Tours de guet génoises, razzias, otages, rançons versées par la France : Corse-Matin publie une série d’articles sur l’histoire entre la Corse et les pirates barbaresques

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1520-1650 : la Corse dévastée par la furie barbaresque construit des tours génoises

Le dénommé Orlando vient solliciter l’autorisation de mendier. L’homme se retrouve en effet sans ressources après avoir versé une rançon aux Barbaresques, le prix à payer pour retrouver sa liberté. Bien plus tard, en 1633, le gouverneur reçoit la requête d’une femme, Odonia de Luri, sollicitant elle aussi l’autorisation de mendier afin de réunir la somme nécessaire pour racheter la liberté de son mari et de son fils en captivité dans un bagne d’Afrique du Nord. Signalés dans le Civile Governatore, ces faits méconnus révèlent d’une part que les Génois interdisaient la mendicité, et que d’autre part, aucune parade n’était en mesure de conjurer le danger barbaresque. Ainsi, d’un siècle à l’autre, les Corses témoignent de la situation dramatique engendrée par le fléau des razzias. Ruinés, les captifs sont victimes d’une double peine, ravalés au plus bas de l’échelle sociale.

Ces drames humains illustrent la vulnérabilité des populations corses face aux razzias, malgré l’édification des tours littorales de défense ordonnée par Gênes dès le début du XVIe siècle. « À travers les emblématiques tours génoises, le paysage littoral insulaire porte encore de nos jours les stigmates des siècles de razzias barbaresques qui firent des Corses les victimes des pirates et des corsaires musulmans. Censés prévenir les attaques et protéger ainsi les populations côtières, ces édifices – dont l’histoire n’est plus à faire et dont on retrouve d’autres typologies sur tout le littoral du bassin méditerranéen – semblent pourtant de frêles remparts face à l’intensité des attaques de navires battant pavillon ottoman sur lesquels étaient embarqués hommes, femmes et enfants réduits à la captivité », exlique Sylvain Gregori, conservateur du Musée de Bastia pour l’exposition Mare Furioso.

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Le Gouverneur Pietro Giovanni Salvago signale la gravité du mal dès 1529 : « Les Infidèles ont détruit tout le Cap Corse, obligeant quotidiennement les Cap Corsins à racheter les habitants qu’ils viennent de capturer, et les réduisant ainsi à la plus extrême misère. » Or, certains Corses retenus sous le joug barbaresque, n’hésiteront pas à se convertir à l’Islam, devenant ainsi des renégats, servant de guides aux expéditions ravageuses des pirates.

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En mai 1583, un fait gravissime provoque une onde de choc jusqu’au Sénat de Gênes : la population de Sartène est razziée en quasi-totalité, et la ville mise à sac après une attaque menée de nuit par une horde conduite par le renégat Hassan Veneziano, dey d’Alger. Le bilan fait état de 420 prisonniers et de 39 morts. Après le rapport envoyé par le gouverneur Fiesco, Gênes prenant conscience des carences dans la sécurité de l’île, décide d’édifier en urgence une tour de 15 mètres de haut à Campo Moro. Et à Bastia, le gouverneur obligera les habitants de Terra Vecchia à retirer chaque soir les échelles donnant accès à leurs habitations.

1540 – 1571 : Le pavillon ottoman tenu en échec

Au printemps de cette année-là, Andrea Doria ayant reçu l’ordre de Charles-Quint de « purger » la Méditerranée des Barbaresques qui ravagent les côtes, mobilise trois flottes sous le commandement de ses neveux, Gianettino, Giorgio et Erasmo. Au mois de juin, Dragut est repéré à Capraja où il fait 700 prisonniers vendus en esclaves à Tunis pour financer sa guerre de course. Gianettino ayant l’intuition que Dragut a dû faire escale quelque part en Corse, envoie son lieutenant Giorgio en éclaireur. Dragut en effet a jeté l’ancre à Girolata, s’accordant un répit afin de faire provision de fruits et d’eau douce, tout en partageant les butins. Pris au piège, Dragut tente une sortie avec neuf galères, dont la Moceniga et la Bibiena volées à Venise. Une bataille navale s’engage dont le bruit parvient jusqu’à Gianettino qui, posté en embuscade, accourt en renfort.

