TERRORISME. Dae’ch, stade suprême de la mondialisation…

Richard Labévière
Journaliste, Rédacteur en chef  du magazine en ligne : prochetmoyen-orient.ch

 

Et si l’on faisait complètement fausse route en ce qui concerne l’ « Etat islamique » (Dae’ch) ? Les débats récurrents sur l’Islam dévoyé nous égarent. Faudrait-il commencer par rappeler comment dès le milieu des années 50, les services américains ont instrumentalisé l’Islam radical, notamment le wahhabisme et les Frères musulmans, pour lutter contre les différentes variantes d’un nationalisme arabe, souvent allié de l’Union soviétique…

 

Cette instrumentalisation a culminé durant la décennie 1979/89 en Afghanistan où Ben Laden et ses affiliés ont bénéficié du soutien logistique des services américains et pakistanais ainsi que de la manne financière de l’Arabie saoudite et de ses satellites. Cette politique a perduré au-delà des attentats du 11 septembre 2001 dont l’ancien conseiller du président Carter - Zbigniew Brzezinski – affirmait qu’ils ne furent qu’un simple dysfonctionnement au regard de la victoire américaine sur l’empire communiste… De la fin de la Guerre froide jusqu’aux mal nommées « révolutions arabes », Washington n’a cessé de considérer les Frères musulmans et leurs sous-produits comme des alliés objectifs des choix économiques et stratégiques de leur conception de la mondialisation.

 

En mai 2011, lorsqu’ils décident de supprimer Oussama Ben Laden dont ils connaissent les conditions de villégiature au Pakistan depuis plus de quatre ans, les services américains décident - à la demande expresse d’Obama - de tourner la page Al-Qaïda devenue un obstacle à leur reconfiguration du Grand-Moyen-Orient. A cette époque, la Maison Blanche est persuadée que les Frères musulmans peuvent incarner « la révolution thermidorienne » dans l’ensemble du monde arabe, incarnant des alternatives conformes à leurs intérêts, non seulement en Tunisie et en Egypte, mais aussi en Libye, au Yémen et en Syrie. Malheureusement pour eux, après un an de pouvoir du président Morsi en Egypte, c’est le fiasco : les caisses sont vides, les étalages des boutiques et les pompes à essence aussi… Des millions d’Egyptiens descendent dans la rue et lèvent l’hypothèque des émules d’Hassan al-Banna. Même débâcle en Tunisie ainsi qu’en Libye où les islamistes s’affrontent pour la maîtrise du gâteau pétrolier, faisant sombrer le pays dans l’implosion mafieuse et criminelle. Un scénario identique se produit au Yémen pour le contrôle des ressources gazières.

 

En Syrie, la résistance du régime baathiste met fin à la contagion « frériste ». La guerre civile, qui déborde en Irak et au Liban, aboutit au grand schisme, sinon à la fin d’Al-Qaïda. Des « jihadistes locaux » contestent l’emprise des « jihadistes globaux » de la Qaïda pour revendiquer un territoire remettant en cause les vieilles frontières des accords Sykes-Picot. Le 9 juin 2014, ils prennent Mossoul, la deuxième ville d’Irak, avec la complicité des services turcs et de leurs bailleurs de fonds saoudiens, et revendiquent la proclamation d’un « Etat islamique » (Dae’ch), à cheval sur les zones pétrolières de la Syrie, de l’ouest et du nord de l’Irak. Une fois encore, en ne réagissant que très mollement à leur avancée, la Maison blanche fait fausse route et pense que ces jihadistes d’un nouveau type peuvent servir leurs intérêts. Il faudra attendre le 29 juin et la proclamation du Califat pour que les princes saoudiens prennent peur et demandent à leurs alliés de bombarder les positions avancées de cet « Etat » qui menace la Jordanie, le Liban et l’ensemble des monarchies pétrolières… Les décapitations de journalistes britanniques et américains, diffusées sur internet, rendent désormais insupportable cette « nouvelle barbarie » qu’il faut officiellement éradiquer.

 

Les Nations unies adoptent plusieurs résolutions afin d’assécher les ressources de Dae’ch. Une foultitude d’experts nous explique alors que les « nouveaux barbares » s’appuient sur cinq sources de financement : ressources pétrolières, fiscalité communautaire, dons, rançons et vente de biens archéologiques. Le message générique consiste à nous persuader que Dae’ch s’ « autofinance », permettant ainsi de blanchir les monarchies pétrolières dont plusieurs services de renseignement s’obstinent pourtant à dire qu’elles demeurent les bailleurs de fonds principaux des jihadistes. Les mêmes sources font plusieurs constats judicieux : les premiers bombardements de la Coalition internationale ont ciblé avec raison les puits pétroliers aux mains de Dae’ch ; l’impôt islamiste qui frappe des populations très démunies ne rentre pas ; les coffres des banques de Mossoul et le montant des rançons d’otages ne sont pas inépuisables ; les filières de trafics d’antiquité ont largement été démantelées.

