Pourquoi les formations à l’enseignement sont des “usines à médiocrité”

Stevan Miljevic
Enseignant

Il y a quelques temps de cela, les chercheurs Clermont Gauthier et Anthony Cerqa de l'université de Laval ont publié un papier fort intéressant sur la formation des enseignants. (1)

Comment les enseignants perçoivent leur formation

La réflexion débute avec un petit résumé de The New Teacher Project (TNTP), enquête menée auprès d'enseignants américains expérimentés travaillant dans des milieux fort défavorisés. Cette recherche visait, entre autre, à identifier les principaux facteurs ayant contribué à améliorer la qualité de leur enseignement. Comme vous pouvez le constater sur le diagramme suivant, la formation initiale d'enseignant est arrivée à la dernière place de l'ensemble des facteurs proposés:

Capture d’écran 2014-03-07 à 16.50.27 (2)(cliquer sur l'image pour agrandir)

Près d'un enseignant sur deux affirme donc que sa formation initiale ne l'a en rien aidé à devenir un meilleur enseignant. C'est beaucoup, ce d'autant plus que, comme toujours lorsqu'il s'agit de répondre à une demande critiquant l'institution, un certain nombre d'enseignants n'osent pas dire ce qu'ils pensent réellement. On pourra toujours rétorquer que la majorité des enseignants affirme que cette formation  a été utile mais la manière de poser les questions ne pouvait pas amener à une autre réponse. Prenons un exemple simple pour illustrer le cas: si un cursus de formation est à 95% inutile et qu'on retrouve quand même 5% de choses utiles, toute personne honnête ne peut pas dire que cela ne l'a pas aidé à bonifier sa pratique. En revanche, si on pose la question différemment, par exemple en demandant aux gens si le retour d'investissement personnel engagé dans cette formation dans son ensemble vaut la peine, le taux de réponses négatives sera revu largement à la hausse. On réalise ainsi à quel point le score obtenu par les formations initiales dans cette enquête est faible.

Alors certes il s'agit de formations ayant eu lieu aux Etats-Unis qui n'ont peut-être rien à voir avec ce que l'on fait dans nos contrées. On va y venir. Ce qui n'empêche pas de penser qu'une telle enquête devrait, elle aussi, être menée chez nous. Le but étant de récolter des informations précises, les questions posées devraient être plus précises et ne pas servir d'alibi pour bomber le torse et déclarer fièrement que nos formations sont formidables. De telles données pourraient déjà nous éclairer sur la perception qu'ont les enseignants du parcours formatif qu'ils ont du suivre.

Des usines à médiocrité

Mais revenons-en au papier de messieurs Gauthier et Cerqua. La deuxième partie du document porte sur une enquête menée par le National Council on Teacher Quality (NCTQ), think tank US militant en faveur d'une amélioration de la qualité des enseignants, au sujet de la qualité de la formation des enseignants US (3). La recherche a porté sur 1130 établissements et  2420 programmes de formation différents, soit la quasi unanimité des formations possibles aux Etats-Unis.

Les résultats sont assez stupéfiants puisque le NCTQ arrive à la conclusion que les cursus de formation d'enseignants sont des usines à médiocrité. La raison en est que:

Tout se passe comme si le choix avait été fait, depuis les années 1970, d'écarter les dimensions techniques directes au profit d'une préparation au métier plus lointaine et de nature conscientisante. La technique est mal vue dans les facultés d'éducation et on ne l'enseigne tout simplement pas parce qu'on craint une sursimplification de ce qui est considéré autrement plus complexe. L'accent dans les programmes est plutôt mis sur la conscientisation, la mise au jour des croyances personnelles, la sensibilisation aux stéréotypes, la formation de l'identité professionnelle. On ne transmet ni n'entraîne aux habiletés pédagogiques, on met plutôt les étudiants en situation de développer leur jugement professionnel par l'analyse réflexive. Ainsi, on croit que chacun devrait construire les bonnes stratégies par lui-même (4).

En Suisse nous subissons exactement le même genre de traitement: dans les HEP, les futurs-enseignants ne sont quasi jamais entrainés à des techniques précises: la majeure partie du travail consiste à remplir des rapports ennuyeux au possible à l'aide d'une grille de critères, à pratiquer la pensée réflexive, à expliquer le cheminement suivi dans sa pratique etc.  Les stages pratiques se font aussi dans cet esprit puisque l'étudiant doit également remplir des rapports expliquant ce qui a changé dans sa pratique. Le résultat d'une telle approche est que des outils qui peuvent s'avérer fort efficaces en situation d'enseignement en arrivent à être très mal connus de la part des enseignants en formation. Si les HEP veulent atteindre un certain degré d'efficacité, elles doivent changer leur mode de fonctionnement.

Dogmatisme et stress

Les méthodes enseignées comportent également de nombreuses incongruités dont nous avons déjà parlé: certains didacticiens ne jurant que par l'approche constructiviste n'ont de cesse de promouvoir situation-problèmes, enquête ou autre pédagogie de la découverte bien que la démonstration de la quasi totale inefficacité de celles-ci soit aujourd'hui clairement établie (5). Suivant le didacticien, de nombreuses heures sont ainsi perdues à s'intéresser à ces élucubrations. Comme la manière de les enseigner est tout aussi inefficace, certains étudiants en arrivent à subir une forte charge de stress totalement inutile: ils ne comprennent pas où veulent en venir ces formateurs ayant usé de moyens sans aucune pertinence pour les amener à des savoir-faire qu'ils n'arrivent pas à appréhender tant ils défient le bon sens et l'intelligence. Et ce alors que leur avenir professionnel est en jeu. Ce qui amène certaines personnes à se demander si les Hautes Ecoles Pédagogiques n'ont pas pour objectif de tester la résistance des futurs enseignants plutôt que de leur enseigner le métier.

