Le déviationnisme coupable de la commission Bergier

Henry Spira
Henry Spira
Auteur du livre "La frontière jurassienne au quotidien 1939-1945"
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Yvan Perrin, le Conseiller National UDC neuchâtelois, s’étant emparé de la baguette magique d’une des fées de sa Côte à hêtraies et sapinières, a récemment soulevé un beau lièvre:

S’adressant, par interpellation parlementaire, au Conseil Fédéral, il a suggéré, avec raison, ce dont je le crédite entièrement, de mettre sur pied une « Néo“ Commission Indépendante d’Experts, mais celle-là réellement neutre politiquement parlant!

Très récemment décédé, à la veille de Pâques, M. le Prof. emeritus et ex recteur de l'Uni de Genève, Jean-Claude Favez, était le type même d'historien qui aurait exécuté une telle mission de façon exemplaire, ignorant ses convictions politiques. Nous entretenions des relations amicales. Il avait réussi à contourner le non placet de l'archviste cantonal C.Santschi! Placée à 4 mains - les deux du Prof. Favez et les 2 miennes - ma contribution écrite a été déposée sur la vingtaine de pupitres des participants au colloque du 24 novembre 2000, avant l'ouverture des portes! Ce texte intitulé : "Le refuge en Suisse 1933 - 1945 / Sources et définitions", a été publié dans les Actes du colloque, parus en 2002, au grand dam de l'archiviste d'alors!

Imbue de son mandat, à la recherche d'arguments négatifs à mettre à charge de nos autorités d'alors, la Commission Bergier, in corpore, s'est rendue à grands frais aux Etats-Unis. Elle y contactera le Juge fédéral Korman qui s'occupait des fonds en déshérence auprès de banques suisses de même que des historiens du USHMM (le US Holocaust Memorial Museum) à Washington DC, une fondation du Gouvernement des Etats-Unis. Et enfin et surtout, des historiens et collaborateurs de cette institution et des National Archives à Washington, DC. La CIE a ainsi glané, et aux meilleures sources, des renseignements tendancieux prétéritant gravement la réputation des autorités helvétiques durant la seconde guerre mondiale.

Et de même, mais sans susciter de frais de déplacement exorbitants, ses membres et collaborateurs scientifiques ne se sont pas rendus aux Archives Fédérales, alors même que seuls une cinquantaine de mètres en zone piétonne séparaient les bureaux de la Commission Bergier du bâtiment des Archives Fédérales. Il aurait été pourtant impératif de contrôler sur quelles bases M. Guido Koller des AF avait échafaudé le chiffre de 24.398 refoulements effectués entre le 2 avril 1940 et fin mai 1945! Partant des chiffres réels cités par le Prof. Ludwig, repris de l'état dressé par le Prof. Delaquis à fin décembre 1945, soit 9.703 refoulements, M. Koller y ajoute 14.695 refoulements (bien inventés, même s'ils ne sont pas vrais, obtenant ainsi un total de 24.398 refoulements!) Ce dernier chiffre est ensuite repris sans broncher par les médias d'ici et d'outre-frontière, certains décrétant qu'il s'agissait en totalité de juifs!

S'il n'y avait que cela à reprocher à M. Koller et aux Archives Fédérales, mais il y a pire. Non seulement son tableau cite une date erronée, soit 29.12.1942 au lieu du 24.12.1945, mais son tableau contient des erreurs d'addition:

Tableau 1

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J'avais démontré, dès septembre 2001, la nécessité de rendre publiques les listes nominatives détenues par les Archives Fédérales, en premier lieu celles des fugitifs civils accueillis en Suisse durant la Seconde guerre mondiale. Une demande adressée au Conseil Fédéral, avait été déposée par mon ami, M. le Conseiller National libéral neuchâtelois Rémy Scheurer, et professeur d'histoire à l'Université de Neuchâtel. Cette demande avait été contresignée par plusieurs parlementaires, tant de droite que de gauche. Ces listes, couvrant la période entre le printemps 1942 et fin 1945, citent un total de 51.129 personnes, selon le tableau No. 3 dressé par les soins de M. Guido Koller, des Archives Fédérales. Ces personnes sont réparties par nationalités et appartenance ou non au judaïsme.

Tableau No. 3 Répartition par nationalités, des réfugiés civils accueillis

Nationalité Personnes dont juives Nationalité Personnes dont juives

Tableau 3

Selon ce tableau, 51.129 personnes civiles ont été accueillies en Suisse, dont 21.304 juifs, y compris 1.809 n'étant pas de religion juive, mais qui étaient pourchassés comme tels, du fait de leur ascendance juive selon les critères des lois raciales de Nuremberg!

Tabelle 4 : Nachweisliche Wegweisungen von Januar 1940 bis Mai 1945

Tabelle 4

AUTRES TABLEAUX DRESSES PAR M. GUIDO KOLLLER, des ARCHIVES FEDERALES

Tableau 6

Le total de 50.793 personnes se répartit entre 15.142 femmes et 25.203 hommes, ainsi que 10.448 enfants. On obtient le chiffre précité de 51.129 personnes en ajoutant 336 personnes dont l'âge n'avait pas pu être déterminé.

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Et pour les références archivales, se référer aux renvois cités aux pages 80-82 de l'ouvrage "La frontière jurassienne au quotidien, 1939 - 1945", du soussigné.

La demande précitée avait été acceptée par le Conseil Fédéral, qui avait décidé de publier cette liste sous forme d'un livre. Je ne reviendrai pas sur les manigances - émanant de la gauche - et l'influence de Mme. Ruth Dreifuss, alors Conseillère Fédérale, ayant abouti à la non-exécution de cet engagement formel.

