Piketty, au piquet!, de Frédéric Georges-Tudo

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Paru il y a près de deux ans maintenant, à l'été 2013, Le Capital au XXIe siècle, de Thomas Piketty, est un best-seller: il se serait vendu à un million et demi d'exemplaires dans le monde... Ne serait-ce que feuilleter ce pavé de 976 pages ne donne pourtant pas envie au lecteur le plus impénitent de s'y plonger...

Dans son essai, Piketty, au piquet!, Frédéric Georges-Tudo le résume en 10 points, qui, à lire les recensions, favorables ou non, ne semblent pas trahir les grandes lignes de ce pensum et permettent de ne pas s'en infliger la lecture, même s'il doit être certainement un excellent remède contre l'insomnie...

 

Le résumé du Capital de Piketty

En résumé de ce résumé, Thomas Piketty tente de démontrer, force données statistiques à l'appui (115 tableaux et graphiques):

1) que le capitalisme génère exponentiellement les inégalités de richesse entre les individus

2) que la part du total des revenus capté par le 1% des plus riches Américains n'a cessé de s'accroître (30% contre 20% au début des années 1980)

3) que ce centile supérieur a capté 60% de la croissance des revenus au cours des 30 dernières années

4) que les inégalités patrimoniales sont encore bien plus criantes

5) que l'explication de ces inégalités est donnée par la loi fondamentale selon laquelle le rendement du capital est toujours supérieur au taux de croissance

6) que cette loi a été mise entre parenthèses pendant une partie du XXe siècle grâce une imposition élevée sur le capital

7) que, la croissance étant désormais atone, environ 1%, due à une faible démographie et un ralentissement de l'innovation, et l'imposition sur le capital étant plus faible, cette loi se vérifie à nouveau: le rendement du capital est de l'ordre de 5%

8) que l'accroissement des inégalités qui en résulte est amplifiée du fait que les revenus du travail des plus riches pèsent moins que leurs revenus provenant du capital, du fait qu'ils peuvent faire des placements plus rentables que les autres individus, et du fait que, si leur capital est placé dans des multinationales, son rendement est encore plus élevé

9) que les rentiers sont favorisés au détriment des entrepreneurs

10) que le seul moyen de remédier aux inégalités est d'augmenter la progressivité des impositions sur les revenus et fortunes

 

Les escroqueries intellectuelles

La démonstration de Piketty serait, peut-être, davantage convaincante si elle ne reposait pas sur des escroqueries intellectuelles:

1) Pour comparer les revenus Thomas Piketty omet d'ajouter les aides sociales et de soustraire les impôts subis, bref il ne tient pas compte des mécanismes de redistribution

2) Une investigation menée par le Financial Times montre qu'il y a, dans les chiffres cités en abondance à l'appui de sa démonstration, des erreurs de transcription, des calculs de moyenne laissant à désirer, des extrapolations hasardeuses, des ajustements inexpliqués etc.

3) Une étude de l'IREF montre, quant à elle, que Thomas Piketty confond sciemment les notions de capital et de patrimoine détenu par les ménages, et qu'il compare les rendements du capital en prix courants aux taux de croissance en prix constants...

4) Thomas Piketty arrive miraculeusement à tracer les graphiques du rendement du capital (après impôts) et du taux de croissance depuis l'Antiquité jusqu'à l'an 2000 et à faire une projection de leur évolution jusqu'en 2200...

5) Thomas Piketty afirme que les millionnaires font des placements peu risqués et très profitables en comparaison de ceux du petit peuple, mais passe sous silence leurs investissements en bourse, qui sont on ne peut plus aléatoires

6) Thomas Piketty attribue à Roosevelt, en 1933, le relèvement à 63% de la dernière tranche d'imposition, alors que c'est Hoover qui l'a fait en... 1932

Thomas Piketty est pris la main dans le pot de confiture d'un autre truquage de chiffres par Frédéric Georges-Tudo: il avait dit en 2011, avant la présidentielle de 2012, que "plus vous êtes riche, moins vous payez d'impôts". C'était un mensonge éhonté de l'économiste français... que Tudo démonte sans problème.

 

Les erreurs d'analyse

Exemples:

1) La contradiction sur le rendement du capital

La plus belle contradiction de Thomas Piketty se trouve dans ses deux affirmations suivantes, résumées en ces termes par Frédéric Georges-Tudo:

1) "Le capital se reproduit seul et de manière automatique, ce qui contribue à son irréfrénable accumulation entre les mains d'un nombre de plus en plus réduit de bénéficiaires."

