« L’écho d’une identité blanche » – Que signifie être « pro-européen » aujourd’hui ?

Par Hans Kundnani ♦ Que signifie être pro-Européen aujourd’hui ? Ce texte est un document fort. Il a été publié le 4 février dernier dans le New Statesman, grand magazine progressiste britannique. L’auteur, Hans Kundnani, est un Britannique d’origine indienne. Vu de Londres, il estime que l’Union européenne s’engage de plus en plus dans une vision civilisationnelle et que « l’identité blanche va devenir encore plus centrale à l’identité européenne ». Un texte qu’il nous a semblé fondamental de traduire (en y ajoutant des intertitres pour plus de lisibilité) et de partager avec les lecteurs de notre site.
Polémia.

Une identité européenne ethnique ?

Alors que les partisans de l’UE voient une menace grandissante à l’encontre de la culture du continent et de sa civilisation, la référence à la race blanche pourrait avoir une place encore plus importante dans l’identité européenne.

En Europe continentale et en Allemagne particulièrement, on vous dira souvent avec fierté : ‘Je suis européen’. J’ai souvent entendu cela de mes anciens collègues au Conseil Européen des Relations Internationales (EFCR) qui occupe des bureaux dans toute l’Europe. Je n’ai jamais pu m’identifier à ce qui semblait être à mes yeux une quelconque revendication agressive d’identité européenne. En fait, elle me rendait mal à l’aise. Comme je ne pouvais pas comprendre comment on pouvait s’identifier, excepté par amour, à l’Union Européenne en tant qu’institution, ou ensemble d’institutions, il me semblait que l’idée d’être européen exprimait une identification à une culture ou civilisation – et même à une ethnicité.

Mon regard sur l’identité européenne est sans aucun doute largement fonction de ma ‘britannicité’. Les Britanniques ont tendance à se considérer eux-mêmes soit en tant que Britanniques, (ou Anglais, Écossais, Gallois,etc) ou bien en tant que membres du monde anglophone ou même en tant que ‘citoyens du monde’. Par contre peu se définissent en premier lieu comme ‘Européens’, contrairement à de nombreuses personnes en Europe continentale ; autrement dit, ceux-là auraient quelque chose en commun avec les autres Européens qui les différencie du reste du monde. Peu de ‘ British’ voient l’Europe en tant que Schicksalsgemeinschaft, (en allemand dans le texte), communauté de destins, comme le font les Allemands.

Dans mon cas, néanmoins, mon incapacité à me définir comme ‘Européen’ a aussi à voir avec mon ethnicité. Je suis né et j’ai grandi en Grande Bretagne, mais mon père est indien et ma mère hollandaise. Le terme ‘Européen’ n’a jamais qualifié mon identité, puisqu’il excluait ma partie asiatique. Je pense que cela est vrai également pour nombre de Britanniques non- blancs – je pense que si on est d’origine africaine, asiatique, ou des Caraïbes, il y aura encore moins de probabilités à s’identifier en tant qu’‘Européens’ que pour les Britanniques blancs.
(Ce que je ne sais pas, c’est si les personnes non-blanches en Europe continentale se définissent comme ‘Européennes’).

L’UE, un projet cosmopolite ?

Au Conseil Européen des Relations Internationales, lorsque j’entendais certains s’appeler Européens, Je pensais immédiatement à ce que cela signifiait dans un contexte colonial ou par exemple dans l’Afrique du Sud de l’apartheid. Dans ces contextes-là, ‘Européen’ voulait dire blanc. Le fait d’être blanc me semblait plus essentiel à l’identité Européenne qu’il ne l’était à l’identité de chaque état nation européen, dont les identités étaient définies en s’opposant l’une à l’autre (L’identité Britannique est née et s’est constamment définie en opposition contre la France, comme l’a montré l’historienne Linda Colley). Alors, lorsque des personnes exprimaient leur fierté d’être Européens, j’entendais comme un écho d’identité blanche.

La plupart des ‘pro-Européens’ sont déconcertés ou choqués lorsque je dis cela. Ils pensent au projet Européen – c’est-à-dire à une intégration Européenne qui amène à une ‘union toujours plus serrée’ – comme étant le contraire d’une intention blanche ou raciste. Ils voient dans l’UE et par extension dans l’identité Européenne – une expression du cosmopolitisme. Mais cela à proprement parler, est faux. L’UE n’est bien sûr pas un projet global mais un projet régional. Ce que l’UE représente n’est ni du nationalisme, ni du cosmopolitisme, mais quelque chose entre les deux : le régionalisme. En conséquence, déclarer ‘je suis Européen’ c’est exprimer une identité régionale.

