Contes et légendes pédagogiques

Stevan Miljevic
Enseignant

Une large frange des praticiens s’accorde pour le dire, les pédagogistes vivent sur une autre planète. Non seulement ils évoluent dans des sphères n’ayant plus aucun lien avec la réalité, mais ils nous invitent à les y rejoindre. HEP et autres facultés des sciences de l’éducation relaient avec force leurs propos auprès des jeunes enseignants tout comme des décideurs.

 On ne sait jamais, sur un malentendu, certains de ceux-ci pourraient adhérer au propos. Des trésors d'inventivité sont ainsi déployés pour tordre suffisamment la réalité afin de faire valider leurs analyses. Une des techniques les plus prisées pour garder une position dominante consiste à accuser autrui de tout et n'importe quoi, peu importe si le propos n'a aucun fondement.

Petit florilège de mythologie constructiviste:

La première des fables systématiquement rabâchée consiste à faire croire que face à un enseignement qualifiable de traditionnel, les élèves sont passifs. S'ils sont passifs, alors les conditions optimales d'apprentissage ne sont pas remplies. Si le raisonnement est mené à son terme, un élève passif ne peut tout simplement rien apprendre! Un légume aux yeux écarquillés et dont l'activité neuronale s'apparente à un encéphalogramme plat ne peut en aucun cas retenir quoi que ce soit. Cette accusation est-elle fondée? Imaginons un instant un enseignant qui ne procéderait que par la simple modalité du cours magistral. L'élève désireux d'apprendre devrait, mémoriser l'ensemble des savoirs exposés par l'enseignant pour pouvoir ensuite les reproduire. Il est totalement impossible de mener ces opérations dans un état de passivité. Il est vrai que ce type d'enseignement peut amener les élèves à se désintéresser de ce que le maître dit. Encore faut-il savoir pourquoi. La raison est simple: on ne leur donne pas les instruments nécessaires pour suivre le cours qui leur passe ainsi par dessus la tête. Dans le corps enseignant, à peu près tout le monde le sait et si une partie du cours consiste en un exposé magistral, l'élève est automatiquement mis en activité plus tard par le biais d'exercices. C'est le minimum syndical.

En revanche, lorsqu'on met des élèves en face d'une situation de découverte complexe le décrochage d'élèves va être nettement plus important. Qui dit découverte dit que les outils de résolution de cette situation ne sont pas donnés au préalable. De nombreux élèves se trouvent ainsi dans l'incapacité de réaliser ce que l'on attend d'eux. Dès lors, le taux de passivité vis-à-vis du cours explose littéralement. Il est donc faux de prétendre qu'un enseignement normal génère automatiquement de la passivité. Et il est tout aussi faux d'avancer que l'entrée dans les savoirs par la découverte prônée par le constructivisme permet de pallier  cet éventuel manque. L'inverse est bien plus vrai.

Une deuxième légende pédagogique consiste à affirmer que la répétition d'exercices tue la pensée autonome et la créativité. Les élèves confrontés à ce genre d'enseignement ne seraient bons qu'à réagir de manière pavlovienne à l'image de bêtes dressées à adopter un certain comportement en réaction à un certain stimuli. En fait, tout (ou presque) nous démontre le contraire. Il suffit de penser au musicien de génie qui a passé des heures et des heures à répéter ses gammes, au sportif d'élite ayant entraînement après entraînement réalisé inlassablement les mêmes gestes. Les plus grands joueurs d'échecs sont ceux qui ont mémorisé le plus de parties. Qui oserait sérieusement prétendre que ces milliers d'heures de répétition les ont rendu inaptes à la créativité? Certainement pas les récents développements des sciences cognitives: les travaux du professeur Weisberg, psychologue cognitiviste, sont en  effet  parvenus à la conclusion qu'

il y a des preuves qu'une immersion profonde est nécessaire dans une discipline avant de produire quelque chose d'une grande nouveauté (1)

Dont acte. Cette conclusion peut être étendue à la pensée critique: il n'est pas possible de penser un sujet de manière critique sans en avoir une parfaite maîtrise. Lorsqu'un individu connaît sur le bout des doigts le sujet qu'il veut traiter, il libère de la place dans sa mémoire de travail et peut donc utiliser celle-ci à plein régime pour l'analyse critique. Sans ce prérequis, le cerveau ne peut tout simplement pas être aussi efficace. (2)

