Paradoxe: « Aux Etats-Unis, des start-up innovantes se mettent au nucléaire ! »

Jean-François Dupont
Ingénieur-physicien EPFL

Ci-dessus, Eugene S. Grecheck, président de l’ANS (American Nuclear Society) 

 

Que voilà une nouvelle paradoxale ? Dans nos gros titres habituels, les mots start-up et innovation (et autres Cleantech) sont régulièrement présentés comme des options d’avenir et opposées à un nucléaire dangereux ou pire, ringard.

Comment faire percevoir le nucléaire tel qu’il est, à savoir une énergie disponible en grande quantité et à bas prix, et surtout avec un bilan écologique parmi les meilleurs, à condition de prendre des précautions de sécurité nécessaires efficaces et réalisables ? Donc une bonne affaire pour tous les consommateurs, petits et grands, soucieux de leur portemonnaie comme de l’environnement, bonne affaire qu’il faudrait promouvoir plutôt qu’interdire. Faut-il partir dans les chiffres, rappeler que la fission d’un gr d’Uranium 235 dégage autant d’énergie que la combustion d’une tonne et demie de pétrole, qui plus est sans interaction avec la biosphère (pas de gaz d’échappement). Ou faut-il recourir à des considérations philosophiques sur l’acceptation d’une technologie sous des conditions strictes de sécurité et en faisant un bon usage des experts scientifiques?

Un article récent (https://lesobservateurs.ch/2016/01/28/nucleaire-les-opposants-harcelent-jouent-sur-la-peur-mais-ninforment-pas/ ) a suscité des commentaires souvent répétés favorables à une interdiction a priori de technologie, avec des arguments qui jouent beaucoup sur la diabolisation des techniques et des scientifiques et font penser au Moyen-Âge et aux bûchers de l’Inquisition.

Y-a-t-il une recette miracle contre la panique et l’aveuglement ?

Et si l’on regardait simplement un peu ce qui se passe en dehors de la Suisse et de l’Allemagne ? On découvre, par exemple, qu’aux USA, les start-up investissent dans le nucléaire. Les mots « start-up » et « innovation » sont devenus tellement tendance, cela pourrait-il faire bouger les fronts.

Lire à cet égard ci-dessous l’interview d’Eugene S. Grecheck (photo ci-dessus), président de l’ANS (American Nuclear Society) publiée dans Industrie & Technologie JFD/2.02.2016

Source :http://www.industrie-techno.com/aux-etats-unis-les-start-up-innovantes-se-mettent-au-service-du-nucleaire-eugene-grecheck-president-de-l-autorite-de-surete-nucleaire-americaine.42345

« Aux Etats-Unis, les start-up innovantes se mettent au service du nucléaire », Eugene Grecheck, président de l’American Nuclear Society.

Par Philippe Passebon publié le 01/02/2016 à 08h29

Aux États-Unis, l’énergie nucléaire fournit 20% de l’électricité et 60% de l’électricité décarbonée. Le gouvernement américain entend utiliser encore plus l’énergie nucléaire, qu’il estime adaptée à la lutte contre le changement climatique. La Maison Blanche organisait ainsi le 6 novembre, à quelques semaines de la COP21, son premier « Summit on Nuclear Energy », pour réaffirmer l’importance du nucléaire dans son mix énergétique et présenter des outils d’optimisation de son soutien aux projets innovants. Ceux-ci se multiplient outre Atlantique, en particulier des projets de SMRs (small modular reactors) portés par des start-up qui ont le potentiel de transformer l’industrie du nucléaire.

Eugene S. Grecheck, président de l’ANS (American Nuclear Society, ), nous explique pourquoi, selon lui, le nucléaire a toute sa place à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique et comment les start-up américaines vont contribuer à renouveler l’industrie nucléaire.

Industrie & Technologies : L’énergie nucléaire a-t-elle sa place parmi les solutions contre le réchauffement climatique ?

