NDLR : cette série d'articles vous sera proposée régulièrement. Ils ont parus en premier sur Riposte Laïque
Par Jean-Marie Blanc
Au cours d’une carrière professionnelle de chercheur biologiste, j’ai eu maintes fois l’occasion de réfléchir à l’évolution génétique des espèces vivantes, et de constater que l’évolution des civilisations humaines y ressemblait beaucoup. Même naissance, à partir d’un rameau issu d’un groupe plus ancien, même développement conduisant à une période de prospérité plus ou moins longue, et, lorsque le monde évolue, même déclin faute d’adaptation, à part quelques rameaux préludant à de nouvelles naissances… Je suis arrivé à la conclusion qu’entre les caractères anatomiques et physiologiques (dont le déterminisme est génétique) et les caractères idéologiques et comportementaux humains (dont le déterminisme est culturel) existaient des analogies tenant aux grands facteurs biologiques communs que sont l’hérédité, la sélection naturelle et l’évolution.
Lorsqu’est venu pour moi l’âge de la retraite, je me suis intéressé à la société et à la politique de mon pays, et il m’est apparu que le multiculturalisme invivable que nos dirigeants tentent de nous imposer depuis quelques décennies est un véritable contresens biologique : Au même titre que les hybridations génétiques défectueuses ou les introductions d’espèces invasives, les mélanges de cultures incompatibles ne peuvent avoir que des conséquences désastreuses. Pour mieux comprendre ce qui se passait, il me restait à analyser la diversité culturelle et les problèmes qu’elle pose, en adoptant le point de vue matérialiste et amoral qui est celui du naturaliste, et en utilisant la grille de lecture constituée par la théorie de l’hérédité et de l’évolution.
Cet article et ceux qui suivront présentent le résultat de ma démarche. À certains lecteurs, ce travail paraîtra sans doute trop distancié et insuffisamment mobilisateur, d’autres peut-être le trouveront même franchement cynique. Mais cette distanciation me semble utile pour prendre conscience des contraintes naturelles qui ont fait notre humanité telle qu’elle est, et apporter ainsi une vision plus réaliste du problème identitaire. Ce premier article introduit la notion d’hérédité culturelle en parallèle à l’hérédité génétique.
La culture n’est pas innée mais elle est héréditairement transmissible
Il y a quelques millions d’années, nos ancêtres primates ont subi une évolution caractérisée (entre autres) par un développement crânien et laryngien permettant l’acquisition et la transmission – l’une ne va pas sans l’autre – de la connaissance. En est résulté l’apparition, à côté de l’hérédité génétique, d’une hérédité culturelle beaucoup plus complexe (tant dans ses mécanismes de transmission que dans sa capacité évolutive et sa diversité), mais obéissant à la même loi : point de morale, mais un seul juge de paix, la sélection naturelle, qui a favorisé non seulement les individus, mais aussi les tribus et les peuples, les mieux adaptés. (1)
L’hérédité culturelle n’est pas spécifique à l’être humain. Chez certaines espèces d’oiseaux, par exemple, on a pu montrer que les modulations du chant, apprises par les jeunes à l’écoute des adultes du voisinage, présentent des caractéristiques stables qui différent d’une population à l’autre, donc une transmission héréditaire. Mais cela est sans commune mesure avec l’hérédité culturelle humaine qui, au travers des langues, de l’art et des coutumes, et même de la pensée (notamment philosophique et religieuse), a complètement pris le pas sur l’hérédité génétique : Ce qui différencie les populations humaines au point d’avoir créé entre elles de véritables barrières, ce ne sont pas tant les caractères génétiques que les caractères culturels. Or, contrairement à une croyance largement répandue, ceux-ci ne s’opposent pas radicalement à ceux-là, car les principes de l’hérédité, de la sélection naturelle et de l’évolution s’appliquent aux uns comme aux autres.
C’est en effet une vision simpliste que d’opposer « l’inné » (génétique et héréditaire) à « l’acquis » (dû au milieu et modifiable). Tout d’abord, génétique et hérédité ne sont pas synonymes : notre sexe, par exemple, est parfaitement génétique, mais évidemment pas héréditaire ; en revanche, une fortune, qui n’a pas grand chose de génétique (surtout si elle a été gagnée au loto !), est quand même un patrimoine héréditairement transmissible – la culture l’est aussi, quoique différemment. Ensuite, la plupart des aptitudes des êtres vivants tiennent à la fois de l’inné et de l’acquis, des facteurs génétiques et des effets de milieu, qui peuvent même, dans certaines fonctions telles que la maternité, être intimement mêlés. Enfin, notre patrimoine culturel personnel, bien qu’étant « acquis », n’est pas totalement indépendant de nos gènes car nos compétences, voire nos modes de pensée, dépendent un peu de nos aptitudes individuelles, dont le déterminisme est partiellement génétique.