Fort heureusement pour le candidat ainsi malmené, cette méthode de travail a un fort taux de tolérance à la médiocrité et même des savoir-faire très partiellement acquis peuvent être synonyme de réussite. Il ne peut d'ailleurs pas en être autrement avec de telles pratiques. Mais cela n'empêche pas des situations d'échec intermédiaires qui peuvent être fort angoissantes puisqu'il n'est pas possible de savoir à priori la manière dont un formateur va réagir au travail rendu. Certes, l'étudiant dispose d'une grille des critères à atteindre avant la rédaction de son rapport, mais ceux-ci sont généralement formulés de manière si vague qu'il n'est pas possible d'être certain de les avoir rempli.

Un tremplin du constructivisme social

Outre ces aspects didactiques, la lutte contre les stéréotypes peut prendre au moins deux différentes formes dans les cursus de formation à l'enseignement: la lutte contre les stéréotypes de genre et l'interculturalité (6). Dans les deux cas, il sera assené aux enseignants en formation que les identités, qu'elles soient de genre ou culturelle ne sont en fait nullement déterminées par la biologie, le milieu naturel ou tout autre facteur tendant à différencier durablement, mais qu'il ne s'agit en fait que de phénomènes socialement construits.

Selon le philosophe Ian Hacking, spécialiste de la question, dire d'un phénomène qu'il est "socialement construit" revient à soutenir que son existence n'est pas inévitable, que sa genèse est tributaire d'événements qui auraient pu ne pas survenir. Ce constat le conduit à formuler quatre clauses se situant au principe de toute les théories constructivistes:

- Dans l'état actuel, X - l'objet "socialement construit" - est tenu pour acquis, X apparaît comme inévitable

- X n'a pas besoin d'exister, ou n'a pas besoin d'être comme il est en quoi que ce soit. X, ou X tel qu'il est aujourd'hui, n'est pas déterminé par la nature des choses; il n'est pas inévitable

- Tel qu'il est, X est assez médiocre

- Nous nous sentirions beaucoup mieux si l'on pouvait se débarrasser de X, ou tout au moins le transformer radicalement. (7)

Ce constat permet d'affirmer que le constructivisme social, loin d'être une vision scientifique cherchant à comprendre le fonctionnement du réel est en fait une vision militante du monde. Une vision militante qui n'a pas son pareil pour promouvoir les intérêts des minorités au détriment de ceux de la majorité et/ou du bien commun.

Derrière cette prétention de lutte contre les stéréotypes et préjugés que l'on retrouve dans les différents instituts de formation à l'enseignement se cache donc une vicieuse vision fortement politisée, terreau fertile pour les revendications LGBT et le lobby  immigrationniste notamment.

Conclusion

La méthode d'enseignement ainsi que les contenus des instituts de formation sont donc largement contestés/contestables. Tout le monde y gagnerait à ce que toute cette démarche conscientisante soit remplacée par quelque chose de plus efficace et moins fastidieux à la fois et que les contenus cessent d'être orientés vers des divaguations dont l'inefficacité est maintenant maintes fois prouvée. De même, les essais d'implanter une vision de monde aussi politiquement orientée que les cursus se cachant derrière la lutte contre les stéréotypes et les préjugés n'ont pas leur place dans ces institutions. L'école doit enseigner le respect, pas la promotion de revendications communautaires.

Au final, si une remise en cause sérieuse était effectuée, que les multiples rapports cédaient leur place à des tests, que les méthodes d'enseignement se calquaient sur ce qui a été démontré comme efficace par des enquêtes empiriques (8) et que la politisation des enseignants cédait la place à quelque chose de plus neutre, la longueur du parcours de formation se verrait drastiquement réduite. Ce qui n'irait pas sans poser d'autres problèmes puisque le critère retenu par les institutions européennes dans les accords de Bologne comme élément clé de l'attribution des crédits de formation est le temps que l'étudiant passe à étudier.

Dans le même temps, puisque même les plus fumeux théoriciens du domaine de l'enseignement reconnaissent que certaines pratiques sont plus chronophages que d'autres, il n'y a aucune raison objective de penser que de telles modificiations ne peuvent pas être introduites. Le contraire serait même plutôt choquant.

Stevan Miljevic, le 11 mars 2014

http://stevanmiljevic.wordpress.com

(1) http://www.formapex.com/formation-professionnelle/1108-la-faiblesse-de-la-formation-des-enseignants-conscientiser-au-lieu-dentrainer?616d13afc6835dd26137b409becc9f87=4d34101224fa8bcc8a53050fda55c277 consulté le 5 mars 2014

(2) http://tntp.org/assets/documents/TNTP_Perspectives_2013.pdf consulté le 7 mars 2014

(3) http://www.nctq.org/dmsView/Teacher_Prep_Review_2013_Report consulté le 7 mars 2014

(4) http://www.formapex.com/formation-professionnelle/1108-la-faiblesse-de-la-formation-des-enseignants-conscientiser-au-lieu-dentrainer?616d13afc6835dd26137b409becc9f87=4d34101224fa8bcc8a53050fda55c277 consulté le 5 mars 2014, p.69

(5) http://visible-learning.org/fr/

(6) http://www.hepl.ch/files/live/sites/systemsite/files/filiere-sec1/programme-formation/liste-modules-secondaire1-2013-14-fs1-hep-vaud.pdf consulté le 8 mars 2014

(7) Razmig Keucheyan "Le constructivisme, des origines à nos jours", Hermann, Paris, 2007, p.67 à 69

(8)http://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/01/29/de-nouvelles-lois-necessaires-pour-encadrer-lenseignement/

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