Myret Zaki : rêveries d’une adhésion

Ludovic Malot
International Business Manager

Consternation et furibonderie sans retenue: c’est à peu près l’ambiance dans les rédactions romandes depuis l’acceptation par le souverain Suisse de l’initiative contre "l’immigration de masse" lors des votations du dimanche 9 février. Entre Le Temps "le média suisse de référence" et Bilan, la "référence suisse de l’économie" – deux médias notoirement pour l’adhésion de la Suisse à l’Union Européenne – c’est le déferlement des lamentations, le défilé des grandes pleurnicheries. 

 

Myret Zaki, dans Bilan, ne fait pas exception: le 19 février elle affirme sans ambages que la démocratie directe c’est l’arme des faibles. Oui vous avez bien lu, vos nerfs optiques ne sont pas défaillants! Étonnante vision des institutions puisque nul n’est censé ignorer que dans le système helvétique, la démocratie directe (pouvoir horizontal) est précisément là pour contrebalancer le législatif et l’exécutif et ainsi éviter tout décalage entre le peuple et les élites politiques – ce que l’UE aurait d’ailleurs grand besoin. Aussi nous suggérons à Myret Zaki qu’elle rende son passeport à croix blanche et qu’elle demande l’asile en France, en Angleterre ou ailleurs, elle serait certainement mieux payée et considérée.

Mais passons en revue les "avantages comparatifs" qu’elle mentionne dans son clip vidéo publié sur le site de Bilan le 21 février:

"La Suisse n’a jamais eu autant besoin de l’Union Européenne"

Vraiment? Curieux dans ces conditions que la part des exportations de la Suisse dans l’UE est en chute libre ces dix dernières années passant de 68% à 55%. La Suisse exporte dorénavant dans les pays de l’est, les marchés émergents, en Amérique du sud, vers les BRICS (Brésil, Inde, Russie, Chine) qui sont en forte progression (Russie + 12.8% en moyenne annuelle). Elle a donc réduit fortement et tout naturellement sa dépendance au marché européen qui globalement a un taux de croissance plutôt inquiétant puisqu’il est proche de zéro!

On connaît les problèmes structurels de la zone euro, le chômage en constante progression (12%), 11% en france, 26.7% en Espagne, 12.5% en Italie, 27.3% en Grêce, les déficits publics abyssaux, la création monétaire ex nihilo sans limite (chute constante du pouvoir d’achat et nécessairement menace d’hyperinflation à terme) rachat massif des obligations d’états de la BCE en violation du traité de Maastricht et de Lisbonne. Mais la Suisse se fait donner des leçons par les bureaucrates de Bruxelles et l’establishment europhile et mieux encore par les Grecs! (les spécialistes du maquillage comptable) par la voix de Evàngelos Venizélos déclarant "le droit international – et non pas une révision constitutionnelle nationale – constitue la base des relations entre la Suisse et l’UE".

On avait oublié aussi qu’en matière de commerce international les rapports commerciaux s’articulent en fonction de décisions rationnelles. Quand les Européens achètent des produits Suisses – ce n’est pas par plaisir – mais parce que ces produits sont meilleurs que les autres en termes de qualité, fonctionnalités, valeur ajoutée, et souvent pour leur faible entretien, voire uniques par leurs caractéristiques innovantes (émission Un Oeil sur la Planète, Le Miracle Suisse et la société Thermoplan).

La Suisse n’a pas besoin d’être dans l’Union Européenne ni même des bilatérales pour vendre ses produits aux pays Européens. Certes les droits de douanes peuvent renchérir les prix des produits à l’entrée de l’Union mais la Suisse n’a pas attendu l’ouverture facilitée au marché européen pour s’y développer. Sachant au final qu’être moins compétitif (taux de douanes plus élevés, franc fort) est en réalité une chance et positif: cela oblige les entreprises à innover et à se spécialiser, à se positionner sur des marchés niches à haute valeur ajoutée, ce qui a toujours été la force de la Suisse. Donc non la Suisse n’a pas "besoin" de l’Union Européenne, ce sont les pays Européens qui ont besoin des produits Suisses parce qu’ils sont innovants et qualitatifs.