Cette définition trompeuse de l’UE comme projet cosmopolite est en elle-même l’expression d’une tendance Eurocentrée qui confond l’Europe et le monde. Le projet Européen a intégré et surmonté les différences entre les pays d’Europe (bien qu’il semble, que lors de la dernière décennie, l’intégration Européenne particulièrement au sujet de la monnaie unique, ait renforcé les conflits entre états membres de l’UE). Mais l’intégration régionale est bien différente de l’intégration globale. Bien que les barrières internes aux mouvements de capitaux, de biens et de personnes aient été levées, des barrières extérieures subsistaient, particulièrement en ce qui concerne l’immigration en provenance de l’extérieur de l’UE.

L’émergence de ce mythe du cosmopolitisme de l’UE se trouve peut-être dans la manière dans laquelle dès le début de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier dans les années 50, l’UE s’est basée sur les leçons que les Européens ont tirées de l’histoire des relations entre pays européens –les siècles de conflits qui ont eu pour point culminant la Seconde Guerre Mondiale – plutôt que sur les relations de l’Europe avec le reste du monde. L’intégration européenne a commencé dans les années 50 –au moment exact de la décolonisation – et néanmoins le récit du projet Européen est muet en ce qui concerne l’histoire de la colonisation européenne et de ses conséquences.

Ce mythe crée une zone d’ombre dans la pensée pro-européenne qui considère le projet européen comme une manière de surmonter les nationalismes créateurs de conflits en Europe. Pour les Allemands en particulier, c’est une manière de dépasser l’état–nation avec lequel ils ont eu une expérience particulièrement désastreuse.

De part ce rejet du nationalisme, néanmoins, les pro-européens ont tendance à présumer que presque tout ce que l’UE fait au niveau régional est différent des courants problématiques de l’histoire européenne d’avant 1945 – après tout c’est par l’UE que l’Europe a surmonté ces courants. Donc des concepts considérés comme problématiques au niveau national – comme par exemple ‘la communauté de destins’ – comme par magie ne pose plus aucun problème au niveau européen. Lorsque des pays membres de l’UE cherchaient à réduire les exportations de PPE au début de la pandémie l’année dernière, cette intention était taxée de nationalisme. Mais lorsque l’UE elle-même réduisait les exportations de PPE an dehors de l’Europe, cela a été considéré comme le triomphe de l’unité européenne.

Mais en réalité, le régionalisme peut être aussi mauvais que le pire des nationalismes. De par le centralisme des états-nations lors des deux siècles passés, le monde a moins connu l’expérience du régionalisme en tant que puissance, et il n’a pas les mêmes connotations négatives que le nationalisme. Mais une identité régionale peut se définir également contre l’’Autre’ et elle peut être tout aussi discriminante que les identités nationales l’ont été dans l’histoire. En fait, le régionalisme peut potentiellement être même pire car les blocs régionaux tendent à être plus grands et plus puissants que de simples pays et donc être capables de faire plus de mal au reste du monde.

Un civilisationnisme européen ?

La tendance à confondre l’Europe et le monde est en rapport avec l’évolution de la pensée pro-européenne. L’intégration européenne était au début conduite par une logique européenne dans le contexte de la Guerre Froide et de la décolonisation. Mais son succès apparent et l’élargissement de l’UE à l’issue de la Guerre Froide a conduit beaucoup de pro-européens à considérer l’UE comme un modèle pour le monde.

Il se trouvait implicitement dans cette idée un genre de ‘mission civilisatrice’ – bien que peu de pro européens y pensaient dans ces termes. Autrement dit, il y avait comme une continuité des genres entre le colonialisme européen et le ‘projet européen’. Mais la mission civilisatrice de l’UE était bien faible, considérée comme un ‘pouvoir civil’, qui élèverait la politique internationale et exporterait son modèle dépolitisé de gouvernance régionale avec son ‘modèle social européen’ qui comprenait un état providence généreux.

Un bon exemple en termes de politique est la liberté de circulation. Dans les années 1990 et 2000, de nombreux pro-européens pouvaient encore voir l’évolution de la liberté de circulation au sein de l’UE comme le précurseur d’une liberté globale de circulation – la suppression des frontières au sein de l’Europe en tant que première étape vers un monde sans frontières. Même à ce moment, les choses semblaient un peu différentes dans la pratique – au Royaume-Uni par exemple, l’appartenance à l’UE a entrainé un déclin relatif dans l’immigration en provenance des anciennes colonies et une augmentation relative de l’immigration de provenance européenne.

