Le premier tour des élections présidentielles autrichiennes a eu lieu dans la plus grande discrétion - honnêtement, en aviez-vous entendu parler avant ce week-end? - mais les résultats sont là, difficiles à ignorer: Norbert Hofer, candidat du FPÖ (Parti de la liberté d'Autriche), l'emporte largement.
Les résultats partiels hier soir.
La crise des migrants a été l'un des thèmes centraux de la campagne. Les partis historiquement dominants n'ont pas convaincu, c'est le moins que l'on puisse dire. Leur politique d'ouverture et leur revirement tardif en faveur d'une fermeture des frontières face à l'afflux d'immigrés clandestins a donné à l'opinion l'impression désastreuse d'une navigation à vue, sans la moindre compréhension des enjeux.
Les Socio-démocrates et les Conservateurs sont balayés. La deuxième place est obtenue par l'ancien écologiste Alexander van der Bellen, la troisième par l'indépendante Irmgad Griss, ancienne présidente de la Cour suprême. Le candidat SPÖ Rudolf Hundstorfer et le conservateur Andreas Khol ne se placent qu'en quatrième et cinquième position, obtenant chacun autour de 11% des voix. Quelle gifle!
Les médias tentent de se rassurer: la fonction présidentielle autrichienne est "essentiellement protocolaire", nous dit-on. Les quelques menues fonctions associées n'ont pas effectivement pas l'air très importantes, qu'on en juge: commandement des armées, nomination du Chancelier, possibilité de révoquer des membres du gouvernement et même de dissoudre l'assemblée... Des prérogatives dont le futur président Hofer a bien l'intention de se servir s'il est élu président et si gouvernement et parlementaires persistent à ne pas prendre la mesure de la crise des migrants.
Malheureusement pour tous ceux qui se préparaient à glapir contre cette immixtion dans la politique gouvernementale, son adversaire du second tour Alexander van der Bellen n'en annonce pas moins en déclarant que "jamais" il n'accepterait la nomination d'un chancelier issu du FPÖ. Visiblement, aucun des deux finalistes n'a l'intention de se limiter à un simple rôle protocolaire.
Suivant leurs réflexes pavloviens, les journalistes s'engouffrent dans la litanie habituelle: "l'extrême-droite" est en mesure de l'emporter en Autriche, nous prévient-on. La bête immonde au ventre fécond s'apprête à pondre, encore. Pourtant, il suffit de discuter avec quelques Autrichiens pour comprendre qu'il n'en est rien. Norbert Hofer, 45 ans et benjamin des candidats, est un politicien aussi sympathique que respectable, membre de la branche libérale du FPÖ et président de la Chambre basse du Parlement. Ingénieur aéronautique de formation, il boite et marche avec une canne depuis un accident de parapente. Il ne cadre pas vraiment avec l'image d'un futur dictateur assoiffé de pouvoir, mais on essayera.
Le système anti-démocratique se défend. On imagine que tous les partis se rangeront derrière Alexander van der Bellen contre le FPÖ, si bien que le résultat final reste incertain. Il n'empêche que ce scrutin représente une déconvenue de taille pour les élites au pouvoir. Pas un des poulains officiels ne parvient au second tour. La "grande coalition" entre la gauche bourgeoise et la droite étatiste pour tenir les rênes du gouvernement ad vitam aeternam vient de subir une défaite d'autant plus cuisante qu'elle porte précisément sur son objectif fondamental, court-circuiter le vote démocratique.
L'alliance entre Socio-démocrates et Conservateurs perdurait depuis la Seconde Guerre Mondiale, plus de trois générations. Elle vient de se briser sur l'émergence d'une nouvelle alternance cristallisée sur la question migratoire. Voilà un événement majeur qui fera réfléchir dans tous les États-majors politiques d'Europe.
L'inertie électorale des citoyens n'a pas été vaincue par la lassitude ou le marasme économique, mais par la crise des migrants. L'Autriche a accueilli en 2015 plus de 1% de sa population en migrants de culture diamétralement opposée et professionnellement inassimilables (la grande majorité des migrants étant inemployable à cause de la barrière de la langue et de l'absence de toute qualification). Le nombre d'arrivées de migrants était supérieur à celui des naissances!
L'inquiétude des peuples face à l'immigration musulmane, les agressions de Cologne, l'explosion des coûts financiers et sociaux des généreuses politiques d''accueil, l'effondrement de l’État dans ses fonctions régaliennes de gardien des frontières, voilà autant de bases pour un nouveau paradigme. La recomposition de l'échiquier politique est en marche. Elle porte désormais sur des fondamentaux, la survie d'une société face à des éléments allogènes. Ce critère de survie l'emporte désormais sur tous les autres, dont les oppositions de façade destinées à perpétuer l'immobilisme.
La nouvelle ligne de fracture entre les partis s'incarne désormais dans leur politique migratoire respective.
Stéphane Montabert - Sur le Web et sur Lesobservateurs.ch, le 25 avril 2016