Le « vrai », pire que le « faux »?​

Boris Engelson
Boris Engelson
Journaliste indépendant


Le « vrai », pire que le « faux »?​

On ne parle que de ça : les méfaits des « fake news »… mais un mensonge gros comme la Lune est-il dangereux ? Les gens « sérieux », eux, ne disent rien de « faux » ; mais - pour autant - parlent-ils « vrai » ? On va voir le « cas de Carouge » ; on en trouve sans mal cent par jour, des cas, mais celui-ci est un « cas d’école ».

C’était au printemps… le Festival (…) du film des droits de l’homme » battait son plein… et la commune de Carouge se devait de montrer que – une fois de plus – elle était, est et sera du « bon côté de la ville », comme dit son logo. Elle a donc « offert » au peuple un film à voir au « Ciné Bio »… salle sauvée des griffes de l'anti bio Mc Do. Après le film, débat… marqué par quatre ou cinq « bobards » d’un coup, comme on va le voir… mais sans un seul « mensonge ».​

Jupiter aveugle ou rend sourd ?​

« Stranger in Paradise » de Guido Hendrikx : le choix du film fut bien imprudent, car – ce fut encore plus clair avec la vidéo montrée juste avant le débat, où l’auteur mit les points sur les « i » - « le populisme de gauche ne vaut pas mieux que celui de droite ». Ce message clé de Hendrikx, les experts au podium n’ont pas voulu l’entendre, et on peut dire sans excès que tout le débat ne servit qu’à esquiver la question. Qu’eut-on à la place ? Je cite de mémoire, sans garantir le mot à mot, mais le sens est sauf. « Ce film montre que les critères de l’asile sont arbitraires », a d’emblée dit la « modératrice » : elle se référait à la trame de ce docu-drama, qui montre trois types d’accueil : celui de la droite dure, celui de la gauche molle, celui du droit strict : laisser passer d’abord les gens venant de pays en guerre ou autres horreurs du genre. « Arbitraire » ? Mais si on trouve ça arbitraire, on donne un coup de poignard dans le dos à tout le droit d’asile… non ? Qu’importe… en glissant ce mot à première vue innocent – « arbitraire » plutôt que « sélectif », « contestable » ou « évolutif » - on biaise le débat d’emblée en toute discrétion. Non, le droit international humanitaire n'est pas arbitraire, à moins de dire que le seul « objectif » soit de prendre qui le veut... ce qui n'est pas le but du droit d'asile. Vint ensuite la deuxième pièce du dispositif d’intox.​

L’asile vaut bien une messe​

« J’ai dû fuir : en Iran, être Chrétien, c'est la mort ! », ce fut le cœur du message d’un Iranien qui a parlé le premier. Or, ce n’est pas vrai, même si rien n’est faux dans cette phrase : ce n’est pas vrai, car Chrétiens et Juifs ont un statut officiel en République Islamique d’Iran – bien meilleur que celui de Baha’is – et même des sièges au parlement. Mais notre Chrétien d’Iran est devenu Chrétien par conversion… il l’a dit, mais en y passant comme chat sur braise et sans que les modérateurs (ni même les auditeurs) ne signalent que c’était le point clé. On ne va pas écrire ici un livre sur « l’apostasie » en Islam, mais à présenter les choses ainsi, on truque le débat… à dessein ou non. Bref, il s’agissait de clouer le bec d’avance à ceux qui sussurent que « les immigrés sont de faux réfugiés »… Dans d’autres pays, la Justice ne s’y laisse pas prendre, et enquête sur la sincérité de la conversion. Je ne veux pas dire que notre mort en sursis d’Iran n’était pas sincère… mais pour ma part, si ça m’offrait l’asile en Suisse depuis l’Iran, je ferais l’apostat... un pied dans l'avion. Bref, le témoin est sans doute sincère, mais… est-ce vrai de Carouge aussi, et de ceux qui en portent les couleurs ? Quelques mois plus tôt à Genève, d'autres victimes ont montré des films sur le lot des « Chrétiens au Pakistan » : pas un chat dans la salle pendant une semaine, malgré les panneaux visibles en ville.​