Néanmoins après une décennie de crises, et dans un monde changeant que de nombreux européens considèrent comme hostile, l’idée de l’UE en tant que modèle cède la place à la pensée pro-européenne de l’Europe en tant que compétiteur, alors que l’UE a dû s’efforcer d’imaginer comment résoudre ses propres problèmes intérieurs profonds, comment répondre à ce qui semble être un nombre croissant de menaces extérieures. Ce n’est pas seulement que l’UE soit sur le pied de guerre, mais les pro-européens se sont placés sur la défensive. La manière dont ils pensent le projet européen a aussi changé – et de manière inquiétante.

L’idée que l’UE transformerait la politique internationale semble désormais moins d’actualité qu’une décennie ou deux auparavant. Le débat parmi les pro-européens se concentre désormais plutôt sur comment l’UE peut s’adapter à un monde dans lequel les grandes entités politiques semblent être de retour.
Ursula van der Leyen a promis ‘une commission géopolitique’ (européenne) lorsqu’elle devint président en 2019. Les pro-européens ont désormais adopté l’idée d’une ‘souveraineté européenne’, concept auquel ils s’étaient opposés historiquement. En conséquence l’UE que l’on considérait un temps comme ‘puissance normative’ autrement dit comme un modèle, aspire à devenir désormais une puissance d’un type bien plus traditionnel – et les pro-européens la pressent de mettre en œuvre une ‘union de défense’ et même une ‘autonomie stratégique’.

L’idée que l’UE pourrait exporter son modèle technocratique de gouvernance est aussi devenue moins plausible au cours de la dernière décennie, surtout depuis qu’il y a eu des réactions hostiles au sein de l’Europe contre ce modèle dépolitisé. En fait des érudits tels Chris Bickerton ont montré combien le populisme était une réaction à la technocratie. L’idée d’un ‘modèle social européen’ semble également moins crédible, depuis que la crise de l’euro a commencé dans l’UE, lancée par l’Allemagne, la crise a fait beaucoup pour détricoter l’état providence à la périphérie de la zone euro au nom du maintien d’une Europe ‘compétitive’.

De nombreux pro-européens estiment que cette nouvelle manière de penser le projet européen est l’expression d’un nouveau réalisme. Mais dans ce contexte, la relativement faible idée de mission civilisatrice présente auparavant dans la pensée pro-Européenne, et qui était basée sur son modèle politico-économique, cette idée, semble laisser la place à un discours plus civilisationnel se fondant sur l’unicité de sa culture. L’élément culturel et civilisationnel de l’identité européenne est devenu plus dominant – et est souvent exprimé en termes de ‘valeurs Européennes’. Autrement dit, le régionalisme civique des débuts est en train d’évoluer vers une problématique plus culturelle et même vers un régionalisme ethnique. Les pro-européens raisonnent de plus en plus en termes de protection du continent contre des menaces qu’ils décrivent de plus en plus en termes culturels. En conséquence ce qui en ressort est de plus en plus un genre de civilisationnisme défensif.

Il se peut que la crise des réfugiés de 2015 ait été le point de départ de ce tournant civilisationnel dans le projet européen. Cela a persuadé les Européens, si ce n’était pas déjà le cas, que l’absence de frontières intérieures nécessitait des frontières extérieures dures. Dans les cinq dernières années l’UE a pris un nombre de mesures visant à améliorer la sécurité des frontières extérieures, comprenant une montée en puissance de Frontex, l’agence des frontières de l’UE, que beaucoup considèrent comme une militarisation des frontières de l’UE. Bien loin d’annoncer un monde sans frontières, il est clair désormais que la libre circulation au sein de l’UE signifie simplement que les frontières ont été déplacées d’un point à un autre, et au plus loin de l’Allemagne.

L’expression la plus frappante de ce civilisationnisme européen est que dans le cadre de la ‘commission géopolitique’ de Von der Leyen, l’UE a maintenant un ‘Commissaire pour la promotion du style de vie Européen’ (c’était à l’origine pour la protection de notre style de vie européen’ ) : Margaritis Schinas. Sa principale responsabilité est de coordonner l’approche de la Commission sur l’asile et la migration, ce qui correspond à maintenir les migrants à l’extérieur, en utilisant souvent des méthodes brutales et violant les droits de l’homme. Ceci montre clairement ce qu’est le tournant civilisationnel de l’UE : la migration n’est pas seulement considérée comme un problème difficile mais comme une menace au ‘style de vie européen’.