Dragut accepte le combat, prêt à vendre chèrement sa vie. Mais les Génois déclenchent une tempête d’artillerie, envoyant par le fond les galères barbaresques qui n’ont pas le temps de prendre la fuite. Les pirates survivants qui parviennent à nager jusqu’au rivage sont impitoyablement passés au fil de l’épée par des Corses. Fait prisonnier, le chef Dragut est battu à coups de nerf de bœuf, enchaîné au banc de galère comme un esclave, puis ramené comme un trophée de guerre à Gênes le 22 juin par Gianettino. Sa capture permet la libération immédiate des habitants de Lumio que Dragut avait enlevés. Mais la captivité de Dragut ne durera pas.

Au printemps 1544, le grand chef pirate Barberousse, se sentant abandonné des Français avec qui il avait fait alliance, tente alors auprès des Génois de racheter Dragut. Andrea Doria accède à sa demande, et le féroce pirate retrouve la liberté contre 3 000 ducats. Barberousse le fait aussitôt général des corsaires. Les Génois ne devaient pas tarder à se repentir de ce geste magnanime interprété comme une complaisance du vieil amiral Doria, qui en libérant Dragut, pensait éloigner les Turcs du parti français. Dragut en liberté, la Corse se retrouve plus que jamais la cible de razzias, dont la plus terrible en 1583, où la population de Sartène est enlevée en quasi-totalité. L’historien Fernand Braudel spécialiste de la Méditerranée, évalue à 30 000 le nombre de chrétiens captifs au bagne d’Alger au XVIe siècle dont 6 000 Corses.

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1779 : Louis XVI verse 250 000 livres pour délivrer 57 esclaves corses 

Le 23 juillet 1779, un navire suédois, le Saint-Octave, arrive à Marseille avec à son bord un convoi inhabituel en provenance de Tunis et d’Alger : cinquante-sept Corses esclaves au Maghreb – pour la plupart originaires de Bastia et de Bonifacio – dont vingt-quatre femmes et enfants. Ces otages qui viennent d’être libérés par la grâce de Louis XVI sont encadrés par Ali-Chiaou, l’envoyé du bey de Tunis chargé d’assurer le bon déroulement de la « transaction ». Car le Roi de France a payé une rançon de 250 000 livres pour tirer ces esclaves des griffes des Barbaresques. Pourquoi une telle générosité, dix ans après l’annexion de la Corse ?

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Le 2 septembre, les derniers captifs atteignent Bonifacio où de nouveau, sont orchestrées des cérémonies au milieu des plus hautes autorités de la cité. Ainsi se solde par la seule « bonté » du Roi un chapitre particulièrement douloureux des Corses emmenés en esclavage au Maghreb. La plupart des esclaves étaient des marins, comme Antoine Agostini et Félix Aitelli de Mariana, détenus chacun depuis 12 et 16 ans, personne n’ayant pu verser la rançon réclamée. Mais il est des cas plus pathétiques dont celui de Marc-Antoine Bucugnani, 49 ans, marin de Bonifacio, prisonnier avec son épouse Angela et ses cinq enfants dont un nourrisson. Marié au bagne de Tunis au bout de dix ans de captivité, il mourra d’épuisement à son arrivée à Calvi. Augustin Venturini, 28 ans, de Bastia, décède en retrouvant les siens. Tous ses camarades captifs assistent à ses obsèques en l’église Saint-Jean-Baptiste. Le triste record de durée de captivité au Maghreb revient à Sébastien Marchetti de Sagone : à 80 ans, il a passé 41 ans au bagne !

1794 : en guerre avec le pavillon corse, Alger capture 150 corailleurs insulaires 

Le 15 août 1794 sur la côte algérienne, deux bateaux battant pavillon à tête de Maure, sont surpris par les autorités en train de se livrer à la pêche au corail et aussitôt arraisonnés. Les équipages, une quinzaine d’hommes, sont emmenés à Bône sous escorte. Selon le consul général britannique à Alger, Charles Mace, « le Dey ordonna immédiatement qu’on les emmenât comme esclaves à la marine ; il m’informa en même temps de ce qui s’était passé et me dit qu’ils avaient été capturés pendant qu’ils volaient son corail, par son peuple toujours en guerre avec le pavillon à tête de Maure ».

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