Comme souvent, le combat décisif aura lieu aux États-Unis.
Le déclenchement des hostilité a eu lieu il y a quelques jours à travers deux tweets du Président Trump concernant le vote par correspondance. Donald Trump dénonçait la forte probabilité que les résultats d'un tel scrutin s'avèrent frauduleux. Twitter se sentit obligé de rajouter un avertissement sur ces messages, les classant de facto comme des informations à prendre avec des pincettes.
Les tweets par lesquels le scandale arrive.
Il n'en fallait pas plus pour que des médias romands comme Le Matin jubilent. "Ces tweets contiennent des informations potentiellement trompeuses sur le processus de vote et ont été signalés pour fournir du contexte additionnel sur le vote par correspondance", a justifié un porte-parole de la plateforme, explique l'article du quotidien.
La justification est étonnante. Trump déclara que le vote par correspondance ferait l'objet d'une fraude massive - c'est-à-dire, une prédiction. Comment qui que ce soit peut-il démontrer qu'une prédiction est fausse? Une prédiction, surtout en politique, fait nécessairement partie du domaine de l'opinion. Et, comme le prouve un journaliste qui se donna la peine d'enquêter, Trump pourrait bien avoir raison. Durant la dernière décade, 28 millions de bulletins de vote par correspondance arrivèrent à une mauvaise adresse, dont plus d'un million pour la seule année 2018, permettant ainsi à des individus qui ne devraient pas avoir le droit de vote, d'y prendre part.
Largement de quoi faire basculer une élection présidentielle.
Twitter aurait pu attendre de faire du "fact-checking" sur un tweet factuellement inexact de Donald Trump, mais la tentation était trop forte...
Un long chemin vers l'affrontement
Le timing, tant de l'action de Twitter que de la réaction du locataire de la Maison Blanche, est parfaitement compréhensible. Nous arrivons petit à petit dans le vif du sujet de la campagne électorale présidentielle de 2020 et chacun fourbit ses armes - Trump à affirmer qu'il est a été un bon Président, les réseaux sociaux profondément engagés à gauche à museler toute voix n'allant pas dans leur sens sur leurs plateformes.
Le biais gauchiste des réseaux sociaux, comme des médias en général d'ailleurs, est un phénomène largement observé et documenté - et a même fait l'objet d'un billet détaillé sur ce blog, parmi de nombreux autres. Pour ne prendre qu'un exemple, la plus grande communauté pro-Trump sur Internet, le fameux canal The_Donald de Reddit, fort de 8 millions de membres, fut saboté par la plateforme sur des prétextes fallacieux, forçant les Internautes à se créer une nouvelle plateforme parallèle.
Depuis des années, et de façon de plus en plus nette, les pages des conservateurs, des contestataires de la pensée médiatique dominante et des gens de droite en général sont marginalisées, démonétisées, placées en quarantaine ou suspendues du jour au lendemain. Le biais politique est évident puisque d'innombrable exemples montrent que les règles au nom desquels ces comptes sont fermés sont violées quotidiennement par des activistes politiques de l'autre bord sans que cela ne dérange personne.
Pour les journalistes du Matin, "les réseaux sociaux se voient régulièrement reprocher d'appliquer des politiques à deux poids deux mesures dans leur lutte contre la désinformation". Il faut traduire: les réseaux sociaux n'en font pas assez, c'est-à-dire qu'ils laissent encore bien trop de place à ces gens qui ne pensent pas comme il faut.
La hache de guerre est déterrée
Vient Donald Trump, "accro" à Twitter, "résumant la démocratie à 140 caractères", et des centaines d'autres qualificatifs dénigrant sa façon de communiquer... Mais Donald Trump n'aurait pas besoin de Twitter pour communiquer directement avec le public si des médias à l'agenda politique omniprésent ne dénaturaient pas constamment les moindres de ses paroles, quand ils n'inventent pas carrément des mensonges de toute pièce.
Trump est assez nettement pro-Trump, c'est incontestable. Mais imaginer qu'il puisse exister une organisation humaine à l'abri de toute idéologie et capable de censurer l'information de façon neutre et objective est une vision tellement enfantine que seuls les journalistes, peut-être, son assez naïfs pour la gober. Il est vrai que dans cette vision ils se donnent volontiers le beau rôle, ce qui aide à y croire.
Prenons Twitter, justement. Que valent les censeurs? Eh bien, leur chef est un certain Yoel Roth, responsable de "l'intégrité du site." Les curieux n'ont pas eu à chercher longtemps pour trouver des tweets récents de M. Roth dénonçant le Président Trump et ceux qui le soutiennent comme des "nazis", des excès de langages dont le responsable de l'intégrité de Twitter semble coutumier.
