Le problème des Verts

Jean-François Dupont
Ingénieur-physicien EPFL

A la suite de l’affirmation de Robert Cramer, ouvrier de la première de l’écologisme genevois, à l’émission Forum de la RSR du 18 octobre dernier, et qui a prétendu, à propos du nucléaire suisse, que nos autorités en la matière sont peu crédibles parce qu’elles sont nées dans le même monde, nous avons pensé qu’une brève analyse plus générale d’un connaisseur averti et présenté déjà en 2008 pouvait fournir un éclairage historique bienvenu.
La question posée par Jean-François Dupont était la suivante ( le 7.07.2008 ): Les Verts servent-ils encore à quelque chose (depuis que les partis de gauche comme de droite se réclament aussi des valeurs écologiques)?

 

Le problème des Verts

Je suis engagé par ma formation et mon activité professionnelle dans les questions d’énergie, en particulier dans le secteur de l’électricité qui fait appel à toutes les ressources énergétiques : renouvelables, fossiles et nucléaire. L’énergie fait l’objet du débat de société que l’on connaît et dans lequel les Verts jouent un rôle considérable, positif et aussi parfois négatif. Ma perception des Verts est certes marquée par mon expérience professionnelle, mais je tiens à préciser que c’est un avis personnel de citoyen que j’exprime ici.

 Résumé : les Verts préfèrent la nature à l’homme

Les Verts vont continuer à jouer un rôle d’aiguillon pour accélérer les réflexions et les décisions visant à protéger l’environnement. Mais c’est la prise en compte des questions environnementales par les partis de gauche et de droite qui sera déterminante pour réaliser une politique environnementale efficace. Parce que les Verts prennent la nature comme modèle de référence et que cela pose deux problèmes. Le premier c’est que la politique doit gérer la société et que la société c’est la nature plus l’homme, ce n’est pas la nature toute seule.  L’homme certes peut jouer un rôle catastrophique, et les exemples ne manquent pas, et une certaine méfiance à son encontre est légitime. Mais si l’écologie néglige ce que l’homme peut et doit apporter d’essentiel, alors elle reste réductrice. Il manque donc aux Verts une vision humaniste que seuls les partis classiques, de gauche pour l’humanisme social, de droite pour l’humanisme libéral, peuvent offrir, ou au moins essayer d’offrir. Le deuxième problème c’est leur approche négative de la technique et des risques de la technique. Ils préfèrent fuir les risques par des interdits, au lieu de chercher à les maîtriser en valorisant les connaissances. C’est une conséquence de leur méfiance envers l’homme, une facette en sommes du premier problème évoqué.

 

Quelques réflexions pour éclairer ce résumé

 

Il faut reconnaître que tout parti politique présente des limites et peut poser problème. La gauche se préoccupe prioritairement de « partager le gâteau » en défendant la solidarité sociale, la droite de l’agrandir en défendant le libéralisme. Raymond Aron avait déjà conclu que n’être que de gauche ou que de droite, c’était être hémiplégique. Par cette formule il traduisait à sa manière qu’une politique cohérente devait additionner ces deux objectifs et non pas les jouer l’un contre l’autre.

 

Avec les verts une 3e dimension, l’environnement, s’invite au partage du champ politique, toute aussi légitime: le gâteau, qui grandit,  ne doit pas dégrader notre cadre de vie. Les Verts soulèvent une question réelle et relativement récente dans l’histoire : si notre niveau de vie s’élève, ce dont nous sommes plutôt contents, est-ce que la somme de toutes ces consommations et de tous les impacts induits sur l’environnement ne va-t-elle pas dégrader gravement notre cadre de vie? Remarquons aussi que la préoccupation environnementale a commencé avant l’existence des Verts comme parti. Exemple : l’épuration des eaux a été décidées et la réalisation lancée, avec succès, avant eux.

 

S’ils ont au départ raison sur le fond en voulant protéger l’environnement, les verts posent problèmes dans leur manière de chercher et proposer des solutions.

 

Premier problème des Verts: la nature comme modèle.

 

Les verts, se réclament volontiers de la nature comme modèle. On peut comprendre l’idée : tous les grandes idées et concepts soit religieux, soit politiques, toutes les théories en –isme (capitalisme, libéralisme, socialisme, communisme,…) ont déçu les attentes placées en eux. Tous ces systèmes ont montré finalement la faiblesse, voire la violence des hommes. Restait la nature qui peut apparaître comme la dernière référence, la nature qui est pure et qui ne peut pas être corrompue par l’homme. On peut comprendre la tentation. La nature peut séduire par une image de pureté. Mais en fait elle ne résout pas tout et parfois de elle le fait de manière très dure, voire violente.

 

Exemple simple : une des premières « lois de la nature » c’est la sélection naturelle : le plus fort élimine le plus faible, le grand mange le petit. L’idée que les faibles méritent d’être protégés par un filet social et solidaire n’est au fond pas dans la nature. Cette idée, qui est à la base des droits de l’homme, est une « création artificielle » de l’homme, ou de la transcendance religieuse, si on voit les droits de l’homme comme une traduction laïque des dix commandements. La civilisation n’a pu développer le concept des droits de l’homme qu’en dépassant une vision purement naturaliste du monde.