La troisième fable consiste à faire croire que les pédagogies de la découverte (constructivisme et socio-constructivisme) sont des révolutions singulièrement novatrices, qu'elles sont issues des dernières avancées de la recherche. Or, quiconque creuse un peu se rend vite compte que ce n'est pas du tout exact. Saint Thomas d'Aquin (1225-1274) déjà évoque, dans un écrit consacré à l'enseignement, cette forme d'acquisition du savoir dans les termes suivants:

lorsque la raison naturelle parvient d’elle-même à la connaissance de ce qu’elle ignorait, ce qui s’appelle : invention (3)

Cela fait donc au moins 750 ans que des penseurs se sont déjà penchés sur la question. Niveau innovation on a déjà vu mieux. Il ne sera pas fait ici mention de la prétendue efficacité des pédagogies constructivistes, le sujet a déjà été traité à plusieurs reprises. (4)

La quatrième illusion savamment distillée dans les instituts de formation est la foi inébranlable dans les travaux de groupe. Non seulement les futurs enseignants sont formatés à penser "travail de groupe", mais ils sont également, à de nombreuses reprises, sollicités à travailler eux-mêmes de la sorte. Le dogme est si fort que certains enseignants se permettent même de noter collectivement les travaux réalisés en groupe, pratique complètement inacceptable puisque personne ne peut être tenu responsable des actes d'autrui. Dans les faits, selon la méga-analyse de John Hattie faisant office de référence actuellement car portant sur 80 millions d'élèves, la pédagogie coopérative arrive juste à se maintenir à la moyenne des différentes influences envisageables (effet d'ampleur de 0.41 pour une moyenne à 0.40) et même derrière l'impact que peut avoir la taille de l'école (effet d'ampleur 0.43) sur les résultats des élèves (5). Ces résultats sont largement inférieurs à ceux que peuvent obtenir des enseignants clairs dans leurs explications (effet d'ampleur 0.75), donnant de nombreux feedbacks (effet d'ampleur 0.73) et pratiquant des évaluation formatives (petites feuilles et autres dispositifs du genre pas forcément notés mais permettant à l'enseignant de vérifier par écrit où en sont ses élèves (effet d'ampleur 0.9). Ainsi donc, si les travaux de groupe ne pénalisent pas dans l'ensemble les élèves, ils ne sont aucunement une solution pour les faire progresser. Et donc, puisque leur utilisation s'avère limitée dans les cas où les enseignants usent de méthodes explicites, autant dire que les travaux de groupe ne sont en tout cas pas à recommander, surtout si l'ensemble des nuisances qu'ils peuvent engendrer  sont prises en compte (6).

Cette liste est bien entendue non exhaustive. Certains des points traités prêteraient à rire s'ils n'étaient malheureusement pas assénés en dogmes dans des institutions à prétention universitaire! Des institutions se réclamant de la science mais qui justement ignorent les règles les plus élémentaires de la recherche scientifique (la preuve empirique à large échelle) ainsi que les résultats de cette même science quand celle-ci contredit leurs dogmes….

Stevan Miljevic, le 11 janvier 2014

http://stevanmiljevic.wordpress.com

(1) http://www.formapex.com/sciences-cognitives/640-et-la-creativite-le-point-sur-la-recherche-en-sciences-cognitives-sur-la-creativite-la-fin-dun-mythe consulté le 9 janvier 2014

(2) http://www.formapex.com/sciences-cognitives/788-la-pratique-conduit-a-la-perfection-mais-seulement-si-vous-pratiquez-au-dela-du-point-de-perfection consulté le 9 janvier 2014

(3)Saint Thomas d’Aquin, De l’enseignement (De Magistro), Klincksieck, 2003, p.37

(4) on pourra par exemple relire ceci: http://stevanmiljevic.wordpress.com/2013/11/06/pour-un-enseignement-de-qualite/

(5) http://visible-learning.org/hattie-ranking-influences-effect-sizes-learning-achievement/ consulté le 11 janvier

(6) Voir à ce sujet les discussions au sujet de l'article ici http://stevanmiljevic.wordpress.com/2013/12/29/quand-les-pedagogos-sen-prennent-a-guillaume-tell/

12 commentaires

  1. Posté par Johnk107 le

    hello!,I like your writing so much! share we keep up a correspondence extra about your article on AOL? I require an expert on this space to resolve my problem. May be that is you! Looking ahead to look you. gdageggdaabe