Alors qu'il n'est même pas capable de modération sur ses propres tweets, qui peut imaginer ce genre d'olibrius exercer quelque autorité que ce soit de façon neutre et objective?
Quelques jours après l'épisode du "fact-checking", Twitter récidiva en dénonçant un autre tweet de Trump comme "faisant l'apologie de la violence". Le Président en exercice en avait en effet appelé au respect de la loi et de l'ordre au début des émeutes organisées à la suite du décès de George Floyd... Quelle apologie, en effet! Et depuis que Twitter a franchi le Rubicon, la plateforme s'en donne à cœur-joie. Ainsi, Donald Trump apparaît en premier sur une recherche avec le terme "racisme".
Twitter regorge de milliers, si ce n'est de millions, de messages appelant à tuer M. Trump, ses supporters, et les Républicains en général, sans qu'aucun des auteurs de tels message ne soit inquiété. Le délit "d'apologie de la violence" n'est visiblement pas pour tout le monde.
On peut aussi appeler au génocide des juifs sur Twitter. Les responsables iraniens comme Ali Khamenei ou Javad Zarif ne s'en privent guère. Cela a d'ailleurs amené un élu américain à s'inquiéter que la plateforme laisse ainsi libre court à des appels au meurtre en servant la soupe aux régime de Téhéran. Il pense ainsi que Twitter viole les sanctions internationales.
Bref, si vous êtes raciste anti-blanc, islamiste, antisémite, porté sur la violence au nom de "l'antifascisme" ou simplement de gauche, vous n'avez pas de grandes craintes à avoir quant à votre utilisation des réseaux sociaux, quels que soient les excès auxquels vous vous livrez.
La hache de guerre est déterrée
Tous les paragraphes précédents ne sont que les derniers épisodes d'une consternante progression vers une dictature médiatique basée sur l'opinion politique. Mais pour la première fois il y eut une riposte.
Sur le compte Twitter de la Maison Blanche, et non son compte personnel, Donald Trump a ainsi annoncé un décret présidentiel visant à une révision de l'article 230 du Federal Communication Act de 1996, voté sous la Présidence Clinton et visant à libéraliser le marché des télécommunications.
Le fameux article 230 stipule que les compagnies qui "mettent à disposition du contenu" ne sont pas responsables devant la loi des contenus violant celle-ci, pour peu qu'ils renoncent délibérément à exercer un contrôle rédactionnel. Autrement dit, ils ne sont que les messagers et ne sont pas responsables du message. Pour utiliser une analogie, la Poste ne peut pas être poursuivie pour avoir transmis à quelqu'un une lettre injurieuse.
"Internet et les autres services informatiques interactifs offrent un espace de discussion pour une véritable diversité du discours politique, des opportunités uniques pour le développement culturel, et une myriade de chemins pour l'activité intellectuelle", écrivaient les rédacteurs du document à l'époque. Quelle régression depuis!
En décrétant que certains tweets de Trump violent les règles éditoriales de Twitter et méritent donc d'être annotés avec un avertissement, Twitter devient de facto un éditeur. Contrôler certains contenu, pour les modifier ou les supprimer, signifie que la plateforme sort du simple rôle de mise à disposition de contenu.
Pour reprendre l'analogie avec la Poste ci-dessus, que penser d'une Poste qui ouvrirait les lettres envoyées par certains et refuserait de les délivrer si leur contenu ne plaît pas à l'organisation? Pourrait-on encore parler d'une Poste?
La même chose est vraie pour tous les réseaux sociaux qui se livrent aujourd'hui à une censure effrénée, qui va bien au-delà de ce qu'a jamais réclamé la loi. Les grands noms des réseaux sociaux ont mis en place des structures rédactionnelles et deviennent de ce fait responsables de tout contenu publié.
On s'en doute, l'interprétation de l'article 230 finira devant les tribunaux, et probablement très vite. La bataille est d'importance puisque les réseaux sociaux sont désormais le nouvel espace public dans lequel se forme l'opinion. Ces derniers le savent bien et pèsent déjà de tout leur poids sur la campagne présidentielle américaine de 2020.
Gagnée ou perdue, la bataille lancée par Donald Trump définira sans doute ce qui restera de la liberté d'expression sur Internet aux États-Unis, en sachant qu'elle sera toujours moindre dans le reste du monde.
Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 5 juin 2020