Neuromythologie

La neuromythologie regroupe l'ensemble des croyances erronées au sujet du fonctionnement du cerveau. Celles-ci sont légions et des livres entiers ont été écrits à leur sujet. L'enseignement est directement touché par ces mythes. Une étude menée en 2012 a démontré qu'une majorité des enseignants croient à ces mythes (1). 242 enseignants hollandais et anglais du primaire et du secondaire ont ainsi étaient confrontés à 32 énoncés touchant au fonctionnement du cerveau. Parmi ces énoncés, 15 étaient des neuromythes. Et les résultats sont accablants: 9 enseignants sur 10 croient aux mythes les plus répandus et 7 de ces neuromythes ont été validés par plus de la moitié des enseignants interrogés. Le but de ce billet est donc de faire le tour d'une partie de ces neuromythes, plus particulièrement ceux qui peuvent toucher les parents comme les enseignants et ainsi de leur permettre d'éviter l'utilisation de dispositifs n'ayant pas grand chose à apporter aux élèves. Le sujet traité se rapproche particulièrement des contes et légendes pédagogiques dont j'ai déjà parlés (2) et donc j'éviterai au maximum de redire ce qui a déjà été dit.

Le premier de ces neuromythes est l'effet Mozart: il s'agit de la croyance selon laquelle l'exposition de bébés ou de très jeunes enfants à la musique de Mozart permet d'augmenter leur QI. Ceux qui y croient convoquent la science pour étayer leurs dires. En fait, cette affirmation est totalement inexacte: si une première étude menée auprès de 36 personnes a effectivement fait ressortir un QI plus élevé chez ceux qui avaient été exposés aux douces sonorités du génie qu'est Mozart, en revanche, toutes les tentatives faites pour essayer de confirmer ce premier résultat se sont soldées par des échecs retentissants (3).

La deuxième fable recensée touche au programme BrainGym: il s'agit d'une série d'exercices réalisables en classe sensés stimuler le cerveau et ainsi bonifier l'apprentissage. Ici aussi, dès que les chercheurs se sont penchés sur la question et se sont mis en tête de tester la validité de ce programme, ils sont arrivés à la conclusion qu'il ne s'agit là que de pseudo-science sans aucun fondement (4).

On continue avec l'affirmation selon laquelle les êtres humains (et donc les élèves) n'utilisent que le 10% des capacités de leur cerveau. Les recherches en neurosciences  montrent en fait qu'une action aussi simple que celle consistant à lever le petit doigt peut déjà activer une large proportion du cerveau. Celui-ci est donc constamment stimulé, même lors de notre sommeil (5)!

La quatrième superstition réside dans le fait de croire que certains sont plus cerveau gauche ou cerveau droite: ce neuromythe a conduit à expliquer les difficultés d'apprentissage de la sorte: puisque l'hémisphère gauche du cerveau semble s'activer de manière plus importante lorsque l'on traite des nombres, de langage, de séquences logiques et/ou de mathématiques alors que l'hémisphère droit, lui, s'active de manière plus importante dans les manipulations spatiales, d'images ou lorsque l'on fait preuve de créativité alors si l'élève a des difficultés dans tel ou tel domaine c'est qu'il est nécessairement plus cerveau gauche ou droite. Penser de la sorte, c'est oublier que les deux côtés de notre cerveau sont intimement connectés et que dans l'écrasante majorité des cas, les deux hémisphères travaillent de concert (6).

