L'Europe, les États-Unis, l'OTAN et le monde libre devraient s'inquiéter. Le président turc Recep Tayyip Erdogan incarne le nouveau loup islamiste déguisé en mouton. Photo : Erdogan s'exprimant à Ankara le 17 septembre 2020 (Photo par Adem Altan / AFP via Getty Images) |
« Ce 24 juillet [2020] a été une journée très spéciale » a déclaré Gilles Kepel, le meilleur expert français de l'islam.
« C'était une journée de pèlerinage à La Mecque mais, en raison de la pandémie, il n'y avait personne ! C'était aussi l'anniversaire du traité de Lausanne, qui a fondé la Turquie moderne dans ses frontières actuelles. Et Erdogan a entrepris de tordre le bras du laïc Atatürk, qui a transformé l'ancienne basilique Sainte-Sophie en musée avant d'en faire don "à l'humanité". Erdogan lui, ... a transformé la basilique en mosquée ».
Dans son nouveau livre, « Le Prophète et la Pandémie », Kepel fait remarquer que le président turc Recep Tayyip Erdogan se présente comme le nouveau chef de la oumma, la communauté des croyants musulmans. [...]
Les mollahs iraniens ont imposé la notion d'« islamophobie » sur la scène internationale, mais la Turquie a désormais pris le relais et c'est elle qui persécute les « islamophobes ». [...]
Cette conférence grotesque et honteuse a été organisée par l'Organisation de la coopération islamique (OCI), une entité composée de 56 pays majoritairement musulmans, plus la « Palestine ». L'OCI compte des États comme le Pakistan qui punissent de mort le « blasphème »; comme l'Arabie saoudite qui fouette et emprisonne des blogueurs libéraux tels que Raif Badawi, et comme la Turquie qui remplit ses prisons d'écrivains et de journalistes. Et il ne s'agit là que de quelques exemples.
Ce 24 juillet 2020, Erdogan a défié l'Europe et l'Occident en se réappropriant ce qui a été, pendant mille ans, la plus grande église du christianisme oriental. L'absence de réponse de la part de l'Occident l'a probablement convaincu que le moment était venu. Personne n'a prêté attention ou n'a tenté de s'y opposer.
Contrairement à l'Iran et à l'Arabie saoudite, la Turquie est une démocratie. Ce pays est en pourparlers avec l'Union européenne en vue d'une éventuelle adhésion ; Washington bichonne Ankara ; et l'armée turque est la seconde en importance au sein de l'OTAN ; enfin, la Turquie est un sas entre l'Europe et l'Asie.
Le Financial Times (FT) a consacré une série d'analyses à la stratégie hégémonique d'Erdogan. En Afrique, par exemple, depuis 15 ans, le président turc a opéré une gigantesque relance de ses alliances.
Depuis 2009, la Turquie a augmenté le nombre de ses ambassades de 12 à 42. Erdogan a également été un voyageur fréquent, effectuant des déplacements dans plus de 20 capitales. Le gouvernement turc s'est fixé comme objectif au cours des prochaines années de doubler le volume des échanges commerciaux avec l'Afrique, afin qu'il atteigne 50 milliards de dollars, soit environ un tiers de son commerce actuel avec l'Union européenne.
La Turquie a également choisi de se distinguer au plan militaire dans les Balkans. « La région » estime le FT, « est symboliquement très importante, elle était en partie sous le contrôle d'Istanbul à l'époque de l'Empire ottoman ». Ensuite, il y a l'Europe :
« Plusieurs pays européens se sont inquiétés de l'activisme des services de renseignement turcs sur leur sol et de l'utilisation d'imams formés par l'Etat turc pour espionner la diaspora ».
En Europe, Erdogan parait résolu à utiliser les diasporas turques pour peser sur les Etats (en particulier l'Allemagne, la France, l'Autriche, la Belgique et la Hollande) et donner une base à sa volonté hégémonique.
Dans le Caucase, la Turquie a soutenu la guerre que l'Azerbaïdjan a mené contre l'Arménie dans le Haut-Karabakh, sans doute pour créer un couloir turco-islamique entre l'Azerbaïdjan, la Turquie et d'autres pays musulmans. Si l'on en croit les médias indiens, Erdogan a manifesté sa sympathie au Pakistan en envoyant un contingent de mercenaires au Cachemire. La Turquie a également utilisé les mercenaires de la société militaire privée turque « Sadat » contre les Arméniens, ainsi que dans les guerres civiles libyennes et syriennes.
Dans le dernier numéro de la Revue des Deux Mondes, le philosophe français Michel Onfray a fait remarquer que le choc des civilisations est en cours et qu'Erdogan est désormais à la tête de la partie islamiste. « Cela a commencé en 1989 avec la fatwa contre Salman Rushdie », écrit-il.
