Par Mohamed Hamdaoui, ce jour à 14h sur sa page facebook
Monsieur le président de l’Association Musulmans de France,
J’ai fait mes calculs : si je devais transformer mes singularités en autant de reflexes identitaires, je devrais au bas au bas mot être membre de 59 communautés différentes.
Je devrais en effet être membre de l’Association des musulmans de Suisse. Des Suisses musulmans. Des musulmans de Suisse laïques Des musulmans de Suisse laïques qui viennent malgré tout de rouler des œufs de Pâques dans le jardin parce que ça faisait plaisir aux gamins du quartier (et parce que les œufs étaient en action au supermarché du coin).
De l’Association des handicapés de la jambe gauche. De l’Association des citoyens de Suisse qui vont voter en glissant un bulletin dans l’urne. De celle de celles et ceux qui essaient de respecter les règles d’orthographe. De l’Association des humains qui trouvent normal de se brûler le bout des doigts au moment de manger des escargots au beurre sortis du four. De l’Association des bipèdes qui se réjouissent de revoir bientôt des abeilles. De la Communauté d’intérêt des esthètes qui adorent prendre le matin au petit-déjeuner une tartine à la confiture d’abricots du Valais en buvant une tasse de café bouillante. De l’Association des cinéphiles pour qui « L’Homme qui tua Liberty Valence » est un des plus sublimes westerns de l’histoire… Etc… Etc… Etc…
Si je devais transformer toutes mes singularités en autant de reflexes identitaires et autant de combats politiques, j’aurais besoin de multiples vies. Et deviendrais complètement cintré.
Il arrive parfois que des élèves de ma ville chargés de « faire une conférence » sur les politiciennes et politiciens viennent m’interroger. Je réponds à toutes leurs questions – même les plus intimes. Ils savent désormais que je vénère les chansons de Brassens et Gilbert Laffaille, que je suis capable de me damner pour un mille-feuilles et que je rêve un jour de voguer près de baleines. Ils savent aussi que je suis imperméable aux romans d’André Gide, ne suis pas un grand fan du lait de soja et persiste à penser que le but de Geoffrey Hurst lors de la finale de la Coupe du monde de football 1966 était valable. Mais je refuse inexorablement de répondre quand ces gamins me demandent si je crois en Dieu.
Parce que répondre à cette question (à laquelle j’ai soi-dit en passant apporté une sentence définitive il y a bien longtemps : c’est …), m’obligerait à me « situer dans un camp ».
Monsieur le président de l’Association Musulmans de France.
Je refuse catégoriquement que la religion, peu m’importe laquelle, soit instrumentalisée à des fins politiques.
Il y a plus de dix ans, sous prétexte d’obtenir des voix auprès de la « communauté musulmane » de France, Nicolas Sarkozy avait dragué votre chère UOIF (Union des organisations islamistes de France), une organisation notoirement proche des Frères musulmans. Dix ans plus tôt, Lionel Jospin avait laissé le Conseil d’État permettre au voile d’entrer dans l’école. Tous deux espéraient peut-être museler ces extrémistes, oubliant au passage que chaque fois dans l’histoire où des démocrates ont tenté de pactiser avec leur ennemis, ces derniers ont essayé de les bouffer. Deux renoncements graves de conséquences.
Monsieur le président de l’Association Musulmans de France.
Je refuserais d’être représenté par une personne comme vous qui juge utile d’exhiber lors d’un salon au Bourget des poupées représentant des gamines portant le voile, allant jusqu’à affirmer que « le voile est une obligation pour les femmes ». Lorsque je vois dans mon quartier des gamines emprisonnées dans ce linceul ambulant, je chiale. Pardon.
Je refuserais d’être représenté par une personne comme vous qui souhaite la création d’écoles privées confessionnelles, alors que l’école doit demeurer un lieu où l’on s’intègre en faisant l’acquisition du savoir académique, mais aussi du doute, de l’excellence et de l’échec, où l’on s’enrichit intellectuellement en acceptant aussi de se soumettre à certaines règles non négociables.