  2. Posté par Stevan Miljevic le

    Si Follow Though est effectivement contesté comme vous le dites, en revanche, de nombreuses études confirment l’efficacité du Direct Instruction. Que ce soit Hattie ou Fraser (1987) notamment. Ceci dit, compte tenu des questions soulevées par le projet House et Glass (1979), Bereiter (1981), Becker et Carnine (1981) ont réanalysé les résultats de Follow Though avec une méthodologie plus sophistiquée et ont confirmé les résultats de Follow Though….
    Je peux vous suivre sur le terrain du « il vaut mieux regarder ce qui marche plutôt qu’entrer en guerre », mais ce n’est pas si facile. Cela fait des années que les constructivistes nous pompent l’air, qu’ils nous pourrissent les plans d’étude, les moyens d’enseignement, obligent à avaler leurs dogmes débiles dans les instituts de formation. On paie des sommes gargantuesques en terme de bouquins par exemple et j’en ai plein l’os de tout devoir refaire systématiquement derrière , parce que les fanatiques qui ont fait les livres/programmes en question se sont lâchés et ont mis leurs idioties d’approches par découverte ou je ne sais quoi d’autre à tous les coins de rue. Alors d’abord on fait le ménage, on explique poliment à ces gens qu’on ne veut plus d’eux à ces postes, ensuite on recommence à travailler normalement.

  3. Posté par Mewtow le

    Le sur-apprentissage a prouvé sa valeur A TRAVERS l’efficacité du direct instruction : niveau rigueur scientifique, ça vaut pas grand chose ce genre d’arguments Au passage, Follow Though était une expérience dans laquelle les échantillons d’élèves n’étaient pas sélectionnés aléatoirement, biaisant toute l’étude de bout en bout : c’est ce qui fait que cette pédagogie a du mal à percer dans le milieu de l’educationnal psychology américaine. Mais ça, les défenseurs de la pédagogie explicite ne le disent pas…

    Et il n’empêche que toutes les études scientifiques faites spécifiquement sur le sur-apprentissage ont clairement prouvé son inefficacité, voire son inutilité. C’est un fait, la pédagogie explicite a des problèmes et toutes ses pratiques ne sont pas bonnes à appliquer. Personnellement, je tiens l’instructionnisme à cœur, et ça me fait mal de voir qu’une pédagogie qui se réclame de la science se passe de techniques utiles (les travaux de Lieury sur le fonctionnement de la mémoire sémantique) et utilise des techniques dont les recherches sérieuses recommandent l’abandon. Et ça me désole de voir certains la défendre même dans ses erreurs.

    Et selon les preuves empiriques, et notamment la méta-analyse que j’ai cité, certaines (j’ai bien dit certaines…) techniques constructivistes, appliquées dans un cadre instructionniste, peuvent marcher selon les méta-analyses et les preuves empiriques sur le sujet. C’est dur à admettre, mais il vaut mieux regarder ce qui marche, plutôt que de rentrer dans une guerre constructivistes/instructionnistes.

  4. Posté par Stevan Miljevic le

    Point 1: c’est exactement ce que j’ai dit avec d’autres termes: une très bonne connaissance qui n’est pas au top peut engendrer des erreurs. Celui qui est vraiment expert dans son domaine, lui, connait les limites précises de ses connaissances. C’est ce que j’ai écrit ici: « Si l’expert est vraiment expert et a une maitrise parfaite du corpus de savoir connu et un peu d’humilité, alors il acceptera de lâcher momentanément ses conceptions pour plonger dans l’inconnu. Je crois que c’est plus une affaire d’inexactitude des savoirs ou d’ego qui peut le pénaliser que son expertise.  »
    Assurément, vous avez une connaissance très faible de ce qu’est la pédagogie explicite. La pédagogie explicite insiste sur une explicitation maximale en guise de modelage (ce qui peut rejoindre les advanced organisers dont le but est de clarifier et d’expliciter au maximum…). L’explicite insiste ensuite sur la nécessité de s’informer sur la manière dont les élèves comprennent ce qui leur a été enseigné (feedback, evaluations formatives…).
    Le surapprentissage a démontré une certaine efficacité au travers du Direct Instruction dont l’effet d’ampleur est largement reconnu par Hattie qui n’a pas fait une petite méta analyse toute riquiqui mais en a passé en revue 800. Le Direct Instruction a fait ses preuves dans le projet Follow Through, plus long projet recensé si mes souvenirs sont exacts en matière d’efficacité de pratiques pédagogiques. Les pratiques qui se rattachaient à ce que prônent les constructivistes se sont faites enfoncées littéralement.
    Alors vous pouvez élucubrer tout ce que vous voulez sur le constructivisme, les preuves empiriques sont là….