 

La nature comme modèle pose aussi le problème que l’on connaît quand on en tire argument pour réintroduire le loup ou l’ours, supposés « naturellement gentils »  dans le « biotope » des hommes.

 

La nature comme modèle pose donc le problème de la place réciproque de l’homme et de la nature. Selon le philosophe Luc Ferry (voir « Le nouvel ordre écologique», Grasset 1992) il y a deux courants qui s’affrontent chez les verts. D’une part les dogmatiques-fondamentalistes, pour qui la nature est une valeur supérieure en soi, indépendante de l’homme. Pour ce courant l’homme peut se révéler être un prédateur excessif et l’objectif écologique ultime peut devenir l’élimination de l’homme pour laisser survivre une nature intacte. D’autre part le courant des pragmatiques ou humanistes, pour lesquels une nature sans l’homme n’a plus de valeur. La nature est alors en quelque sorte subordonnée à l’homme : elle mérite d’être protégée dans la mesure où il y a des hommes pour être conscients de ses  agréments. Les principales propositions actuelles des Verts reflètent plutôt la tendance fondamentaliste.

 

2e problème : l’approche dogmatique des Verts est souvent en contradiction avec une approche scientifique.

 

L’écologie se veut une politique, mais aussi une science, qui étudie les rapports des êtres vivants avec leur milieu naturel. Or comme le disait déjà Rudy Grob, enseignant et rédacteur en chef de l’Educateur dans un éditorial du 22 mars 1984: «n’est pas scientifique à mon sens une stratégie qui joue des peurs des hommes, qui égare la connaissance pour forcer les décisions ». C’était un signal d’alarme qu’il lançait à ses collègues enseignants qui à cette époque propageaient assez largement les idées écologistes en classe, séduits par la « pureté » des intentions, au moment où les Verts transformaient leur « mouvement » en parti politique institué. Il constatait dans ce nouveau parti un éloignement de la démarche scientifique dont se prévalait le mouvement.  Affirmation qui n’a pas perdu en actualité.

 

C’est aussi le constat de Luc Ferry interviewé le 9 juillet sur la RSR 1 : « une grande partie des militants écologistes politiques ont en tête la croissance zéro et l’idée de limiter (…) au fond ce que Spinoza appelait les passions tristes : la peur, la culpabilité, la haine des libertés. Je pense que ce qui nous sauvera ce n’est pas çà. C’est beaucoup plus l’imagination scientifique, l’invention, l’innovation.»

 

Exemple révélateur : la manière des Verts d’aborder des technologies comme les OGM et le nucléaire. Au lieu d’analyser sereinement les avantages pour essayer d’en tirer parti et les désavantages pour s’en protéger par des mesures de sécurité efficace, ils pratiquent le refus et la diabolisation. La question importante avec une technique n’est pas de savoir si elle bonne ou mauvaise en soi, parce qu’une technique est neutre, c’est l’usage qui peut être bon ou mauvais, donc l’homme, qui est déterminant en matière de bon usage, de sécurité particulièrement. Interdire n’est pas une manière efficace de promouvoir la sécurité : c’est plutôt le bûcher du moyen-âge. Si on avait géré la sécurité de toutes les techniques dangereuses par leur interdiction, on n’aurait pas de maisons, pas de ponts, pas d’avions, pas de médecine,…Comme disait Ruth Dreyfus, dans la campagne précédant la votation populaire sur Genlex : « il faut protéger, pas interdire ». En pratique cela se traduit par fixer des normes et les respecter. Remarquons que l’interdiction peut se justifier, mais seulement si soit on n’arrive pas à définir ces normes de sécurité de manière satisfaisante, soit on n’arrive pas à les respecter. L’interdiction ne doit pas être inconditionnelle. Or le refus des OGM et du nucléaire que pratiquent les Verts est inconditionnel.

 