Je refuserais d’être représenté par une personne comme vous qui ose encore prétendre que Tariq Ramadan incarne un « courant de pensée » respectable. Ce sinistre Tartuffe, emprisonné faut-il le rappeler depuis exactement deux mois pour des faits d’une extrême gravité, et peut-être protégé ici en Suisse par certains parce qu’il incarnait pour eux une « certaine diversité », a donné durant plus de vingt ans une image désastreuse de celles et ceux qui portent un prénom à consonance musulmane.
Je refuse d’être représenté par des personnes comme vous qui prétendent vouloir représenter un « Islam de France » (ou d’ailleurs). Bordel. L’ « Islam de France », tout comme celui de Suisse, de Belgique, de Navarre ou de Tamanrasset, d’Adelaïde, de Baltimore ou Smolensk, de Montevideo, de Nador ou de Peshawar n’existe pas. Nous autres qui avons été baptisés selon les rites de cette religion, sommes et voulons d’abord rester des individus libres. Libres de pouvoir disposer de lieux de culte dignes de ce nom, mais libres aussi de ne pas y mettre les pieds. Libres de vénérer un prophète, mais libres aussi de le caricaturer.
Je refuserais d’être représenté par quelqu’un qui ne veut pas admettre qu’il serait enfin temps d’expurger du Coran certains passages indignes, pour pouvoir valoriser les autres qui sont lumineux, comme dans tous les autres livres qualifiés de saints par certains.
Il y a quelques jours, une octogénaire de Paris, ville que j’aime tant, a été assassinée semble-t-il en raison de sa confession. Juive.
Il y a quelques jours, un sale type a trucidé d’autres humains du côté de Carcassonne en beuglant « Allah ouakbar ».
En 2018. En 2018. En 2018.
Et vous, au même moment, vous avez réussi le triste exploit depuis le Bourget, lieu d’où se s’étaient envolés tant d’aventuriers en quête d’un monde meilleur, de tenir en notre nom des propos d’une crasse médiocrité.
Alors, Monsieur le président de l’Association Musulmans de France,
De grâce. Changez d’époque et de discours.
Nous n’avons plus besoin de discours victimaires. Nous n’avons plus besoin d’être infantilisés. Nous n’avons plus besoin de porte-voix.
Votre modèle de « pensée » Tariq Ramadan appelait jadis honteusement de ses vœux un « moratoire » sur la lapidation des femmes.
Permettez-moi de promulguer avec effet immédiat un oukase non négociable : « foutez-nous la paix ».
Laissez les humains que nous sommes dire à votre place ces évidences, puisque vous rechignez à les exprimer :
- Nous ne voulons pas de dérogations dans les écoles, les hôpitaux ou d’autres lieux publics sous des motifs religieux.
- Nous reconnaissons sans ambiguité possible la primauté des lois humaines sur toutes les règles qualifiées de divines.
- Nous condamnons donc de facto toutes les atteintes à cet ordre juridique, par exemple l’homophobie, l’antisémitisme, le sexisme ou toute autre atteinte à la liberté et la dignité humaine.
- Nous proscrivons le voile intégral et tous les autres signes de soumissions des femmes.
- Nous oeuvrons en faveur du développement d’un Islam laïque comprenant la promotion de mosquées au financement transparent, dirigés par des imams ayant suivi un cursus reconnu. Y compris bien sûr des femmes – quelle évidence.
- Nous refusons de qualifier systématiquement d’ « islamophobe » toute critique de la pratique de notre religion. Il n’y a donc pas lieu d’alourdir le Code pénal d’un délit ou d’un crime supplémentaire – la loi contre le racisme suffit largement.
Monsieur le président de l’Association Musulmans de France,
Nous sommes à un tournant,
Dans la plupart des pays arabo-musulmans, de plus en plus d’humains, en particulier de femmes, luttent pour leur liberté. Pour leur droit d’être des individus à part entière. Pour avoir le droit de ne croire en rien. A mon tout petit niveau, j’essaie d’être à leurs côtés. Fraternellement.. Je ne compte pas trop sur vous pour nous aider. Mais sachez qu’ici, nous ne céderons pas d’un pouce. Hors de question de laisser certains étendre leurs funestes métastases. Qu’ils soient imams, pasteurs, curés, ou autres rabbins.
Notre liberté n’est pas négociable.
Mohamed Hamdaoui ,