« Les pays occidentaux n'ont su réagir qu'avec des mots – comme si une incantation verbale pouvait conjurer le sort ! Avec la décapitation du professeur Samuel Paty, c'est le judéo-christianisme qui est attaqué - en Arménie, l'islam s'est attaqué au plus vieux christianisme d'Europe. ... L'Europe a peur d'Erdogan et de sa capacité à faire des dégâts. Ce Tamerlan en herbe menace, insulte, attaque, [et] soutient ceux qui nous menacent, nous insultent et nous attaquent ».
Tel était, poursuit Onfray, le sens de l'agression turque dans le Haut Karabakh :
« L'Arménie est attaquée par les Azéris et les Turcs musulmans qui veulent sa disparition totale. C'est le résultat d'une guerre des civilisations. Ce qui se passe dans ce pays, berceau de la civilisation chrétienne, c'est ce qui nous attend ici, dans la tombe de la civilisation judéo-chrétienne elle-même. La bataille perdue d'Arménie est la première d'une guerre menée en Occident contre la civilisation judéo-chrétienne ".
Erdogan n'a même pas tenté de dissimuler sa vision idéologique. « Le croissant et l'étoile embellissent désormais le ciel du Karabakh grâce aux efforts de nos frères et sœurs azerbaïdjanais », a proclamé le président turc après la guerre. « Le drapeau azerbaïdjanais flotte fièrement au-dessus du Haut-Karabakh comme symbole de la bravoure de nos martyrs ».
L'un des conseillers d'Erdogan, le général turc à la retraite Adnan Tanrıverdi, fondateur de l'agence de mercenaires « Sadat », a développé la vision d'une superpuissance islamique unifiée. D'après le Centre d'Etudes Stratégiques des Défenseurs de la Justice, cette superpuissance porte le nom d'"Asrica", soit l'union de 61 pays d'Afrique et d'Asie qui auraient Istamboul pour capitale et pour point de référence, l'Erdoganistan. Ce nouvel empire inclurait 12 pays du Moyen Orient, à savoir Bahreïn, les Emirats Arabes Unis, la Palestine, l'Iraq, le Qatar, le Kuwait, le Liban, la Syrie, l'Arabie Saoudite, Oman, la Jordanie et le Yémen ; auxquels s'ajoutent huit pays d'Asie Centrale, l'Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la République turque de Chypre, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, la Turquie et le Turkménistan ; s'y adjoignent aussi quatre pays d'Asie comme l'Afghanistan, le Bangladesh, l'Iran et le Pakistan ; plus trois en Asie du Sud-est comme Brunei, l'Indonésie et la Malaisie ; mais aussi six en Afrique du Nord comme l'Algérie, le Tchad, le Maroc, la Libye, l'Egypte et la Tunisie ; et aussi six en Afrique de l'est comme Djibouti, l'Erythrée, les Comores, le Mozambique, la Somalie et le Soudan ; plus dix en Afrique de l'Ouest et en Amérique du sud, à savoir le Sahara Occidental, la Gambie, la Guinée, la Guinée Bissau, le Mali, la Mauritanie, le Sénégal, la Sierra Leone, la Guyane et le Surinam ; huit en Afrique du Sud-Ouest, à savoir le Benin, le Burkina Faso, le Gabon, le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Togo ; et quatre en Europe, à savoir l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo et la Macédoine.
La Turquie veut redevenir un grand empire néo-ottoman et le seul capable de diriger le monde musulman. La conversion de Sainte-Sophie en mosquée inaugure un tournant dans l'histoire islamique avec la création d'une puissante ligue de nations musulmanes qui se dresseraient contre l'Occident sous la direction turque.
Trois mers entourent la Turquie : la Méditerranée orientale, la mer Noire et la mer Égée. La Turquie a récemment piloté de vastes manœuvres navales. Si l'on en croit le ministère turc de la Défense, 82 navires de guerre, 17 navires de l'aéronautique navale, des forces amphibies, des unités de l'armée de l'air et des équipes d'opérations spéciales ont manœuvré jusqu'au 8 mars.
"Patrie Bleue" - Mavi Vatan en turc - est le concept géopolitique qui va marquer l'agenda d'Erdogan au cours des années à venir. Conçue par l'amiral nationaliste Cem Gurdeniz, c'est la « diplomatie des grandes manœuvres et des navires de guerre » qui poursuit « le retour de la Turquie à la mer, l'union entre l'Anatolie et la Méditerranée orientale ». L'objectif est clair : contrôler la mer, maîtriser les ressources énergétiques et imposer son influence. Erdogan a annoncé qu'elle ne s'appellerait plus « mer Égée », mais « mer des îles ».
Ankara est sur une ligne de collision avec la Grèce et Chypre concernant les droits d'exploitation des gisements de pétrole et de gaz de Méditerranée orientale. « Ils comprendront que la Turquie a le pouvoir politique, économique et militaire de déchirer des cartes immorales et des documents imposés », a déclaré Erdogan.
