Libre accès aux armes : Comment est-ce qu’un Français en vient à écrire un livre sur le sujet du libre accès aux armes ?

Entretien Les Observateurs.ch

Comment est-ce qu’un Français en vient à écrire un livre sur le sujet du libre accès aux armes ?

Bertrand Saint-Germain : Evidemment, vu de Suisse, il peut sembler curieux, voire un brin amusant, qu’un natif de l’un des pays les plus stricts qui soit en matière d’accès des particuliers aux armes écrive sur ce sujet ! Assurément, ce n’est pas en analysant la législation française que j’aurais pu trouver l’inspiration de ce livre.

Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi et jusqu’en 1939, la France possédait un régime ultra-libéral en matière d’accès aux armes et ce ne sera que la menace de la guerre qui permettra au Gouvernement d’interdire la possession d’armes par les particuliers. Le régime de Vichy maintiendra cette approche, laquelle sera confirmée à la Libération ; il est depuis interdit aux particuliers de posséder des armes, sauf les dérogations strictement encadrées en faveur des chasseurs, collectionneurs et tireurs sportifs.

Féru d’histoire, j’ai relevé ce paradoxe : comment en quatre-vingts ans a-t-on pu passer d’un régime de grande liberté à une situation de contrôle absolu ? Ce constat nourrissait ma curiosité, laquelle fut le moteur de cet essai. L’absence de toute référence en langue française sur cette question m’encourageait à me plonger dans les méandres de la législation sur les armes, m’interrogeant sur l’origine et la portée du 2e amendement américain je (re)découvrais l’histoire de la Grande-Bretagne et celle des États-Unis, puis les questions que soulèvent outre-Atlantique les tueries de masse et l’hypothétique corrélation entre celles-ci et le libre accès aux armes. De toutes ces réflexions est né cet essai.

 

Dans votre essai, vous parlez à de nombreuses reprises de la Suisse ; quelles leçons tirez-vous du modèle suisse ?

Bertrand Saint-Germain : À beaucoup d’égards, la Suisse peut apparaître, à qui veut bien l’observer avec honnêteté, comme une « démocratie-témoin ». Que l’on envisage l’institution des Landsgemeinde, le système des votations, l’initiative populaire ou le véto référendaire, elle est à même de nous servir d’exemple. Et si l’on envisage enfin le service armé et la question de l’accès aux armes, le constat s’impose d’un pays qui, loin du bruit et du tape à l’œil, inscrit son avenir et ses évolutions dans la continuité du modèle qui lui a permis sa réussite. Le système politique et social repose sur le peuple et fait confiance aux citoyens.

Et s’il ne saurait être question de transposer en tous points et tel quel le modèle suisse à la France, nous aurions grandement intérêt à nous inspirer de méthodes qui ont fait et leurs preuves et le succès de la Suisse.

Et en ce qui concerne l’accès aux armes en particulier, l’expérience suisse atteste qu’un accès libéral et facilité aux armes à feu n’est pas synonyme d’une plus grande violence, ni d’un plus grand usage des armes dans la société. Alors que la Suisse est l’un des pays connaissant le plus grand nombre d’armes par habitant au monde (environ 46 armes pour 100 personnes, soit le troisième à l’échelle mondiale, après les États-Unis et le Yémen), on n’y connait pas de tueries de masse à l’instar de celles dont on parle fréquemment à propos des États-Unis. Le régime libéral de la Suisse en matière d’accès aux armes n’a pas conduit à ce qu’y survienne des tueries de masse, la seule ayant endeuillée le pays s’étant produite en 2001, lorsqu’un homme âgé de 57 ans pénétrait dans les bâtiments du Parlement cantonal de Zoug et y faisait trente-deux victimes (dont 14 morts) avant de se suicider. Le seul autre exemple du pays remonte à 1912 (!), lorsqu’un homme âgé de vingt-cinq ans qui venait d’être renvoyé d’une période militaire, ouvra le feu depuis sa fenêtre sur les personnes passant dans la rue, à Romanshorn (Thurgovie), causant douze victimes dont six morts ; il sera interné pour le restant de ses jours.