  5. Posté par Mewtow le

    Pour le point 1, je vais donner un exemple, qui a étè reproduit dans de nombreux domaines, que je tire de cette vidéo : http://www.educavox.fr/formation/conferences/article/comment-devient-on-creatif. Dans une étude sur la résolution de problème, des chercheurs ont demandés à des médecins, et étudiants en médecine de faire un diagnostic à partir d’une radio relativement complexe. La patient en question avait deux pathologies graves et très rares, ce qui rendait la situation très complexe. Dans cette étude, les médecins normaux (pas les sommités mondiales) se trompaient plus souvent que les novices à cause de leurs connaissances antérieures : ils essayaient de rattacher le contenu de la radio à quelques chose de connu, ce qui leur faisait inférer une fausse pathologie. Seuls les experts de niveau national arrivaient à résoudre le problème, justement parce qu’ils remettaient en cause leurs connaissances antérieures. En somme : les liens entre expertise et créativité sont légèrement différents de ce que pense les partisans de la pédagogie explicite.

    Pour la répétition, non : sur-apprentissage et distribution sont incompatibles entre eux, et cette position est clairement soutenue par de nombreux chercheurs qui travaillent sur le fonctionnement de la mémoire.

    De plus, votre vision de l’automatisation, qui est celle des partisans de l’explicite, est totalement foireuse, et incohérente avec les recherches en neurosciences sur la mémoire implicite. D’après les recherche de Squire, l’automatisation n’a lieu que pour les adaptations des voies réflexes, les conditionnements, les taches motrices (mémoire procédurale), la perception (amorçage perceptif), et la familiarité inconsciente de certaines représentations mentales (la tache de prédiction du temps en est un bon exemple, ou celui de l’apprentissage implicite d’une grammaire formelle). Aucune de ces formes d’automatismes ne peut s’utiliser dans un cadre scolaire, hormis pour les professeurs d’EPS et l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Dans tous les autres cas, il n’y a PAS d’automatisation. Répéter le permet pas de libérer de la mémoire de travail dans la quasi-totalité des taches scolaires. Après, si vous voulez rester sur une vielle vision de la mémoire basée sur des recherches réfutées par les neuro-sciences, libre à vous.

    De plus, l’efficacité de la répétition plafonne, notamment quand il s’agit de relire ses cours, ce qui donne de sérieuses limites quand à l’efficacité de cette pratique. Par exemple, le document « https://www.wku.edu/senate/documents/improving_student_learning_dunlosky_2013.pdf » montre clairement que le sur-apprentissage de textes ne donne aucun résultat à long terme concernant la relecture et que seule la distribution fonctionne, ce qui invalide le contenu de votre récent message.

    Pour le conflit cognitif (et non socio-cognitif), cela ne demande pas de mettre les élèves en activité ou de les faire discuter, ni quoi que ce soit d’autre. On a des procédures tirées de la neuro-éducation, et notamment de la neuro-didactique, et des travaux sur les refutationnal texts, qui donnent une procédure simple. Il suffit juste d’expliciter les conceptions préalables des apprenants, leur montrer des situations et exemples dans lesquels la conception foire (conflit cognitif, te voila !), montrer l’explication qui doit remplacer la conception, et montrer comment elle résout les exemples précédents. C’est facile à appliquer dans un cours magistral : personnellement, je l’ai fait dans mes cours d’informatique, et cela a donné de très bons résultats (+15% de réussite dans mon cursus). Mais pour cela, il a fallu que je me renseigne sur les conceptions des apprenants, et donc sur les innombrables recherches faites pas les socio-constructivistes…

    Et on pourrait citer les techniques constructivistes évaluées à grande échelle dans certaines méta-analyses. Par exemple, les advances organisers, crée par le constructiviste ausubel, ont été validés à grande échelle par la méta-analyse de marzano et al. (classrooms instruction that works). Même chose pour l’activation des connaissances antérieures (dont le travail sur les conceptions fait partie), même chose pour les méthodes de travail basées sur l’effet de génération, et quelques autres. C’est déjà nettement plus validé que la pratique du sur-apprentissage ou l’existence d’une quelconque automatisation !

    Comme quoi, la propagande des partisans de la pédagogie explicite, et la faiblesse théorique de certaines théories sur lesquelles se base cette pratique, font beaucoup de mal.

