Comment se préparer à une guerre ?

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

Je dis partout autour de moi, qu'un livre d'histoire militaire vaut cent livres de philosophie. Il fait méditer sur la condition humaine, condition qui est oubliée dans la masse de discours verbeux, hors-sol, dont nos médias et politiciens sont hélas prisonniers. Je ne pouvais donc pas résister à l'invitation de la Société suisse des Officiers des troupes blindées OG Panzer. Cette société avait organisé une conférence pour le colonel américain Gian P. Gentile, professeur d'histoire militaire à West Point.

 

Pour les Européens, la guerre c'est le mal. Ils lui sont profondément hostiles, ce qu'on peut comprendre après deux guerres mondiales qui ont fait du Vieux continent, une terre de sang, pour reprendre l'expression de l'historien Timothy Snyder. En va-t-il de même en Amérique ? Pour le colonel Gentile, non ! C'était peut-être vrai après la guerre du Vietnam, mais aujourd'hui l'opinion publique américaine n'est pas hostile à la guerre. Elle est simplement "détachée". Y a-t-il un risque que ce détachement conduise à faire de l'armée américaine un contingent de mercenaires ? Le même colonel Gentile répond encore non. La tradition américaine est trop attachée à l'idée d'une armée proche des civils pour permettre une telle dérive.

 

Si j'ai posé ces questions, c'est qu'elles sont liées à une problématique profonde. Qu'est ce qui est déterminant dans un conflit ? La culture ou la technologie ? Avec toutes les séries américaines où l'on voit des militaires penchés sur des écrans d'ordinateur ou embarqués sur des "stealth bombers", nul doute que l'opinion publique estime d'avance gagnante l'armée disposant d'armes sophistiquées. Mais rien n'est moins sûr. L'esprit d'une troupe compte autant que de telles armes. Un esprit démocratique comme le pense l'historien militaire Victor Hanson ? Le colonel Gentile, cette fois-ci, ne dit pas non, mais souligne que la relation entre cet esprit et une victoire est trop complexe pour être déterminante. Ce n'est pas parce qu'un pays est démocratique qu'il gagnera nécessairement toutes ses guerres. Un conflit n'est pas démocratiquement organisé après une large consultation électorale.

 

A quoi donc des officiers supérieurs doivent-ils prêter attention ? A ce point, le discours du colonel Gentile se fait plus précis. En Occident, les esprits, séduits par diverses possibilités d'interventions militaires, risquent d'oublier l'importance d'un solide noyau d'infanterie mécanisée. Les troupes légères et rapides donnent le tournis et l'on s'imagine à tort que de telles troupes suffisent à défendre un pays ou à organiser une intervention extérieure. La stratégie américaine en Irak et en Afghanistan a échoué. Pour Gian Gentile, cet échec est dû au culte voué à des interventions légères, à des frappes chirurgicales ou aériennes. Comme celles lancées contre Daech aujourd'hui, ajouterai-je, frappes qui font oublier que nous ne sommes pas sortis des conflits lourds. Un peu comme Gian Gentile, des spécialistes expliquent aujourd'hui que les interventions aériennes contre Daech ne peuvent remplacer une intervention terrestre.

 

J'aimerais-je encore ajouter qu'on s'imagine faire une guerre avec zéro mort. Cette image est une illusion. Les troupes légères sont indispensables, mais seulement si elles s'articulent sur le noyau d'une solide infanterie. C'est un tel noyau dont disposait Charles Martel à Poitiers, face à la cavalerie arabe qui, à l'époque, constituait en gros l'équivalent de troupes légères.

 

Pour la première fois depuis 40 ans, moi qui ai l'habitude d'aller et venir entre l'Europe et les États Unis, ai vu une idée étrange me traverser l'esprit lorsque j'ai acheté un billet d'avion pour les Etats-Unis. Ne resterais-je pas coincé à New York à cause d'un conflit entre l'Europe d'une part, la Russie et Daech de l'autre? Ce n'est bien sûr qu'une idée. La réalité échappe toujours aux idées, mais aujourd'hui cette idée ne relève peut-être pas du délire, au moment où articles et interviews parlent si facilement d'un état de guerre après les attentats qui ont secoué l'Occident. Par conséquent, on ferait peut-être bien de s'intéresser aux questions militaires et à nos défenses militaires. Le film American Sniper a fait peur ou suscité la désapprobation, parfois le dégoût en Europe. Pas en Amérique, mais le colonel Gentile n'ira quand même pas voir ce film parce qu'il évoque un franc-tireur ayant abattu plus de cent trente ennemis en Irak. Cette comptabilité lui paraît irréaliste, pour ne pas dire délirante. Il sait de quoi il parle. Il a été engagé sur le terrain en Irak.