 

"La Suisse est tributaire des influences extérieures"

La Suisse a toujours été un pays très ouvert sur le monde, elle a toujours su s’adapter, elle s’est construite une image de qualité, de rigueur et de précision c’est justement la recette de son succès. Est-ce qu’il faut pour autant qu’elle abandonne son indépendance politique, monétaire, fiscale et sa "rêverie identitaire" en succombant aux pressions et au chantage d’une élite politico-économique ? Certainement pas.

 

"Les "avantages comparatifs" qui justifiaient la politique d’indépendance de la Suisse ont disparu" 

L’évasion fiscale (en lien avec la fin du secret bancaire pour les résidents étrangers) n’a jamais été un avantage comparatif parce qu’elle est pratiquée dans tous les pays sous toutes ses formes – particulièrement dans les pays à forte taxation et prélèvements – on l’appelle économie souterraine (travail au noir, sous déclaration de revenus) sans compter les trusts, c’est 2000 milliards d’euros et 18.5% du PIB Européen. En France l’économie grise serait de 204 milliards d’euros. Les dépôts non déclarés en Suisse sont donc insignifiants si on analyse l’évasion fiscale dans toutes ses proportions et manifestations.

Des entreprises Suisses pratiquent le dumping salarial par l’outsourcing dans les pays voisins?  Des coquelicots dans un champ de blé. Autant avoir de bonnes raisons économiques pour le faire. (développement d’activités dans le pays en question et pas uniquement pour économiser sur les salaires) D’autre part, toujours plus d’entreprises européennes veulent s’établir en Suisse.

Selon Romain Duriez, directeur de la Chambre France-Suisse pour le commerce et l’industrie "en quatre ans, nous sommes passés de 400 à plus de 550 entreprises implantées" et les entreprises ne viennent pas en Suisse uniquement pour des raisons fiscales, cet élément n’intervient qu’en cinquième position sur une dizaine de facteurs, relève Philippe Monnier, du Greater Geneva Berne Area (GGBa) Selon le portail PME de la Confédération "Ce que viennent chercher les patrons français, c’est avant tout un environnement politique et social favorable à l’entreprenariat, notamment une administration efficace. La proximité des administrations, conséquence du fédéralisme, représente un atout".

Le frein à l’endettement est effectivement un système qui a fait ses preuves puisque la dette publique par rapport au PIB en Suisse se monte à 35.7% en 2012 et pas à 60% (source: Administration Fédérale des Finances)  En France la dette atteint 91% du PIB.

Comparer le franc Suisse, l’inflation, l’endettement avec le taux des bons du trésor américain n’a absolument aucun sens. Au final, les Etats-Unis est une nation en faillite (une farce en faillite comme disait un analyste financier Londonien) qui non seulement monétise sa dette sur le dos du monde mais siphonnent en plus 75% des liquidités mondiales (dette publique officielle de 17 000 milliards, réelle estimée à 205 000 milliards (les principaux engagements du gouvernement américain sont hors bilan) selon le Dr Laurence Kotlikoff, Phd Harvard University, professeur d’économie à Boston University et chercheur associé au National Bureau of Economic Research dans une interview de l’Economic Policy Journal.

Un franc fort n’est pas un problème pour autant que le marché puisse s’ajuster par lui même sans intervention monétaire de la banque centrale (le dogme de la stabilité des prix n’étant certainement pas un objectif à poursuivre dans une économie libérale, un marché libre véritable) en ce sens les effets déflationnistes sont bénéfiques car ils détruisent la dette.

