Derrière l’Espagne et la France, la vraie cible: l’Allemagne

Bruno Bertez
Bruno Bertez
Analyste financier anc. propriétaire Agefi France
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Nous sommes persuadés que le regain d’attention sur l’Espagne n’est pas purement espagnol….

Nous avons à plusieurs reprises attiré l’attention sur la situation espagnole. L’une de nos idées force est que, tant que tout n’est pas porté au grand jour, tant qu’il y a des cochonneries sous le tapis et tant qu’il y a connivence pour les cacher, les crises se succèderont. Il y a toujours quelque chose à révéler, le flux des nouvelles -mauvaises- est intarissable. Seules les opérations Vérité paient.

Dans cet ordre d’idée, nous avons souligné que les chiffres espagnols officiels étaient trompeurs. Non pas faux, mais trompeurs. Le ratio de dette sur GDP (produit intérieur brut) est en réalité très supérieur à 100%, non pas parce que l’Espagne ment, mais parce que son mode de présentation de ses chiffres est tronqué. Nous avons insisté sur le fait que les grands du Smart Money connaissaient les vrais chiffres et qu’ils prenaient position en conséquence.

Enfin, le gouvernement espagnol devrait arrêter de prendre les marchés et les économistes pour des idiots, avec des effets d’annonce. Tout le monde sait que les mesures qu’il claironne dans l’éducation et la santé sont, passez l’expression, bidons. Les dépenses concernées se font pour l’essentiel au niveau des provinces, elles échappent au pouvoir, sinon contrôle du gouvernement central et donc la mise en œuvre est plus que problématique. Ce que les eurocrates appellent le risque d’implémentation est très, très élevé.

Nous le répétons, les dirigeants devraient une fois pour toutes changer leurs responsables de communication. Ces derniers continuent, par ignorance et par absence de formation, à émettre des messages de type grand public alors que dans la situation présente, la crise étant une crise dans laquelle les marchés servent de révélateurs, il faut émettre de façon précise, ciblée, sophistiquée. Bref, il faut s’exprimer de façon professionnelle. Les grands, dans les services économiques des banques sont d’un niveau supérieur aux conseils actuels, souvent ils ont été au plus haut niveau, soit à la Banque d’Angleterre, soit à la FED (Banque centrale américaine, Réserve Fédérale) et ils connaissent non seulement l’histoire, les chiffres, le dessous des cartes et étant dans le privé, ils travaillent plus et sont plus motivés.

Nous sommes par ailleurs persuadés que le regain d’attention sur l’Espagne n’est pas purement... espagnol.

Il coïncide avec le débat souterrain, l’affrontement sur la politique de traitement de la crise imposée par les Allemands et il coïncide avec la prise de conscience par les marchés de la forte probabilité de la victoire de François Hollande aux présidentielles françaises. La stagnation de Sarkozy, au coude à coude au premier tour avec son adversaire et l’absence de miracle dans les reports de second tour conduisent ceux qui étaient sur la réserve à prendre de nouvelles positions que nous appellerons anti-allemandes.

La balle est dans le camp des pays surendettés

La position allemande est fragile, ils tentent de s’accrocher à leur analyse, à leurs principes et à leurs intérêts. Nous vous rappelons cette position: c’est aux pays surendettés de mettre de l’ordre dans leurs affaires par les méthodes classiques. Les déficits des uns ne peuvent être corrigés par la dérive des créditeurs, par l’abandon de la rigueur de gestion, ce serait mettre en péril toute la construction européenne, on ne bâtit pas en cédant au laxisme. La politique à suivre est celle des Allemands, c’est la seule viable à long terme. La seule voie possible est celle de réduction des dépenses, celle de la mise en place de réformes de convergences et de réformes d’appareils de production pour être compétitifs.

Le débat est souterrain, mais il fait rage. Les Anglo-saxons ne cessent d’attaquer et de savonner la planche de l’Allemagne par le biais du FT (Financial Times) et de son célèbre Martin Wolf, par le biais de Soros et de son nouvelle institut économique.

Le pari des attaquants est que :
- le point faible pour affaiblir l’Allemagne et bousculer ses positions, c’est l’Espagne, vulnérable, pas trop gros morceau, à la portée des canons, si on peut dire, des marchés;
- l’élection française va tourner à l’avantage de Hollande, c’est à dire d’un opposant social-démocrate au pacte de stabilité dit Merkozy;
- la campagne va s’intensifier en Allemagne, à l’intérieur, et placer Merkel en position de faiblesse.

Bref, c’est le moment opportun pour tenter de faire boule de neige et non seulement mettre les Allemands en difficulté mais… gagner de l’argent.

