Alexandre Douguine: L’Europe doit rompre avec l’Occident. Interview: « Ce n’est pas une guerre contre l’Ukraine, mais contre BHL et le globalisme»

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« L’Europe doit rompre avec l’Occident ! » – Alexandre Douguine

À Moscou et dans le monde russe, il se dit que Vladimir Poutine est de plus en plus influencé par un intellectuel ou philosophe russe, Alexandre Douguine. Ce dernier est l’auteur de « La quatrième théorie politique » et l’inspirateur du courant politique « néo-eurasiste ». Il définit la Fédération de Russie comme un pays multi-ethnique et multi-confessionnel à cheval entre l’Europe et l’Asie qui doit réconcilier ses aspirations tsariste et socialisante ; une sorte « d’impérialisme national-bolchevique » ?

Si nous sommes résolument partisans de la nation France, fille de la civilisation européenne et chrétienne, en ces temps de réveil de « l’ours russe », il reste intéressant de lire ce qu’un des « visiteurs du soir » de Vladimir Poutine a à dire sur le thème des rapports entre Russie, Europe, Occident et globalisme dans le contexte actuel que nous connaissons.

Ce n’est pas une guerre contre l’Ukraine. C’est une confrontation contre le globalisme en tant que phénomène planétaire intégral.

C’est une confrontation à tous les niveaux – géopolitique et idéologique.

La Russie rejette tout dans le mondialisme : l’uni-polarisme, l’atlantisme, d’une part, et le libéralisme, l’anti-tradition, la technocratie, en un mot, le Great Reset, d’autre part.

Il est clair que tous les dirigeants européens font partie de l’élite libérale atlantiste.

La Russie est désormais exclue des réseaux mondialistes. Elle n’a plus le choix : soit construire son monde, soit disparaître.

La Russie a tracé une voie pour construire son monde, sa civilisation. Et nous sommes en guerre contre cela. D’où leur réaction légitime.

Et maintenant, la première étape a été franchie. Mais le souverain face au mondialisme ne peut être qu’un grand espace, un État-continent, un État-civilisation. Aucun pays ne peut résister longtemps à une déconnexion complète.

La Russie est en train de créer un champ de résistance mondial.

Sa victoire serait une victoire pour toutes les forces alternatives, de droite comme de gauche, et pour tous les peuples. Nous entamons, comme toujours, les processus les plus difficiles et les plus dangereux.

Mais quand on gagne, tout le monde en profite. Ça devrait être comme cela. Nous créons les conditions d’une véritable multipolarité. Et ceux qui sont prêts à nous tuer maintenant seront les premiers à profiter de notre entreprise demain.

 

Qu’est-ce que cela signifie pour la Russie de rompre avec l’Occident ?

C’est le salut.

L’Occident moderne, où triomphent les Rothschild, Soros, Schwab, Bill Gates et Zuckerberg, est la chose la plus dégoûtante de l’histoire du monde.

Ce n’est plus l’Occident de la culture méditerranéenne gréco-romaine, ni le Moyen Âge chrétien, ni le XXe siècle violent et contradictoire.

C’est un cimetière des déchets toxiques de la civilisation, c’est l’anti-civilisation.

Et plus tôt et plus complètement la Russie s’en détache, plus tôt elle revient à ses racines. A quoi ? Aux racines chrétiennes, gréco-romaines, méditerranéennes, européennes… C’est-à-dire aux racines communes au véritable Occident.

Ces racines – les leurs ! – l’Occident moderne les a supprimés. Et elles sont restés en Russie.

La Russie n’est pas l’Europe occidentale. La Russie a suivi les Grecs, Byzance et le christianisme oriental. Et elle suit toujours cette voie. Oui, avec des zigzags et des détours. Parfois dans des impasses. Mais ça bouge.

La Russie est née pour défendre les valeurs de la Tradition contre le monde moderne. C’est précisément cette « révolte contre le monde moderne ». Vous comprenez ?

L’Europe doit rompre avec l’Occident, et les États-Unis doivent aussi suivre ceux qui rejettent le mondialisme. Et alors tout le monde comprendra la signification de la guerre moderne en Ukraine.

Beaucoup de gens en Ukraine l’ont compris. Mais la terrible propagande colérique libérale-nazie n’a rien laissé de côté dans l’esprit des Ukrainiens.

Ils reviendront à la raison et se battront avec nous pour le royaume de la lumière, pour la tradition et une véritable identité chrétienne européenne. Les Ukrainiens sont nos frères. Ils l’étaient, ils le sont et ils le seront.

La rupture avec l’Occident n’est pas une rupture avec l’Europe. C’est une rupture avec la mort, la dégénérescence et le suicide.

Alexandre Douguine

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Alexandre Douguine: « Ce n’est pas une guerre contre l’Ukraine, mais contre BHL et le globalisme»

Le Causeur - Entretien avec Alexandre Douguine

Présenté par les uns comme un idéologue proche du Kremlin, par les autres comme un intellectuel ésotérique et marginal dont on a exagéré l’importance, Alexandre Douguine suscite l’intérêt des médias occidentaux, plus encore depuis le début de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine. Depuis trois décennies, il est le chantre de l’eurasisme, doctrine comptant faire de la Russie et des anciennes Républiques soviétiques un bloc continental cohérent capable de tenir tête aux États-Unis et à ses alliés. Certains ont vu dans l’agression russe l’indice des progrès de son influence auprès de Vladimir Poutine. Entretien exclusif.


