relatifs. S’il se retrouve devant l’intitulé 3 – 8 = ?, il ira chercher une similitude dans la réserve de sa mémoire et réalisera une analogie avec la résolution de la soustraction. Il prendra donc le plus grand des deux nombres (8) et lui soustraira le plus petit (3) pour arriver au résultat de 5.

De ce mode de fonctionnement découle l’idée qu’une mémoire à long terme bien fournie permet d’appréhender plus facilement de nouvelles notions. Plus la mémoire est riche en concepts et catégories sur le domaine en question et plus elle permet d’adopter de points de vue différents, de comprendre les différents éléments constituant la nouveauté à appréhender. Et donc d’en atteindre l’essence. Bien entendu, d’autres concepts qui ne sont pas directement en lien avec le domaine en question entrent également en jeu. Il suffit d’approfondir un peu l’exemple précédent pour s’en rendre compte. Avant de pouvoir résoudre 3 – 8, il faut entre autres, outre des connaissances sur la soustraction des relatifs, savoir lire, écrire, et comprendre les quantités ainsi représentées. Quoi qu’il en soit, la qualité et la quantité des connaissances déjà en possession de l’élève détermineront sa capacité à en acquérir de nouvelles et à se les approprier.

Apprendre par l’analogie

Lorsque nous rencontrons des situations nouvelles, le cerveau ne se contente pas d’aller puiser dans sa mémoire à long terme. La nouveauté va, elle aussi, agir sur le contenu de notre mémoire, bonifier ce qui s’y trouve, l’étendre et/ou le réorganiser. Quoi que nous fassions, nous apprenons toujours quelque chose de ce que nous vivons. Si chaque idée nouvelle dépend des idées antérieures, elle  donne, dans le même temps, un regard nouveau et plus profond sur celles-ci.

Chaque nouvel apprentissage se fait par analogie. Les concepts que nous avons dans notre mémoire s’étendent, se raffinent sans cesse par analogie. Par exemple, la première fois que vous avez vu une tasse dans votre vie et qu’on vous a dit qu’il s’agissait d’une tasse, alors vous avez assimilé au concept tasse ce que vous avez vu. Peut-être était-elle bleue. Avec une anse. Et donc pour vous, une tasse était nécessairement bleue avec une anse. A la longue, vous avez été confronté à de multiples autres tasses, des grandes, des petites, de toutes les couleurs etc. Dans votre esprit, la « tasse » a donc évolué en prenant en considération l’ensemble de ces variations si bien qu’aujourd’hui, quelle que soit la tasse qu’on vous présente, vous savez que c’en est une. Votre cerveau n’a eu de cesse que de faire des analogies entre les différentes tasses pour en abstraire un prototype/stéréotype autour duquel gravitent toutes les autres.

Ce raffinement de ce qu’est une tasse dans votre esprit a été jusqu’au point où vous comprenez aujourd’hui ce que signifie l’expression boire la tasse. Lorsque vous entendez cette expression, vous n’imaginez pas quelqu’un dégustant un breuvage dans une tasse. Ce qui démontre à quel point l’évolution de ce que vous comprenez sous le concept de tasse peut aller loin dans le raffinement.

Partir des représentations préalables des élèves

Cette manière de fonctionner doit faire prendre conscience que partir des représentations préalables des élèves n’est pas un souhait mais un constat. Qu’on le veuille ou non, l’élève interprète nécessairement à partir de ce qu’il connait. Il n’est donc pas pertinent de rentrer dans une nouvelle matière sans en tenir compte. Si la nouveauté est trop éloignée de ce qu’il sait, l’élève n’accrochera pas le bon wagon dès le départ et risque fort de se retrouver perdu ou de produire une interprétation qui soit totalement erronée. Faire un rappel au sujet des prérequis nécessaires en guise d’introduction semble donc une bonne entrée en matière.

Il est tout aussi possible de mettre sur pied un dispositif visant à prendre connaissance de ce que savent déjà les élèves et d’ainsi adapter l’entrée en matière du dispositif consacré au nouvel objet d’apprentissage. Il faut toutefois veiller à bien gérer son temps afin de ne pas se retrouver à devoir meubler une fin d’heure entière en attendant de pouvoir adapter ses documents d’ici le cours suivant.