Ceci explique le zèle de l’establishment à vouloir lutter à tout prix contre la déflation en créant toujours plus de fausse monnaie ex nihilo en gonflant la masse monétaire et les banques commerciales via les réserves fractionnaires. (les perdants de la déflation sont les profiteurs de l’inflation : les banques, les spéculateurs de tout ordre (bourse, immobilier, hedge funds), les agents surendettés et de manière collatérale les entrepreneurs qui empruntent plutôt qu’utiliser leurs fonds propres, tous ces drogués du crédit préfèrent naturellement encourager les politiques inflationnistes – la religion Keynésienne – pour démultiplier leurs profits et dissimuler leurs pertes)

Un franc fort et une tendance déflationniste est donc préférable à l’accumulation de dette Européenne (achat massif de devises) exposant de facto le pays à des risques considérables lors de la prochaine crise financière et de solvabilité des banques pour maintenir artificiellement un taux plancher avec l’euro. (non, les dettes souveraines n’ont pas disparu comme par enchantement) Dans un article ultérieur nous avons mentionné la directive en préparation sur le renflouement interne des banques (Bail-in) dans l’Union Européenne par la confiscation programmée des dépôts.

 

"On est très seul, isolé politiquement"

Cela fait 700 ans que la Suisse est "seule" et pourtant ouverte au monde, et c’est justement parce qu’elle a fait le choix de l’indépendance en défendant ses valeurs et sa souveraineté qu’elle est aujourd’hui un modèle de réussite. La Suisse est l’un des pays les plus prospère de la planète, avec une qualité de vie et un pouvoir d’achat élevés et enregistre un taux de chômage extrêmement faible en comparaison internationale. Sa démocratie directe est aussi enviée par tous les pays du monde et il faudrait y renoncer pour une bureaucratie de type socialiste et autoritaire? Oui, l’Union Européenne n’est pas autre chose. Pour ceux qui feignent de l’ignorer : le système de gouvernance centralisé et anti-démocratique de l’UE est incompatible avec les institutions Suisses.

D’autre part, qu’on le veuille ou non tous les pays sont "isolés politiquement". Malgré les apparences, en matière de diplomatie chaque pays défend ses propres intérêts et c’est parfaitement naturel. Ensuite la Suisse est neutre, elle n’a jamais éprouvé le besoin de se mettre sous les projecteurs – à part récemment quelques activistes au conseil fédéral en mal de reconnaissance – en quête d’une fallacieuse "neutralité active". La Suisse a aussi de gros moyens de pression à sa disposition : notamment par sa place centrale en Europe, sa puissance économique et le trafic Nord-Sud qu’elle contrôle avec ses tunnels transalpins.

 

Les réels points forts de la Suisse et qui bétonnent sa capacité d’indépendance sont loin d’avoir disparus:

  • une TVA basse à 8% (en moyenne plus de 20% dans les pays de l’UE)
  • le fédéralisme et l’efficacité de l’administration (proche des citoyens)
  • le principe de subsidiarité
  • l’autonomie monétaire et l’obligation de maintenir une couverture métallique or
  • un pouvoir d’achat en 2ème position en Europe derrière le Liechtenstein
  • une fiscalité attrayante
  • la concurrence fiscale qui encourage une bonne gestion des deniers publics
  • une formation professionnelle performante qui valorise les hommes, les talents et l’ascension sociale
  • une démocratie directe comme contre pouvoir au législatif et l’exécutif (stabilité politique)
  • un système politique de milice, des élus proches de la population, au service des citoyens et pas de leur carrière
  • des institutions qui obligent les politiciens à rendre des comptes et à gérer au mieux l’argent public

Si on analyse les faits il n’y a donc aucune logique économique à adhérer à l’Union Européenne et même s’il y en avait une, l’économie à elle seule, jusqu’à preuve du contraire, n’a pas encore le monopole des décisions dans ce pays.

Ludovic Malot

http://ludovicmalot.wordpress.com/

6 commentaires

  1. Posté par Eric le

    M. Ludovic Malot,
    Magnifique et tellement vrai! Mais, c’est dans la presse et chez les jeunes (réseaux sociaux) qu’ils faut leurs expliquer ainsi qu’à tous nos conseillers Nationaux et aux États qui rêvent de nous faire  »revoter » ! Merci.

