Constituante genevoise, autopsie d’un « pat »

Pierre Kunz
Pierre Kunz
Ancien député PLR, Genève
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En commissions comme lors des plénières, les constituants représentant la gauche, armés mentalement par leur statut presque constant de minoritaires dans la vie politique genevoise, se sont toujours montrés solides dans leur doctrine et unis dans les votes concernant l’objectif essentiel qu’ils poursuivaient, à savoir contrecarrer toutes les volontés réformistes de la droite. Maniant alternativement la larme et la menace.

Résultat de trois ans et demi de travail et d’une dépense publique de 15 millions de francs, le texte qui sera soumis à la population en octobre prochain ne concrétise aucun des objectifs qui animaient les constituants réformistes en 2008. Il se limite de facto à une réécriture, certes fort bien réussie aux plans esthétique et de la cohérence, de la constitution actuelle. Mais sur le fond il n’apporte rien de significatif et en cela traduit l’échec de la Constituante. Celle-ci a en quelque sorte abandonné sa mission, laissant le soin au Conseil d’Etat et au Grand Conseil d’engager les réformes qui sont nécessaires au canton pour affronter dans les années à venir les défis que lui réserve son environnement économique, politique et social en plein bouleversement.

Le changement n'est pas pour maintenant

Pour les réformistes, il convenait prioritairement de modifier le mode électoral du Conseil d’Etat afin de rendre celui-ci plus apte à gouverner, de permettre au Grand Conseil d’accomplir plus efficacement sa tâche, de rééquilibrer les exigences en matière de droits populaires avec l’évolution démographique du dernier demi-siècle, d’imposer une gestion plus rationnelle des finances de l’Etat, de jeter les bases d’une nouvelle organisation territoriale, enfin de réformer une fiscalité communale anachronique. Or aucune de ces ambitions ne se trouve satisfaite. Le canton de Genève, confronté à une dangereuse paralysie institutionnelle, à un endettement massif, à une grave pénurie de logements et à une mobilité chaotique continuera donc de souffrir des mêmes maux que ceux qui le handicapent depuis quarante ans.

Constat d'échec

Les raisons de cet échec sont au nombre de trois.

La première réside dans les mœurs politiques si particulières du canton et la perméabilité des Genevois aux discours démagogiques. Elles ont conduit à l’élection en 2008 d’une Assemblée constituante disparate et faisant la part belle aux extrémismes de gauche et de droite. Il en est résulté une absence de prévisibilité, des comportements flottants et des majorités hasardeuses qui, au fil des lectures, ont amené la disparition progressive des idées de réformes qui ont circulé dans les commissions pendant deux ans et que contenait encore l’avant-projet.

Faiblesse de la droite

En deuxième lieu il faut souligner les faiblesses de la droite au sein de l’Assemblée. En commissions comme lors des plénières, les constituants représentant la gauche, armés mentalement par leur statut presque constant de minoritaires dans la vie politique genevoise, se sont toujours montrés solides dans leur doctrine et unis dans les votes concernant l’objectif essentiel qu’ils poursuivaient, à savoir contrecarrer toutes les volontés réformistes de la droite. Maniant alternativement la larme et la menace, ils ont su aussi utiliser efficacement les relais médiatiques pour exercer leur pression dans les moments déterminants.

C’est en face qu’on trouvait les voix réformistes. Mais la droite, engourdie par le confort de sa situation majoritaire permanente, peine toujours, on le sait, à trouver l’envie et la force de s’opposer à la pugnacité des mouvements de gauche. Ce fut encore le cas ici. Souffrant de surcroît d’un absentéisme élevé, elle s’est montrée sans ressort et divisée, même sur les sujets brûlants. Elle s’est même révélée incapable, en vue des indispensables négociations avec l’adversaire, de définir ses grandes priorités et de poser ses conditions. Pas étonnant qu’elle en ait généralement été réduite à s’opposer aux innombrables « avancées sociales et participatives » chères à la gauche.

La troisième raison est liée au désastreux mode de négociation dans lequel les représentants de la droite se sont laissé enfermer. Utilisant avec succès la crainte de la rupture qui obsédait ces derniers, maniant le bluff avec brio, la gauche a réussi à instrumentaliser les accords dits « de convergences » en imposant aux négociateurs de droite que ces accords couvrent l’ensemble du texte et excluent tout différend, y compris sur les dispositions les plus banales. Les négociateurs de la droite, majoritaire sur la plupart des sujets malgré ses divisions, auraient dû refuser ce marchandage. Ils se sont au contraire pliés au troc intégral voulu par l’adversaire puis ont amené les groupes et les partis qu’ils représentaient à cautionner leur choix. Les deux parties s’engageaient ainsi dans un « souk » et se condamnaient à l’élaboration d’un texte insipide.

Risque d'indifférence

On l’a souligné, le projet de nouvelle constitution est bien meilleur dans sa structure et sa rédaction que la charte actuelle. Dans son contenu, contrairement à ce que prétendent certains milieux, il ne marque aucun recul au plan des droits sociaux et populaires ; il apporte même quelques nouveautés, malheureusement sans signification eu égard aux enjeux. Rien donc qui puisse susciter l’intérêt de la population et encore moins son engouement ; rien non plus qui la poussera à rejeter le texte. Les Genevois adopteront donc à une nette majorité leur nouvelle constitution. Mais ce sera dans l’indifférence générale et dans l’abstention d’une partie inhabituellement élevée du corps électoral.

L’abstention, c’est le refuge que, le 31 mai, lorsque l’Assemblée procédera à son vote final et prononcera sa dissolution, trouveront aussi les constituants déçus par la pauvreté politique d’un texte qui à la forme est néanmoins nettement supérieur à la constitution actuelle.

Un commentaire

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    Je ne sais pas! Je ne sais pas s’il faut privilégier la « forme nettement supérieure » à la « pauvreté politique »!

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