Enfin, une dernière solution consiste à proposer un point d’entrée fixe dont on est à peu près sûr que l’ensemble des élèves peuvent saisir et de les faire partir de là. C’est le principe même qui prévaut dans la méthode de mathématiques utilisée à Singapour et qui donne de si bons résultats dans les tests internationaux : l’élève rentre dans la nouvelle notion par des notions concrètes qui vont petit à petit s’effacer pour laisser leur place aux abstractions nécessaires. Par exemple, si l’objectif est d’enseigner l’addition à des élèves qui savent déjà compter, alors, l’enseignant va représenter sur une première ligne un ensemble de 4 oranges et en mettre un autre de 3 oranges sur une deuxième ligne. L’élève va donc pouvoir compter le nombre d’oranges total au lieu de commencer directement par un 4 + 3 = 7

L’apprentissage par analogie démontre la faiblesse des approches axées sur la découverte…

Aussi en vogue que puissent être dans les milieux académiques consacrés à la formation les approches dites « centrées sur l’élève » elles n’obtiennent généralement dans les mesures effectuées, que des résultats assez faibles voir médiocres.

Ces résultats se comprennent, à mon avis, aisément si on adopte la grille de lecture de la pensée analogique. Si le cerveau fonctionne effectivement de la sorte, alors l’aspect chronophage de la découverte par soi-même parait radicalement rédhibitoire. Car même si l’élève parvient à saisir l’essence de la nouveauté ainsi enseignée, il ne sera confronté qu’à un nombre plus réduit de cas partageant cette même essence. En conséquence, sa capacité à mettre ceux-ci en lien les uns avec les autres, à étendre la portée des analogies possibles entre ceux-ci sera plus limitée qu’avec un enseignement plus directif. Le concept nouveau ne peut donc pas se développer de manière optimale. Et l’élève se retrouve ainsi avec une vision, éventuellement correcte, mais étriquée de ce qu’est réellement la nouveauté ainsi enseignée. Il est donc faux de prétendre que le fait de chercher par soi-même induit une plus grande profondeur dans la compréhension.

Bien entendu, tout cela dépend largement du temps consacré à la découverte et ne prête pas trop à conséquence dès lors que les élèves ne sont pas laissés trop longtemps en situation de découverte pure.

… et consacre les principes de l’enseignement explicite

Adopter la grille d’analyse de la pensée par analogie parait en outre également justifier l’écrasante supériorité démontrée par l’enseignement explicite dans la totalité des tests empiriques sur le terrain.[3] En effet, un enseignant explicite fournit de nombreux exemples à ses élèves (phase de modelage). Des exemples qui mettent à nu l’essence du concept et en démontre l’étendue tout comme les limites. Des exemples qui ont de plus la vertu d’être correctement résolus et ainsi n’induisent ainsi pas de mauvaise compréhension.

Comme l’enseignant passe également un temps conséquent à vérifier ce que les élèves ont compris en travaillant de concert avec eux toute une série d’exemples supplémentaires, il s’assure que ceux-ci se façonnent un stéréotype/prototype correct et que les limites du concept sont bien saisies avant qu’ils ne se lancent dans une phase de travail autonome.

Au final, les élèves se retrouvent donc à façonner un concept de manière plus facile et disposent d’un corpus de présentation riche, permettant de multiples analogies et conduisant ainsi à un raffinement plus poussé de la connaissance récemment acquise.

Si l’hypothèse de l’analogie s’avère exacte, alors il faut en déduire que l’enseignement explicite semble être la manière de procéder la plus en phase avec le fonctionnement du cerveau humain. Comme ce dernier, cette approche va s’obstiner à créer un stéréotype/prototype du concept, en étendre la portée au maximum et même en démontrer les limites par une multitude de situations offertes à la compréhension des élèves.

