Drôle de justice, de Jean-Marie Rouart

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Ce livre comprend deux parties.

 

Dans la première, intitulée Justice, ma cruelle illusion, Jean-Marie Rouart écrit, en guise d'introduction:

Les liaisons secrètes qui existent entre la littérature et la justice n'ont cessé de me troubler. En réalité, tous mes ouvrages et l'essentiel de mes articles sont reliés étroitement à cette question.

 

C'est en particulier l'affaire Omar Raddad, en 1991, qui l'a mobilisé:

Pourquoi une famille très honorable acceptait-elle de faire porter la responsabilité d'un crime à un innocent manifeste plutôt que de risquer d'être compromise en laissant la justice suspecter l'un de ses membres?

 

Pendant trente ans, avec ses avocats successifs, il a combattu et combat encore pour que les magistrats révisent sa condamnation. Ce qui lui a valu d'être accusé, puis condamné pour diffamation...

 

Ce n'était pas la première fois qu'il se posait la question du bien-fondé des décisions de justice: il avait dans Le Figaro, en 1969, prit la défense de Gabrielle Russier1. Ce ne serait pas la dernière...

 

En dehors des erreurs judiciaires, il s'est intéressé à des affaires où des magistrats fermaient les yeux sur les turpitudes du pouvoir, et dut démissionner du Figaro à cause de l'une d'entre elles.

 

Une expérience, à l'âge de 14 ans, lui fit découvrir une des plus mystérieuses ambiguïtés de la justice et dont seule la littérature rend compte. La part de responsabilité de la société dans le crime:

Ce que montre la littérature, c'est qu'avant de parvenir devant un tribunal, la société a déjà jugé ceux qu'elle veut perdre.

 

Des exemples? Voltaire défendant Calas, Sirven ou le chevalier de La Barre, Balzac défendant le notaire Peytel, Zola défendant Dreyfus etc. Ce qui apporte le témoignage de leur humanité:

Cette humanité inséparable de la forme la plus élevée de la littérature.

 

Dans le domaine de la fiction, l'auteur prend l'exemple d'un des pathétiques héros de Marcel Aymé dans sa nouvelle, La rue de l'Évangile, qui figure dans son recueil Derrière chez Martin:

Marcel Aymé et son pitoyable héros, Abdel Martin, réussissent le miracle de nous permettre d'accéder à ce versant noir de la vie sans pour autant, miracle de la littérature, nous désespérer.

 

Si nous accordons tant de prix à la vérité des romans, c'est qu'ils répondent à une exigence plus profonde qui n'est pas forcément consciente. Ils sont là pour réparer un sentiment d'injustice plus général:

Ainsi ce qui indigne d'abord, réaction primaire, ce sont bien sûr les entorses faites à la loi. Mais ces lois elles-mêmes quelle est leur légitimité?

 

Autrement dit:

  • D'où vient l'ordre juste, ou admis comme tel? D'un vainqueur.
  • D'où celui-ci tient-il sa légitimité? D'une mystérieuse ordalie...

C'est ainsi que s'est édifié l'État moderne constitué sur une bureaucratisation ubuesque de contraintes et de réglementations.

 

La littérature représente pour nous un refuge, le seul asile qui puisse nous aider à affronter une dictature sociale, qu'elle touche à la politique ou à nos moeurs: une croyance dans un ordre inverse:

Qui n'humilie pas nos voeux secrets, mais les respecte. C'est ce qui nous pousse à adhérer à travers elle à tout ce qui se rattache à cette liberté épousant la loi naturelle, et que nous pressentons au fond de nous-mêmes comme un bien inaliénable.

 

Des écrivains, tels Montaigne, Montesquieu, Voltaire, Flaubert, Baudelaire, Valéry, Giono, ou Mauriac, sont le véritable antidote à cette "servitude volontaire" 2 dénoncée par La Boétie. 

 

À leur suite, dans la deuxième partie, Jean-Marie Rouart propose une pièce de théâtre, en trois actes, intitulée Drôle de justice, qui prêche d'exemple pour illustrer ce qu'il écrit dans la première.

 

Francis Richard

 

1 - Gabrielle Russier avait été condamnée à un an de prison avec sursis pour avoir eu une liaison avec un de ses élèves et... s'était suicidée.

2 - Voir mon article du 11 mars 2014.

 

Drôle de justice, Jean-Marie Rouart, 180 pages, Albin Michel

 

Livre de Jean-Marie Rouart précédemment chroniqué, chez Gallimard:

 

Une jeunesse perdue (2016)

 

Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard.

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