La Suisse et la 2e Guerre mondiale – Partie II

Christian Favre
Christian Favre
Essayiste

Pilet-Golaz était lui-même effrayé par les exigences allemandes en matière d’échanges, il a parlé de "concessions effroyables". Sachant cela et n’ayant guère d’autres issues pour maintenir l’approvisionnement de la Suisse, Pilet-Golaz a très rapidement compris qu’on lui en ferait payer le prix, lourdement. Mais il a tout pris sur lui, ne s’est jamais défendu et n’a jamais essayé de le faire. Par contre ce que l’on sait moins, parce qu’on ne tient  manifestement pas à le montrer, c’est l’engagement humanitaire entrepris par le Conseil fédéral, il fut considérable et ici encore on retrouve Pilet-Golaz.

Je ne vais pas montrer des chiffres mais en tout cas il est certain que Pilet-Golaz s’est engagé dans l’aide humanitaire.

Sur le forum Livres de guerre, j’ai pu constater en débattant avec un historien français, que l’on avait répandu l’idée que Pilet-Golaz était au fond le Pétain suisse. Une chose est sûre en tout cas, c’est que ceux qui ont propagé cette idée, ont une piètre connaissance de cette histoire. Démonstration. Pétain a perdu le reste d’honorabilité en promulguant sa loi anti-juive, une parfaite monstruosité nazie. Lorsque Carl Lutz, à Budapest s’est mis en tête de sauver le maximum de Juifs, il était sous les ordres de l’ambassadeur Jaeger, lequel ambassadeur a continuellement soutenu Lutz. Si P-G avait eu le même comportement que Pétain, croyez-vous alors qu’un ambassadeur protégeant les Juifs aurait été nommé ? La réponse est non. Pour rappel l’action de Carl Lutz a permis de sauver quelques 100'000 Juifs selon l’affirmation de Simon Wiesenthal  qui a préfacé le livre de Theo Tschuy : "Diplomatie dangereuse".

Mais ce n’est pas tout, Lutz, pour loger ces Juifs, a acheté plus de 70 maisons, avec quel argent ? Je ne le sais pas et pourquoi ? Parce qu’en Suisse les historiens n’ont pas suffisamment étudié Pilet-Golaz, la preuve c’est qu’il n’existe aucune biographie. On sait que les Britanniques, qui avec les Etats-Unis, ont remis leur ambassade à la Suisse, lui ont demandé  d’intervenir en faveur des Juifs de Hongrie. On n’en sait guère plus.

On ne parle aussi guère de l’engagement de la Suisse en tant que "Puissance protectrice"auprès de très nombreux pays et qui exigea d’énormes efforts.

43 Etats – totalisant 1,6 milliards d’habitants, soit les 4/5 de la population totale du globe – demandèrent à la Suisse, durant la Deuxième Guerre mondiale, à la Suisse de prendre en charge leurs intérêts, les diplomates helvétiques assumant un total de 219 mandats. - (Jean-Jacques Langendorf - "La Suisse dans les tempêtes du XXè siècle"  p. 166).

L’activité de Puissance protectrice consiste essentiellement à protéger des personnes ennemies dans un pays ennemis par exemple des citoyens allemands aux Etats-Unis. Aussi à effectuer des rapatriements de personnes ou de prisonniers. Il y a tout de même le rapport Bonjour qui en parle et à propos de ce rapport on se demande aussi pourquoi il n’est pas sur Internet !

Le CICR a également passé au moulin de la critique, ce qui a occulté totalement scandaleusement les actions souvent héroïques des délégués. Beaucoup, beaucoup de vies ont été sauvées grâce au CICR à commencer par le ravitaillement des prisonniers de guerre qui témoignent que sans cet apport ils auraient difficilement survécu.

La principale critique concerne bien sûr son attitude face à l’Holocauste et la non assistance des Juifs dans les camps de concentration. Ah ! Le CICR aurait dû dénoncer l’Holocauste puisqu’il en avait connaissance; comme le gouvernement suisse et comme les Alliés, donc à qui d’autres le communiquer ? Aux pays occupés ? Aux autres Neutres ?

Ils le savaient aussi, aux journalistes suisses peut-être ? La vérité est que seuls les Alliés disposaient de la puissance pour faire plier les nazis et donc il était inutile de crier à hue et à dia l’horreur de l’Holocauste sans risque des représailles sur les prisonniers de guerre. On doit sur ce chapitre également relever que déjà en 1923 le CICR avait essayé d’avertir le monde sur la nécessité de mesures de protection  des civils au cours des guerres, le monde n’a rien voulu savoir, cela allait à l’encontre de l’option pacifique.

