« On ne dit pas « je » ! » de Laure Mi Hyun Croset

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Une des hantises des parents de notre époque est que leurs enfants deviennent un jour des toxicomanes. Ils savent que cela n'arrive pas qu'aux autres et que le monde de la drogue douce d'abord, puis souvent dure, n'est pas un paradis, mais un enfer auquel il est difficile d'échapper une fois qu'on y a pénétré.

En 2013, Laure Mi Hyun Croset fait un jour la rencontre de Lionel D., qui a vécu dix-sept années dans un tel enfer. A la fin de son énième et ultime cure de désintoxication - c'était huit ans auparavant -, il a rédigé un bilan de ces longues années passées sous l'emprise de la drogue et propose à la jeune femme de son âge de le lire et, peut-être, d'en faire un récit sous une forme plus littéraire.

L'auteur des Velléitaires, un recueil de nouvelles, et de Polaroïds, une autofiction, y a vu matière au roman vrai d'un homme, qui, aujourd'hui, DJ, officie avec son ordinateur portable dans un hangar, ancien dépôt transformé en discothèque, où l'on danse jusqu'au petit matin sur de la musique électronique.

Lionel, tout jeune, a le goût de l'évasion:

"Il rêve d'une autre existence, d'une enfance loin des contingences et des brimades quotidiennes."

Il n'est pas le seul de la famille à avoir ce goût-là. Sa grand-mère, Thérèse, s'est ainsi évadée de son mariage pour s'établir chez eux. Son père, Gérard, qu'il aime tant, a quitté un jour, à son tour, le domicile conjugal.

Sa mère, Danielle, qui s'est trouvé un compagnon, Jan, avec lequel il s'entend bien d'ailleurs, est rarement disponible pour lui. Et, dans le même temps, il doit exister comme elle voudrait qu'il existe, c'est-à-dire ne pas exister:

"Sa mère ne cesse de lui répéter: "Tant que tu resteras sous mon toit, tu feras ce que je te dis! Plus tard, tu feras ce que tu voudras!" ou encore: "On ne dit pas "je"!".

Aussi à l'école secondaire trouve-t-il terrain où exercer et accroître son aspiration à la liberté, qu'il ne peut avoir à la maison. D'autant que sa mère pour une peccadille - le vol d'une pièce d'un franc qui traînait sur la table de la cuisine - lui retire toute sa confiance.

C'est à ce moment-là, sans doute, il a 14 ans, que s'opère le tournant de sa vie:

"Le haschich permet à Lionel de s'échapper, le trichloréthylène l'aide aussi."

Un autre tournant est sa rencontre, à 16 ans, avec un groupe de punks que lui fait connaître le fils de la patronne de son père, qui est la propriétaire d'un magasin de disques de rock. Auprès de ses amis punks il se sent respecté, ce qui n'est pas le cas dans le bureau d'architecture où il commence un apprentissage.

Comme il ne déteste rien tant que de se dégonfler et qu'il prétend prendre des drogues dures, un jour, il accepte la ligne que lui propose une certaine Mélanie dans un autre groupe de punks qui vient de se constituer, puis il sniffe de l'héroïne à l'invite d'une autre fille, Mathilde. C'est le commencement d'une consommation festive de dope, uniquement le week-end.

Mais cette période tranquille ne dure pas. Il fugue, voyage, perd son emploi d'apprenti, reste cependant admis en cours, travaille chez un employeur tchèque que lui a trouvé l'Office d'orientation, zone avec ses potes, sniffe plus régulièrement de l'héroïne, parfois du LSD, mais réussit cependant sa première année d'apprenti.

C'est en deuxième année d'apprentissage qu'il dégringole parce qu'il s'ennuie:

"Il prend de plus en plus de LSD, fume de l'héro ou la sniffe, boit beaucoup de bière. En gros, le fric qu'il ne dépense pas en biens matériels, il le claque en brumes qui l'apaisent."

La suite de ce récit est le roman noir de la descente en enfer de Lionel et des conneries de plus en plus sérieuses qu'il enchaîne. Le plus curieux est qu'il parviendra à finir son apprentissage de dessinateur en bâtiment après avoir redoublé sa deuxième année...

Après sa période punk commencera à 21 ans sa période junk...

A plusieurs reprises, pendant ces dix-sept ans de toxicomanie, il tentera de s'en sortir, mais il retombera nombre de fois, connaîtra la prison, les établissements de sevrage, de thérapie et de cure, fera cependant un autre apprentissage, d'aide-monteur électricien cette fois.

Finalement - ses deux apprentissages réussis le prouvent -, Lionel, est heureusement très obstiné et met beaucoup de virulence dans tout ce qu'il entreprend...

Laure Mi Hyun Croset raconte les errances noires de Lionel au pas de charge. Les phrases sont courtes. Les faits, qui ne relèvent pas de la bibliothèque rose, se succèdent à un rythme endiablé. Ce qui donne l'impression que Lionel D. vit plusieurs vies, plusieurs morts et plusieurs résurrections...

Le portrait qui s'en dégage est celui d'un homme pris au piège, qui se débat comme un beau diable pour s'en échapper. Certes il a des torts indéniables, mais c'est quelqu'un qui justement les reconnaît et qui, au fond, n'est pas aussi noir que ses méfaits pourraient le laisser croire.

Et on ne peut que penser qu'il devrait bien avoir droit, après toutes ces épreuves surmontées, à goûter quelque peu aux bienfaits de ce monde...

Francis Richard

 http://www.francisrichard.net/

 

On ne dit pas "je"!, Laure Mi Hyun Croset, 96 pages, BSN Press

Livres précédents:

Les velléitaires (2010)

Polaroids (2011)

Un commentaire

  1. Posté par dominique degoumois le

    Un ami commerçant à dû emmener son employé toxicomane, dans un institut située au fin fond du Jura, pour qu’il puisse enfin faire une cure de désintoxication réussie, sans retomber à la fin, sur les dealers qui quadrillent son quartier! Il va donc rester, pour le reste de sa vie, dans cette institution, loin de Genève et des dealers qui vont bien sûr continuer à contaminer librement, tous les jeunes des quartiers de Genève! Les droits humains des toxicomanes ne sont ps respectés dans ce pays, on privilégie les commerce mafieux à la place et on donne des prix aux film de fernand melgard, le colaborationiste!

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