La cinquième neurolégende a trait à la créativité. Les constructivistes affirment que les méthodes d'enseignement autres que les leurs inhibent la créativité des élèves. Il s'agit là d'une grosse bêtise pour au moins deux raisons. Tout d'abord, aucune étude n'a jamais observé ni mesuré la créativité des élèves en fonction des méthodes pédagogiques suivies. Il ne s'agit donc en aucun cas d'une vérité scientifique, tout au plus d'une hypothèse. En second lieu, les constructivistes font preuve d'une totale méconnaissance de ce qu'est la créativité: un élève confronté à une pédagogie de découverte tâtonne et ainsi s'appuie sur le principe du hasard, ce qui n'a strictement rien à voir avec la créativité. Cette manière de faire aboutit de plus sur des impasses, sur des cheminements cognitifs aberrants. En fait, des chercheurs de renom comme Sweller, Weisberg ou De Groot ont montré que la créativité dépend en fait du stock de pratiques et d'expériences. En pratiquant, on se constitue un capital de connaissances/habilités de plus en plus important. Etre créatif signifie combiner ces éléments entre eux. Plus on a de stock plus on peut être créatif et plus on veut un stock important, plus il faut répéter les choses pour les ancrer dans la mémoire à long terme. Ce n'est tout de même pas pour rien que les plus grands musiciens ont tous passer des heures et des heures à répéter différents mouvements (7).

Sixième neuromythe: les différents styles d'apprentissage. Selon cette croyance, les élèves ont tous une modalité d'apprentissage dominante: certains sont plus auditifs, d'autres plus visuels etc. Par conséquent, il faudrait varier les pratiques de manière à toucher chaque élève selon sa modalité dominante. Jusqu'à présent, aucune étude basée sur une méthodologie sérieuse n'est arrivée à démontrer ce mythe. D'ailleurs, plusieurs travaux ayant tenté de vérifier empiriquement cette méthode ont plutôt démontré son inefficacité (8). En fait l'idée est fausse car elle tend à oublier que l'information n'est pas traitée par un seul et unique mode sensoriel. Un souvenir stocké selon une représentation spécifique (auditive par exemple) ne retient que l'aspect auditif et pas le sens des choses. L'information perçue reçoit ainsi un traitement dans différentes zones du cerveau, étroitement interconnectées et donc ne s'arrête pas à cette modalité sensorielle. Pour faire juste, il ne faut donc pas adapter l'enseignement aux modalités dominantes des élèves, mais plutôt au sujet qui est traité.

Enfin, dans cette revue non exhaustive des neuromythes, il nous reste à traiter le cas des intelligences multiples. Cette théorie suggère qu'il existe plusieurs types d'intelligence (logico-mathématique, spatiale, interpersonnelle, corporelle-kinesthésique, verbo-linguistique, intra-personnelle, musicale-rythmique, naturaliste-écologiste, existentielle) indépendantes les unes des autres. Chaque élève serait plus ou moins bon dans chacune d'entre elles. Un article du professeur Willingham démontre que ce n'est pas tout à fait exact (9). Un dispositif a été mis sur pied  pour vérifier l'exactitude (ou non) de cette théorie. Deux différents tests concernant les mathématiques et deux autres concernant le langage ont été mis sur pied. Si donc, les différents types d'intelligence étaient indépendants les uns des autres, les gens dotés d'une forte intelligence verbo-linguistique mais faible en math devraient réussir les deux tests sur le langage et se louper complètement sur les deux tests mathématiques (et l'inverse). Les données qui ressortent de ce test ne correspondent pas tout à fait: si la réussite est plus intimement liée entre deux tests de même nature (les deux tests de math ou de langage c'est selon), en revanche, une corrélation se dégage également au travers des deux domaines. Plus clairement dits, ceux qui réussissent bien en math réussissent aussi plutôt bien en langage (et l'inverse), ce qui laissent à penser qu'il s'agit là plutôt de talents spécifiques dans certains domaines mais qu'une intelligence globale se cache derrière tout cela. Peut être qu'une représentation graphique sera plus parlante:

Ce que postule la théorie des intelligences multiples:

Ce que la recherche actuelle nous enseigne: 

Outre cette première différence majeure, Willingham nous montre que les domaines ne sont pas si cloisonnés que cela et ont plutôt tendance à s'imbriquer. Par exemple, les mathématiques flirtent largement avec le raisonnement spatial. Par extension, ce constat peut s'appliquer à l'ensemble des domaines traités et donc les différents talents (et non intelligencesne sont pas séparés mais bien largement interdépendants les uns les autres.