Eugene Grecheck : Je pense que l’énergie nucléaire est une partie centrale de stratégie pour rendre propre la production d’énergie. La plupart des autres façons de produire de l’énergie à la même échelle sont polluantes. Or nous avons encore besoin d’une production d’énergie très importante, notamment pour les pays en développement, sans compter les régions où il n’y a pas encore d’électricité du tout. L’énergie nucléaire a cette capacité.

I&T : Énergie nucléaire et énergies renouvelables sont-elles en compétition ?

E.G. : Je ne pense pas qu’elles soient en compétition. Le développement de l’énergie solaire ou éolienne ou de toute autre énergie renouvelable ne menace pas le nucléaire. Ce qui menace le nucléaire ce sont des projets qui promeuvent des solutions à court terme qui ne prennent pas en compte l’impact environnemental. Par exemple, aux États-Unis, de nombreuses usines nucléaires sont maintenant rivées sur la rentabilité économique, en tenant moins compte du reste. Mais c’est parce que le gaz de schiste, vraiment peu cher, entraîne l’ensemble des énergéticiens à ne considérer que les retours économiques immédiats. C’est tellement peu cher que l’on ne pense plus à l’impact environnemental pour le lendemain.

I&T : Quel est votre sentiment face à ces pays qui se dénucléarisent en Europe ?

E.G. : Mon souci, c’est que ces décisions semblent entraîner automatiquement la hausse des émissions de CO2. C’est ce que nous voyons en Allemagne. L’expérience qui y est faite l’est au nom du respect de l’environnement, mais la réalité est que les émissions de CO2 ont augmenté. La raison en est que les énergies renouvelables sont intermittentes et nécessitent alors d’autres sources d’énergie qui produisent en permanence. Si ce n’est pas le nucléaire, ce sont alors d’autres sources plus polluantes. Une fois que les personnes comprendront que nous avons besoin de sources d’énergie de grande échelle qui sont disponibles tout le temps, ils comprendront pourquoi le nucléaire est nécessaire.

I&T : L’industrie nucléaire peut-elle encore innover au service l’environnement ?

E.G. : Ce qui a été très intéressant avec cette COP21, c’est qu’on a entendu depuis plusieurs mois que l’innovation et le développement technologique sont indispensables pour développer encore ces technologies. Les gens pensent souvent que le nucléaire est basé sur une technologie qui date de 50 ans. Il y a de nombreuses améliorations à faire grâce au numérique, et à l’innovation technologique. Le problème du combustible et des déchets nucléaires est souvent soulevé. Aujourd’hui, utiliser les réacteurs à eau sous pression, qui sont ceux que tout le monde utilise. Ce combustible utilisé peut encore être réutilisé à 90%. Des réacteurs avancés sont développés pour permettre de réutiliser ce combustible non utilisé, et donc de recycler intégralement le combustible non utilisé.

I&T : Un nombre croissant de start-up proposent de nouveaux concepts de réacteurs aux États-Unis. Ont-elles la capacité de transformer durablement l’industrie nucléaire ?

E.G. : Je suis très enthousiaste vis-à-vis de ce mouvement. Le monde s’est transformé depuis vingt ans, si bien qu’on a aujourd’hui des téléphones portables, on a Internet dans la poche On s’est passé de toutes ces innovations pendant très longtemps dans le nucléaire. Maintenant, toutes ces start-up, qui ont plein de besoins, s’engagent aussi dans le nucléaire. Ces petites entreprises très innovantes se mettent au service de ce secteur qui n’avait pas évolué depuis longtemps. C’est passionnant. Plein de choses possibles sont devant nous. Ces innovations technologiques trouveront les marchés qui leur correspondent et contribueront à décentraliser la production d’énergie nucléaire. On a besoin de grands réacteurs, mais aussi de petits réacteurs plus décentralisés, comme les SMRs (small modular reactors).

I&T : Où en sont les projets de ces start-up ?