Une telle symbiose ne peut que permettre au cerveau d’exploiter en plein ses capacités. Ce qui d’ailleurs se démontre par les tests réalisés et donne, à mon sens, un crédit supplémentaire à l’hypothèse de la pensée analogique tout comme à l’enseignement explicite…

Pour LesObservateurs et Contre-Réforme, Stevan Miljevic, le 14 décembre 2016

[1] Douglas Hofstadter, Emmanuel Sander « L’analogie, coeur de la pensée », Odile Jacob, Paris 2013

[2] Ibid. p.469

[3] Pour n’en citer que quelques uns, le Visible Learning de John Hattie, plus grande méga analyse réalisée à ce jour, tout comme le projet Follow Through ou même le dernier test PISA sont sans équivoque à ce sujet. Pour une liste plus complète, je vous invite à consulter « Échec scolaire et réforme éducative: quand les solutions proposées deviennent la source du problème » ou « Comment enseigne-t-on dans les écoles efficaces? Efficacité des écoles et des réformes » des professeurs Gauthier, Bissonnette et Richard

Enseigner la complexité sérieusement

Cette semaine encore, je découvrais dans une revue spécialisée les grandes considérations d'un éminent spécialiste de l'université de Genève (1). S'extasiant devant la complexité du réel, ce monsieur postulait que l'école devait absolument s'y mettre au plus vite et proposer aux élèves des activités permettant de titiller cette fameuse complexité.

Pour y parvenir, son esprit retors préconisait notamment l'entrée par le complexe des situations-problèmes. Soit, la crème de la crème (ou plutôt la tarte à la crème) du constructivisme. Cerise sur la tarte en question, il justifiait ce point de vue par la nécessité de tenir compte des dernières avancées en matière de sciences cognitives.

Bien entendu, pas un mot sur ces fameuses et spectaculaires découvertes cognitives. Pas l'ombre d'un auteur, d'une citation, d'une référence. Rien. Ni même d'ailleurs l'ébauche d'une explication sur la manière dont l'entrée par le complexe préconisée par les constructivistes peut s'accommoder de l'architecture cognitive des élèves que j'ai décrite dans mon précédent billet  et qui, elle, exige, de partir du simple pour aller vers le complexe(2). Ce black-out est tout aussi total au sujet de l'armada d'études empiriques comparatives qui démontrent toutes, résultats à l'appui, que l'entrée par le complexe, la découverte ou autre enquête est ce qu'on peut faire de plus efficace si on tient absolument à ce que les élèves n'apprennent rien ou presque (3).

Cela étant dit, ce n'est pas parce que ce monsieur délire en plein que cela signifie qu'on ne peut pas traiter de la complexité à l'école. Bien au contraire. D'ailleurs, pour être précis, cela fait depuis belle lurette que dans certaines disciplines, ce genre de choses se font. Qu'on pense aux travaux rédactionnels dans les langues où les élèves doivent jongler avec de multiples mots de vocabulaire et de nombreuses règles de grammaire notamment. Ou alors aux activités mathématiques où différents types de connaissances issues de la géométrie comme du calcul littéral par exemple s'entremêlent afin d'arriver à la solution.

La gestion de la complexité demande en fait tout ce que les approches constructivistes (ou autres approches par compétences) ne peuvent pas fournir, à savoir des connaissances durables et  profondément ancrées. Comme les cognitivistes John Anderson ou Daniel Willingham l'ont démontré (4), une gestion experte de la complexité demande qu'au préalable des connaissances soient solidement acquises. Ce constat, désormais clairement établi par les sciences cognitives, devrait faire réfléchir nos concepteurs de plan d'étude et les empêcher de céder à toutes les modes infondées du moment (moment qui s'éternise, puisque, comme on l'a déjà vu, ce genre d'expériences ont déjà été tentées il y a de cela 100 ans en URSS avec des conséquences catastrophiques (5)). Il ne s'agit pas de refuser l'enseignement de la complexité, bien au contraire, mais de le programmer à un moment du cursus où les bases sont solidement posées d'une part, et d'autre part, de l'aborder intelligemment comme on va le voir.