Ce qui l'amène à conclure qu'au lieu de chercher dans cette direction, les enseignants feraient bien mieux de se tourner vers d'autres domaines plus porteurs.

Stevan Miljevic, le 12 février 2014

http://stevanmiljevic.wordpress.com

http://www.frontiersin.org/Educational_Psychology/10.3389/fpsyg.2012.00429/abstract consulté le 9 février 2014

(2) http://stevanmiljevic.wordpress.com/2014/01/11/contes-et-legendes-pedagogiques/

(3) http://voir.ca/normand-baillargeon/2012/09/11/une-autre-legende-pedagogique-leffet-mozart/ consulté le 12 février 2014

(4) http://voir.ca/normand-baillargeon/2012/09/03/brain-gym-legendes-pedagogiques-et-neuromythes/ consulté le 12 février 2014

(5) https://static.squarespace.com/static/520e383ee4b021a19fa28bf7/520e390be4b06522b7fc6771/520e390de4b06522b7fc6ac2/1372160946573/2013-06-25_Lafortune2013.pdf consulté le 10 février 2014

(6) ibidem

(7) http://www.formapex.com/les-mythes-pedagogiques/633-les-mythes-pedagogiques?616d13afc6835dd26137b409becc9f87=4d34101224fa8bcc8a53050fda55c277 consulté le 10 février 2014

(8) http://www.formapex.com/telechargementpublic/tardif2010a.pdf?616d13afc6835dd26137b409becc9f87=182aa21c81081e490e0f899999e88b42 consulté le 11 février 2014

(9) http://educationnext.org/reframing-the-mind/ consulté le 11 février 2014

 

Les désastreuses conséquences de la télévision sur le parcours scolaire des jeunes

En 2011, une étude a été réalisée sous l'égide de l'Education Nationale française. Son objectif: mesurer l'impact des loisirs des adolescents sur les performances scolaires. 27'ooo adolescents ont ainsi été suivis dans cette optique. Deux des auteurs de ce travail présentent les résultats de leurs travaux sur le site des Cahiers Pédagogiques (1). Il en ressort que la lecture serait le loisir le plus bénéfique, alors que l'exposition à de la téléréalité aurait l'impact le plus négatif, les résultats chutant de 11% à 16% selon les domaines étudiés.

Il est dommage que l'étude en question ne soit pas présentée un peu plus dans les détails. Peut-être aurions-nous pu en savoir un peu plus. Car dans le fond, est-ce vraiment la téléréalité qui pose problème ou le média télévision? Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherches à l'INSERM, répond, lui, à la question. Les fruits de son  labeur prennent la forme d'un ouvrage magistral (TV Lobotomie, 2012, Ed. Max Milo) recensant ce que la recherche a à nous dire sur la télévision. Et les résultats sont plutôt inquiétants.

Une importante étude a été réalisée au Canada  en 1973. A cette date, une ville de taille moyenne se situant dans le fond d'une vallée ne pouvait pas recevoir la télévision. Afin de remédier à ce problème, décision fut prise d'implanter une antenne relais. Ayant pris connaissance de la situation, 13 chercheurs ont donc décidé de tester les aptitudes des habitants  juste avant l'installation de la télévision. Un deuxième test a été réalisé, mais cette fois-ci deux ans après l'installation de l'antenne. Les résultats ont été comparés à ceux obtenus dans 2 villes témoins: la première d'entre elle ne pouvait alors recevoir qu'une seule chaîne télé, alors que la seconde en disposait de 4.

Après une année d'apprentissage de la lecture, les enfants de la première ville surpassaient largement ceux des deux autres cités. D'ailleurs, deux ans plus tard encore, ceux-ci obtenaient des résultats inférieurs à ceux  obtenus par les enfants de la première ville deux ans plus tôt! Malheureusement, dès l'arrivée d'une nouvelle volée d'enfants ayant grandi avec l'implantation de la télévision, cet avantage s'est évanoui. Deux ans de télévision ont donc suffi à réduire à néant l'avantage considérable possédé par les enfants autrefois privés de télévision.