 

Alexandre Vautravers expert militaire suisse régulièrement consulté par notre presse et nos médias, a invité le colonel Gentile en raison de ses idées à contre-courant, notamment, comme on vient de voir, l'importance d'un noyau dur et mécanisé dans une armée. On ne peut exclure des conflits lourds. Or la Suisse construit des ponts, certes comme toujours, mais ceux récemment construits ou projetés ne supporteraient plus une division blindée, comme si nous avions déjà choisi la guerre que nous pourrions avoir. Nos responsables politiques et nos ingénieurs semblent hypnotisés par l'idée d'interventions rapides, légères, ponctuelles. Pour Alexandre Vautravers, il faut résister à ce charme hypnotique, sans exclure l'idée de telles interventions. L'essentiel est le combat interarmes et il faut se méfier de combinaisons qui feraient disparaître les divisions blindées. D'où son intérêt pour les idées du Colonel Gentile. Des idées qui s'appuient sur  une expérience directe du champ de bataille. Il faut lire ses livres.

Jan Marejko, 9 mars 2015

11 commentaires

  1. Posté par C. Donal le

    @ G. Vuilliomenet
    Merci pour les liens. Je lirai ce livre, par obligation citoyenne. Selon votre lien : « Les actions terroristes tous azimuts, explique — et veut démontrer — Abu Bakr Naji, créeront un tel sentiment d’insécurité que des régions entières, des régions « barbares », des régions « sauvages », seront abandonnées aux jihadistes qui s’appliqueront alors à les gérer, appelés à le faire — suppliés de le faire — par les populations (musulmanes mais aussi non-musulmanes) hébétées de terreur et avides d’un retour à l’ordre. Une fois l’ordre islamique, l’ordre de la charia, rétabli, la marche vers le califat coulera de source. »

  2. Posté par G. Vuilliomenet le

    L’ennemi a choisi sa manière de nous attaquer. Elle est dévoilée ici:

    https://sitamnesty.wordpress.com/2009/10/13/gestion-de-la-barbarie-par-abu-bakr-naji/

    et expliquée sous ce lien:

    https://azelin.files.wordpress.com/2010/08/abu-bakr-naji-the-management-of-savagery-the-most-critical-stage-through-which-the-umma-will-pass.pdf

    J’ai interpellé deux élus en charge de la sécurité de ce pays en leur présentant justement cet ouvrage (le document PDF ci-dessus) ainsi que sa traduction en français qui a fait l’objet d’un article sur le blog sitamnesty (voir ci-dessus)

    J’ai également écrit au bibliothécaire du Parlement pour lui faire part de l’existence de ce manuel de guerre que devraient lire nos politiciens.

  3. Posté par Erkangilliers le

    « … comme si nous avions déjà choisi la guerre que nous pourrions avoir ».
    C’est une constante chez nos pseudos élites de prétendre pouvoir choisir leur ennemi et la façon dont il va attaquer.
    Or c’est toujours l’ennemi qui nous choisit s’il nous attaque et c’est donc, comme dit dans un des commentaires, lui également qui détermine la manière.
    Et cet ennemi a depuis longtemps franchi nos portes pour nous mener une guerre sournoise et ces pseudos élites sont, parfois inconsciemment, ses collabos.

  4. Posté par Darkeuclyde le

    Bonjour Philippe Dulex,

    J’ai lus votre message, il a l’air intéressant, je me pose une question , de qui vous parlez en disant les « jeunes tireurs » car je trouve que c’est un peu flou et j’aimerais discuter plus précisément de cela avec vous !

    Cordialement

  5. Posté par Roger Uldry le

    Entre Daesch, Syrie et Poutine qui veut son accès à la mer Noire, on ne peut pas dire que notre existence est un long fleuve tranquille. Il est temps que le ronron de nos parlementaires prenne fin…!!
    Et qu’il prennent leur responsabilité.

  6. Posté par top gun le

    http://www.google.ch/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=5&cad=rja&uact=8&
    Pour les férus d’histoire et pour ceux qui ne connaissent pas encore, trois petits résumés sur la défaite des ottomans à Vienne en l’an 1529, pour y comparer et trouver des similitudes sur, la non collaboration de la France en lutte de pouvoir contre les Habsbourg, les alliés européens,(les vrais)le Roi Jean III Sobieski et ses cavaliers héros de la défaite ottomans aidé par Charles Alexandre de Lorraine. Dans ces trois petits résumés ce qui frappe, sont les dates du…12 septembre etc!? A croire que les muzzs ne jurent que par les mois de septembre pour produire les grandes horreurs à l’explosif. Le fait marquant après la victoire, c’est l’invention d’un boulanger pâtissier Viennois qui pour célébrer la victoire à inventer le croissant(Viennois) réf.croissant Turc, à manger ;-)). Alors, agrémenter d’un café(thé) ne nous gênons pas pour s’offrir ce petit plaisir.
    http://www.google.ch/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=5&cad=rja&uact=8&ved=0CD4QFjAE&url=http%3A%2F%2Fwebresistant.over-blog.com%2Farticle-la-defaite-de-l-empire-ottoman-la-bataille-de-vienne-12-septembre-1683-84117508.html&ei=acf9VN6sDor0UveTgLAE&usg=AFQjCNEyAlLfstWpMBSveQKPJoc8mJreqQ&bvm=bv.87611401,d.d24

  7. Posté par Pierre H. le

    @ Vautrin
    « …alors que nos paras et commandos de chasse ont remporté une victoire militaire (rendue inutile par les politiques) ! »

    C’est hélas souvent ce qui arrive. Preuve que les politiques ne cherchent pas la victoire mais l’avantage et le rapport financier. C’est comme une victoire sur le cancer. A quoi bon guérir de quelque chose qui rapporte des milliers de milliards ?