Reculer pour mieux sauter

La déstabilisation avant l’élection française est une authentique opportunité à risque quasi zéro.

En cas de victoire du clan anti-allemand, il y aura eu possibilité de ramasser des tonnes de papiers aussi bien sur le crédit, que les emprunts govies (emprunts d’Etat), que sur les actions etc. à des cours bas. Il y aura eu possibilité de beaux coups de fusil sur les changes, car il est évident que si le verrou allemand vient à sauter, c’est la fortune des inflationnistes, keynésiens et de leurs complices de la social-démocratie.

Même si le verrou ne saute pas tout de suite, ce ne sera, pense-t-on dans ces milieux, que reculer pour mieux sauter, car il reste la situation explosive italienne, elle murit et Monti est un très bon allié de ce clan; il a déjà commencé à placer des banderilles sur les flancs allemands.

Voici quelques citations à méditer:
- Rajoy, le 12 avril: parler d’un bail-out de l’Espagne en ce moment n’a aucun sens. L’Espagne ne sera pas sauvée, il n’est pas possible de sauver l’Espagne, il n’en est pas question, ce n’est pas nécessaire. Qui a dit: attendez que quelque chose soit démenti pour en être sûr?
- Benoit Coeuré, le Français au board de la BCE: Bloomberg le 13 Avril: nous avons un nouveau gouvernement en Espagne, il a pris des mesures très fortes… la volonté politique est énorme…. c’est ce qui me fait penser que les conditions de marché ne sont pas justifiées…est-ce que la BCE va intervenir? Nous avons un instrument pour le faire, il n’a pas été utilisé récemment, mais il existe. En clair, la BCE suggère qu’elle peut intervenir;
- Klaas Knot, membre allemand du conseil des gouverneurs de la BCE, Bloomberg le 13 avril: nous sommes très loin de ressusciter le programme d’achats de bonds souverains, nous sommes très loin de cette situation… je ne vois pas de bonne raison d’acheter maintenant de la dette gouvernementale… les marchés sur-réagissent à une malheureuse et infortunée communication diffusée autour de l’Espagne.

Voilà, le champ de bataille est balisé.

Rappel, la semaine dernière, le marché espagnol des actions a chuté de 5,7%. Les taux à 10 ans sont remontés à 5,96 soit +22pbs, les CDS sont à 498 +17. En début du mois, on était à 431 et fin 2011, on était à 380...

 

 

2 commentaires

  1. Posté par Nicole Kissling le

    Une analyse extrêmement pertinente et que j’attendais depuis longtemps. Mais une fois de plus, nos politiques, partout, semblent ne rien voir venir, ou font comme si… Cela fait longtemps aussi que je commente cette situation avec des amis qui ne sont pourtant pas des ignorants en matière d’économie, je leur ai parlé de l’influence malsaine anglo-saxonne vis-à-vis de l’Europe, du rôle de Monti, etc, mais je passe pour une Cassandre. Comme j’ai passé pour une Cassandre en les mettant en garde, depuis 2004 déjà, contre le futur crack immobilier en Espagne que l’on voyait venir sans avoir besoin d’être un expert. Je précise que je vis en Catalogne espagnole. Alors je vais leur envoyer cet article. Merci à vous, M. Bertez.

  2. Posté par Philipp Solf, ex-banquier repenti le

    La scène se passe dans quelques mois, dans une salle de réunion à Bruxelles, minuit passé:
    les pays latins ont soit fait défaut après avoir dû nationaliser leurs banques, soit ils sont au bord de la guerre civile; la pression sur l’Allemagne devient énorme; les dirigeants européens sont assis autour d’une table. Angela se fait dire, comme Clémenceau après le Grande Guerre, que l’Allemagne doit payer. Ayant dans son dos le peuple allemand chauffé à blanc par sa presse populiste (Bild), elle accepte de prendre la responsabilité de saborder l’Euro. En effet: aucun autre dirigeant ne veut l’assumer, et l’Allemagne est le seul pays à pouvoir encaisser le choc. Son industrie est assez résiliente pour encaisser une dévaluation de 20-30%. Elle en souffrira, mais mieux vaut “ein Ende mit Schrecken als ein Schreck ohne Ende”.
    La conséquence en sera une Europe monétaire en deux zones. Leurs dénomination n’est qu’une question de sémantique: Nordo et Südo, Mark et Euro, Euro et Ecu, etc.
    Le but de l’opération étant de permettre aux pays latins de s’en sortir par le seul moyen historiquement vérifié comme réaliste, la dévaluation.

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