Le modèle suisse d’accès aux armes paraît donc -vu de l’étranger- équilibré, laissant aux particuliers le souhaitant la possibilité de se procurer des armes ! L’acquisition d’armes pour la chasse ou pour la pratique du tir sportif reste libre et si celle des autres armes est subordonnée à la possession d’un permis, celui-ci est assez facilement accessible. Il est délivré à toute personne majeure en faisant la demande dès lors qu’elle n’est pas sous tutelle ou inscrite au casier judiciaire (pour commission répétée de crimes & délits ou pour un acte dénotant un caractère violent ou dangereux) et que rien ne laisse supposer que l’arme soit utilisée d’une manière dangereuse pour la personne elle-même ou pour autrui (enquête psychiatrique).

Qui plus est et en ce qui concerne le port des armes légalement détenues, s’il faut être titulaire d’un permis, celui-ci sera délivré à la personne répondant aux conditions exigées pour le permis d’acquisition et établissant « de façon plausible qu’elle a besoin d’une arme pour se protéger ou pour protéger des tiers ou des choses contre un danger tangible ». La personne devra également valider un examen « attestant qu’elle est capable de manier une arme et qu’elle connaît les dispositions légales en matière d’utilisation d’armes » (art. 27 de la loi fédérale du 20 juin 1997 sur les armes, les accessoires d’armes et les munitions).

Cette approche me semble particulièrement équilibrée.

 

En dehors des États-Unis, de la République Tchèque et de la Suisse, la quasi-totalité des États se montre hostile à l’accès des particuliers aux armes ; pourquoi, selon vous ?

Bertrand Saint-Germain : L’État, partout, s’est arrogé le droit, au nom du « monopole de la contrainte physique légitime », de contrôler ses citoyens. L’objectif de la pacification de la vie sociale a été le vecteur de son action visant à désarmer les citoyens et il a ainsi étendu toujours plus loin son emprise tant qu’il ne rencontrait pas de résistance.

On sait, comme l’a rappelé Montesquieu, que « c'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ; il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites » ; or, dans une grande majorité des pays, les Gouvernants n’ont pas rencontré face à eux de citoyens organisés capables de s’opposer aux menées étatiques. Si l’on prend l’exemple de la Suisse, l’organisation sociale et politique, historiquement appuyée sur les libertés locales a empêché jusqu’à aujourd’hui tout mouvement de centralisation abusive du pouvoir entre les mains de l’État.

Une réalité semblable s’observe au fil de l’histoire américaine. Dans un pays « neuf », immense et connaissant une densité de population très faible, la possession d’armes par les habitants y était un moyen pour les colons d’assurer en toute circonstance leur sécurité. Cette nécessité fut en outre accentuée par l’expérience vécue nombre des premiers immigrants aux Amériques. Les descendants des exilés du Mayflower gardaient en mémoire que leurs parents, anglais puritains, avaient été en proie aux persécutions anglicanes. S’étant établis aux Colonies pour y et pratiquer librement le culte, ils refusaient que les Gouvernants leur impose la moindre directive en matière de religion. Cette position de principe explique l’ordre dans lequel les droits et libertés se sont vus inscrits dans la Constitution américaines par les dix premiers amendements, adoptés dès 1789. L’ordre de ces amendements manifeste les priorités des constituants. L’influence de la pensée de Locke est très nette : les libertés de religion, réunion et d’expression sont ainsi les premières à être nommées (premier amendement). Et il est tout aussi symbolique qu’immédiatement après ces libertés absolues, le deuxième amendement consacre le droit de détenir et porter des armes : il s’agit ainsi de garantir aux citoyens qu’ils puissent à jamais posséder les moyens de défendre, si besoin les armes à la main, leur liberté de conscience… Et l’État américain n’a jamais eu la capacité de porter atteinte à ces libertés fondamentales !

Les citoyens des autres Etats n’ont pas eu cette même chance de conserver leurs libertés.

 

Que nous dit la liberté d’accès aux armes de la Démocratie ?

Bertrand Saint-Germain : Tous les penseurs et philosophes, d’Aristote à Montesquieu, en passant par Machiavel ou Hobbes, ont expliqué, défendu et justifié la nécessité de l’accès des citoyens aux armes. Par-delà les différences entre ces auteurs, tous possèdent en commun un profond attachement à la République, c’est-à-dire à l’ordre démocratique d’une Cité reposant sur ses membres égaux. Et comme la Cité peut à tout instant tomber sous la menace de l’ennemi ou les manigances d’un pouvoir aspirant à la tyrannie, il est impératif que les citoyens soient armés pour vaincre l’ennemi ou écarter le tyran.