 

Reste les « dons »… en provenance de pays pourtant membres à part entière de la Coalition. Place-forte bancaire traditionnelle pour les pays du Golfe, le Koweït fonctionne toujours comme plaque tournante pour les fonds de riches donateurs des pétromonarchies qui soutiennent les factions rebelles en Syrie dont beaucoup se sont ralliées à Dae’ch. La nébuleuse jihadiste ne manque pas de partisans ni de sympathisants dans la péninsule arabique, mais aussi dans l'ensemble du monde arabe et jusqu'en Occident. Les pays du Golfe, via leurs dirigeants et leurs appareils d'Etat ou par l’intermédiaire de fortunes privées, soutiennent depuis le début l'insurrection contre Bachar al Assad. Si les occidentaux ont pris fait et cause pour d'improbables groupes dits « laïcs et modérés », les rebelles islamistes continuent à recevoir de l'argent venant du Qatar, des Emirats arabes unis, d'Oman, d'Arabie saoudite et du Koweït. C'est d'ailleurs souvent par ce pays, place-forte bancaire, que transitent les fonds, comme l'expliquait récemment Michael Stephens, directeur du Royal United Service Institute au Qatar au micro de la BBC. Certains des groupes bénéficiaires se sont alliés à Dae’ch. Ils constituent les façades de l’ « Etat islamique » et peuvent recevoir des fonds de mécènes du Golfe sans que ceux-ci ne soient menacés de représailles par leurs gouvernements ou les pays occidentaux qui, souvent, sont parfaitement au courant…

 

La financiarisation de l’économie globale a démultiplié le poids et l’influence structurelle des capitaux des pays du Golfe. Les Etats-Unis, la Grande Bretagne, l’Allemagne et la France dépendent plus que jamais de leurs liquidités, de leurs investissements et de leurs acquisitions en matière de défense, d’aéronautique, d’immobilier, etc. Dans ces conditions, on voit mal comment ces partenaires complices décideraient de sévir sur le chapitre des financements de Dae’ch… allié objectif d’une mondialisation devenue folle, morbide mais rentable ! 

 

Dans l’un de ses livres les plus fameux - La part maudite -, Georges Bataille explique que toute expansion économique nécessite une part de « consummation », de gaspillage organiquement nécessaire à la fuite en avant du capital. A l’ « instabilité constructive » et ses débouchés innombrables en matière d’armements et de systèmes de sécurité, le terrorisme offre l’opportunité d’ajustements diplomatiques, sociaux, sinon culturels ne serait ce qu’en matière de restrictions des libertés civiles et politiques. Dans cette perspective, les « nouveaux barbares » de Dae’ch ne s’imposeraient-ils pas comme les alliés inespérés des bourses de Londres et New York ?  

 

Lénine affirmait que « l’impérialisme est le stade suprême du capitalisme ». Dans notre monde globalisé, il se pourrait bien que le terrorisme actuel incarne à son tour le sommet de cette évolution paroxystique d’une course effrénée à l’argent…

 

Richard Labévière, 17 mars 2015

Rédacteur en chef du magazine en ligne prochetmoyen-orient.ch

 

9 commentaires

  1. Posté par Sancenay le

    Nous sommes au plan organique objectivement en présence d’une phase, ou a minima, d’une tentative très avancée de révolution mondiale. Or toute révolution débute par une phase de terrorisme , puisque par nature, elle est incapable de s’imposer aux esprits par la raison, pas davantage que par le droit.
    Qui dit terrorisme, et à plus forte raison terrorisme à l’échelle mondiale, tel que l’on peut l’observer aujourd’hui, dit sources de financements puissantes et relayées mondialement.
    Qui donc a les les moyens et l’intérêt pour s’impliquer et/ ou collaborer à un tel niveau ? Il y a forcément des évidences “comptables ” qui s’imposent .

  2. Posté par Ariel le

    @ Danielle Borer.
    Merci pour votre précision! Bizarrement, ces temps, je ne vois plus aucun commentaire… Ou alors quelque uns, et ensuite, ils disparaissent… C’est la première fois que je subis ce phénomène… je vais creuser… encore merci!