A la suite de cette première étude stupéfiante, 5 autres travaux portant sur des centaines de milliers de jeunes virent le jour aux Etats-Unis. Leurs conclusions sont unanimes: le temps passé devant la télévision est associé négativement aux résultats scolaires. Ainsi, il a été déduit qu'à l'âge de 12 ans, le taux de réussite à un test standard chute de 8% dès lors que la consommation de télévision passe de 1 heure ou moins à 4 heures et plus par jour. A 18 ans, l'écart se creuse encore puisque la chute est de 13%.

Certains ont, à juste titre, signaler que ces études passaient sous silence l'impact du statut socio-économique des enfants. Si la critique est cohérente, la différence est trop nette pour minimiser le désastreux effet de la télévision. On peut en revanche ajouter que ce sont les enfants des milieux aisés qui subissent le plus les conséquences nocives de la télévision puisqu'ils ont plus à perdre. Le petit écran joue donc un rôle largement égalisateur (dont on se passerait volontiers) en la matière.

Allant plus loin, certains ont volé au secours de la petite lucarne en avançant que c'était plutôt l'existence de difficultés scolaires qui poussait l'enfant vers la télé et non l'inverse. L'argument ne tient pas puisque d'autres études ont clairement établi qu'une diminution du temps d'exposition audiovisuelle contribuait à une amélioration rapide des performances scolaires.

Un nombre impressionnant d'études démontrent par ailleurs qu'une consommation audiovisuelle accrue dans les premières années de l'existence a un impact désastreux sur les résultats de la scolarité, et ce jusqu'au diplôme universitaire! Voici quelques uns des résultats obtenus: les enfants de 8 ans n'ayant pas la télévision dans leur chambre ont des performances supérieures de 21% en lecture, 26% en compétence verbale et 34% en mathématiques sur leurs congénères. Chaque heure de télévision supplémentaire consommée à l'âge de 2,5 ans se traduit par un chute de 6% des compétences mathématiques des enfants à l'âge de 10 ans, etc. En un mot comme en cent, la télévision a un effet délétère sur les résultats scolaires des jeunes.

Desmurget ne se contente pas d'établir ce lien entre les heures passées devant le petit écran et les performances scolaires. Il explique également pourquoi le médias télé est nocif. En premier lieu, il fait remarquer que  la télévision véhicule des valeurs radicalement opposées à celles de l'école. Tout n'y est qu'immédiateté, promotion de la réussite spectaculaire sans efforts, promotion de l'exposition de l'intimité, fonctionnement dans l'instantané et satisfaction immédiate. A ce propos, la téléréalité est vraisemblablement à la pointe de ces anti-valeurs. Dans ce contexte, la télévision parvient à dissuader ses consommateurs de toute velléité de curiosité et de conquête. Habitués à ne plus perdre de temps avec des informations qui ne sont pas frappantes ou très excitantes, les télévores sont beaucoup moins disponibles pour l'acquisition lente et progressive de connaissances abstraites.

Secundo, il est aujourd'hui prouvé que la télévision a tendance à corroder l'ardeur au travail des enfants. Une étude menée à Boston auprès de 4-17 ans démontre que le temps moyen consacré quotidiennement aux devoirs chute de 20% lorsque la télévision est accessible. Plus encore, ce pourcentage atteint 80% les jours de week-end. Corroborant ces résultats, la dernière étude en date citée par Desmurget met en évidence un déficit de 14% de temps consacré aux devoirs chez les 4 à 6 ans et de 18% chez les 9-12 ans qui regardent assidûment la télé.