  8. Posté par Vautrin le

    Tout dépend de la configuration. Celui qui prend l’initiative du conflit impose, en quelque sorte, la manière dont, au début du moins, se déploieront et s’emploieront les forces qu’il lance à l’assaut de l’adversaire. Exemple : dans la guerre du Viêt-nâm, les communistes ont opté pour une guerre subversive, comme les fellagas en Algérie. Dans ce cas, traiter l’agresseur au moyen de bombardements intenses ne fonctionne pas, l’adversaire s’éparpille comme une goutte de mercure pour se reformer ailleurs. Il faut alors de l’infanterie aéroportée, légère, manoeuvrante et capable de mener la contre-guérilla. Autrement dit : de faire une guerre adaptée à l’agression. Les B52 n’ont pas eu raison des communistes, alors que nos paras et commandos de chasse ont remporté une victoire militaire (rendue inutile par les politiques !). C’est ce que les coalisés n’ont pas réussi à faire en Afghanistan.
    Face à un ennemi puissant et employant de puissants moyens blindés, il n’y a pas guère d’autre solution que de lui opposer une force mécanique aussi puissante, soutenue par une infanterie lourde (panzer-grenadiers). Car le char est devenu vulnérable aux armes d’infanterie.
    Dans les deux cas, l’aviation ne permet pas de faire la bataille seule. La stratégie de Douhet n’a pas eu les résultats escomptés, même si elle a mis des villes en ruines. L’appui-feu que l’aviation peut (et doit) fournir aux troupes est comparable à celui d’une artillerie volante et très manoeuvrante. Elle doit aussi assurer la maîtrise du ciel, c’est la moindre des choses.
    Nous savons comment l’islamisme déploie ses forces : la réponse appropriée est celle du combat au sol, les avions ne pouvant que ponctuellement détruire des colonnes de véhicules ou des dépôts de munitions identifiés. C’est pourquoi pour vaincre l’état islamique il faudra bien des « trosols » (troupes au sol).
    Pour un pays qui applique avec intelligence la recommandation de l’Ars Militari (Vergelius) : « si vis pacem para bellum » en se dotant des trois armes : aviation, divisions blindées, divisions d’infanterie aéroportées, j’ajouterais : et une dissuasion nucléaire, c’est revenu au goût du jour, on peut faire face aux éventualités. Car on ne peut pas savoir à l’avance comment le conflit tournera.

  9. Posté par Pierre H. le

    Excellent article ! J’aime le pragmatisme militaire ! Quand je vais aux USA, je me dis aussi « Et si une guerre se déclarait en Europe pendant que je suis là-bas ? » Quand j’étais allé apprendre l’anglais à San Francisco en 1982, la question ne se posait même pas ! C’est fou comme les temps changent et ne se ressemblent pas tout en se ressemblant. Je me souviens de pacifistes béats que j’ai connu à Lausanne fin des années 80 et qui m’assuraient qu’on devait supprimer l’armée car des évènements comme la 2ème guerre mondiale ne pouvaient plus arriver dans le monde « moderne » d’alors ! Quelle connerie ! Je le savais déjà à l’époque. Je me souviens que les mêmes, à la même époque, étaient allée en vacances à Cuba (socialisme oblige) pour 3 semaines mais étaient rentrés en Suisse après 3 jours en pleurant après leur maman tant ils avaient été choqués !!!

    Bref, un site sympa aussi mais dont l’activité a cessé depuis 2006 est celui du Lieutenant Colonel (en 2006) Monnerat de l’armée suisse qui tenait le site web CHECKPOINT. Certains articles ont pris un petit coup de vieux mais d’autres sont toujours aussi pertinents et actuels. Il ne faut pas oublier non plus qu’à l’époque, les vrais visées de l’OTAN n’étaient pas aussi visibles et évidentes que maintenant et que la situation en Europe et en Suisse n’était pas aussi explosive et il s’agit donc me remettre les articles dans leur contexte, plus angélique qu’aujourd’hui, de l’époque :

    http://www.checkpoint-online.ch

  10. Posté par Dulex Philippe (Philippe) le

    C’est vrai il y a danger. Nos autorités nous mentent. L’invasion islamiste est réelle , Nous envoyer leur misère pour diminuer nos capacités sociales et venir construire des mosquées et prêcher la vengeance . A 83 ans je m’occupe des jeunes tireurs et rappelle que qui veut la paix doit préparer la guerre malheureusement .

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