Contre le droit au travail, d’Alexis de Tocqueville

Francis Richard
Resp. Ressources humaines
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La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 , toute imparfaite qu'elle soit, s'appuyait au moins sur le Droit naturel. Sous l'influence de l'Union Soviétique, la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 s'en est considérablement éloignée.

 

Cette déclaration a en effet créé de nouveaux droits, les droits-créances, qui n'ont rien de naturels et qui, même, sont contraires au Droit naturel.

 

Alors que les droits naturels sont attachés à la nature des individus, qui ont des droits de, les droits-créances obligent des individus à se mettre au service d'un autre individu ou d'autres individus, qui auraient des droits à.

 

Où l'on voit qu'une préposition peut changer complètement le sens d'un substantif...

 

Cette homologation officielle et pernicieuse des droits-créances n'est pas une pure innovation du XXe siècle. En 1848, un siècle plus tôt, il a été question d'introduire dans la Constitution de la IIe République française, un droit au travail.

 

Le député Mathieu de la Drôme proposait l'amendement suivant à l'article 8 du Préambule de cette Constitution:

La République reconnaît le droit de tous les citoyens à l'instruction, au travail et à l'assistance.

 

Le texte de l'article 8, de la Constitution, datée du 4 novembre 1848, sera quelque peu différent:

La République doit protéger le citoyen dans sa personne, sa famille, sa religion, sa propriété, son travail, et mettre à la portée de chacun l'instruction indispensable à tous les hommes; elle doit, par une assistance fraternelle, assurer l'existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille, des secours à ceux qui sont hors d'état de travailler.

 

Dans un discours prononcé le 12 septembre 1848, Alexis de Tocqueville s'oppose à l'amendement de Mathieu de la Drôme. Les Belles Lettres, dans leur collection [Petite] bibliothèque classique de la liberté, dirigée par Alain Laurent, viennent de publier ce discours, précédé d'une préface de Pierre Bessard, directeur général de l'Institut Libéral - qui est un excellent éclairage sur la portée actuelle des propos de Tocqueville - et suivi des notes préparatoires de l'orateur.

 

Dans ce discours, Tocqueville s'oppose à l'amendement qui accorde à chaque homme en particulier le droit général, absolu, irrésistible au travail, en raison des conséquences qu'auraient un tel droit s'il était reconnu. Car, ou bien l'Etat deviendra le seul et unique entrepreneur industriel - c'est le communisme -, ou bien l'Etat deviendra le grand et unique organisateur du travail - c'est le socialisme.

 

Alexis de Tocqueville dessine alors les traits communs à toutes les formes de socialisme:

- Un appel énergique, continu, immodéré, aux passions matérielles de l'homme;

- Une attaque tantôt directe, tantôt indirecte, mais toujours continue, aux principes mêmes de la propriété individuelle;

- Une défiance profonde de la liberté, de la raison humaine.

 

Dans tous les socialismes, l'État ne doit pas seulement être le directeur de la société, mais doit être pour ainsi dire le maître de chaque homme; que dis-je! son maître, son précepteur, son pédagogue:

De peur de le laisser faillir, il doit se placer sans cesse à côté de lui, au-dessus de lui, autour de lui, pour le guider, le maintenir, le retenir.

 

En résumé, qu'est-ce que le socialisme, sinon une nouvelle formule de la servitude...

 

A ces traits du socialisme, Tocqueville oppose les bienfaits de la révolution française:

- les grands sentiments qui font faire aux hommes de grandes choses;

- la propriété consacrée et répandue;

- la liberté substituée aux entraves de l'ancien régime que le socialisme veut rétablir, similairement.

 

Tocqueville souligne l'incompatibilité du socialisme avec la démocratie, comprise comme elle s'exerce à l'époque le plus souverainement, c'est-à-dire en Amérique:

La démocratie étend la sphère de l'indépendance individuelle, le socialisme la resserre. La démocratie donne toute sa valeur à chaque homme, le socialisme fait de chaque homme un agent, un instrument, un chiffre. La démocratie et le socialisme ne se tiennent que par un mot, l'égalité; mais remarquez la différence: la démocratie veut l'égalité dans la liberté, et le socialisme veut la liberté dans la gêne et la servitude.

 

Alexis de Tocqueville souhaite que la révolution de février 1848 continue celle de 1789, c'est-à-dire:

- qu'il n'y ait plus de classes politiquement;

- que les charges publiques soient égales;

- que chaque homme dispose de lumières et de liberté, pour n'avoir rien de plus à demander à ceux qui le gouvernent;

- que l'État ne se mette pas à la place de la prévoyance et de la sagesse individuelles mais qu'avec les moyens dont il dispose il vienne au secours de tous ceux qui souffrent, au secours de ceux qui, après voir épuisé toutes leurs ressources, seraient réduits à la misère, s'[il] ne leur tendait pas la main.

 

Tocqueville parle à propos de ce dernier point de christianisme appliqué à la politique. Mais est-ce bien du ressort de la politique et de l'État de pratiquer ainsi le christianisme par la contrainte, ôtant à ceux, au nom desquels il l'exerce, tout mérite moral et charitable?

 

Francis Richard, 12 octobre 2015

 

Contre le droit au travail, Alexis de Tocqueville, 96 pages, Les Belles Lettres

 

Publication commune lesobservateurs.ch et Le blog de Francis Richard

Un commentaire

  1. Posté par Michel de Rougemont le

    Tocqueville utilise « démocratie » alors qu’aujourd’hui on parlerait plutôt de l’opposition entre État libéral et socialiste, la démocratie n’étant en fin de compte qu’une méthode de participation aux prises de décision et non un idéal de société en soi.
    À propos du dernier point soulevé par F. Richard :
    Un des rôle primordial de l’État est de garantir les libertés de tous les individus, ce qui implique, on le sait bien, que chacun ne dispose pas d’un champ d’action si vaste qu’il mettrait en danger la liberté de l’autre, et qu’une majorité n’impose pas systématiquement et sans respect son pouvoir aux minorités. Venir au secours de celui qui est dans le besoin est une composante de cette protection, la misère ou le total désarroi étant sûrement des obstacles à l’exercice de la liberté de cette personne. Il ne s’agit donc pas de christianisme appliqué à la politique mais du respect de l’individu dans une logique libérale. Ce n’est donc pas non plus de la charité.
    De là il ne faut pas confondre ce rôle protecteur avec celui, socialiste ou communiste, d’égalisateur par la redistribution ou par la confiscation qui est anti-libéral et n’a aucun fondement chrétien.
    Il ne faut pas non plus transformer cette nécessaire bienveillance en instrument de pouvoir, souvent renforcé par une puissante bureaucratie ; là on se retrouve dans une relation de domination qui n’a rien de libéral.
    Où nous trouvons-nous aujourd’hui ?

Et vous, qu'en pensez vous ?

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