Tertio, si la télévision se substitue au temps d'étude, il n'y a aucune raison que cela soit différent vis-à-vis des loisirs intelligents. Le temps consacré au petit écran ne s'ajoute pas au temps de lecture mais s'y substitue largement. La recherche scientifique démontre que dès lors qu'on connecte une ville au poste, le temps de lecture de l'ensemble de la population va diminuer dans des proportions drastiques allant jusqu'à 50%! Et comme la lecture enrichit le vocabulaire et les concepts qui permettent à l'esprit de se développer...

Quatrièmement, il faut signaler que les fonctions d'apprentissage et de mémorisation dépendent directement de la capacité d'attention des enfants. Or,  là aussi un certain nombre d'études démontrent que la télévision favorise l'apparition de troubles de l'attention. On a ainsi pu démontrer que chaque heure passée devant le poste entre 5 et 11 ans augmente de près de 50% la probabilité d'apparition de troubles de l'attention à 13 ans. Un autre travail avance, lui, que chaque heure passée devant le poste à 14 ans augmente de 44% l'apparition de troubles de l'attention à 16 ans. Enfin, il a également été montré que chaque heure de programme non-violent consommé quotidiennement avant 3 ans augmente de près de 75% la probabilité d'occurrence de troubles attentionnels à 8 ans alors que les contenus violents multiplient ce niveau de risque de 2,2!

Mais comment la télévision peut-elle réaliser une telle prouesse? Il semble que lorsqu'il est sollicité par une succession frénétique de stimulis si forts, le cerveau en développement s'habitue à modifier continuellement ses focalisations cognitives et les objets sur lesquels sont engagées ses ressources intellectuelles. De plus, il apprendrait à avoir besoin de stimulations fortes pour maintenir son intérêt. Deux autres raisons au moins contribuent à faire de la télévision un empêchement majeur au développement cognitif harmonieux des enfants en bas-âge. La première est que lorsque la télé est allumée, les parents sont moins disponibles pour bébé. Par conséquent, ils le stimulent moins et son développement en pâti. La seconde est un petit peu plus complexe: lorsqu'il joue avec des objets, un jeune enfant se développe. Par exemple, il joue un moment avec une peluche, puis laisse sa peluche pour s'intéresser à une petite voiture. Puis, dans un troisième temps, il prend la peluche et la petite voiture simultanément etc. Il complexifie donc au fur et à mesure ses schémas de jeu. Or, lorsque la télévision est allumée, il y a à peu près nécessairement un bruit qui va attirer son attention et lui faire perdre le fil. Au lieu de continuer son développement là où il en était, l'enfant recommence tout à zéro et, à la longue, au lieu de disposer de schémas de pensée de plus en plus complexes, il ne bénéficie que de séquences simples qui se suivent. Pas besoin d'être astrophysicien pour comprendre qu'il accumule un certain retard qu'il peut payer cash dans ses futures pérégrinations scolaires. (2)

L'ouvrage de Desmurget dépasse largement ce cadre scolaire. Il fait le tour de la question de tout ce qui touche à la télévision: santé, rapport à la violence etc. Le tout est appuyé sur une bibliographie impressionnante de près de 70 pages! Quiconque s'intéresse à cette problématique doit impérativement se procurer ce livre essentiel pour alimenter la réflexion. Si L'Etat veut favoriser le développement de la jeunesse, alors il ne peut pas continuer à soutenir la télévision (publique notamment) contre vent et marée, mais doit bien plutôt informer à large échelle au sujet des conséquences...

Stevan Miljevic, le 5 février 2014

http://stevanmiljevic.wordpress.com

(1) http://www.cahiers-pedagogiques.com/L-impact-des-loisirs-des-adolescents-sur-les-performances-scolaires

(2) l'ensemble des données traitées ici sont disponibles dans l'ouvrage de Michel Desmurget "TV lobotomie, la vérité scientifique sur les effets de la télévision" paru aux Editions Max Milo en 2012 dans les pages 73 à 120.

Contes et légendes pédagogiques

 On ne sait jamais, sur un malentendu, certains de ceux-ci pourraient adhérer au propos. Des trésors d'inventivité sont ainsi déployés pour tordre suffisamment la réalité afin de faire valider leurs analyses. Une des techniques les plus prisées pour garder une position dominante consiste à accuser autrui de tout et n'importe quoi, peu importe si le propos n'a aucun fondement.