2) "Le capital est hautement volatil et incertain comme mécanisme individuel d'accumulation de richesses."

La première affirmation vient au secours de sa loi fondamentale du capitalisme (le rendement du capital est supérieur au taux de croissance) et la seconde à son refus de toutes retraites par capitalisation...

Si l'affirmation 1) est vraie, elle suppose que le capital est de connivence avec l'Etat. Autrement, le rendement du capital est imprévisible: "L'économie réelle se charge de désigner des vainqueurs et des vaincus dans chaque couche de la société."

Frédéric Georges-Tudo passe en revue les démonstrations des contradicteurs de Thomas Piketty. Ils sont légion ceux qui soulignent ses interprétations erronées des lois fondamentales de l'économie:

"Qu'ils appartiennent à l'école marxiste, keynésienne, néo-classique ou autrichienne, les chercheurs en science économique sont donc nombreux à rhabiller notre génie national pour l'hiver."

Le lecteur lira avec profit leurs diverses démonstrations exposées dans le livre de Frédéric Georges-Tudo.

 

2) Le petit nombre qui accroît sa richesse et qui devient infime

Thomas Piketty ne sait pas (en tout cas il se garde d'en parler) que les plus grosses fortunes sont détenues essentiellement par des entrepreneurs (au niveau mondial il n'y a que 13% d'héritiers parmi les 211'275 individus qui ont une fortune supérieure à 30 millions de dollars).

Et ce ne sont pas toujours les mêmes au cours du temps: "Une étude du Crédit Suisse révèle ce chiffre saisissant: parmi les 613 milliardaires identifiés en 2000, seuls 52 l'étaient toujours dix ans plus tard." Ce qui est vrai pour les fortunes l'est d'ailleurs pour les gains annuels.  Ce qui remet en cause la théorie de Piketty d'accumulation automatique de capital.

Et sa théorie sur la concentration des richesses? Une partie de la réponse se trouve dans cette alternative: est-il préférable d'avoir des inégalités et moins de pauvreté ou moins d'inégalités et plus de pauvreté?

Encore faut-il s'entendre sur le terme de pauvreté. Comme on définit le seuil de pauvreté en termes relatifs - vit en-dessous du seuil de pauvreté "la part de la population dont les revenus sont inférieurs à 60% du revenu médian constaté" -, plus une société est riche, plus il est élevé...

Si l'on utilise le PIB par tête, "la situation des américains "pauvres" est  dans l'ensemble préférable à celle de la plupart des classes moyennes du reste de l'humanité". Si l'on utilise l'indice de bien-être de l'OCDE, "la catégorie du décile inférieur américain profite d'une existence plus enviable que celle du décile supérieur israélien, russe, portugais, brésilien, mexicain, turc etc.".

En admettant que le rendement du capital soit de 5% et que le taux de croissance soit de 1% comme le prétend Piketty, et que le centile supérieur réinvestisse 70% de ses revenus de capital, que se passe-t-il? L'IREF s'est livré  à cet exercice théorique et aboutit à la conclusion que l'histoire s'arrête en 2034: "Faute de patrimoine disponible pour permettre la croissance de leur richesse, les plus riches n'ont plus rien à se mettre sous la dent"...

Le ralentissement conjoint de la démographie et de l'innovation risquent-ils de priver durablement l'Occident d'un fort taux de croissance? Cette affirmation pikettyste, basée sur sa deuxième loi fondamentale du capitalisme, relève tout simplement de la science-fiction... Et Frédéric Georges-Tudo, en réponse, envisage des options plus réjouissantes et plus vraisemblables, que le lecteur de son livre découvrira par lui-même.

 

Les recommandations désastreuses

Pour stopper la spirale inégalitaire sans fin d'un "capitalisme inhumain" à l'agonie, Thomas Piketty préconise "l'avènement d'un néo-communisme cauchemardesque". Comment? En instaurant une fiscalité mitonnée tout spécialement pour les riches:

- un ISF, impôt sur la fortune, annuel, mondial ultraprogressif, idéalement de 10% au-delà d'un milliard d'euros

- un IR, impôt sur le revenu, ultraprogressif, idéalement de 80% au-delà de 400'000 euros.