De solides bases de connaissances ne sont en effet pas suffisantes pour aborder la complexité. Pour être domptée, celle-ci demande à celui qui descend dans l'arène des outils de pensée relativement complexes eux aussi. Si donc, on veut éviter la stratégie consistant à tâtonner pour s'en sortir, stratégie que mettent en place les élèves soumis aux fabulations constructivistes tout comme les personnes n'ayant jamais suivi aucune formation et qui peut, selon le cognitiviste John Sweller (6), mener à une résolution de problème n'ayant entraîné aucun apprentissage, il faut enseigner aux élèves/étudiants des outils mentaux permettant de gérer la complexité. Dans leur dernier ouvrage commun, John Hattie et Gregory Yates (encore un spécialiste des sciences cognitives qui dit le contraire de notre illustre chercheur du début, décidément...) donnent deux exemples concrets pour illustrer le cas.

L'illustration la plus frappante, à mon humble avis d'enseignant en histoire, de l'ouvrage est tiré d'une étude menée dans deux hautes écoles du Maryland aux Etats Unis. Il s'agissait d'apprendre aux étudiants l'analyse de documents historiques. On a ainsi donné à un groupe un enseignement explicite du schéma analytique suivant:

Stratégie Questions de procédure Questions évaluatives
Questions sur l’auteur
  • Que savez-vous sur l’auteur ?
  • Quand le document a-t-il été écrit ?
  • Comment l’auteur a-t-il eu connaissance des événements ?
Quel effet le point de vue de l’auteur a-t-il sur son argumentation ?
Compréhension de la source
  • Quel type de document est-ce ?
  • Pourquoi a-t-il été écrit ?
  • Quelles valeurs la source reflète-t-elle ?
  • Quelles hypothèses sous-tendent l’argumentation?
Quel type de vision du monde la source reflète-t-elle ?
Critique de la source
  • Quelles preuves l’auteur donne-t-il ?
  • Y a-t-il des erreurs ?
  • Manque-t-il quelque chose dans les arguments ?
  • Quelles sont les idées qui se répètent dans plusieurs sources?
  • Quelles sont les différences existantes entre les différentes sources ?
  • Sont-elles consistantes ?
La preuve est-elle apportée de ce qui est prétendu être prouvé ?
Création d’une compréhension plus ciblée
  • Décider ce qui est ouvert à interprétation
  • Décider ce qui est le plus fiable et crédible
Comment chaque source approfondit-elle votre compréhension de l’événement historique ?

(7)

En clair, l'enseignant a verbalisé l'ensemble de ces questions qu'un chercheur expérimenté se pose lorsqu'il analyse des documents historiques. Plus encore, l'enseignant les a non seulement verbalisées, mais a encore fait démonstration de la manière d'user de ce questionnement et ce à plusieurs reprises. Il a également fait travailler ce questionnaire à ses étudiants usant de nombreux feedbacks correctifs pour qu'ils aient assimilé la manière correcte d'utiliser ce schéma. Ce travail préparatif s'est étalé sur 5 périodes. D'après les résultats obtenus, cet investissement en a valu la peine puisque les auteurs de l'étude en question concluaient:

Our results suggest that students developed sophisticated task representations for writing because they experienced firsthand how reading and writing strategies converge to accomplish clearly defined goals in historical writing. In this way, the inquiry process provided focus and made the purpose of reading, pre-writing and writing strategies transparent to students (8)

En clair, si l'on veut enseigner sérieusement la gestion de la complexité, il faut non seulement commencer par user des moyens les plus efficaces (enseignement explicite) pour ancrer profondément des connaissances solides et durables dans la mémoire des élèves/étudiants qui leur permettront par la suite d'entrer dans l'analyse, mais il faut de aussi enseigner tout autant explicitement les processus mentaux que déploie un expert au travail. De cette manière, l'architecture cognitive de nos élèves/étudiants est respectée et de solides schémas de connaissances mentaux leur sont fournis. On leur permet alors de savoir parfaitement ce qu'il faut faire face à la complexité et de comprendre comment se construit la connaissance.

Dès lors qu'un maximum de schémas de ce type auront été assimilés, ils pourront à leur tour développer de nouveaux questionnements, de nouvelles stratégies encore plus complexes. On est donc à des années lumière de ce que proposent les têtes pensantes du monde francophone de l'éducation constructiviste. Et tout aussi loin des pauvres stratégies de tâtonnement et de l'inculture généralisée que leurs méthodes induisent.