Causeur. Vous êtes assez connu ici, à la fois dans nos médias conservateurs (la revue Conflits s’est intéressée à vous dans cet article de 2020) mais aussi chez des intellectuels éclairés et « raisonnables » comme Bernard-Henri Lévy, qui vous a qualifié de « fasciste sophistiqué ». Je ne sais pas si c’est un compliment…

Alexandre Douguine. À propos de cette qualification, Bernard-Henri Lévy s’est affiché le 15 mars, à Odessa, auprès de Maxim Marchenko, qui est nazi, porteur de la croix de fer nazie, ex-chef du bataillon d’Aidar. Avec Bernard-Henri Lévy, et la presse libérale occidentale en général, il y a de l’hypocrisie. Si jamais l’on est en désaccord avec le libéralisme outrancier de Bernard-Henri Lévy, on est qualifié de fasciste. Même Eric Zemmour, qui est juif d’Afrique du Nord, est qualifié de fasciste. Trump est fasciste, Poutine est fasciste, tous ceux qui ne sont pas de leur côté sont fascistes. Mais en même temps, on voit de vrais nazis, fascistes, racistes, qui portent la swastika, ou comme Maxim Marchenko, qui est reconnu néo-nazi et qui se proclame comme tel. Or, BHL n’a aucun problème à se promener avec lui à Odessa. Il y a des gens qui se déclarent fascistes, on doit tenir compte de leur propre qualification et les qualifier ensuite comme tels. A l’inverse, si quelconque refuse d’être qualifié comme fasciste, on ne doit pas le qualifier de fasciste.

Libération a proposé un portrait nuancé de Maxim Marchenko, sans gommer les aspects problématiques de ses camarades. Concernant Alexandre Douguine, le média australien progressiste Independent Australia rappelait un article de 1997 dans lequel l’écrivain russe proposait des visions étonnantes du fascisme et du national-socialisme, indiquant « qu’en aucun cas les aspects racistes et chauvins du national-socialisme ont déterminé la nature de son idéologie » et que « les excès de cette idéologie en Allemagne (…) concernent exclusivement les Allemands (…) tandis que le fascisme russe est une combinaison de conservatisme national naturel avec un désir passionné de vrais changements ».

Ici en France, tandis que les médias conservateurs qui voyaient Poutine plutôt comme un élément stabilisateur du monde (on se souvient qu’il était aux côtés de Chirac contre la guerre en Irak), les médias traditionnellement hostiles à la Russie s’en donnent à cœur-joie, sur le ton du « on vous l’avait bien dit ».

Les mass médias occidentaux font évidemment bien plus de bruit que la presse assez limitée de la Russie. Face à cette guerre médiatique menée par les Occidentaux, il faut mener la guerre véritable. C’est en quelque sorte une guerre contre l’Occident. Non pas contre l’Ukraine, mais contre l’hégémonie libérale mondialiste.

C’est une guerre contre Fukuyama et non pas contre l’Europe

Si je vous suis bien, Poutine a déclaré la guerre non pas à l’Ukraine, mais à l’Occident.

Oui. C’est pourquoi l’on n’utilise pas le nom « guerre » à l’intérieur de la Russie concernant l’intervention en Ukraine ; on parle d’opération militaire spéciale. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une guerre contre l’Ukraine, c’est une guerre contre le globalisme, contre Bernard-Henri Lévy, contre George Soros, contre Joe Biden, contre l’atlantisme. Finalement, c’est Francis Fukuyama qui a vu juste, quand il a appelé son dernier article « la guerre de Poutine contre l’ordre libéral » [en anglais, ici]. C’est tout à fait juste ; c’est la guerre de Poutine et de la Russie contre l’ordre libéral mondial, contre la fin de l’histoire et contre l’Empire américain.

Qui souffre des expropriations faites en ce moment par l’Occident ? Les pires des nôtres, les oligarques. Nous les détestons plus encore que vous ne les détestez

Mais alors, quelles pourraient être les prochaines étapes de Poutine, après la guerre d’Ukraine ? Où est-ce qu’il pourrait encore avancer ses pions dans sa guerre contre l’Occident ?

Je crois que pour l’instant, l’objectif, c’est l’Ukraine. Zbigniew Brzeziński a dit dans le Grand Echiquier [1] que sans l’Ukraine, jamais la Russie ne pourra redevenir un Empire. Avec l’Ukraine, la Russie redeviendrait automatiquement un Empire parmi les autres, ou plutôt un pôle indépendant du monde multipolaire. Il n’est pas du tout question d’attaquer des pays membres de l’OTAN en Europe parce qu’avec l’établissement de l’indépendance de la Russie dans un grand espace eurasiatique, le monde multipolaire sera pleinement établi. Selon moi, les conséquences directes de cette révolution géopolitique seront réjouissantes, parce qu’avec ce bloc qui comprendrait la Russie, la Grande Russie (la Russie avec l’Ukraine) et la Chine (et j’espère avec Taïwan), l’hégémonie occidentale sera détruite. Ça sera « la fin de la fin de l’histoire ». C’est une guerre contre Fukuyama et non pas contre l’Europe. Dans cette multipolarité assurée, l’Europe pourra choisir son camp : ou elle continue d’être le prolongement de l’atlantisme et du monde anglo-saxon, ou l’Europe redevient un pôle indépendant et souverain. C’est une chance pour l’Europe, non pas de s’unir à la Russie, mais de s’affirmer comme un pôle indépendant, autant des Etats-Unis que de la Russie. L’Europe peut devenir un bloc véritable, capable de se défendre, même contre les Russes. L’Europe doit se réaffirmer comme un pôle, non pas avec nous, non pas dans une relation nécessairement amicale avec la Russie, mais d’une manière réaliste.

Mais justement, les opinions publiques européennes ont peur ! En France, encore, on est loin de la frontière russe, mais nous nous mettons à la place des Polonais, des Suédois. C’est un rejet massif de la Russie qui a lieu en ce moment, pas seulement chez les élites, mais aussi dans les opinions publiques

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