Roger Koeppel. Edito Die Weltwoche : « Miracle de survie » 27.7.2017

Éditorial

Miracle de survie

Même dans ses erreurs, la Suisse est souvent plus avisée que les autres.Il y a de bonnes raisons à cela.

De Roger Köppel

 

Plus le monde devient fou, plus la Suisse semble raisonnable et normale. Aux États-Unis, les feuilletons politiques haineux s'enchaînent. L'UE souffre de sa plus grande crise de confiance. Les partis traditionnels chancellent à tour de rôle. De nouveaux jeunes prodiges et espoirs font leur entrée en scène. En revanche, la Suisse fait l'effet apaisant d'un récif de corail stable et ennuyeux.

À l'extérieur, visions du monde et châteaux en Espagne s'effondrent. Nous sommes témoins de l'échec d'une idéologie qui a passé les bornes avec l'internationalisme, la dette publique, des frontières ouvertes et de prétendus bienfaits de la migration. Les gens ne veulent pas retourner à l'époque des cavernes, mais ils veulent rectifier le tir. Telle est la raison profonde de l'initiative contre l'immigration de masse, du Brexit, de Trump, d'Orbán, des populistes et de la perte de vitesse des grands partis en Occident.

Aux yeux des journalistes, tous les politiciens qui protestent le plus vigoureusement contre la vision du monde erronée de l'establishment et de ses médias en sont responsables. C'est une erreur. Partout en Occident, on dispute actuellement sur la direction à prendre, ce que nous faisons en Suisse depuis le début des années 90. Grâce à la démocratie directe, les sujets tabous dont on débat âprement aux États-Unis, en France ou en Allemagne sont, depuis longtemps, sans crispation, à l'ordre du jour. La Suisse, une fois de plus, fait figure d'avant-garde intellectuelle.

Le monde est-il devenu plus dangereux que fou à en croire l’argumentation de la secrétaire d’État Pascale Baeriswyl dans ce numéro? Je suis en train de lire un livre sur la guerre civile espagnole. Le combat meurtrier entre le socialisme international et national dans le monde entier, qui allait coûter la vie à des millions de personnes au cours des années suivantes, faisait déjà rage à cette époque. Il existe bien des risques réels aujourd'hui, mais l'Europe était un endroit nettement plus dangereux il y a quatre-vingts ans.

Des voix s'élèvent dans ce numéro pour mettre en garde contre les conséquences sociales de la numérisation. Elles redoutent des millions de laissés-pour-compte dans le monde entier et des chômeurs qui pourraient déclencher une radicalisation politique. Comment la démocratie va-t-elle pouvoir s'en sortir, questionne, par exemple, Francisco Fernandez, patron d'une entreprise suisse florissante. Même les optimistes reconnaîtront que ce serait une erreur de considérer pour acquises à tout jamais les conquêtes de l’État de droit démocratique.

Évidemment, beaucoup de choses ont aussi chez nous commencé à déraper ces dernières années. L'immigration de masse pèse. L'asile est hors de contrôle. À plusieurs reprises, nous nous sommes laissé soumettre à un chantage de l'étranger. Le nombre des personnes qui bénéficient de l'État plus qu'elles ne contribuent s'accroît. Néanmoins, la Suisse reste un miracle impressionnant de survie. Il est presque incroyable de voir comment elle parvient à sortir pour ainsi dire renforcée de toutes les crises.

Qu'est-ce qui fait la Suisse? Une énorme stabilité avec une extrême flexibilité, comme le bambou, dur et élastique à la fois. Notre pays est un bastion de la raison politique. Même dans nos erreurs, nous sommes plus avisés que les autres. Pourquoi? Parce que tout le monde a son mot à dire et, surtout, un pouvoir de décision. Tout le monde discute de tout ce qui concerne tout le monde avec tout le monde. Ensuite, on passe au vote. Le peuple n'a pas toujours raison, mais ce que le peuple décide s'applique. Du moins, il devrait en être ainsi.

Dans ce numéro, nous parlons de stratégies de survie. Quelle est la stratégie de survie la plus importante de la Suisse? Ne pas faire d'expérimentations, ne pas exagérer, cultiver la neutralité, calculer au lieu de spéculer, rester bien indépendante. L'ouverture, oui, mais qui s'ouvre à tout vent est déraisonnable. La démocratie signifie prendre la majorité au sérieux, sans passer outre la minorité. Tant que les Suisses décident en Suisse, nous n'avons rien à craindre. Nous discutons également d'une leçon de l'histoire avec André Holenstein, historien critique. La Suisse n'est pas le pur produit de ses premiers habitants, elle a toujours aussi été le fruit de la volonté de nations plus puissantes. La Suisse, une nation née de la volonté des autres? C'est aussi vrai, mais sans la volonté d'affirmation des Suisses, la Suisse n'existerait pas. Nos ancêtres ont su tirer parti des avantages et des inconvénients de sa situation géopolitique.

Encore un mot sur l'indépendance. L'ancienne tête pensante d'Avenir Suisse, Thomas Held, argumente brillamment contre l'idée que la Suisse serait une île, héroïque et seule contre le reste du monde. Held a raison. À vrai dire, je ne connais personne qui défende sérieusement cette illusion de l'isolement. La Suisse est pauvre par nature. Elle ne pourrait jamais se débrouiller toute seule. L'ouverture économique au monde a été une nécessité dès le début. Mais pour vivre cette ouverture au monde, les Suisses ont justement cultivé l'indépendance politique. L'absence d'attaches facilite la mobilité.

Actuellement, il est à la mode d'opposer démocratie et État de droit. Une fois de plus, observer notre pays vaut la peine. La Confédération s'est instituée dès sa naissance comme une communauté de droit. Les Suisses se sont même imposé les limites de leur démocratie, le droit international impératif. Notre État de droit est le produit de notre démocratie, et les citoyens de ce pays se sont avérés, depuis des générations, être des défenseurs efficaces de leurs droits de l'homme.

Plus le monde est fou, plus la Suisse devient intéressante. Voilà un petit État qui fonctionne bien, où les décisions les plus importantes sont prises en dernière instance par les électeurs. Pour qu'il fonctionne, pas besoin d’illumination, d’onction suprême, pas plus que de génies.

En toute modestie, la Suisse concrétise aujourd'hui l'un des plus grands espoirs de notre temps, selon lequel tout se passe bien lorsqu’on laisse faire les gens dans le cadre du système démocratique dont ils se sont eux-mêmes doté.

Rien que l’existence d’un pays comme la Suisse est une raison d'envisager l'avenir avec optimisme.

 

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