CEDH: un peu de mauvaise humeur

NDLR. Merci au CPV pour l’autorisation de reprise

 

Faut-il dénoncer la Convention européenne des droits de l’homme? Une option aussi radicale serait excessive, surtout pour un petit pays qui bénéficie d’une application stable du droit international. Il n’est en revanche pas interdit de manifester quelque mauvaise humeur face à des jugements excessifs qui finissent par porter atteinte à l’idée qu’on se fait des droits de l’homme.

Des verdicts qui suscitent de l’incompréhension

Les initiales CEDH, qui désignent à la fois la Convention européenne des droits de l’homme et la Cour européenne chargée de son application, sont souvent apparues dans l’actualité de la fin de l’année dernière, dans des circonstances plutôt déplaisantes. Plusieurs verdicts des juges de Strasbourg ont suscité sarcasmes et railleries, voire incompréhension et colère.

Parmi les cas les plus médiatisés, il y a eu notamment, en novembre, un jugement donnant raison à une famille de requérants d’asile afghans que la Suisse voulait renvoyer en Italie en application de l’accord de Dublin. Selon la Cour européenne, un tel renvoi violerait l’article 3 de la Convention (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) dans le cas où les autorités italiennes ne fourniraient pas préalablement des garanties individuelles quant à la prise en charge des enfants et à la préservation de l’unité familiale. Ce verdict n’empêche pas formellement l’application de l’accord de Dublin, mais il la complique et la rend incertaine à l’avenir. Puis, en décembre, on a appris avec stupéfaction que la CEDH condamnait la France à payer à neuf pirates somaliens des indemnités pour dommage moral de plusieurs milliers d’euros parce qu’ils avaient été présentés devant un juge avec quarante-huit heures de retard après leur arrestation.

Ces cas s’ajoutent à de nombreux autres, où les autorités chargées de faire appliquer les lois nationales sont, plus souvent que de raison, déboutées face aux individus qui enfreignent ces mêmes lois. La CEDH n’est d’ailleurs pas seule en cause: en décembre toujours, d’autres pirates somaliens ont obtenu de larges dédommagements devant un tribunal danois; et en Suisse, depuis plusieurs années, de multiples jugements cantonaux ou fédéraux ont alimenté de lancinantes controverses, y compris politiques, sur la manière parfois choquante dont les juges prétendent rendre la justice.

Dénoncer la CEDH serait une option trop radicale

En l’occurrence, c’est surtout sur la CEDH que le mécontentement s’est concentré au cours de ces derniers mois. Ce mécontentement dépasse désormais les «propos de café du commerce» et se répand aussi chez les autorités. Après le verdict de Strasbourg remettant en cause les renvois de requérants vers l’Italie, l’Office fédéral des migrations a annoncé – certes en des termes mesurés, et en assurant avoir obtenu les garanties nécessaires – qu’il continuerait malgré tout à appliquer la loi. Sur le plan politique, le conseiller fédéral Ueli Maurer a ensuite déclenché une vigoureuse polémique en proposant à ses pairs, dans une séance interne, que la Suisse dénonce la Convention européenne des droits de l’homme. Quelques semaines auparavant, le premier ministre britannique David Cameron s’était livré, en public, devant son parti, à un virulent réquisitoire contre la CEDH, exprimant notamment sa volonté de contrecarrer l'influence de cette dernière et d’encourager les tribunaux à se sentir libres d’appliquer ou non les sentences de Strasbourg.

Ces propos batailleurs ont le mérite d’exprimer, à un niveau officiel, l’exaspération de nombreux citoyens face à des jugements peut-être «juridiquement fondés» mais qui n’en apparaissent pas moins contraires à l’idée qu’on se fait de la justice, voire empreints d’un militantisme partisan déplacé.

Cela signifie-t-il qu’il faille dénoncer cette Convention? Pour la Suisse, une option aussi radicale n’est sans doute pas opportune. Sans être excessivement naïf sur la protection réelle que le droit international offre aux petits pays, on doit admettre que ces derniers y trouvent un intérêt pour rendre leurs relations internationales plus stables et harmonieuses. Seuls les Etats puissants peuvent se permettre de snober ouvertement les fondements du droit international.

Une marge de manœuvre

Au demeurant, c’est moins la Convention elle-même qui pose problème que la manière dont les juges de Strasbourg l’interprètent. De ce point de vue, on peut souligner que les Etats parties gardent une relative marge de manœuvre dans l’application des arrêts de la Cour, qui ont une valeur essentiellement déclaratoire – sauf toutefois pour ceux accordant des indemnités financières, lesquelles peuvent représenter des montants extrêmement importants. La Suisse doit profiter de cette marge de manœuvre chaque fois que c’est possible – comme elle semble le faire aujourd’hui à juste titre.

Pour le reste, il est plutôt sain de manifester notre mauvaise humeur, y compris au niveau politique – la récente visite officielle du président de la CEDH aurait pu, aurait dû aussi servir à cela –, et de mettre en garde les juges de Strasbourg contre une perte de crédibilité de cette institution. On dit que ce qui est excessif devient insignifiant. L’idée que les droits de l’homme puissent devenir insignifiants devrait faire réfléchir ceux qui prétendent en garantir le respect.

Source : (PGB, Service d'information du Centre Patronal, n° 3019, 6 janvier 2015)

 

 

 

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