Stevan Miljevic, le 11 octobre 2014 sur le web et pour les Observateurs.ch

(1) https://dl.dropboxusercontent.com/u/2745999/Publications%20-%20Laurent%20Dubois/Complexit%C3%A9%20-%20LD%20Resonances%20oct-2014%2011-13.pdf

(2) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/09/28/lapport-des-sciences-cognitives-en-education/

(3)Vous en trouverez quelques unes ici https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/06/01/moyens-denseignement-le-constructivisme-toujours-a-la-barre-au-mepris-des-recherches-scientifiques-serieuses/

(4) pour Anderson voir le point (2) et pour Willingham: https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/04/21/les-competences-sont-impossibles-sans-les-connaissances/

(5) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/09/14/heures-de-gloire-du-constructivisme-lurss-des-annees-20/

(6) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/09/28/lapport-des-sciences-cognitives-en-education/

(7) Hattie and Yates, Visible Learning and the Science of How we learn", Routledge, London and New York, 2014, p.74

(8) De La Paz et Felton, 2010, p.190 cité par Hattie and Yates, Visible Learning and the Science of How we learn", Routledge, London and New York, 2014, p.75

HEP Vaud et Valais: un premier bilan pas vraiment convaincant

Les organismes qui, aujourd’hui, ne sont pas soumis à évaluations régulières se font de plus en plus rares. Surtout lorsqu’ils engendrent des frais de fonctionnement importants, de l’ordre de plusieurs millions annuellement. De plus, si cette somme est à la charge de la collectivité, alors les pouvoirs publics ont le devoir moral de s’intéresser à la manière dont l’argent du contribuable est utilisé.

Dès lors que des manquements sont constatés, que l’efficacité n’est pas au rendez-vous, alors les pouvoirs publics sont invités à mettre de nouveaux moyens en oeuvre  afin de corriger le tir et de faire en sorte que l’argent public serve à une cause bien défendue. Les Hautes Ecoles Pédagogiques ne font pas exception à la règle (coût annuel en Valais: 17.2 millions de francs suisses (0)). Elles doivent aussi rendre des comptes et accepter de se remettre en question si le besoin s’en fait sentir. Il n’est bien entendu pas ici question de remettre en cause leur existence, mais bien plutôt leur manière de fonctionner ainsi que les contenus qu’elles dispensent. Les cantons qui ont décidé d’engager des moyens conséquents pour bonifier la formation des enseignants et, par là même, celle des futures générations, sont en droit d’attendre qu’on fasse au mieux pour les satisfaire.

J’ai déjà à plusieurs reprises remis en question sur ce site le fonctionnement des HEP, notamment leur fâcheuse tendance à orienter les futurs enseignants vers des styles d’enseignement désormais clairement identifiés comme peu efficaces tels que le constructivisme ainsi que la méthode conscientisante qu’elles mettent en branle pour y parvenir. Plusieurs articles se basant sur diverses recherches y ont été consacrés, je n’y reviendrai pas (1).

Mais dans les faits, y a-t-il moyen de vérifier que ces critiques se justifient ici en Suisse romande? Je le crois et c’est d’ailleurs la raison qui me pousse à écrire ce billet. Je l’ai déjà dit et je le répète, la seule véritable manière de juger de la qualité de la formation des enseignants est d’interroger les résultats des élèves. Si les enseignants sont bons, alors les élèves le deviennent aussi. S’il est évident que de nombreux critères entrent en compte, tels que le niveau socio-culturel, le goût de l’effort ou le soutien des parents, plusieurs études d’envergure suggèrent que l’effet enseignant est le plus important de tous (2).

En testant les élèves, on peut donc se faire une idée de l’efficacité de la formation des enseignants. Malheureusement, à ce jour, il semble qu’aucun canton n’ait mis sur pied un tel dispositif d’évaluation. Qu’à cela ne tienne, il existe malgré tout un outil performant pouvant nous donner quelques pistes intéressantes: les études PISA. Elles sont d’autant plus pertinentes qu’elles permettent d’établir un comparatif pour les cantons de Vaud et du Valais avant l’introduction des HEP (2001) par le biais du PISA 2000 et 8 ans après par le PISA 2009, l’analyse cantonale du PISA 2012 n’étant malheureusement pas encore disponible.