  3. Posté par Ariel le

    Bon.. maintenant que j’ai posté mon commentaire, je vois les autres… 🙂

    Sinon ne pas oublier que les frappes terroristes islamistes en Europe et aux USA ont intégralement servi le discours suprémaciste des USA – jusqu’à maintenant – dans le sens d’une nécessité d’intervention de la “communauté internationale” dans les pays arabes, au nom de la “démocratie” et des “Droits de l’homme” (les mêmes valeurs qui sont d’ailleurs utilisées dans une moindre mesure contre la Suisse, alors que nous cherchons à nous émanciper de la tutelle du droit internationale et de l’Union européenne).

    C’est pourquoi – du point de vue des élites américaines – le terrorisme musulmans DOIT frapper les citoyens américains et européens. Sans djihadisme, pas d’intervention, et donc pas de légitimité pour frapper…

  4. Posté par Danielle Borer le

    @Ariel Je crois que c’est chez vous qu’il y a un problème ! Une fois les commentaires publiés, nous ne les faisons pas disparaître

  5. Posté par Ariel le

    NOTE A LA REDACTION: C’est bizarre, mais les commentaires disparaissent de ce site ces temps… J’ai cru lire une note (forte pertinente d’ailleurs) de Pierre H. juste avant, et que je ne vois plus… Suis-je le seul à faire ce constat concernant l’évaporation des commentaires, ou y a-t-il un problème chez moi?

    Ce dernier parlait de mondialisme. Sa remarque (pour résumer) voulait dire une chose fort juste: le titre devrait être “Daesh, stade suprême du MONDIALISME”. Ce qui est plus pertinent, à mon humble avis.

    A ce sujet, il est fort intéressant de s’intéresser au rôle de la famille de TARIQ RAMADAN. Celui-ci est souvent conspué comme cherchant à insidieusement “islamiser” les valeurs de l’occident à travers un double discours. Ce que beaucoup de ses détracteurs ne savent pas (ou oublient peut-être volontairement, pour certains) est que son père, Saïd Ramadan, était un agent de la CIA (ceci a été déclassifié aux USA récemment). On peut trouver une photo de lui (Google pour les curieux) en conversation dans le bureau de Eisenhower avec ce dernier. Saïd Ramadan est (sauf erreur) le fondateur de la branche palestinienne des Frères Musulmans.

    On devrait se poser la question de savoir que pouvait bien faire le fondateur de la branche palestiniennes des Frères Musulmans dans le bureau du Président des États-Unis….

    Tariq Ramadan = islamisation de l’Occident?
    Ou alors… Tariq Ramadan = islamisation de l’occident + occidentalisation de l’Islam = mondialisme = uniformisation mondialiste des valeurs, des traditions, des représentations, et généralisation de l’abolition des frontières, de la politique, de la circulation des personnes etc.?

  6. Posté par conrad.hausmann le

    Et alors qui manipule quoi ? Mais ce sont bien des Moslems qui vont se battrent là-bas.Et pour le reste ils appliquent le Coran de manière similaire à l’Arabie Séoudite.

  7. Posté par G. Vuilliomenet le

    Il est vrai que les USA n’ont jamais été touchés par des attentats islamiques! 😉

    Il est vrai que les associations musulmanes n’ont aucune revendication aux USA! 😉

    Monsieur Labévière oublie quand même que le djihad a une histoire qui commence à la naissance de l’islam avec le Mahomet guerrier.

    Je conseille donc la lecture de cet ouvrage:

    http://precaution.ch/wp/?p=439

    Je conseille également la lecture de cet article de Point de Bascule qui nous rappelle les objectifs des islamistes:

    http://pointdebasculecanada.ca/le-projet-de-conquete-islamique/

    Mais l’islamisation de régions gigantesques (Europe, Russie, Afrique) ne risque-t-elle pas de mettre un frein à l’économie mondiale?

  8. Posté par Pierre H. le

    “Daech, stade suprême de la mondialisation…”

    Je ne crois pas, non. Je pense que Daech est l’outil des oligarques mondialistes qui sert à affaiblir l’Europe, les Balkans Eurasiens, le Proche et Moyen-Orient. On sème le chaos au Moyen-Orient, ce qui créé des flux migratoires dirigés sciemment vers l’Europe. De ce fait on affaiblit le tout et l’on empêche l’Europe de faire un bloc avec la Chine et la Russie et de renvoyer à jamais les USA à un rôle de puissance secondaire et régionale (et c’est ce qui va arriver et ils l’auront bien cherché)…
    Et s’il fallait voir quelque chose de suprême en Daech, ce serait le stade suprême du socialisme international.

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