Neuromythologie

Stevan Miljevic
Enseignant

La neuromythologie regroupe l'ensemble des croyances erronées au sujet du fonctionnement du cerveau. Celles-ci sont légions et des livres entiers ont été écrits à leur sujet. L'enseignement est directement touché par ces mythes. Une étude menée en 2012 a démontré qu'une majorité des enseignants croient à ces mythes (1). 242 enseignants hollandais et anglais du primaire et du secondaire ont ainsi étaient confrontés à 32 énoncés touchant au fonctionnement du cerveau. Parmi ces énoncés, 15 étaient des neuromythes. Et les résultats sont accablants: 9 enseignants sur 10 croient aux mythes les plus répandus et 7 de ces neuromythes ont été validés par plus de la moitié des enseignants interrogés. Le but de ce billet est donc de faire le tour d'une partie de ces neuromythes, plus particulièrement ceux qui peuvent toucher les parents comme les enseignants et ainsi de leur permettre d'éviter l'utilisation de dispositifs n'ayant pas grand chose à apporter aux élèves. Le sujet traité se rapproche particulièrement des contes et légendes pédagogiques dont j'ai déjà parlés (2) et donc j'éviterai au maximum de redire ce qui a déjà été dit.

Le premier de ces neuromythes est l'effet Mozart: il s'agit de la croyance selon laquelle l'exposition de bébés ou de très jeunes enfants à la musique de Mozart permet d'augmenter leur QI. Ceux qui y croient convoquent la science pour étayer leurs dires. En fait, cette affirmation est totalement inexacte: si une première étude menée auprès de 36 personnes a effectivement fait ressortir un QI plus élevé chez ceux qui avaient été exposés aux douces sonorités du génie qu'est Mozart, en revanche, toutes les tentatives faites pour essayer de confirmer ce premier résultat se sont soldées par des échecs retentissants (3).

La deuxième fable recensée touche au programme BrainGym: il s'agit d'une série d'exercices réalisables en classe sensés stimuler le cerveau et ainsi bonifier l'apprentissage. Ici aussi, dès que les chercheurs se sont penchés sur la question et se sont mis en tête de tester la validité de ce programme, ils sont arrivés à la conclusion qu'il ne s'agit là que de pseudo-science sans aucun fondement (4).

On continue avec l'affirmation selon laquelle les êtres humains (et donc les élèves) n'utilisent que le 10% des capacités de leur cerveau. Les recherches en neurosciences  montrent en fait qu'une action aussi simple que celle consistant à lever le petit doigt peut déjà activer une large proportion du cerveau. Celui-ci est donc constamment stimulé, même lors de notre sommeil (5)!

La quatrième superstition réside dans le fait de croire que certains sont plus cerveau gauche ou cerveau droite: ce neuromythe a conduit à expliquer les difficultés d'apprentissage de la sorte: puisque l'hémisphère gauche du cerveau semble s'activer de manière plus importante lorsque l'on traite des nombres, de langage, de séquences logiques et/ou de mathématiques alors que l'hémisphère droit, lui, s'active de manière plus importante dans les manipulations spatiales, d'images ou lorsque l'on fait preuve de créativité alors si l'élève a des difficultés dans tel ou tel domaine c'est qu'il est nécessairement plus cerveau gauche ou droite. Penser de la sorte, c'est oublier que les deux côtés de notre cerveau sont intimement connectés et que dans l'écrasante majorité des cas, les deux hémisphères travaillent de concert (6).

La cinquième neurolégende a trait à la créativité. Les constructivistes affirment que les méthodes d'enseignement autres que les leurs inhibent la créativité des élèves. Il s'agit là d'une grosse bêtise pour au moins deux raisons. Tout d'abord, aucune étude n'a jamais observé ni mesuré la créativité des élèves en fonction des méthodes pédagogiques suivies. Il ne s'agit donc en aucun cas d'une vérité scientifique, tout au plus d'une hypothèse. En second lieu, les constructivistes font preuve d'une totale méconnaissance de ce qu'est la créativité: un élève confronté à une pédagogie de découverte tâtonne et ainsi s'appuie sur le principe du hasard, ce qui n'a strictement rien à voir avec la créativité. Cette manière de faire aboutit de plus sur des impasses, sur des cheminements cognitifs aberrants. En fait, des chercheurs de renom comme Sweller, Weisberg ou De Groot ont montré que la créativité dépend en fait du stock de pratiques et d'expériences. En pratiquant, on se constitue un capital de connaissances/habilités de plus en plus important. Etre créatif signifie combiner ces éléments entre eux. Plus on a de stock plus on peut être créatif et plus on veut un stock important, plus il faut répéter les choses pour les ancrer dans la mémoire à long terme. Ce n'est tout de même pas pour rien que les plus grands musiciens ont tous passer des heures et des heures à répéter différents mouvements (7).

Sixième neuromythe: les différents styles d'apprentissage. Selon cette croyance, les élèves ont tous une modalité d'apprentissage dominante: certains sont plus auditifs, d'autres plus visuels etc. Par conséquent, il faudrait varier les pratiques de manière à toucher chaque élève selon sa modalité dominante. Jusqu'à présent, aucune étude basée sur une méthodologie sérieuse n'est arrivée à démontrer ce mythe. D'ailleurs, plusieurs travaux ayant tenté de vérifier empiriquement cette méthode ont plutôt démontré son inefficacité (8). En fait l'idée est fausse car elle tend à oublier que l'information n'est pas traitée par un seul et unique mode sensoriel. Un souvenir stocké selon une représentation spécifique (auditive par exemple) ne retient que l'aspect auditif et pas le sens des choses. L'information perçue reçoit ainsi un traitement dans différentes zones du cerveau, étroitement interconnectées et donc ne s'arrête pas à cette modalité sensorielle. Pour faire juste, il ne faut donc pas adapter l'enseignement aux modalités dominantes des élèves, mais plutôt au sujet qui est traité.