E.G. : Le projet de SMR le plus avancé est celui de NuScale Power qui sera en mesure de présenter un dossier de demande d’autorisation de licence à la NRC (Nuclear Regulatory Commission ou Autorité de sûreté nucléaire américaine) américaine en 2016. Ce sera une demande d’autorisation pour la conception du réacteur. Une fois les détails de la conception avalisés par la NRC, les industriels intéressés pourront choisir ou non de concrétiser ce projet. Par ailleurs, le gouvernement américain s’engage à augmenter les subventions aux entreprises innovantes dans le secteur nucléaire, à hauteur de 400 millions de dollars. En outre, le gouvernement propose que les laboratoires nationaux américains qui travaillent dans le nucléaire servent de lieux d’expérimentation pour ces start-ups. Je pense que l’innovation doit être encouragée. Ensuite, ce sera aux start-ups de se battre pour développer leurs innovations et essayer de les mettre sur le marché.

 

 

Article publié également sur : http://clubenergie2051.ch/2016/02/02/aux-etats-unis-les-start-up-innovantes-se-mettent-au-service-du-nucleaire/

Sur le même sujet

 « Il faut construire 35 réacteurs nucléaires d’ici 2050 », selon Bernard Bigot, du CEA

 "Les énergies renouvelables ne remplaceront pas le nucléaire"

Mini réacteur à fusion nucléaire : le projet de Lockheed Martin est-il sérieux ?

Nucléaire : Des chercheurs du MIT réapprennent à faire bouillir de l'eau

 

 

 

3 commentaires

  1. Posté par Jean-François Dupont le

    Le point 5) de Christophe est essentiel pour comprendre pourquoi on pourra passer à une meilleure extraction du contenu énergétique des combustibles nucléaires, ce que suggère avec raison Pierre. Grâce à cela, la réserve d’énergie de fission n’est pas de l’ordre du demi-siècle, mais de plusieurs milliers d’année. De quoi mettre la fusion au point.
    Mais à condition de pouvoir faire du retraitement du combustible usagé. Le retraitement signifie trier et valoriser les déchets (plus de 95% valorisable dans le combustible usagé des réacteurs actuels), la base même d’une saine gestion écologique. Mais, le grand mais, est que le CF Moritz Leuenberger a décrété un moratoire sur le retraitement depuis 2003. De plus Mme la CF Leuthard n’a pas l’intention de lever ce moratoire puisqu’elle en propose l’interdiction définitive dans la nouvelle loi sur l’énergie nucléaire, en complément de l’interdiction de remplacer les anciennes centrales par des nouvelles, pierre angulaire de la Transition énergétique. C’est donc en fait la Transition énergétique qui limitera les réserves utiles de combustibles nucléaires au demi-siècle!

  2. Posté par Christophe1946 le

    Pour être plus positif que le commentaire ci-dessus, voici quelques précisions concernant les perspectives de l’AIE dans le domaine de l’électricité :

    1° D’ici à 2050, dans son scénario « 2DS », soit à +2 °C, l’AIE prévoit plus qu’un doublement du parc nucléaire mondial qui, des quelque 383 GW actuels (avec en plus 66 GW en construction et 167 GW planifiés), passera à plus de 900 GW, cela pour la bonne raison que les sources d’énergie renouvelables (éolien et solaire) sont en grande majorité aléatoires et sont ainsi incapables d’assurer une indispensable production en continu ; ce qui est une nécessité pour garantir un approvisionnement sûr, et suffisant en électricité 24 h/24.

    2° Simplement pour la Suisse, ce ruban incompressible est de 5 GW, assuré par 2 GW de production hydraulique au fil de l’eau et par 3 GW de production nucléaire. Si cette dernière venait à manquer, il faudrait la remplacer ou bien par des centrales à agents fossiles, ou bien par des importations massives d’électricité européenne, produite elle aussi, soit par du nucléaire soit par des fossiles.