  6. Posté par Stevan Miljevic le

    Je reviens aux situations inconnues: rassurez-vous je ne suis pas stupide au point de croire qu’un expert ne travaille que sur des situations déjà vues (sans quoi la recherche elle-même n’a aucun sens!), et je veux bien croire qu’au moment de plonger dans l’inconnu, il est, momentanément, au même niveau que le novice. Ceci dit, son bagage de savoir va lui permettre, à un moment ou à un autre dans cette situation nouvelle, de s’orienter mieux que le novice. Si je reviens au joueur d’échecs: la situation inconnue est peut-être momentanée et il va retomber deux-trois coups plus loin dans un schéma connu. Willingham prend l’exemple du Dr House pour illustrer ce cas.
    Si l’expert est vraiment expert et a une maitrise parfaite du corpus de savoir connu et un peu d’humilité, alors il acceptera de lâcher momentanément ses conceptions pour plonger dans l’inconnu. Je crois que c’est plus une affaire d’inexactitude des savoirs ou d’ego qui peut le pénaliser que son expertise. Ensuite, au moment où il plonge dans l’inconnu, il tâtonne et procède par hasard momentanément comme le novice. Je peux imaginer qu’à ce moment certains sont guidés par autre chose que le hasard (une part de génie?) mais je ne sais pas définir ce que c’est. Je l’avoue.
    Pour la répétition et les transferts: la répétition permet l’automatisation et, par conséquent, la libération d’une zone de la mémoire de travail et donc l’augmentation des aptitudes à traiter un problème plus complexe en surface. C’est un prérequis au transfert. Partant de là, je peux vous accorder éventuellement la nécessité de varier un peu plus la structure de surface, mais je persiste : cela fait depuis belle lurette qu’on le fait et la pédagogie explicite le fait.
    De plus, vous semblez dans vos textes opposer sur-apprentissage et apprentissage distribué alors que les deux sont parfaitement complémentaires: on peut travailler à outrance certaines notions pour les automatiser durant une certaine période tout en y revenant de manière épisodique plus tard. C’est d’ailleurs plutôt recommandé de le faire. Et si je reviens à mon texte de base, que l’apprentissage soit « massé » comme vous dites ou « distribué », on est quand même dans la répétition, alors non mon argument n’est pas faux. Vous contribuez même plutôt à le renforcer.
    conflit socio-cognitif: deux éléments: 1) le tests en labo n’ont rien à voir avec une mise en situation réelle: mettre des élèves en discussion autour d’un problème génère du bruit qui alourdit la charge cognitive d’une part, d’autre part, de nombreuses stimulations autres que le problème en question peuvent apparaitre, renforcer encore cet aspect. Enfin, il faut qu’il y ait réellement conflit socio-cognitif, ce qui demande une démarche active et impliqué des élèves. Croire qu’on peut mettre des ados de 13-16 ans dans un tel état si facilement sans qu’ils ne profitent de la situation pour parler, faire les cons etc c’est vivre chez les bisounours.
    A propos, je suis curieux de savoir dans quelle situation vous préconisez le conflit socio-cognitif dans un cours magistral: durant l’exposé certainement pas et si c’est ensuite dans la mise en activité, alors cela signifie que le modelage n’a pas été bon puisque les élèves n’arrivent pas à résoudre individuellement le problème ou que le problème est trop complexe par rapport à ce qui a été enseigné, ce qui nous fait nécessairement entrer dans un aspect « pédagogie de la découverte »…
    Changement conceptuel: personne ne souhaite laisser une erreur s’installer durablement. une manière instructionniste de fonctionner se charge de la réduire au néant le plus vite possible et de manière explicite alors que l’approche constructiviste va tenter de le faire par un conflit cognitif dont on n’est pas sûr qu’il se produise….
    J’ai bien lu l’ensemble des documents que vous avez mis en ligne et honnêtement je ne trouve pas grand chose à y redire. Dans les grandes lignes nous sommes assez d’accord je pense même si vous persistez à vouloir impérativement laisser une place au constructivisme.
    J’ai juste un peu l’impression que vous fonctionnez à la manière constructiviste dans la définition de ce qu’est un enseignant traditionnel en le caricaturant à outrance. C’est bien pratique pour décrédibiliser mais est-ce à voir avec le réel? je ne suis pas certain. Loin de moi l’idée de dire qu’on fait tout juste depuis des siècles, je dis simplement qu’une méthode instructionniste est meilleure qu’une approche constructiviste et que les méthodes les plus traditionnelles doivent juste être complétées de deux trois choses (notamment le travail sur la compréhension des élèves, feedbacks, évaluations formatives…)