Il est même un caractère génétique particulier que la culture ne fait que renforcer d’une manière inextricable, c’est le sexe. Hommes et femmes ont des mentalités différentes du fait, à la fois, de leurs hormones (2) et de l’éducation. Il est certain que la société impose des rôles respectifs aux hommes et aux femmes, selon la façon dont les sexes sont perçus dans le patrimoine culturel du peuple concerné – on peut en penser ce que l’on veut sur le plan éthique. Il n’en reste pas moins que, de toute évidence biologique, imaginer que le « genre » (l’orientation sexuelle) pourrait se déterminer pour tout un chacun indépendamment de la réalité génétique est une aberration totale : Déférence gardée envers Simone de Beauvoir, on naît femme avant de le devenir.
Les « mèmes », comme les gènes, sont « égoïstes »
Revenons à notre hérédité culturelle. Son analogie par rapport à l’hérédité génétique est telle que le biologiste Richard Dawkins, dans un ouvrage resté fameux, « Le gène égoïste » (3), a imaginé le patrimoine culturel comme un ensemble d’éléments susceptibles de se transmettre par réplication (à la manière des gènes), auxquels il a donné le nom de « mèmes ». Bien sûr, à la différence des gènes qui sont très concrètement des segments d’une macromolécule chimique appelée ADN (acide désoxyribonucléique) que l’on sait analyser, les mèmes sont des éléments virtuels – encore qu’ils se traduisent sans doute dans notre cerveau par des connexions neuronales. Les mèmes n’ont donc pas de structure rigide et peuvent évoluer par déformations progressives contrairement aux gènes dont les mutations sont brutales et souvent délétères. Il reste que, comme les gènes, les mèmes se répandent dans les populations humaines selon un mécanisme « égoïste ».
La théorie de Dawkins sur l’évolution, dite du « gène égoïste », ne consiste évidemment pas à attribuer aux gènes quelque sentiment ou stratégie que ce soit, mais à montrer que tout se passe comme si le gène, unité fondamentale de la vie, n’avait d’autre finalité, en tout « égoïsme », que d’approcher l’immortalité en disséminant un maximum de copies de lui-même – quitte pour cela à s’associer avec d’autres gènes pour construire des organismes (y compris vous et moi) qui ne seraient pour lui que des « machines à survie ». En effet, plus la valeur sélective de la « machine » (survie, reproduction) est élevée et plus les gènes qu’elle contient pourront produire de copies : Aucune morale là-dedans, mais, dans un univers impitoyable, la sélection naturelle comme seul arbitre.
Un raisonnement identique peut être fait pour les mèmes humains qui se propagent de cerveau en cerveau en s’associant avec d’autres mèmes pour composer le patrimoine culturel. Plus ce patrimoine contribue à renforcer les individus et surtout la communauté qu’ils constituent, plus cette communauté pourra s’élargir et dominer les autres ethnies, donc plus ses mèmes pourront se copier dans d’autres cerveaux. Ici non plus, point de morale : une mode, un air de musique ou une croyance ne se propagent pas parce qu’ils sont bons d’un point de vue éthique, mais parce qu’ils sont porteurs d’un avantage sélectif direct ou indirect, ne serait-ce que le bien-être de l’individu qui les adopte.
Dawkins conclut son chapitre sur la transmission culturelle par ces mots : « Nous sommes construits pour être des machines à gènes et élevés pour être des machines à mèmes, mais nous avons le pouvoir de nous retourner contre nos créateurs. Nous sommes les seuls sur terre à pouvoir nous rebeller contre la tyrannie des réplicateurs égoïstes ». Cela est exact en théorie, mais d’une part, ainsi que nous le verrons (dans le prochain article), la liberté de pensée est très inégale selon les cultures ; d’autre part, même dans la nôtre, nous ne pouvons nous « rebeller » qu’en nous appuyant sur une connaissance objective de nous-mêmes : Il n’est pire tyrannie que celle dont on n’est pas conscient.
Jean-Marie Blanc