Quand Le Temps cherche à comprendre plutôt qu’à stigmatiser

Il était temps! Depuis le temps que Le Temps stigmatisait les Suisses à propos de l’immigration et de l’asile ainsi que les « populistes ».
L’article en question:

"La colère rentrée d’Amalia, électrice du MCG,
Genève : Les laissés-pour-compte de la croissance ont fait progresser le mouvement populiste.
Rencontre avec une chômeuse, qui dit avoir été évincée par les frontaliers.

  Dans l’entrée, il y a une pile de cartons Premium Bananas. Ça sent le déménagement. Elle confirme: «Mon loyer est de 1470 francs, l’Hospice général me verse 2400 francs par mois, je dois partir, trouver quelque chose de moins cher.»

On l’appellera Amalia, en référence à la chanteuse de fado portugaise, parce qu’elle est née là-bas. Elle est arrivée à Genève à l’âge de 4 ans, a aujourd’hui 45 ans et possède la nationalité suisse depuis l’âge de 18 ans, «sa fierté», dit-elle. Elle vit à Plan-les-Ouates depuis 10 ans. Elle ne veut pas révéler son nom, accepte de poser pour la photo, mais sans qu’on puisse la reconnaître. Elle ouvre un placard, en sort une casquette rouge et jaune MCG. «Avec la visière sur les yeux, on ne pourra pas me reconnaître.» Pourquoi cette crainte? «Lorsqu’ils savent que tu votes MCG, ils te sanctionnent et tu plonges un peu plus dans la misère.»

«Ils», ce sont les RH (ressources humaines), les AS (assistantes sociales) et les patrons des régies, «dont beaucoup sont des frontaliers». «J’ai une petite chance d’échanger mon appartement de cinq pièces contre un autre plus petit et moins coûteux [à Plan-les-Ouates], je ne veux surtout pas rater cela», argue-t-elle.

Amalia, divorcée, mère d’un garçon de 23 ans et d’une fille de 20 ans, est typique de ces Genevois qui ont voté MCG dimanche, donnant près de 20% des voix au mouvement populiste qui pourrait, le 10 novembre, faire son entrée au gouvernement de la République. Cet électorat populaire, souvent d’origine étrangère, se sent le laissé-pour-compte des mutations économiques qui ont fait de Genève une métropole «franco-valdo-genevoise» en pleine expansion.

Amalia raconte les humiliations qu’elle endure. Cela a commencé en 2005. Elle décroche un contrat renouvelable de secrétaire comptable à l’Etat (Département des finances), qu’elle compte bien convertir en embauche définitive. «Il me manquait juste un module informatique.» Mais c’est une personne «surqualifiée» originaire de Paris qui est recrutée. «Ce même Français a vite grimpé les échelons et le poste a été à nouveau vacant. J’ai postulé à nouveau, c’est encore une Française qui a été retenue.» Chômage, petits boulots, chômage et puis le RMCAS (revenu minimum cantonal d’aide sociale), octroyé à ceux qui sont en fin de droits. «Plus de vacances, plus de loisirs, mon seul plaisir: refaire le monde avec les copines», poursuit-elle en tirant sur une énième cigarette.

Un bouddha massif, assis sur une tablette, la regarde. Cela calme autant que le tabac. Un jour, elle croise Eric Stauffer (cofondateur du MCG) et Carlos Medeiros (conseiller municipal genevois), place du Molard. «Je leur ai raconté mon histoire et puis je les ai écoutés. Je n’ai pas été aussitôt convaincue, mais j’ai eu l’im­pression que ce mouvement était du côté du peuple. Je votais, avant, libéral mais tous les gouvernements se sont moqués de nos douleurs et de nos misères. Et surtout, il y a cette ouverture des frontières qui nous prive d’emplois. Le MCG veut donner du travail en priorité aux Genevois, cela suffit pour que je vote pour lui.»

Amalia serait-elle une anti-frontaliers pure et dure? Condamne-t-elle les slogans violents du MCG tels que «le frontalier est un mal qui n’est pas encore éradiqué»? Elle répond, les yeux embués tout à coup: «C’est Longchamp et les autres qui sont violents en précarisant la population. Je suis à l’aide sociale comme un cas social. C’est une blessure. J’occupe en ce moment un tout petit job (elle distribue des imprimés), payé 4,50 francs de l’heure pour 14 heures par semaine. Avant, j’étais secrétaire de direction.»

Elle poursuit, en colère maintenant: «Mon fils est diplômé en électronique, il a travaillé au CERN mais un Français a pris le boulot. Il a postulé dans une société de sécurité, mais on lui a préféré un douanier français à la retraite. Maintenant, il passe des tests pour suivre une formation de policier.» Amalia reproche aux frontaliers leur manque de reconnaissance envers un pays et une ville qui leur procurent du travail, de bons salaires et un niveau de vie élevé. «Ils achètent leurs cigarettes et leur essence chez nous, c’est tout. Au travail, ils viennent avec leurs gamelles.»

Diatribes connues, rabâchées, très MCG. «Non, non, rectifie-t-elle, je n’ai rien contre les Français, j’adore ce pays, mais il faut des quotas. Les vieux frontaliers, il ne faut pas les toucher. Mais il faut fermer la porte à ceux qui viennent de Paris, de Marseille, de Lille.»

Sur le bureau, un ordinateur et des piles de papiers et factures. Encore une humiliation. Tous les mois, elle doit adresser les relevés et ses comptes à l’Hospice général, tout justifier. «C’est dégradant», résume-t-elle. Elle s’est passionnée pour la politique, qui la maintient la tête au-dessus de l’eau. Le financement par le canton de parkings en France voisine la révulse. «A Saint-Julien, après la douane de Perly, il y a un grand parking mais il est rempli de voitures à vendre. Voilà ce qu’ils en ont fait.»

Amalia a une certitude: la progression du MCG va se poursuivre, «car les partis traditionnels ignorent tout des réalités de Genève». «Le MCG n’est ni de gauche ni de droite mais centriste, enchaîne-t-elle, il attire aussi bien les pompiers, les secrétaires que des universitaires.» Son petit job à 4,50 francs l’heure lui fait rencontrer plein de gens simples, «qui tous me disent qu’il n’y a aujourd’hui que le MCG qui ne mente pas». Elle demande à la fin de l’entretien une dernière photo, visage découvert et souriant, pour son CV."

Source :  Christian Lecomte, Journal Le Temps, 11 octobre 2013

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