  7. Posté par Mewtow le

    Pour l’argument sur les situations inconnues, et l’exemple avec les échecs, c’est tout simplement une conséquence des études sur l’expertise : si les connaissances antérieures aident la résolution de problème et le raisonnement dans des situations « familières » (cf : dont les indices de récupération permettent d’activer des connaissances antérieures pour les rapatrier en mémoire de travail), elles sont légèrement nuisibles dans des situations dans lesquelles on ne peut pas transférer ses connaissances. Situations qui correspondent le plus souvent à celles qui demandent de formuler une réponse créative : être créatif demande justement de ré-encoder les données d’un problème d’une manière très différente de l’encodage initial (qui est knowledge driven) : cette réorganisation demande de mettre de coté ses connaissances antérieures lors de l’encodage du problème, (qui peuvent être à l’origine d’un mental set, de la fixité fonctionnelle, ou de contraintes inutiles, ou d’autres obstacles bien connus pour la résolution de problèmes). Quand à croire que l’on pourrait toujours tomber sur des situations déjà vues, c’est d’une naïveté…

    Pour la répétition, même si les exercices ne sont pas identiques et montent graduellement en difficulté, ils sont quand même franchement similaires : plus précisément, ils gardent les mêmes caractéristiques de surface, ce qui empêche mes indices de récupération de fonctionner convenablement, et empeche de former un prototype adéquat pour les connaissances à apprendre (voir ce chapitre de mon livre, pour en savoir plus : http://fr.wikibooks.org/wiki/Psychologie_cognitive_pour_l%27enseignant/Cat%C3%A9gorisation_et_conceptualisation, et celui-ci : http://fr.wikibooks.org/wiki/Psychologie_cognitive_pour_l%27enseignant/Exemples_travaill%C3%A9s#Variability_effect). De plus, les méthodes de travail les plus efficaces demandent d’utiliser des exercices adaptés, qui sont loin de la répétition de maintien telle qu’elle est utilisée dans les cours traditionnels usuels, ou dans la pédagogie explicite. Bien répéter demande de répéter efficacement, de manière active, via des méthodes qui semblent relativement proche des techniques constructivistes (effet de génération…). A ce sujet, voir mon article ici : http://www.educavox.fr/formation/analyses-27/article/devoirs-et-methodes-de-travail, qui égratigne un peu la pédagogie explicite.

    Pour l’argument sur le conflit socio-cognitif, celui-ci peut parfaitement s’appliquer dans un cours magistral et n’est pas spécifique aux pédagogies par découvertes, contrairement à ce que vous pouvez penser. Par exemple, la stratégie des refutationnal text est une application de cette stratégie dans une approche instructionniste. De manière générale, tous les travaux sur les conceptions préalables des élèves doivent être gardés : c’est tout l’enjeu de ce que les cognitivistes (et donc, des instructionnistes) appellent le changement conceptuel (voir le chapitre de mon livre sur le sujet, pour plus de détails : http://fr.wikibooks.org/wiki/Psychologie_cognitive_pour_l%27enseignant/Changement_conceptuel).

    Et enfin, pour Willingham, il faut se rendre compte d’une chose : il est anglo-saxon et n’a dont pas connaissances des études sur le transfert d’apprentissage, qui sont souvent des études françaises ou québécoises, faites par des membres du courant instructionniste. Or, ces études disent que si les connaissances inflexibles sont le premier pas vers l’expertise (comme le dit willingham), c’est un tout petit pas dont on peut se passer définitivement en utilisant des techniques pédagogiques adaptées.

    De manière générale, le cadre théorique des instructionnistes anglo-saxons se base surtout sur des études sur l’expertise : ils parlent beaucoup de mémoire de travail, d’automatisation, etc. Mais ils ne prennent pas en compte les données sur le fonctionnement de la mémoire : les théories de la mémoire sémantique, ou de la représentation des connaissances en mémoire sur lesquelles sont basés ces travaux sur le transfert, sont totalement passées sous le tapis. Cela a ces conséquences, ce qui les mène à des erreurs ou à de graves manquements. Par exemple, l’utilisation du sur-apprentissage, voire la notion même d’automatisation de la pédagogie explicite/théorie de la charge cognitive est sérieusement mise à mal par ces données. Et c’est sans compter que cela relative fortement la fausse dichotomie entre constructivisme et traditionalisme, que seuls les partisans du traditionalisme éducatif ou de la pédagogie explicite sont capable de soutenir : l’effet de génération provenant de ces études sur la mémoire va plus dans le sens des constructivistes, l’usage efficace (d’après les méta-analyses) d’advances organisers l’est aussi, et ne parlons pas du changement conceptuel (les travaux sur la visualisation et l’apprentissage des notional machine dans l’apprentissage de l’informatique est un très bon exemple de la réussite des vues constructivistes dans certains apprentissages, de ce point de vue)..