Vers un conflit de civilisations ?

Ces évolutions reflètent une tendance croissante à penser la politique internationale en termes de civilisation. L’Europe de plus en plus définit ses ‘valeurs ‘ s’opposant à une Chine montant en puissance et devenant une menace géopolitique et s’opposant à l’Islam, l’’Autre’ historique de l’Europe, sous la forme de migrants et du terrorisme. Dans son livre paru en 1996 Le conflit des civilisations, le politologue américain Samuel Huntington prédisait un conflit entre l’ouest la Chine et l’Islam. Mais même si l’élan initial pour l’intégration européenne provenait des Etats Unis par le Plan Marshall, l’UE a longtemps cherché à se démarquer des Etats Unis, et alors que les États-Unis vont devenir un pays à minorité blanche dans les décennies à venir, l’identité blanche va devenir encore plus centrale à l’identité européenne.

La personnalité qui mieux que quiconque incarne la synthèse du ‘pro-européisme et du civilisationnisme est le président français Emmanuel Macron. Sa vision d’une ‘Europe qui protège’ (en français dans le texte), semblait au début une vision progressiste – offrant aux gens une protection par rapport au marché – mais cette idée a progressivement fait place à un accent mis sur le culturel plutôt que sur la protection économique. Particulièrement depuis l’assassinat du professeur Samuel Paty par un terroriste islamique en octobre 2020, et sous la pression du Rassemblement National de Marine Le Pen, Macron a pris des positions pour arrêter ce qu’il appelle le ‘séparatisme islamique’. En octobre dernier il a mis en place des mesures visant à renforcer le contrôle de l’état sur les mosquées et les imams en France afin de ‘ défendre la république et ses valeurs’.

Macron voit aussi la politique étrangère de la France en des termes clairement civilisationnels. Dans un discours prononcé lors d’une réunion d’ambassadeurs français à Paris en août 2019, il a parlé du besoin pour l’UE, menée par la France, de poursuivre un’ projet de civilisation européenne’. Elle devra ’reconstruire la souveraineté’ et deviendra une puissance d’équilibre entre la Chine et les États-Unis. Si l’UE ne prenait pas des mesures fortes, a-t-il dit, ‘l’Europe disparaitrait’.

Le débat actuel parmi les analystes de politique étrangère européenne ressemble au niveau de la politique internationale, aux débats sur l’immigration basés sur la peur du ‘grand remplacement’. Dans son livre paru en 2011, Le grand remplacement, qui a influencé l’extrême droite en Europe et aux États-Unis, l’écrivain Français Renaud Camus mettait en avant que la présence de musulmans menaçait de détruire la culture et la civilisation française. Lorsque mes collègues à l’ECFR me disent que l’UE doit devenir plus stratégique et plus ‘souveraine’ ou qu’ils parlent de ‘puissance européenne’, j’entends l’idée analogue, que sauf si les Européens s’unissent et s’affirment eux-mêmes, ils seront remplacés par d’autres puissances (non-blanches).

Texte de Hans Kundnani traduit par Polémia
23/06/2021

source: https://www.polemia.com/lecho-dune-identite-blanche-que-signifie-etre-pro-europeen-aujourdhui

source 1: https://www.newstatesman.com/world/2021/02/what-does-it-mean-be-pro-european-today

Un commentaire

  1. Posté par Chris le

    Il a raison sur un seul point: il n’est pas Européen. L’Europe n’est pas l’UE. Et il a beau avoir 50% de sang européen (si tant est que l’un de ses parents soit un Européen de souche, ce dont même je doute), il n’a rien compris à ce qui fait un Européen: il est issu d’une culture et d’une civilisation millénaire, ses ancêtres ont dompté, construit ce continent, il est issu d’un creuset celtico-gréco-romano-Chrétien et est forcément de race blanche. L’Européen n’est pas un concept. Le fait même qu’il cherche à lui donner une signification prouve qu’il n’en est pas un: être Européen cela se ressent. Tout comme un Africain ressent ce qu’il est, de même qu’un Chinois, un Perse ou un Indien. Lui c’est un fragmenté, il n’est plus rien.

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