La Turquie a un problème avec Chypre qui, contrairement à la Turquie, appartient à l'Union européenne mais pas à l'OTAN. La Turquie, qui a envahi l'île en 1974, est le seul pays au monde qui reconnait le Nord de Chypre – qu'elle occupe - comme un État. La République de Chypre, qui est majoritairement chypriote grecque, veut conclure des accords avec des sociétés énergétiques étrangères, tandis que la Turquie, au nord de l'île, veut des droits économiques dans des eaux que Chypre considère comme siennes.
Alors que le nouveau sultan étend son influence à la Syrie, à la Libye et au Caucase, il l'étend également à l'intérieur de la Méditerranée. Pour l'Europe pacifiste, cette mer n'existe que lorsqu'il s'agit de faire venir des migrants.
Le président Erdogan, lors d'une visite officielle à Paris le 5 janvier 2018, a lancé cette phrase provocante aux dirigeants du Conseil français du culte musulman : « Les musulmans de France sont sous ma protection ». Ce sont les premières lignes d'une enquête du Journal du Dimanche. Plusieurs rapports de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) que l'hebdomadaire a pu consulter après qu'ils aient été envoyés à l'Elysée, révèlent la portée, les formes et les objectifs d'une « authentique stratégie d'infiltration » à travers des réseaux gérés par l'ambassade de Turquie et les services de renseignements turcs, le MIT. « Ils agissent principalement au sein de la population immigrée turque, mais aussi à travers des organisations musulmanes et parfois aussi récemment dans la vie politique locale,
« Ces actions ont des objectifs différents », a commenté le journaliste Mohamed Sifaoui.
« D'abord, pour améliorer l'image du régime turc dans la diaspora et dans la société française. Ensuite, pour défendre l'image d'Erdogan à tout prix. Et enfin, bien sûr, pour diffuser une vision islamiste de l'islam ».
Sifaoui cite en exemple le dernier projet de loi du président français Emmanuel Macron, destiné à renforcer les « principes républicains ». Ce projet de loi qui est actuellement examiné par le Parlement est porteur d'une charte de l'islam de France qui :
« n'a pas été signé par les deux fédérations turques, à la demande d'Ankara, car c'est une charte qui rappelle les principes fondamentaux importants pour la République et à laquelle le régime turc s'oppose clairement ... En d'autres termes, le régime turc utilise la diaspora comme un cheval de Troie. »
La Brookings Institution a écrit en 2019 :
« Selon le ministère [français] de l'Intérieur, 151 imams ont été envoyés par la Turquie (qui a entrepris une vague de sensibilisation religieuse des musulmans à travers l'Europe au cours de la dernière décennie) ... »
Sur les 2500 mosquées que compte la France, la Turquie en contrôle 400. [...]
Voici quelques-unes des conclusions de l'étude : le Jihad a été introduit dans les manuels et transformé en « nouvelle normalité » ; le martyre au combat a été glorifié. Les objectifs religieux ethno-nationalistes du néo-ottomanisme et du pan-turquisme sont devenus des thèmes d'enseignement. Par conséquent, l'islam est décrit comme un enjeu politique, la science et la technologie étant des outils pour atteindre ses objectifs. L'accent est mis sur des concepts tels que « la domination mondiale turque » et « l'idéal turc ou ottoman de l'ordre mondial ». Selon le programme, le « bassin turc » s'étend de la mer Adriatique à l'Asie centrale. Le programme adopte une position anti-américaine et montre de la sympathie pour les motivations de l'Etat islamique et d'Al-Qaïda. La Turquie prend des positions anti-arméniennes et pro-azerbaïdjanaises. L'identité et les besoins culturels de la minorité kurde continuent d'être largement négligés. Les pogroms de 1955 contre les Grecs d'Istamboul continuent d'être passés sous silence.
Dans les écoles, pendant le mandat d'Erdogan, des cartes destinées à illustrer la puissance turque ont fait leur apparition. Elles font référence à « l'héritage turc de la mer Adriatique à la Grande Muraille de Chine » : « Les artefacts culturels turcs peuvent être vus dans une vaste région, à commencer par les pays d'Asie centrale et orientale, tels que la Chine et la Mongolie, et s'étendent à l'Herzégovine et à la Hongrie ... »
« Nous sommes une grande famille de 300 millions de personnes de l'Adriatique à la Grande Muraille de Chine », a déclaré Erdogan dans un discours prononcé en Moldavie.
L'Europe, les États-Unis, l'OTAN et le monde libre pourraient commencer à s'inquiéter. Erdogan semble être le nouveau loup islamiste déguisé en mouton.
Giulio Meotti, journaliste culturel à Il Foglio, est un journaliste et auteur italien.
aticle complet: https://fr.gatestoneinstitute.org/17291/erdogan-puissance-islamique
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