  8. Posté par Stevan Miljevic le

    Merci pour votre réaction fort constructives. Quelques remarques à mon tour:
    – En ce qui concerne le premier argument: je n’ai pas l’impression qu’il y ait grand monde qui dicte un cours dans lequel l’élève note mot à mot ce qui est dit lorsqu’il fait du « frontal ». Et si le cours magistral est assené de manière plus rapide, alors il faut effectivement faire une carte mentale ou même résumer, ce qui demande des capacités de synthèse puissantes. En ce qui me concerne au niveau où j’enseigne, soit l’école obligatoire, la question ne se pose même pas tant il est impossible de demander à une grande partie des élèves de faire ce genre de chose dans ces conditions. Les faire élaborer une carte mentale ou un résumé est tout à fait possible mais pas en partant d’un simple exposé oral. Ce que j’ai voulu dire, c’est que la modalité discours magistral n’était pas possible telle qu’elle est généralement présentée et qu’elle s’accompagne d’autres développements (notamment le questionnement intensif comme vous l’avez vous même fait remarqué et qui, en ce qui me concerne, me convient parfaitement.).
    Pour la répétition: vous constaterez en ouvrant un livre (même assez ancien) que les exercices ne sont jamais complètement les mêmes. Même dans une approche traditionnelle, ils se complexifient et finissent généralement par des transferts.
    A ce propos, je trouve assez étonnant votre argument selon lequel un champion d’échec se trouvant dans une situation inconnue est au niveau d’un novice. Je ne vois pas où vous voulez en venir puisque le but est justement d’éviter au maximum les situations inconnues.
    Ensuite, puisque vous évoquez les connaissances inflexibles de Willingham et que celles-ci mèneraient à une impasse sur les capacités de transfert, je vous invite à jeter un oeil ici http://www.formapex.com/sciences-cognitives/1004-les-connaissances-inflexibles-premiere-etape-vers-lexpertise
    Il semble que Willingham ne soit pas tout à fait de votre avis!
    Pour le conflit socio-cognitif: dès lors qu’un enseignement est dispensé de manière instructionniste alors le conflit socio-cognitif n’a plus de sens. Il prend tout son sens dans les situations de pédagogie de découverte, qui elles, sont clairement mesurées comme déficientes (voir John Hattie). Par conséquent, il ne s’agit là que d’une béquille pouvant tout au plus relever le niveau vers quelque chose de presque acceptable et encore….Donc oui je pense qu’on peut jeter le bébé avec l’eau du bain…

  9. Posté par Mewtow le

    Il y a du vrai et du faux dans votre article.
    Le premier point sur l’enseignement traditionnel est à nuancer : même si l’élève écoute et s’intéresse, il ne sera pas forcément considéré comme actif. Être actif, pour un constructiviste, signifie sélectionner les nouvelles informations qui lui parviennent les organiser, et les intégrer aux connaissances antérieures : d’un point de vue cognitiviste, cela consiste simplement à « élaborer ». De ce point de vue, tout dépend du cours magistral dispensé : si l’élève recopie bêtement un cours fortement descriptif, l’élève n’est clairement pas actif. Par contre, s’il note son cours avec l’aide d’une carte mentale, que le professeur ose beaucoup de questions (technique utilisée par la pédagogie explicite, par exemple), etc, ce sera le cas. De ce point de vue (et d’après mon expérience d’élève), beaucoup de traditionalistes ont tendance à faire des cours fortement descriptifs, qui admettent beaucoup, qui élaborent peu, dans lesquels les professeurs posent peu de questions aux élèves et les font peu participer (on ne parle pas de magistral pour rien…) : ils rendent donc bel et bien les élèves passifs. L’argument des pédagogistes est donc relativement vrai dans la majorité des cas, mais ce n’est pas une fatalité et peu s’arranger avec quelques améliorations.

    Second point sur la créativité : là encore, il y a du vrai, mais aussi du faux. Par exemple, prenez les études sur les échecs que vous citez dans votre paragraphe : vous oubliez de dire que face à une situation inconnue, les experts en échec reviennent au même niveau de compétence que les novices (source : travaux de de groot). De même, des expériences de stimulation magnétique trancraniennes ont montré que diminuer l’activité du cortex temporal, siège de la mémoire sémantique, augmentait la créativité dans des situations de laboratoire.