Petit florilège de mythologie constructiviste:

La première des fables systématiquement rabâchée consiste à faire croire que face à un enseignement qualifiable de traditionnel, les élèves sont passifs. S'ils sont passifs, alors les conditions optimales d'apprentissage ne sont pas remplies. Si le raisonnement est mené à son terme, un élève passif ne peut tout simplement rien apprendre! Un légume aux yeux écarquillés et dont l'activité neuronale s'apparente à un encéphalogramme plat ne peut en aucun cas retenir quoi que ce soit. Cette accusation est-elle fondée? Imaginons un instant un enseignant qui ne procéderait que par la simple modalité du cours magistral. L'élève désireux d'apprendre devrait, mémoriser l'ensemble des savoirs exposés par l'enseignant pour pouvoir ensuite les reproduire. Il est totalement impossible de mener ces opérations dans un état de passivité. Il est vrai que ce type d'enseignement peut amener les élèves à se désintéresser de ce que le maître dit. Encore faut-il savoir pourquoi. La raison est simple: on ne leur donne pas les instruments nécessaires pour suivre le cours qui leur passe ainsi par dessus la tête. Dans le corps enseignant, à peu près tout le monde le sait et si une partie du cours consiste en un exposé magistral, l'élève est automatiquement mis en activité plus tard par le biais d'exercices. C'est le minimum syndical.

En revanche, lorsqu'on met des élèves en face d'une situation de découverte complexe le décrochage d'élèves va être nettement plus important. Qui dit découverte dit que les outils de résolution de cette situation ne sont pas donnés au préalable. De nombreux élèves se trouvent ainsi dans l'incapacité de réaliser ce que l'on attend d'eux. Dès lors, le taux de passivité vis-à-vis du cours explose littéralement. Il est donc faux de prétendre qu'un enseignement normal génère automatiquement de la passivité. Et il est tout aussi faux d'avancer que l'entrée dans les savoirs par la découverte prônée par le constructivisme permet de pallier  cet éventuel manque. L'inverse est bien plus vrai.

Une deuxième légende pédagogique consiste à affirmer que la répétition d'exercices tue la pensée autonome et la créativité. Les élèves confrontés à ce genre d'enseignement ne seraient bons qu'à réagir de manière pavlovienne à l'image de bêtes dressées à adopter un certain comportement en réaction à un certain stimuli. En fait, tout (ou presque) nous démontre le contraire. Il suffit de penser au musicien de génie qui a passé des heures et des heures à répéter ses gammes, au sportif d'élite ayant entraînement après entraînement réalisé inlassablement les mêmes gestes. Les plus grands joueurs d'échecs sont ceux qui ont mémorisé le plus de parties. Qui oserait sérieusement prétendre que ces milliers d'heures de répétition les ont rendu inaptes à la créativité? Certainement pas les récents développements des sciences cognitives: les travaux du professeur Weisberg, psychologue cognitiviste, sont en  effet  parvenus à la conclusion qu'

il y a des preuves qu'une immersion profonde est nécessaire dans une discipline avant de produire quelque chose d'une grande nouveauté (1)

Dont acte. Cette conclusion peut être étendue à la pensée critique: il n'est pas possible de penser un sujet de manière critique sans en avoir une parfaite maîtrise. Lorsqu'un individu connaît sur le bout des doigts le sujet qu'il veut traiter, il libère de la place dans sa mémoire de travail et peut donc utiliser celle-ci à plein régime pour l'analyse critique. Sans ce prérequis, le cerveau ne peut tout simplement pas être aussi efficace. (2)