    3° L’AIE prévoit sagement que l’avenir mondial de l’électricité (pas moins de 40’000 TWh en 2050 contre 22’000 TWh aujourd’hui) devra être réalisé dans un « mix » où les renouvelables et le nucléaire auront bien sûr toute leur place. Toujours dans son scénario 2DS (à +2 °C), la part du nucléaire sera de 16,9% (6’800 TWh en 2050 contre 2’600 TWh actuellement), celle de l’hydraulique 17,9%, celle de l’éolien sur terre ferme (« onshore ») 13,4%, celle de l’éolien en mer (« offshore ») 4,7%, celle de la biomasse 8,0%, celle du solaire photovoltaïque 9,5% et celle du solaire héliothermique 7,1%. Il restera encore 7,9% de charbon et 10% de gaz naturel.

    4° Grâce à ce « mix » judicieux, cette production d’électricité (actuellement la cause de 39% des émissions mondiales de CO2 !) fera passer les émissions mondiales de CO2 des quelque 37 Gt actuels à seulement 21 Gt, dont 6 Gt pourront être séquestrées, les émissions nettes étant alors tombées à 15 Gt.

    5° Contrairement au commentaire de mon préopinant, l’uranium, comme source d’énergie nucléaire, n’est pas près d’être épuisé : dans les réacteurs actuels on n’utilise à peine plus d’un demi pour-cent de l’uranium naturel déjà extrait ; dans les futurs réacteurs, dits de 4e générations dont ces SMRs, on profitera précisément des 99,5% restants et qui sont déjà sous la main ! Et cela sans compter les réserves naturelles (la teneur en uranium de la croûte terrestre est de 3 ppm, celle du thorium de 12 ppm…). Le tout sera exploitable et pourra assurer quelques milliers d’années de production d’électricité.

  3. Posté par Pierre le

    Décidément, le vernis positif « start-up » est déjà bien craquelé. Et l’idée du recours massif à la fission nucléaire pour lutter contre l’augmentation désastreuse du CO2 atmosphérique se heurte aux faits, que le physicien que je suis aussi se permet de rappeler ici.

    1) Aujourd’hui, environ 450 réacteurs produisent MOINS DE TROIS POURCENT (oui, <3%) de l'énergie finale de l'humanité. Et la plupart d'entre eux rejettent en chaleur dans l'environnement le double de ce qu'ils produisent en électricité.

    2) L'Agence Internationale de l'Energie (AIE) a calculé que pour diminuer de moitié les émissions de CO2 entre 2010 et 2050, il faudrait construire plus de 2 réacteurs nucléaires CHAQUE MOIS soit 1280 nouveaux réacteurs en tout.

    3) La quasi totalité des réacteurs nucléaires utilisent un procédé qui gaspille monstrueusement le peu d'uranium disponible, et les meilleures possibilités plus ou moins expérimentales ou dangereuses comme les surgénérateurs n'ont pas atteint une maturité industrielle, en partie pour des raisons concurrentielles.

    4) L'uranium économiquement ou énergétiquement exploitable va manquer dans environ un demi-siècle, et plus tôt si le nombre de réacteurs augmente significativement. A peu près en même temps que les combustibles fossiles. Resterait le thorium, dont quelques installations-pilote ont surtout montré les difficultés techniques. La fusion contrôlée? volontiers, mais pour le moment elle a consommé beaucoup d'argent sans produire un seul mégawattheure…

    5) Nous utilisons massivement et depuis toujours l'énergie nucléaire naturelle: le soleil, et aussi la chaleur terrestre. Sans elle nous n'existerions pas. Fin prévue dans plus de 2 milliards d'années, quantité illimitée à l'échelle humaine.

    Dernière remarque: La droite politique défendait le nucléaire parce que la gauche s'y opposait, et vice-versa. Aujourd'hui, la facture complète et réelle commence à apparaître et met les deux camps plus ou moins d'accord, sauf ceux qui peuvent encore ponctionner sans entrave le portefeuille des citoyens (Chine, France…).

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.