Enfin, dans cette revue non exhaustive des neuromythes, il nous reste à traiter le cas des intelligences multiples. Cette théorie suggère qu'il existe plusieurs types d'intelligence (logico-mathématique, spatiale, interpersonnelle, corporelle-kinesthésique, verbo-linguistique, intra-personnelle, musicale-rythmique, naturaliste-écologiste, existentielle) indépendantes les unes des autres. Chaque élève serait plus ou moins bon dans chacune d'entre elles. Un article du professeur Willingham démontre que ce n'est pas tout à fait exact (9). Un dispositif a été mis sur pied  pour vérifier l'exactitude (ou non) de cette théorie. Deux différents tests concernant les mathématiques et deux autres concernant le langage ont été mis sur pied. Si donc, les différents types d'intelligence étaient indépendants les uns des autres, les gens dotés d'une forte intelligence verbo-linguistique mais faible en math devraient réussir les deux tests sur le langage et se louper complètement sur les deux tests mathématiques (et l'inverse). Les données qui ressortent de ce test ne correspondent pas tout à fait: si la réussite est plus intimement liée entre deux tests de même nature (les deux tests de math ou de langage c'est selon), en revanche, une corrélation se dégage également au travers des deux domaines. Plus clairement dits, ceux qui réussissent bien en math réussissent aussi plutôt bien en langage (et l'inverse), ce qui laissent à penser qu'il s'agit là plutôt de talents spécifiques dans certains domaines mais qu'une intelligence globale se cache derrière tout cela. Peut être qu'une représentation graphique sera plus parlante:

Ce que postule la théorie des intelligences multiples:

Ce que la recherche actuelle nous enseigne: 

Outre cette première différence majeure, Willingham nous montre que les domaines ne sont pas si cloisonnés que cela et ont plutôt tendance à s'imbriquer. Par exemple, les mathématiques flirtent largement avec le raisonnement spatial. Par extension, ce constat peut s'appliquer à l'ensemble des domaines traités et donc les différents talents (et non intelligencesne sont pas séparés mais bien largement interdépendants les uns les autres.

Ce qui l'amène à conclure qu'au lieu de chercher dans cette direction, les enseignants feraient bien mieux de se tourner vers d'autres domaines plus porteurs.

Stevan Miljevic, le 12 février 2014

http://stevanmiljevic.wordpress.com

http://www.frontiersin.org/Educational_Psychology/10.3389/fpsyg.2012.00429/abstract consulté le 9 février 2014

(2) http://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/01/11/contes-et-legendes-pedagogiques/

(3) http://voir.ca/normand-baillargeon/2012/09/11/une-autre-legende-pedagogique-leffet-mozart/ consulté le 12 février 2014

(4) http://voir.ca/normand-baillargeon/2012/09/03/brain-gym-legendes-pedagogiques-et-neuromythes/ consulté le 12 février 2014

(5) https://static.squarespace.com/static/520e383ee4b021a19fa28bf7/520e390be4b06522b7fc6771/520e390de4b06522b7fc6ac2/1372160946573/2013-06-25_Lafortune2013.pdf consulté le 10 février 2014

(6) ibidem

(7) http://www.formapex.com/les-mythes-pedagogiques/633-les-mythes-pedagogiques?616d13afc6835dd26137b409becc9f87=4d34101224fa8bcc8a53050fda55c277 consulté le 10 février 2014

(8) http://www.formapex.com/telechargementpublic/tardif2010a.pdf?616d13afc6835dd26137b409becc9f87=182aa21c81081e490e0f899999e88b42 consulté le 11 février 2014

(9) http://educationnext.org/reframing-the-mind/ consulté le 11 février 2014

 

Un commentaire

  1. Posté par Renaud le

    Il y a tout de même un mythe dans l’idée que la créativité dépend du stock de pratiques et d’expériences.
    En fait il n’y a pas plus créatif qu’un bébé presque dépourvu de pratiques et d’expériences, mais on ne remarque pas sa créativité parce qu’il cherche avant tout à s’adapter au monde qu’il découvre.
    Une personne créative adulte le sera parce qu’elle ne sera pas identifiée à ses connaissances et à ses expériences.
    Etant dans la situation mentale de non connaissant et de non expérimenté la personne est comme naïve, innocente comme un bébé, et créative.
    Pour être créatif il faut avant tout avoir l’esprit libre, désencombré de soi-même.
    Les experts surtout s’ils se prennent pour des experts ne sont pas créatifs.
    Les savants qui se prennent pour des savants ne sont plus en capacité d’apprendre et pas créatifs.
    Car pour apprendre il faut être créatif, il faut accepter de ne pas savoir et ouvrir son esprit à l’inconnu.

    Le stock de pratiques et d’expériences intervient en tant que briques à recombiner par la personne créative.
    Il y aura donc une créativité plus utile chez celui qui a des connaissances mais il ne suffit pas d’avoir des connaissances.

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