Autre exemple : c’est une chose de proclamer l’écologie comme une valeur supérieure, c’est une position politique ou philosophique sur laquelle la science n’a rien à dire. Par contre c’est une autre chose d’évaluer la performance écologique d’un système pour dire que certains systèmes sont meilleurs ou moins bons que d’autres. Evaluer la performance écologique est une question scientifique qui doit s’analyser .avec une grande rigueur et objectivité.  Or les verts on tendance à décider quels sont les « bons » et les « mauvais » systèmes sur la base de leurs préférences exprimées au moyens de labels écologiques. Et ces labels sont parfois en contradiction avec les bilans écologiques, établis par des méthodes récentes et plus objectives basées sur les analyses des cycles de vie (analyse de toute la chaîne d’opérations en amont et en aval d’une installation). Ainsi les labels écologiques « Nature made » pour l’électricité placent les nouvelles énergies renouvelables (solaire, vent, mini hydraulique, …) en tête du classement, les seuls à pouvoir bénéficier du label « Nature made star ». La grande hydraulique vient en deuxième position avec un label inférieur « Nature made basic ». Les centrales au gaz ou nucléaires ne sont quant à elles même pas classées, considérées infréquentables. Ce classement est en partie arbitraire. Or avec les bilans écologiques on obtient un autre classement avec en tête, pratiquement à égalité, la grande hydraulique et le nucléaire. Suivis par les nouvelles énergies renouvelables, solaire, vent, mini hydraulique et plus loin derrière dans l’ordre le gaz, le mazout et le charbon. Le bon classement de la grande hydraulique s’explique par le fait qu’elle est très concentrée et que ramenés à la quantité énorme de kWh produits, les impacts et en particulier les quantités de matériaux de bases à mettre en œuvre sont plus faibles par kWh que le solaire et l’éolien. Il est quand même paradoxal que le courant comme celui de Grande-Dixence, qui est le meilleur du classement, ne puisse pas obtenir le label « nature made star », le seul qui donne le droit à du courant d’être « vraiment vert ». Il y a peut-être une explication à cela, c’est que plusieurs fondateurs et leaders des partis écologistes sont d’anciens communistes déçus, qui ont gardé une aversion pour le grand capital. Et l’amalgame grand capital - grands barrages  est vite fait. C’est d’ailleurs la seule explication à la position prise par les ONG environnementales lors du fameux sommet de la Terre de Rio en 92, de recommander de sortir non seulement du nucléaire et du pétrole mais aussi des grands barrages. Si on sait que les propriétaires de Grande-Dixence ne sont pas des capitalistes boursiers, mais des Cantons et Communes romandes, donc nous les citoyens romands, la part du dogmatisme dans une telle position des Verts est vraiment étonnante. Le plus surprenant est peut-être que jusqu’à aujourd’hui à ma connaissance personne n’aie réagit à cet ukase qui interdit au courant de Grande-Dixence de porter le meilleur label vert, ni à gauche, ni à droite, ni dans l’industrie électrique. Quant à la bonne position, encore plus paradoxale, du nucléaire dans le classement par les bilans écologiques, il s’explique par la nature du processus de fission qui permet de faire beaucoup d’énergie avec très peu de matière. La fission d’1g d’uranium 235 délivre autant d’énergie que la combustion de à 1 à 2 tonnes de pétrole, et que ce peu de matière reste confiné et totalement isolé de la biosphère alors que le CO2 et les polluants de la combustion sont simplement dilués dans l’atmosphère. Réalités qui dérange les Verts. Luc Ferry disait dans l’interview cité plus haut: « …la technologie ce n’est pas le diable. On essaie constamment de faire peur avec des messages du type Frankenstein et de l’apprenti sorcier, à propos des OGM p. ex. la métaphore de Frankenstein est très profonde : Frankenstein fabrique son monstre, le monstre lui échappe et menace de dévaster la terre…On applique ce schéma au grain de maïs (…), ça marche très bien, ça fait peur, voyez les sondages. Je pense qu’il faut aller à contre-courant, plaider pour la science. La science ce n’est pas le diable et ce n’est pas le docteur Frankenstein. ». Et Luc Ferry est un philosophe, pas un scientifique.

 

En conclusion

 

les Verts ont et vont continuer à jouer un rôle pour stimuler la protection de l’environnement. Ils ont un problème dans la primauté donnée à la nature sur l’homme et se privent par là, en partie, d’une approche plus vaste et humaniste des questions de société que sont les questions environnementales. Leur méfiance de l’homme les conduits en outre à une mauvaise utilisation des apports possibles de la science et des technologies.  Tous les Verts ne sont pas dogmatiquement pour la nature et contre l’homme  et tous ne diabolisent pas la science, cette vision est certes largement caricaturale. Mais une bonne partie des propositions concrètes des Verts souffrent de ces défauts, et les propositions concrètes sont quand même importantes en démocratie pour juger des intentions. Une dernière remarque : on peut se poser la question  du mouvement « Ecologie libérale ». Est-ce un progrès dans le sens d’une écologie qui intégrerait mieux les valeurs humanistes libérales ou, inversement, d’un courant libéral qui intégrerait mieux les valeurs de l’écologie ? Il semble que non : à voir les positions habituelles de ses leaders, ce mouvement paraît pratiquer une écologie tout aussi dogmatique, voire plus, que les Verts. Et l’ouverture aux valeurs humanistes libérales d’Ecologie libérale est peu visible. Il y a potentiellement une voie à creuser dans cette direction, mais la démarche d’ « Ecologie libérale » ne semble pas encore y répondre.

Jean-François Dupont, Ing.phys. EPFL, Pampigny, 7 juillet 2008.

Source : Institut Paul Scherrer, Würenlingen

Bilan écologique

 

Un commentaire

  1. Posté par Ueli Davel le

    Saviez-vous que les daltoniens de type III confondent le vert et le rouge et en plus la couleur rouge est opposée au vert! C’est ça la biopolitique

Et vous, qu'en pensez vous ?

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