S’il est évident que 8 ans ne sont pas suffisants pour que les HEP puissent déployer l’intégralité de leur effet, en revanche, il est tout aussi certain que cela doit suffire à faire une première estimation. Au vue du nombre d’enseignants passés par là, et qu’en Valais, la HEP ait pris également à sa charge la formation continue des enseignants ainsi que l’animation pédagogique (3) (il serait étonnant que cela ne soit pas pareil sur Vaud, mais connaissant mal le système je ne peux le garantir), il ne me parait pas raisonnable d’estimer qu’aucun impact ne se soit fait sentir jusqu’ici. Si cette formation est bonne, alors les résultats obtenus par les jeunes Valaisans et Vaudois doivent s’être un peu bonifiés durant ce laps de temps.

Voyons donc ce que nous disent les résultats de ces deux PISA. En préalable, il faut préciser que lors du PISA 2000 n’ont été testés pour le Valais que les élèves francophones. Pour être juste, il faut donc écarter du PISA 2009, le résultat des élèves germanophones et s’en tenir à la même population qu’en 2000. Il convient aussi de préciser que le rapport romand pour l’an 2000 contient quelques petites inexactitudes concernant le Valais puisque les graphiques ne donnent pas tout à fait les mêmes résultats que ceux qui sont déclarés dans le texte (4).  Afin de choisir quelles performances étaient les bonnes, je me suis appuyé sur la présentation fournie par le DIP genevois récapitulant les résultats de l’ensemble des cantons romands (5). Les résultats sont synthétisés dans les tableaux suivants:

Pour le canton du Valais:

Valais francophone PISA 2000 PISA 2009
Lecture 518 522
Mathématiques 551 553
Sciences 521 525

Si une toute légère augmentation se fait sentir, elle n’est cependant pas significative. D’un point de vue statistique, il n’est pas possible de conclure que cette augmentation est le fruit d’un meilleur travail et peut tout à fait n’être que le résultat des inévitables variations de résultats survenant d’une année  à l’autre. Pour illustrer ce cas, constatons qu’en 2006, le PISA donnait des résultats peu concluants. La HEP et le département valaisan de l’éducation émettaient alors un document considérant une différence de 8 points comme non significative statistiquement (6). De son propre aveu, la HEP valaisanne admet donc que la différence de performance survenue dans le laps de temps qui nous intéresse ne peut pas être considérée comme un progrès et que donc les élèves sont restés stables.

Au canton de Vaud la situation est plus tranchée: si la lecture et les sciences sont restées stables, en revanche les mathématiques se sont effondrées (-18 points) depuis l’entrée en fonction de la Haute Ecole Pédagogique.

Vaud PISA 2000 PISA 2009
Lecture 498 501
Mathématiques 538 520
Sciences 490 490

D’autres facteurs sont vraisemblablement en cause, mais il n’empêche que 8 ans après la délégation de la responsabilité de la formation des enseignants aux Hautes Ecoles Pédagogiques, le résultat n’est guère brillant puisque, dans le meilleur des cas, les élèves n’ont fait que maintenir leur niveau de performance de 2000 alors que dans le pire, le niveau moyen s’est effondré significativement.

Les différences de performances enregistrées au niveau suisse entre le PISA 2009 et le PISA 2012 ne laissent pas augurer d’un spectaculaire renversement de perspective puisque les mathématiques comme les sciences n’ont pas amené de changements marquants au niveau suisse. Il reste cependant la lecture où notre pays s’est distingué par une très forte progression. Reste à savoir si Vaudois et Valaisans ont participé activement à cette remontée, si d’autres facteurs n’entrent pas en jeu et si cette progression va rester dans le temps. Toujours est-il qu’en l’état de nos connaissances, il n’est pas possible de dire que les HEP ont fourni un plus certain au niveau de l’apprentissage des élèves.