Le Liban, mieux qu’une Suisse d’Orient​

Autre témoin clé au Ciné Bio, une militante du sauvetage des migrants en mer… qui – pour surmonter un embarras initial – a fini par dire « au fond, je n’ai pas aimé ce film ». C’est son droit, mais le cours de morale que Carouge voulait lui faire donner a d’emblée eu du plomb dans l’aile. Car – venant du Proche-Orient, sauf erreur – cette valeureuse militante a tenté le coup de l’accueil sur place. En clair, elle a repris la rengaine du « n’oublions pas que la plupart des réfugiés vivent désormais au Liban ou en Turquie… pays bien moins xénophobes que l’Europe ». Mais elle a dû admettre – du bout des lèvres suite à une question – que ces pays ne payaient pas grand-chose aux réfugiés… que les Syriens cessaient d’être aimés des Libanais quand ils n’avaient plus d’argent pour leurs achats… et que - tout au long du XXe siècle - le Liban ou la Turquie « fraternels » avaient massacré leurs réfugiés ou minorités avec une régularité d’horloge (voir p. ex. https://en.wikipedia.org/wiki/List_of_massacres_in_Lebanon).

« Je t’aime » parle-t-il vrai ?​

Mais le plus beau était à venir… Une des ministres de Carouge – avocate socialiste – a entonné le couplet lyrique du « et n’oublions pas qu’en ce moment même… dans un pays voisin… on veut mettre en tôle pour cinq ans des militants qui ont conduit à l’hôpital une réfugiée en train d’accoucher ». Là, la supercherie est encore meilleure… on n’est pas avocate pour rien… car si nul mot n’est faux dans cette tirade, il n’est pas vrai que c’est pour avoir conduit une femme en couches à l’hôpital que les militants sont poursuivis dans un pays voisin. Certes, la ministre pourrait arguer que « j’ai dû – par gain de temps – faire l’ellipse d’un bout de phrase… et ce n’est pas de ma faute si par oral, « (…) » ne s’entend pas ». Ultime entorse – mais de détail - à la vérité : la ministre avocate socialiste m'a promis deux fois de m'envoyer son texte - une fois avant et une fois après que je lui aie dit mon désaccord - j'attends toujours. ​

La Lune est-elle morale ?​

Boucle bouclée au débat "Bio" : Un bon citoyen est quelqu’un qui hurle de haine au nom de Christoph Blocher mais crie de joie à celui de Bastien Stauffer... ou qui hausse les épaules devant Raiffeisen mais demande la peau de Lafarge : ça se défend, mais ça aussi, c’est « arbitraire ». Comme est arbitraire d'appeler « civisme » les zéros en trop quand ils viennent du « bon côté » (Jean Ziegler et même Amnesty ont été pris plus d'une fois les doigts dans la confiture), mais « tromperie » tout chiffre « populiste » non agréé par l'officialité (l'Organisation internationale pour les migrations, et même l'Association suisse du journalisme scientifique, ont depuis peu ce réflexe)... mais on a dit tout au long de cet article que l'exactitude des chiffres n'est pas le sujet ici : on ne va pas chercher noise à la traduction de « 35 trillions » en « 35 milliards » qui a laissé le public du Ciné Bio de marbre. Alors, retour au début de l'article sur « la Lune » : Interrogé jadis sur les « négationnistes » - « êtes-vous prêt à débattre avec eux » - l'historien Pierre Vidal-Naquet répondait : « Débattre de quoi ? Iriez-vous débattre avec des gens qui disent que la Lune est un fromage ? »... C'est si gros que c'est du cirque plus que de l'info ; comme quoi le « fake » des ignares est moins nocif que l'« intox » des lettrés. Selon que vous soyez puissamment progressiste ou misérablement populiste, on portera vos « pour-la-bonne-cause » aux nues ou on traquera vos « à-peu-près »… c’est pourquoi tous les arrivistes du monde défendent de bonnes causes.​

Boris Engelson, 13.8.2018

 

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