Stefan Homburg, professeur à l'université de Leibniz, a pris un exemple pour voir ce que cela donnait:

- patrimoine de 1 milliard d'euros: ISF = 100 millions d'euros

- revenu de ce patrimoine, selon l'affirmation pikettyste: 50 millions d'euros (=5% de 1 milliard)

- IR de 50 millions: 40 millions (=80% de 50 millions)

Total = 140 millions d'impôt pour 50 millions de revenu disponible, soit 280% de taux d'imposition global (= 140/50)

Cet exemple suffit à démontrer qu'avec de telles recommandations, on va droit dans le mur, comme dirait Agnès Verdier-Molinié. Thomas Piketty, prétendument économiste, ne sait pas comment les richesses sont créées et ce qui motive un entrepreneur:

"Il est vrai que Thomas Piketty n'a jamais mis les pieds dans la moindre PME ou multinationale. Rémunéré par le contribuable depuis le premier jour de sa carrière sans avoir à se préoccuper d'où sort l'argent qui le fait vivre, il ne cache pas son désintérêt pour ce pan vulgaire de sa discipline qu'est la commercialisation de biens ou de services marchands."

Alors Frédéric Georges-Tudo lui rappelle cette vérité d'évidence: UN ENTREPRENEUR NE JOUE JAMAIS POUR L'HONNEUR... Et les entrepreneurs qui réussissent ont un insatiable appétit entrepreneurial. "Sans cet état d'esprit et sans créativité, une entreprise ne serait rien d'autre qu'un tas de déchets et de fer rouillé", disait Ludwig von Mises, le père de l'économie autrichienne...

Thomas Piketty ne connaît pas davantage la courbe d'Arthur Laffer (version américaine, et vérifiée dans les faits, de "trop d'impôt tue l'impôt"), il ne sait pas que ce sont les pauvres qui morflent quand les riches sont surimposés et qu'en économie il faut choisir:

"Un petit gâteau de plus en plus petit, mais découpé en parts égales? Ou un gâteau que l'on cherche à faire grossir, quitte à accepter que tout le monde n'ait pas une portion identique dans son assiette? Plus d'égalité en nivelant vers le bas ou plus de prospérité en laissant quelques têtes dépasser très largement? Et la seconde option ne peut fonctionner qu'à condition d'accepter... l'inacceptable: certaines d'entre elles vont grimper jusqu'aux nuages."

La France de François Hollande a choisi la première option, pikettyste... avec les résultats que l'on sait.

 

Le militant d'extrême-gauche travesti en chercheur scientifique

Une citation vaut mieux que toute démonstration. A la page 867 du pensum du documentaliste besogneux qu'est Piketty et qui n'a de chercheur scientifique que le nom, Frédéric Georges-Tudo cite ce passage éloquent:

"L'impôt sur le capital permet d'apporter une réponse à la fois plus pacifique et plus efficace [que le communisme] à ce problème éternel posé par le capital privé et son rendement."

Frédéric Georges-Tudo commente: "Quelle belle âme! Grâce à lui, il devient inutile d'anéantir le rendement du capital en exterminant les capitalistes, comme l'ont fait les dictateurs du XXe siècle. Il suffit de tout leur confisquer après coup, par le biais de lois démocratiques. Le grand soir fiscal, en somme. On comprend donc que Thomas Piketty ne renie rien de l'héritage intellectuel de Karl Marx. Tout juste se contente-t-il d'emprunter une autre voie pour parvenir à la même peste universelle, nommée égalitarisme."

Thomas Piketty ne renie pas non plus l'héritage familial: ses deux parents militaient à Lutte Ouvrière... Il est parfaitement en ligne avec eux quand il laisse entendre qu'il n'est de fortune que dérobée à la collectivité et qu'elle doit donc lui être restituée par l'impôt.

Doit-on sous-estimer les thèses de Thomas Piketty? Que non pas: "La société égalitariste, magnifiée par Thomas Piketty, a été tentée à plusieurs reprises et dans de nombreux pays au cours du XXe siècle. Sachant qu'elle n'a engendré que misère, privation et désolation, nous devrions en être vaccinés à tout jamais. Las, la jalousie qui sommeille en chacun rend les peuples amnésiques."