De mon point de vue, il ne peut en fait que difficilement en être autrement: on sait (même si on tente de l’ignorer) depuis l’étude de Jeanne Chall en 2000 (7) que les méthodes d’enseignement traditionnelles sont plus efficaces que les pratiques socio-constructivistes largement répandues dans les Hautes Ecoles Pédagogiques. Comme les jeunes enseignants ne sont pas stupides, il s’ensuit qu’ils n’utilisent que peu ce genre de méthodes dans leur pratique professionnelle et reprennent à leur compte les trucs et astuces des anciens qui ont fait leurs preuves. Tout au plus ajoutent-ils quelques pincées des quelques éléments pertinents dispensés dans les HEP, ce qui laisse augurer, je pense, un potentiel d’amélioration fort limité. Au final, est-ce vraiment ceci que les décideurs avaient à l’esprit lorsqu’ils ont décidé de consacrer un budget important à la formation des enseignants? C’est peu probable.

Surtout si l’on prend en considération ce que nous disent les recherches quantitatives actuelles: si le socio-constructivisme est moins efficace que les méthodes traditionnelles, celles-ci peuvent être largement bonifiées par la greffe des pratiques prônées par la pédagogie explicite (8). De plus, d’autres études amènent également à penser que les méthodes de transmission des savoirs proposées par les HEP peuvent elles aussi être largement améliorées grâce aux enseignements de la pédagogie explicite (9).

Si donc les décideurs romands en charge de la formation cherchent réellement à faire au mieux, la solution à adopter crève les yeux: il est impératif qu’au moins une HEP se distingue des autres par les contenus proposés ainsi que par les moyens de les transmettre. Ce d’autant plus que les plaintes formulées par les étudiants devant suivre le cursus HEP sont légions. Il n’y a aucune logique à garder une formation qui ne satisfait pas ceux qui en bénéficient et qui ne permet pas d’augmenter significativement les résultats des élèves? Un tel changement serait salutaire puisqu’il permettrait d’établir une comparaison dont tout le monde pourrait tirer profit (sauf bien sûr les idéologues): si cette manière de faire s’avère efficace, alors l’ensemble des écoles pédagogiques pourront s’en inspirer. Dans le cas contraire, il ne sera jamais trop tard pour faire machine arrière ou pour tester autre chose.

Stevan Miljevic, le 13 mai 2014

stevanmiljevic.wordpress.com

(0) https://www.vs.ch/navig/navig.asp?MenuID=32168&RefMenuID=0&RefServiceID=0 p.147 consulté le 12 mai 2014

(1) https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/03/11/pourquoi-les-formations-a-lenseignement-sont-des-usines-a-mediocrite/ et https://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/01/29/de-nouvelles-lois-necessaires-pour-encadrer-lenseignement/ notamment

(2) voir par exemple la méga analyse de Fraser (1987), celle de Wang, Haertel et Walberg (1993) ou celles de Hattie (2003 et 2012) citées par Gauthier, Bissonnette, Richard, Castonguay dans "Enseignement explicite et réussite des élèves", de Boeck, Bruxelles, 2013, p.10 à 18

(3) http://www.hepvs.ch/index.php?option=com_content&task=blogcategory&id=152&Itemid=860 consulté le 11 mai 2014

(4) http://www.vs.ch/NavigData/DS_13/M14180/fr/pisa-2000-Rapport-Romand.pdf consulté le 10 mai, par exemple, le texte parle d’une performance de 546 en mathématiques alors que les graphiques disent, eux, 551.

(5)  ftp://ftp.geneve.ch/Dip/pisa2003_dip.pdf consulté le 10 mai 2014

(6) http://www.vs.ch/NavigData/DS_314/M6694/fr/Portrait%20du%20canton%20du%20Valais%20-%20Comparaison%20sur%20l’ensemble%20du%20canton.pdf  p.13 consulté le 12 mai 2014

(7) Jeanne Chall "The Academic Achievement Challenge", 2000, cité dans Hollingsworth et Ybarra "L’enseignement explicite, une pratique efficace", Chenelière Education, 2013, Montréal, p.5

(8) Faut-il encore présenter le Visible Learning de John Hattie?

(9) Castonguay et Gauthier "La formation à l’enseignement, atout ou frein à la réussite scolaire?", Presses universitaires de Laval, 2012, p.84