A la fin de la guerre les actions des délégués ont permis de sauver de nombreuses vies en voici une :

"L'une des tueries les plus importantes qui aient été programmées fut désamorcée par le CICR. C'est grâce à l'intervention, le 3 mai 1945, de Louis Haefliger délégué à Mauthausen, que l'ordre donné de faire exploser l'usine souterraine d'aviation de Gusen avec les quelques 40'000 détenus qui s'y trouvaient, fut annulé par le commandant du site." - M.A Charguéraud "L'Etoile jaune et la Croix-Rouge" p. 115

Voici un extrait de l’activité du CICR que l’on trouve dans le livre de l’historien Jean-Claude Favez : "Mission impossible".

"Parallèlement aux Puissances protectrices, le Comité s'est occupé de 7 millions de prisonniers de guerre et de 175’000 internés civils, auxquels i/ a fait plus de 5000 visites au moyen de ses délégués, dont le nombre s'est élevé à 173. L'agence centrale des prisonniers de guerre a compté jusqu'à 3700 collaborateurs.
Le Comité a répondu à 600’000 demandes d'enquêtes concernant des prisonniers et internés civils ; il a établi 50 millions de fiches et 3 millions de photocopies de listes de prisonniers de guerre. Son courrier a atteint 100 millions de plis.
Pour les civils privés de toute communication du fait qu'ils habitaient des pays ennemis, le Comité a créé les « messages civils », dont 23 millions furent transmis par l'agence ; dans 500’ 000 cas, on recourut à la voie télégraphique en raison de la lenteur des communications postales.
Indépendamment de l'œuvre accomplie par le Comité universel de l'Union chrétienne de jeunes gens (Y.M.C.A.), dont le siège est également en Suisse, le Comité international de la Croix-Rouge a fait parvenir dans les camps de prisonniers] 300’ 000 livres, 500 jeux, 15’ 000 partitions de musique et 2’ 000’ 000 d'objets divers pour les artisans, les techniciens et les artistes.
Plus de 33 millions de colis destinés aux prisonniers de guerre ont été acheminés par les soins du Comité. Ils représentent un poids total de 400’000 tonnes et une valeur de 3 milliards de francs suisses. De plus, du 12 novembre 1943 au 8 mai 1945, 750’ 000 colis représentant 2’600 tonnes furent adressés aux déportés dans des camps de concentration.
Les bateaux affrétés par le Comité et naviguant sous pavillon neutre (suisse dans plusieurs cas) ont transporté 410’000 tonnes de marchandises. Des secours confiés au Comité ont aussi été fréquemment transportés à bord des bateaux affrétés par la Suisse pour son ravitaillement ; de même, des trains entiers dé wagons de marchandises ont été mis par les chemins de fer suisses à la disposition du Comité pour l'acheminement de secours.
Pour venir en aide aux populations civiles des pays occupés, en particulier aux femmes et aux enfants, le Comité s'associa avec la Ligue des sociétés nationale de la Croix-Rouge, dont les bureaux avaient été accueillis par la Suisse au début de la guerre. La « Commission Mixte de Secours » de la Croix-Rouge internationale, créée à cet effet, assura la distribution de plusieurs dizaines de milliers de tonnes de produits représentant une valeur de quelque 150 millions de francs suisses."

Le CICR a réalisé un travail gigantesque, dans le livre de Marc-André Charguéraud "L’Etoile jaune et la Croix-Rouge" on peut lire à la page 59:

"La seule logistique des transports était très lourde et extrêmement difficile à gérer : 2000 wagons de chemin de fer furent mobilisés chaque mois."

 

Il existe à ma connaissance deux livres écrits par des délégués du CICR

  • Dr Marcel Junod « Le Troisième combattant » disponible auprès du CICR.
  • Raymond Courvoisier « Ceux qui ne devaient pas mourir ».

Deux témoignages extraordinaires.

Reconnaissons qu’il y avait là suffisamment matière à se défendre face aux attaques subies lors de l’affaire des fonds juifs…ou bien ?

