Nous vous égorgerons" : un journaliste britannique s'est entretenu avec des mères et des enfants radicalisés dans un camp de réfugiés syrien.
Mark Stone, correspondant pour Sky News au Moyen-Orient, s'est entretenu avec des femmes qui continuent à soutenir ouvertement le groupe terroriste. Il a rencontré un petit garçon qui menace stoïquement de "massacrer" des gens devant la caméra.
Il nous demandait de nous repentir de nos péchés.
Et puis, calmement, il a déclaré : "Nous allons vous tuer en vous égorgeant. Nous vous égorgerons."
En terminant, il a regardé droit dans l'objectif de notre caméra.
Le garçon ne peut pas avoir plus de 10 ans. Tête rasée, yeux bruns perçants et dents ridicules.
Ce moment avec lui a été éphémère, mais effrayant et profondément triste.
J'ai regardé les images encore et encore. Sait-il ce qu'il dit ? Est-ce qu'il le croit ? A-t-il vu d'autres personnes se faire massacrer ? Comment guérit-on un jeune esprit si abîmé ?
https://youtu.be/OTe8ZlfgZkU
Autour de lui, il y avait des dizaines d'autres petits garçons et petites filles de tous âges et de toutes nationalités, sales et jouant dans la poussière.
Et avec eux, les seuls guides qu'ils ont dans leur vie ; les femmes vêtues de noir de l'État islamique.
Dans les plaines du nord-est de la Syrie, Al Hol est un endroit qui devrait inquiéter les gouvernements du monde entier.
Derrière une seule clôture se trouvent les gens qui reconstruiront leur secte s'ils le peuvent.
Surveillé par un petit contingent d'hommes et de femmes kurdes, qui font de leur mieux, ce vaste camp est un centre de rétention pour les femmes et les enfants qui sont sortis du "califat" de l'Etat islamique lors de sa chute en mars.
Les hommes de l'Etat islamique sont détenus dans plusieurs prisons, qui ne sont pas suffisamment sécurisées, non loin de là.
Al Hol devait être un lieu temporaire et pourtant, il perdure. C'est une situation sordide et précaire, et il n'existe aucun plan pour les 70 000 personnes qui se trouvent ici.
Pour entrer dans le camp, on nous dit de prendre toutes les précautions. Nous ne serons pas les bienvenus. Nous portons des gilets pare-balles et les gardes du camp qui nous accompagnent portent des armes.
Les coups de couteau sont fréquents et il y a eu plusieurs meurtres.
Le quartier sud du camp, l’annexe comme on l’appelle, est l’endroit où sont détenus les étrangers; ceux qui ne sont ni syriens ni irakiens.
Un garde me dit : "Il y en a 10'000 ici."
Ils n'en sont pas certains parce qu'il n'existe pas de listes exactes.
Le marché improvisé est le seul endroit où le personnel est à l'aise pour nous emmener.
C'est l'occasion de quelques conversations volées.
Je demande à une femme derrière son niqab : "On peut vous parler ?"
"Non" répond-elle. Son accent australien est clair. "Je ne veux vraiment pas vous parler. Désolé."
[...]
Nous avons rencontré des enfants de Russie, de Bosnie, de France, de Chine, d'Ouzbékistan.
Al Hol est un endroit très inquiétant. Les mères radicalisées vivent avec des enfants qui n'ont jamais vu d'autre vie.
[...]
Je demande à une femme : "Croyez-vous toujours à l’idéologie de Daech?"
"Oui, bien sûr. Pourquoi devrions-nous changer ? Ils nous traitent comme des animaux. Comme des chiens ", dit-elle en parlant du camp.
Je réponds : "Vous traitiez les autres comme des animaux. Vous coupiez la tête des gens, vous les brûliez vifs. N'est-ce pas vrai ?"
"C'est écrit dans le Coran", me dit-elle.
Ils sont en colère et pourtant enhardis par la nouvelle de la mort du leader de l’Etat islamique Abu Bakr al Baghdadi le mois dernier.
"Nous avons cru en lui, alors nous sommes venus [au califat]", me dit une femme qui affirme venir de Paris.
"Et nous voilà. De toute façon, il est mort. Vous savez que dans l’Islam, il y a la vie après la mort. Un autre viendra."
"Pensez-vous que l’État islamique reviendra?" lui ai-je demandé.
"Si Dieu le veut."
Les enfants passent à côté - bon nombre d'entre eux ont des béquilles. Ici, les blessés de guerre ne sont même pas des adolescents.
Je demande à une autre femme : "Avez-vous vu les actes de barbarie qui ont été commis ?"
"Oui, j'ai vu des actes barbares."
"Lesquels ?"
"Un peu de tout. Ce que vous avez vu à la télé. Nous l'avons vu dans la vie réelle. Des décapitations. Oui. Un peu de tout."
En raison du niqab qu'elles portent, il est impossible de lire sur les visages des femmes.
Avait-elle honte de le dire ou était-elle fière ? Je ne sais pas.
Il n'y a pas d'école. Les organismes d'aide ont du mal à fonctionner à cause de la sécurité. Les soins de santé sont les plus élémentaires.
Les autorités du camp disent que la radicalisation se poursuit sans cesse.
Une partie du camp était un camp de réfugiés déjà existant où se réfugiaient les personnes fuyant le califat de l'Etat islamique. A présent, ces gens partagent le même camp que les femmes de l'Etat islamique.
Le camp représente déjà un nouveau mini califat.
[...]
A quelques exceptions près - la Suède, la Finlande, les Pays-Bas, entre autres - les pays ne sont pas disposés à rapatrier leurs citoyens.
Les poursuites dans leur pays d'origine seraient compliquées et de nombreux gouvernements considèrent un tel retour comme politiquement toxique.
Le retour des enfants est très complexe car les mères radicalisées ne veulent pas les abandonner. Le Royaume-Uni a déchu de leur nationalité certains citoyens britanniques qui ont rejoint l'Etat islamique.
En quittant le camp, j'ai approché une autre femme.
"D'où venez-vous ?"
"Dawlat al Islam, l'État islamique", répond-elle.
"Oui, mais d'où veniez-vous auparavant?"
"Je suis de l'Etat islamique !" répète-t-elle.
J'ai ensuite posé des questions concernant le chef de l'Etat islamique, al Baghdadi. Qu'a-t-elle pensé de sa mort ?
"L'État islamique subsistera! L'Etat Islamique subsistera", a-t-elle crié.
(Traduction libre Christian Hofer pour Les Observateurs.ch)
Demorgen.be / Sky.com