La clé de cette approche réside dans la relation entre l’un et le collectif, entre la Cité et le citoyen. La Cité apporte la liberté et la protection à l’individu et la survie collective justifie que le citoyen puisse être amené à donner sa vie pour la Cité. Susceptible de mourir pour la survie de tous, le citoyen est fondé à participer aux choix et décisions engageant la Cité toute entière.

Si les armes d’aujourd’hui ne sont certes pas celles de l’époque de Platon ou de Rousseau et que les armes automatiques ne ressemblent guère aux épées grecques ou aux mousquets à un coup du XVIIIe, les questions soulevées par l’accès des citoyens aux armes rappellent le lien immémorial entre l’attachement à la Cité et la défense de la Liberté. Il est significatif que les pays ayant une approche libérale de l’accès des particuliers aux armes soient encore aujourd’hui ceux dans lesquels les libertés publiques, collectives ou individuelles sont les plus fortes ; les États-Unis ou la Suisse en attestent. À l’inverse, les États les plus rétifs aux libertés -quelles qu’elles soient- sont tous attachés à interdire ou circonscrire l’accès aux armes ; c’était vrai hier d’Hitler ou de Staline, cela l’est encore en Chine ou au Viêt-Nam…

 

L'un des arguments le plus souvent soulevé à l’encontre du libre accès aux armes est qu’il provoquerait une prolifération des armes, donc, in fine, celui des crimes et des tueries de masse. Vous contestez cela ?

Bertrand Saint-Germain : Votre question appelle plusieurs remarques.

D’abord, lorsque l’on parle de tueries de masse, chacun pense spontanément à la situation américaine, or ce réflexe n’est pas pertinent car ces crimes ne sont ni circonscrits aux États-Unis, ni à l’époque contemporaine. Les premiers événements recensés de ce type sont intervenus au début du XXe siècle et plus fréquemment en Europe qu’outre-Atlantique ! Pour autant, il est vrai que les États-Unis connaissent aujourd’hui une recrudescence de ces tueries et qu’elles y font l’objet d’analyses approfondies. Mais si l’on examine en détail la situation européenne, on s’aperçoit que de telles tueries y sont aussi fréquentes que sur le continent américain, mais à la différence des États-Unis, elles n’y sont ni médiatisées, ni étudiées ou analysées en tant que telles. Dès lors, on « joue » à faire peur aux citoyens au miroir de la situation américaine en cachant que la situation européenne est assez semblable à ce que l’on peut observer aux États-Unis.

Ensuite, il est certain que l’assouplissement des lois sur l’accès des particuliers aux armes aurait nécessairement pour conséquence de causer une plus grande diffusion de la présence des armes dans la société. Cette prolifération est-elle de pour autant nature à s’accompagner d’une hausse des crimes et des tueries de masse, rien n’est moins sûr.

En effet et l’étude détaillée que j’ai faite dans mon essai de la situation américaine permet de le prouver. Rappelons d’abord que la réglementation américaine en matière d’acquisition et de détention des armes dépend non de lois fédérales mais des choix de chacun des États fédérés. Or, les deux États qui possèdent les réglementations les plus restrictives en matière d’accès aux armes de toute l’Amérique, la Californie ou l’État de New York, figurent parmi ceux qui connaissent le plus grand nombre de tueries de masse de tous les États-Unis ! La Californie, qui compte pour 12% de la population américaine recense près de 20 % de toutes les fusillades qui se produisent aux États-Unis (18 %) ; de même de l’État de New York qui, en dépit de toutes ses règles restrictives en matière d’accès aux armes, se situe au sixième rang du nombre de tueries de masse intervenues en Amérique…

Dès lors, la conclusion est sans appel : il n’existe aucun lien mécanique entre l’accès des particuliers aux armes et la hausse de la violence armée dans la société ; l’exemple Suisse en atteste d’ailleurs !

 

 

Pour se procurer l’ouvrage : https://direct-livres.fr/boutique/autres-themes/histoire-autres-themes/prendre-les-armes/

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