La troisième fable consiste à faire croire que les pédagogies de la découverte (constructivisme et socio-constructivisme) sont des révolutions singulièrement novatrices, qu'elles sont issues des dernières avancées de la recherche. Or, quiconque creuse un peu se rend vite compte que ce n'est pas du tout exact. Saint Thomas d'Aquin (1225-1274) déjà évoque, dans un écrit consacré à l'enseignement, cette forme d'acquisition du savoir dans les termes suivants:

lorsque la raison naturelle parvient d’elle-même à la connaissance de ce qu’elle ignorait, ce qui s’appelle : invention (3)

Cela fait donc au moins 750 ans que des penseurs se sont déjà penchés sur la question. Niveau innovation on a déjà vu mieux. Il ne sera pas fait ici mention de la prétendue efficacité des pédagogies constructivistes, le sujet a déjà été traité à plusieurs reprises. (4)

La quatrième illusion savamment distillée dans les instituts de formation est la foi inébranlable dans les travaux de groupe. Non seulement les futurs enseignants sont formatés à penser "travail de groupe", mais ils sont également, à de nombreuses reprises, sollicités à travailler eux-mêmes de la sorte. Le dogme est si fort que certains enseignants se permettent même de noter collectivement les travaux réalisés en groupe, pratique complètement inacceptable puisque personne ne peut être tenu responsable des actes d'autrui. Dans les faits, selon la méga-analyse de John Hattie faisant office de référence actuellement car portant sur 80 millions d'élèves, la pédagogie coopérative arrive juste à se maintenir à la moyenne des différentes influences envisageables (effet d'ampleur de 0.41 pour une moyenne à 0.40) et même derrière l'impact que peut avoir la taille de l'école (effet d'ampleur 0.43) sur les résultats des élèves (5). Ces résultats sont largement inférieurs à ceux que peuvent obtenir des enseignants clairs dans leurs explications (effet d'ampleur 0.75), donnant de nombreux feedbacks (effet d'ampleur 0.73) et pratiquant des évaluation formatives (petites feuilles et autres dispositifs du genre pas forcément notés mais permettant à l'enseignant de vérifier par écrit où en sont ses élèves (effet d'ampleur 0.9). Ainsi donc, si les travaux de groupe ne pénalisent pas dans l'ensemble les élèves, ils ne sont aucunement une solution pour les faire progresser. Et donc, puisque leur utilisation s'avère limitée dans les cas où les enseignants usent de méthodes explicites, autant dire que les travaux de groupe ne sont en tout cas pas à recommander, surtout si l'ensemble des nuisances qu'ils peuvent engendrer  sont prises en compte (6).

Cette liste est bien entendue non exhaustive. Certains des points traités prêteraient à rire s'ils n'étaient malheureusement pas assénés en dogmes dans des institutions à prétention universitaire! Des institutions se réclamant de la science mais qui justement ignorent les règles les plus élémentaires de la recherche scientifique (la preuve empirique à large échelle) ainsi que les résultats de cette même science quand celle-ci contredit leurs dogmes….

Stevan Miljevic, le 11 janvier 2014

http://stevanmiljevic.wordpress.com

(1) http://www.formapex.com/sciences-cognitives/640-et-la-creativite-le-point-sur-la-recherche-en-sciences-cognitives-sur-la-creativite-la-fin-dun-mythe consulté le 9 janvier 2014

(2) http://www.formapex.com/sciences-cognitives/788-la-pratique-conduit-a-la-perfection-mais-seulement-si-vous-pratiquez-au-dela-du-point-de-perfection consulté le 9 janvier 2014

(3)Saint Thomas d’Aquin, De l’enseignement (De Magistro), Klincksieck, 2003, p.37

(4) on pourra par exemple relire ceci: http://stevanmiljevic.wordpress.com/2013/11/06/pour-un-enseignement-de-qualite/

(5) http://visible-learning.org/hattie-ranking-influences-effect-sizes-learning-achievement/ consulté le 11 janvier

(6) Voir à ce sujet les discussions au sujet de l'article ici http://stevanmiljevic.wordpress.com/2013/12/29/quand-les-pedagogos-sen-prennent-a-guillaume-tell/