Au chiffre ci-dessus cité de 51.129 personnes, il faut ajouter les 9.909 émigrants - dont 6.606 étaient juifs - se trouvant sur sol helvétique au 3 septembre 1939, et dont la continuation du voyage vers d'autres cieux avait été interrompue par le début de la Seconde guerre mondiale.

Enfin, il est intéressant de signaler que la plupart des réfugiés civils ont quitté le territoire suisse via Genève pour des raisons évidentes: seul le réseau ferroviaire étranger aboutissant en Suisse via Genève fonctionnait encore, et permettait de rentrer chez soi, tant en France qu'en Belgique et aux Pays-Bas. Une grande majorité des citoyens polonais et apatrides étaient d'ailleurs antérieurement domiciliés dans ces pays.

Voici d'autres chiffres obtenus en février 2013 des Archives d'Etat de Genève:

Réfugiés civils quittant la Suisse via Genève, antérieurement au

01.09.1944, notamment ceux ayant quitté la zone Nord de la

France et transitant par la Suisse pour se rendre en zone Sud 10.729

Réfugiés civils quittant la Suisse via Genève postérieurement au

01.09.1944 4.532

Total partants via Genève 15.261

Arrivées en Suisse via Genève, selon la liste nominative des Ar-

chives Fédérales 11.885

Arrivants + partants via Genève 27.146

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Il faut relever qu'à l'instigation de l'ancienne responsable des Archives d'Etat de Genève, Mademoiselle Catherine Santschi, "La Grande Catherine", une liste nominative a été mise sur pied, répertoriant les partants et arrivants ayant franchi la frontière franco-genevoise durant la guerre. Cette liste ne mentionne ni le lieu, ni la date, ni le sens de franchissement de la frontière franco-genevoise, créant de nombreux quiproquos et d'incompréhension, surtout à l'étranger. Ce n'est qu'avec peine, avec l'aide de Mme. la Conseillère d'Etat Isabel Rochat, dont dépendaient alors les Archives d'Etat que j'ai réussi à convaincre son présent directeur, M. Pierre Fluckiger, bruntrutain de naissance et fils de l'ancien Conseiller aux Etats jurassien, Michel Fluckiger, et petit-fils de Fernand Fluckiger, un des chefs de service de l'usine de mon père. Il a inséré une introduction bilingue (français et anglais) à cette liste de plus de 27.000 personnes, librement accessible via Internet, sur le site des Archives d'Etat: "Réfugiés civils et frontière genevoise".

Ce préambule relève que 2.103 citoyens suisses rentrant au pays y figurent, et que 14 % des réfugiés ont été refoulés définitivement. Ces 14 % précités ne comprennent pas les réfugiés ayant quitté la Suisse via Genève.

Antérieurement, me basant sur la liste dressée par les Archives d'Etat de Genève, j'avais ventilé les personnes citées dont le patronyme débute par la lettre "S"; ce travail date d'avril 2002:

Sur un total de 2.493 personnes (Arrivants et partants confondus)

./. citoyens suisses rentrés au pays 321 = 12,8 % de 2.493

restent comme étrangers 2.172 = 100 %

dont arrivants 1.262 = 58 % de 2.172

Partants via Genève 910 = 42 % de 2.172

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Revenant à l'initiative de M. Yvan Perrin, j'ai été stupéfait et consterné à la lecture de la réponse du Conseil Fédéral datée du 11 mars 2013. Le lièvre de M. Perrin en prend un sacré coup. Il en devient tout bossu. Le Conseil Fédéral refuse donc de mettre sur pied un organisme chargé de vérifier la répartition de même que le nombre de personnes civiles ayant été soit refoulées, soit accueillies entre 1939 et 1945. De même, il refuse de procéder à la vérification des documents à la base desquels les Archives Fédérales avaient transmis les bases chiffrées aux organes de la Commission Bergier. Cet organisme aurait consisté en un universitaire "assisté" de 2 ou 3 personnes, à des années-lumière d'un organisme pesant "à la CIE".

Je me permets de rappeler au Conseil Fédéral qu'il est - via le Département correspondant - l'autorité de tutelle des Archives Fédérales. De fausses ou inexactes données, transmises notamment à la Commission Bergier ainsi qu'aux médias, ont gravement terni l'image de la Suisse des années de guerre. Cet effet néfaste s'est manifesté tant au sein des populations suisses que dans l'opinion des diasporas juives d'ici et d'ailleurs.

En n'agissant pas, le Conseil Fédéral se rend complice d'une désinformation orchestrée, au détriment du bon renom du pays!

Finalement, c'est de l'étranger, par Me Serge Klarsfeld, l'actif spécialiste de la déportation, que cette désinformation helvétique refait surface, alors même que depuis une quinzaine d'années le soussigné, bricoleur de son état, s'évertue à expliciter les faits réels. Il démontre aussi qu'en comparaison avec d'autres Etats d'Europe et d'Outremer, la Suisse ne s'est pas si mal comportée. Mais il sait également que:

Nul n'est prophète en son pays!

Henry Spira

Un commentaire

  1. Posté par Ueli Davel le

    Cher Monsieur Spira continuez à bricoler! On a besoin de vos éclairement, merci. Ne dit-on pas que « les statistiques sont une addition juste de chiffres faux! Et bien les Archives Fédérales nous prouvent que c’est pire que ça. C’est une addition fausse de chiffres faux!
    Du grand art! Heureusement qu’il n’a pas construit la Dixence ou la centrale de Gösgen!

Et vous, qu'en pensez vous ?

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