Francis Richard, 12 avril 2015

Publication commune lesobservateurs.ch et Le blog de Francis Richard

Piketty, au piquet!, Frédéric Georges-Tudo, 224 pages, Editions du Moment

6 commentaires

  1. Posté par François Etienne le

    Picketty, le socialisme théorique aux commandes ! Payez, il n’y a rien à voir.

  2. Posté par Pierre H. le

    Je pense qu’on naît capitaliste. On naissait capitaliste déjà avant même que le mot n’existe. Je pense que contrairement au socialisme, le capitalisme n’est pas une idéologie. C’est inné en l’Homme. Je parle bien-sûr de la vraie définition du capitalisme et non pas de la définition déformée par les gauchistes. Si on naissait dans la jungle et se retrouvait tout seul, on se comporterait naturellement en capitaliste, à savoir on travaillerait à sa survie et on accumulerait des biens (eau, nourriture, objet pour faire du feu ou des habits, etc.) afin de créer une réserve pour les moments plus difficiles (manque de gibier, baisse de forme momentanée rendant difficile la chasse, pêche, etc.). Si on est dans une tribu, ce sera la même chose au niveau de la tribu. Maintenant, si vous croisez une tribu socialiste, ils vous ramasserons les 3/4 de votre réserve comme taxe (la taxe serait qu’ils se retiennent de vous exterminer tant que vous leur donnez ce qu’ils demandent) sous prétexte qu’ils ont le droit de manger eux-aussi.

  3. Posté par Sancenay le

    Le capitalisme est en somme une loi mécanique, ce n’est pas un système de pensée. A ce titre ce n’est ni un « mal » , ni un » bien », c’est l’usage qui en est fait qui importe. Il n’y a donc pas lieu de le combattre par les idées, c’est inopérant. Marx lui même y a mangé sa chapeau au bout du compte.
    Par contre ne peut-on pas observer que l’ultralibéralisme qui lui confère sa nature , et sa nature actuelle notamment, reste une forme de pensée, ou du moins de conception politique, qui aboutit non seulement à des injustices – quelle société humaine au demeurant serait à même de n’en point commettre ?- mais qui aboutit par le biais de la spéculation sans limite au chaos économique en générant régulièrement,mécaniquement ce qu’on appelle « des bulles financières » qui peuvent exploser à tout moment.
    Et ce n’est pas parce que l’on revêt cet ultralibéralisme de quelques artifices dit de » redistribution » , ou de  » transferts sociaux » qui concernent des sommes infiniment inférieures à celles utilisées sur le champ spéculatif, que cela change radicalement la nature des choses.
    Ainsi l’ultralibéralisme qu’il soit paré ou non de toutes les vertus sociales voire socialisantes, conduit nécessairement aux révolutions, peut-être est-ce même là son calcul le plus cynique.
    En fait ce qui est par nature mortifère, ce sont toutes les pensées matérialistes nées des Lumières qui, au nom d’une étrange « Liberté » asservissent l’homme, au point, aujourd’hui, de le réifier, plutôt que de le servir.
    Et c’est pour cela que ces pensées dont les porte-drapeau – peut-être parmi « les 100 personnes les plus influentes du monde », par exemple ? ,qui de New-York à Bruxelles tentent encore de conserver leur leadership sans partage sur le monde, et à cette fin entendent interdire toute spiritualité de nature à les contrer, soit en premier lieu, manifestement le christianisme.
    Au besoin pourra-t-on même faire appel temporairement au salafisme pour le réduire au silence , n’est-ce pas ?

  4. Posté par Michel de Rougemomnt le

    Que T. Piketty ait des opinions marxistes, c’est son affaire.
    Mais alors il devrait s’attacher à démontrer que l’alternative au capitalisme, qui s’appelle collectivisme, est meilleure.
    À force de répéter que le capitalisme est un système économico-politique on oublie que c’est Marx lui-même qui s’est approprié (si j’ose dire) ce mot pour décrire l’économie de la manière biaisée que l’on sait.

  5. Posté par Vautrin le

    Il faudrait d’abord que le dénommé Piketty s’interroge sur ce qu’est en réalité l’économie. Mais, là, ce n’est pas à sa portée. L’intéressant, sociologiquement, est qu’il n’est vraiment l’idole que d’une poignée de songes-creux en France comme en Amérique, de ceux qui n’ont rien appris des expériences désastreuses du XXe siècle.

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