
Le grand silence (Le grand silence de l’Église de France face à l’islam), c’est le titre d’une interview avec l’historien, politologue et soviétologue français Alain Besançon publiée dans le plus grand hebdomadaire d’actualité polonais, la revue catholique Gość Niedzielny. Car contrairement à leurs homologues français, les membres du clergé et les grands médias catholiques polonais ne font pas dans le politiquement correct et ils s’étonnent ouvertement de la veulerie et du manque apparent de foi des évêques et des prêtres exerçant sous l’égide du primat des Gaules. Depuis plusieurs décennies, une majorité d’évêques appellent ouvertement à voter contre le Front National en incitant les fidèles à voter pour les partis les plus pro-avortement, pro-euthanasie et pro-LGBT ?
Dans les colonnes de Gość Niedzielny Alain Besançon le dit ouvertement à propos des attentats du 13 novembre : « nous avons ce que nous avons voulu ». Ce qui nous arrive est la conséquence de l’attitude de soumission de la France face à l’islam, à cause des sentiments de culpabilité mal placée liée à la colonisation. Ceci nous a incités à accorder beaucoup plus aux musulmans que ce dont avaient bénéficié d’autres immigrants avant eux : Portugais, Espagnols, Italiens, Polonais… Alors qu’à la différence de ces derniers les musulmans ne s’assimilent absolument pas, car leur religion est une religion d’expansion qui pousse ses fidèles à dominer, y compris par la violence, sur tout territoire où ils se trouvent.
Pour Besançon, on aurait dû expliquer aux Français ce qu’est l’islam, et l’Église aurait dû être en première ligne pour parler de l’islam à ses fidèles. Mais l’Église de France a préféré se taire, comme elle s’était tue dans le passé face au nazisme et au communisme. Ancien communiste converti au catholicisme, l’historien reproche à l’Église son angélisme face à l’islam, et fait remarquer que si l’on parle souvent des Français qui deviennent musulmans, on tait les musulmans qui se convertissent au christianisme au risque d’être tués par leurs anciens frères de religion. Des musulmans qui se plaignent souvent, même si Besançon n’en parle pas dans cet entretien, du manque de soutien de la part de l’Église. Alain Besançon rappelle que depuis le XIVe siècle, il n’y a eu aucun cas de cohabitation pacifique durable sur un même territoire de musulmans et de représentants d’autres religions.
L’historien, dans cet entretien à l’adresse des catholiques polonais, se demande si l’Église de France a encore la foi. Il lui reproche d’avoir perdu son identité en s’imprégnant des principes républicains de la laïcité, ce qui la laisse désarmée face à l’expansion de l’islam. Et ce n’est sans doute pas une exagération de Besançon. Il suffit pour s’en convaincre de se demander si l’Église a le courage d’annoncer le Christ ressuscité aux musulmans. Le cardinal Barbarin, lui, préfère paraît-il réciter la profession de foi musulmane quand il est avec des disciples de Mahomet.
Alain Besançon ne croit pas à un rôle salvateur de la Russie (voir son livre Sainte Russie très critique vis-à-vis de la Russie passée et actuelle et il met par contre beaucoup d’espoir dans la Pologne pour remettre l’Europe sur le droit chemin. Mais avant tout, dit-il, il faudrait à la France de nouveaux saints, une « explosion de sainteté » comme seul remède possible face à l’islam. Et l’historien de rappeler le roi catholique polonais Jean III Sobieski qui a mis les Turcs en déroute à la bataille de Vienne en 1683, fermant aux musulmans les portes de l’Europe occidentale pour plusieurs siècles. « Nous sommes venus, nous avons vu, Dieu a vaincu », écrivit le souverain dans une lettre au pape Innocent XI après sa victoire sur les troupes ottomanes supérieures en nombre.
Innocent XI qui a donné à Jean III Sobieski le titre de « défenseur de la foi », tandis que le pape actuel et les évêques de France de notre époque l’auraient sans doute enjoint d’accueillir dans les paroisses de son pays tous ces Turcs à la recherche d’une vie meilleure en Europe. Alain Besançon critique d’ailleurs les propos du pape François sur le véritable islam qui s’opposerait à la violence. « Affirmer que l’islam apporte la paix est d’une grande légèreté », accuse l’historien.
A l’heure où le fossé se creuse entre Islam* et Chrétienté, Péroncel-Hugoz, de son côté, revient sur une expérience oubliée de rapprochement interreligieux qui se déroula jadis au Maroc : Le dialogue islamo-chrétien est au plus bas, en lambeaux même. D’un côté acrimonie et ressentiment, de l’autre méfiance et soupçons. Le climat est lourd. Il n’en a pas toujours été ainsi, notamment au Maroc de 1952 à 1965, pourtant à une époque de grandes turbulences entre Arabo-berbères et Européens, entre République française et Empire chérifien puis Royaume du Maroc.