    En réalité, la répétition n’a d’effet que si la nature des exercices répétés suit. Si les exercices faits sont similaires, comme ceux d’un enseignant traditionaliste qui ne fait que faire répéter des exercices types à ses élèves, l’effet sur la créativité sera tout juste médiocre. Ce qui est à la source de la créativité, c’est l’efficacité de l’organisation en réseau des connaissances mémorisées en mémoire sémantique. Cela se développe non via répétition, mais via des techniques constructivistes (advances organisers ou travaux sur la formation des concepts, notamment), même si des techniques cognitivistes existent aussi : l’abstraction interférentielle (ce qu’Alain Lieury appelle l’apprentissage multi-épisodique), l’extraction de la structure profonde des problèmes/systèmes rencontrés (variability effect de la théorie de la charge cognitive + analogies bien placées), travaux sur le transfert par les psychologues cognitifs nommés Jacques Tardif et Develay (qui travaille avec Merieu, et oui…). Et de ce point de vue là, la pratique traditionaliste est clairement déficiente : celle-ci mène à ce que Daniel Willigham (psychologue cognitif) appelle des connaissances inflexibles, inutilisables d’un point de vue créatif. On a un paquet de recherche sur le sujet (des recherches sur le transfert d’apprentissage, plus précisément), qui montre clairement que la pratique traditionaliste a clairement des effets délétères sur « la » capacité de transfert, et donc sur « la » créativité. Argument faux, donc, et pas qu’un peu !

    Alors certes, les pédagogies constructivistes sont déconseillées par les travaux récents, et notamment ceux sur la charge cognitive, mais je tiens à signaler que certaines stratégies constructivistes ont reçus quelques confirmations expérimentales de leur coté : la stratégie du conflit cognitif (le cœur de la théorie constructiviste) a reçu des validations expérimentales, par exemple. Il ne faut pas passer d’un extrême à l’autre, et encore moins jeter le bébé avec l’eau du bain.

  10. Posté par Gerry Blackjerry le

    Votre vulgarisation des concepts pédagogiques et les explications relatives à ces dernières sont salutaires. Car j’observe que la majeure partie de la population ne comprend pas vraiment les mécanismes et les enjeux des nouvelles méthodologies. Le socio-constructivisme est une transposition du libéralisme sauvage dans la pédagogie. Car seul le petit pourcentage d’une élite d’élèves ayant de grandes facilités peut s’en sortir sans souffrance dans ces situations. Les élèves doivent posséder la science infuse ou un contact direct et privilégié avec le Saint-Esprit pour pouvoir se débrouiller afin de résoudre des problèmes lorsqu’ils sont confrontés à une situation inconnue sans posséder les outils nécessaire à sa compréhension. De ce fait, combien sont-ils à ne devoir leur salut qu’au fait que leurs parents se transforment en enseignant du soir, palliant aux lacunes et aux difficultés durant de longues heures, avec des prises de tête pas possibles, pour venir en aide à leurs enfants et leur éviter l’échec scolaire? A moins que ces derniers ne consentent, afin de remédier à cette dynamique des apprentissages, à payer des étudiants dans le privé pour que leurs enfants puissent suivre à l’école publique?

  11. Posté par colibri le

    excellent article qui confirme bien les lavages de cerveau programmés et distillés pendant des siècles juste pour faire peur et saper l’envie de grandir trop vite .Et surtout empécher les enfants de poser des questions intelligentes ou peu auraient su répondre tellement l’éducation restrictive ou punitive comme l’éducation Victorienne .Celle-là même qui n’avait que l’ancien Evangile pour mieux punir l’enfant.Ensuite on eut le petit chaperon rouge avec on loup dévastateur d’enfants et de personnes âgées,puis la médecine rébarbative à coups de peurs exagérées afin de satisfaire à la gloire des laboratoires médicoalimentaires avec à leur tête des Docteur en tous genres et ce afin de concurrençer Nestlé surtout .Fip Fop arrivant peu à peu les enfants ont enfin pu ouvrir les yeux sur ce que ces légendes et peurs ancestrales cachaient vraiment.La peur de désobéir de peur de finir en camp de concentration ou maison de redressement ou tout simplement empécher l’enfant de grandir et quitter le monde des castrateurs de l’esprit

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.