Je termine ici ce texte destiné à montrer qu’il existe encore aujourd’hui, de nombreux aspects, plutôt positifs de l’Histoire de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale et que cette Histoire, extrêmement intéressante devrait être dévoilée au public. Et il reste encore beaucoup à découvrir tant du côté humanitaire, par exemple sur le travail accompli par les délégués du CICR ainsi que du rôle essentiel de la Suisse pour les renseignements.

Christian Favre    Yvorne, décembre 2013

Sur la photo d'illustration photo :

"En histoire il y a les témoignages oraux et écrits, les archives et les historiens. Mais il y a aussi les images et parmi les images les visages sur lesquels se lisent les sentiments: peur, détermination, volonté, lâcheté etc.

J'aime les visages de ces femmes suisses engagées dans le Service complémentaire féminin lors de la Mobilisation."

Origine de la photo : La Suisse en arme 1940 II  - "La Mobilisation".

La Suisse et la 2e Guerre mondiale - Partie I

2 commentaires

  1. Posté par Christian Favre le

    C’est tout de même bien curieux cette quasi impossibilité des médias suisses de parvenir, comme cela se fait partout ailleurs, à montrer l’ensemble des faits qui constituent l’histoire de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Impossible donc de dépasser les clichés et banalités comme ici dans cet article de 24heures
    http://www.24heures.ch/suisse/La-Seconde-Guerre-mondiale-vecue-par-les-Suisses/story/14367371
    Toujours et encore cette ridicule affirmation d’un Guisan mauvais stratège, affirmation jamais expliquée, jamais débattue et qui semble obéir à la hiérarchie des historiens suisses. L’historien a l’air sûr de lui lorsqu’il prétend que la quasi absence de blindés était un handicap alors que c’est bel et bien le contraire qui est vrai, simplement en permettant d’augmenter les difficultés de déplacement des blindés ennemis. Comment concilier en effet la destruction des ponts avec le déplacement de ses blindés ? Avec la remarque selon laquelle la Suisse se contentât surtout d’un rôle de spectatrice, l’historien montre qu’il ignore totalement le rôle joué par les SR suisses et l’armée du côté de la résistance française (entre autres) et du côté des Alliés. Tout ce qu’à fait le CICR et la Confédération, dans l’humanitaire et dans le rôle de puissance protectrice, est considéré donc comme nul par le spécialiste.

    C’est tout même fou qu’en France, par exemple, on est capable de parler de cette histoire, ô combien douloureuse pour ce pays, en montrant autant le positif que le négatif et qu’en Suisse on en est toujours à vouloir cacher le positif entrepris par les autorités. Encore une fois, je n’ai jamais rien eu contre le fait de montrer le négatif, à condition d’éviter les mensonges du type de trains de déportés à travers la Suisse ou des 100000 Juifs refoulés. Mais ne montrer que le négatif finit bel et bien à nous interroger sur le caractère et les motivations de certains intellectuels de ce pays. D’accord l’article n’est de loin pas aussi négatif que ce qui se faisait il y a peu de temps en arrière, simplement il est banal et cette histoire ne l’est pas. Avec nos médias les Suisses ne la connaîtront JAMAIS étant entendu que les connaissances populaires en histoire passent aujourd’hui uniquement par l’image, donc par les films TV.

  2. Posté par Géo le

    Tout cela est très juste. Pour avoir suivi le cours de trois semaines à Eclogia il y a une dizaine d’années, je peux vous dire que le CICR lui-même ne se défend pas sur l’époque de la 2ème Guerre Mondiale, tellement pénétré qu’il est par le politiquement correct. Ils se savent Suisses, donc ils sont coupables. De quoi ? De tout. De tout ce que leur reprochent les Français, les Belges, les Espagnols, etc…On est dans les années 30 et les Suisses sont les banquiers, donc les Juifs d’aujourd’hui. En visite chez un collègue en Catalogne il y a une quinzaine d’années, le grand-père de sa femme, sachant que je suis Suisse, me lance :  » Tu es Suisse, rends-moi mon or ! ». Il est arrivé une histoire similaire à mon frère en Belgique. Et nous, que fait-on ? On nomme une Catalane au Conseil d’État vaudois, qui se vante que son nom signifie « rouge » dans sa langue, en compagnie d’une Française ex-stalinienne CGT. Sur lesquelles la presse Tamedia ne cesse de faire pleuvoir des louanges, quoi qu’elles fassent. Tout va très bien, on se réjouit de savoir à quoi ressemblera la Suisse dans 20 ans. Si elle existe encore, bien sûr, et non dissoute dans l’Europe…

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