  2. Posté par Edouard Tr. le

    J’oubliais, les transferts (grossièrement nord-sud) entre états-membres dont la Suisse serait immédiatement contributrice.

    Ceux-ci prennent aujourd’hui la forme:
    1) de fonds (e.g. EFSF) prétant aux états-membres en difficulté à un taux plus faible que celui du marchl, en d’autres termes un transfert de risque sud-nord .
    2) des bailouts (et garanties implicites de futurs bailouts) tels que pratiqués avec la Grèce.

    Demain ceux-ci se transformeront soit:
    1) par une mutualisation de la dette européenne, i.e. eurobonds (où les états peu compétitifs seraient à nouveau bénéficiaires de subsides sous la forme d’un intérêt plus faible).
    2) par des transferts directs entre états-membres tels que pratiqués en Suisse entre les cantons. Hors l’on sait que quand ceux-ci sont mis en place, il n’y a pas (peu) de retour en arrière possible. Entre cantons ceux-ci ne cesseront pas. Les cantons receveurs ayant moins d’incitations à se réformer. Projeté au niveau européen, les transferts nord-sud, dont la Suisse sera contributrice, prendront place indéfiniment.

  3. Posté par Edouard Tr. le

    Sur le fond elle n’a pas tord. Aussi malheureux que cela soit, nos avantages concurrentiels se sont effrités et notre indépendance de politique interne est sans cesse influencée par l’UE.

    Mettons l’aspect affectif de côté pour lequel nous, communauté des Observateurs, sommes contre l’adhésion.
    Notre position au coeur de l’Europe – mais non-membre de l’UE – présente des avantages considérables. En plus de l’autonomie monétaire, primordiale, citée dans l’article:

    – Accords de libre-échange multiples et sur mesure.
    – Neutralité – concrète.
    – Bonus amicaux naturel envers les émergents (e.g. Russie, Chine).
    – Non-adhésion à une entité politique en devenir, i.e. dans un futur peu lointain:
    — Défense commune.
    — Taxation directe, centralisée par l’UE.
    — Découpage de la démocratie directe, des droits du citoyen.
    — Perte de prestige, Etats-membres comparables aux états des USA (dans 50 ans veut-on se référer à la Suisse comme de l’Ohio, par exemple?)

    J’en passe, suffit de se creuser un peu la tête et la liste doublerait.
    La Suisse au coeur de l’Europe, mais non-membre, est une chance inouïe. Espérons que notre démographie vieillissante, qui a pour futur les naturalisations, ne nous attire pas au sein de l’UE. J’ai confiance en notre culture spécifique pour que cela ne soit pas le cas, à moins que l’UE ne devienne réellement attrayante.

  4. Posté par Luca le

    Merci beaucoup M. Ludovic Malot, cela change des torchons que j’ai l’habitude de lire…

  5. Posté par Economico le

    Excellent article!

  6. Posté par Marie-France Oberson le

    J’ai eu la même réaction en lisant son « Aparté ».
    Quelle déception ! Elle ne nous avait pas habitué à une telle démesure dans ses propos !
    Mais il n’y a pas qu’elle qui débloque ! Avez-vous lu l’éditorial du rédacteur en chef Stéphane Benoit-Godet ? Du même acabit, la même rage, la même méchanceté :
    « Triomphe de l’embuscade »
    Extrait :« Le citoyen se fait piéger par les arguments faciles du marketing politique qui font appel aux peurs et aux sentiments les plus primaires. Ensuite, il y a ambiguïté pas assez relevée au sujet de l’UDC. En termes d’idéologie, ce n’est rien d’autre qu’un parti écologiste qui rêve de préserver la maison suisse comme au temps de grand-papa. »
    Mais le comble de l’incohérence, c’est quand il écrit que : » L’UDC ne rêve au fond que d’un communisme de droite, un Etat centralisé qui décidera souverainement de la manière dont il allouera des contingents »
    La rage leur fait dire n’importe quoi !
    .

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