Une remarquable exposition très concrète, très parlante, peu visitée hélas, démontre sans conteste possible, avec documents rares ou inédits à l’appui, en particulier les précieuses photos en noir et blanc de Belin, qu’en Chérifie, le fameux « dialogue islamo-chrétien » a connu une décennie en or au mitan du XXe siècle. Une expérience prometteuse qui a tourné court pour d’obscures raisons, alors qu’elle aurait peut-être pu, sur sa lancée marocaine, gagner d’autres espaces géopolitiques et promouvoir ainsi cet « Islam du Juste Milieu » qui reste une spécificité du Royaume alaouite, défendue avec discrétion mais constance depuis le règne de Moulay-Youssef (1912-1927) et sous ses trois successeurs, par le Makhzen politique et diplomatique ; spécificité qui, à notre époque, fait rêver quelques mosquées françaises, belges ou hollandaises ainsi que des courants mahométans raisonnables à Dakar, Bamako, Niamey, Abidjan ou Moroni.
Donc, à la veille du millésime 1950, le pape Pie XII nomma vicaire apostolique à Rabat (l’archevêché ne date que de 1955) Mgr Lefèvre (un quasi homonyme de Mgr Lefebvre, cet archevêque de Dakar qui devait créer en Suisse romande une célèbre dissidence « intégriste » de l’Eglise catholique). Ce vicaire apostolique favorisa une entreprise spirituelle inédite au Maroc, et très réfléchie, de rencontres intellectuelles entre musulmans et chrétiens, plus quelques israélites. La base matérielle de ce projet fut installée non loin d’Azrou, dans le site atlassique à la sauvage beauté de Toumliline (écrit aussi parfois Tioumliline) où fut construit un monastère, en accord avec le Palais et la Résidence, pour une vingtaine de religieux bénédictins, membres d’un ordre vieux de 1500 ans, fondé par l’Italien saint Benoît de Nursie (480-547) et mis à jour en 1952 par Pie XII. Le mot d’ordre de Mgr Lefèvre fut d’emblée : « Respecter la religion musulmane et faire tomber les barrières ! ». Cependant, il semble que la politique politicienne et des jalousies personnelles s’en mêlèrent, faisant d’un lieu voué à la spiritualité des deux principales fois révélées, une aire de discussions politiques entre libéraux français et nationalistes marocains, dont Mehdi Ben-Barka. L’engagement idéologique de certains moines fut tel qu’en 1956 on vit flotter sur Toumliline l’emblème du Front algérien de libération nationale.
Néanmoins d’actifs échanges culturels et spirituels, moins politisés, se développèrent quand même à « Toum », avec la bénédiction affichée du Palais, surtout après le recouvrement de sa souveraineté par Rabat en 1956. On vit défiler chez les bénédictins de larges échantillons de l’univers islamo-chrétien, et jusqu’au prince héritier, le futur Hassan II, et également la plus énergique de ses sœurs Lalla-Aïcha. Reçu à Rabat en 1957 par le sultan-roi Mohamed V, l’omniprésent prieur de « Toum », Dom Denis Martin, poussa sa sympathie pour la dynastie alaouite jusqu’à baiser** publiquement la main de Sa Majesté chérifienne, comme le fit aussi Henryane de Chaponay, descendante directe de Louis-Philippe 1er, roi des Français (1830-1848) et alors agricultrice à Sidi-Bouknadel, au nord de Rabat.
En ces années bénies, « Toum » reçut étudiants et savants, religieux et laïcs, hommes et femmes, le cheikh Ben-Larbi Alaoui, l’orientaliste Louis Massignon, le journaliste Moulay-Ahmed Alaoui, etc. sans compter penseurs ou curieux d’une douzaine de nations, du Japon à l’Ibérie via les Indes. Août 1957 connut l’apogée de cette période faste avec un discours œcuménique in situ du futur Hassan II, lequel se restaura assis par terre avec des chrétiens tandis que Driss M’hamedi, ministre de l’Intérieur, jouait du tambourin et que Mahjoubi Aherdane, gouverneur de Rabat, esquissait une danse berbère.
Régnait alors un climat non seulement fraternel et chaleureux mais aussi et surtout confiant et égalitaire, et donc propice à cette intercompréhension d’où aurait pu sortir un durable rapprochement entre chrétiens et musulmans. Hélas le bouillonnement culturel de « Toum » ne plaisait pas à tout le monde, notamment, dit-on, à certains membres de l’Istiqlâl. En 1965, le monastère ferma ses portes, ne revivant qu’à notre époque, le temps que le Français Xavier Beauvois y tourne le film de haute volée « Des hommes et des dieux » (2010), palme d’or à Cannes, inspiré par la tuerie des moines de Tibarine, en Algérie (1996). A ce sujet, notons que le dernier rescapé de ce massacre est venu se réfugier à Midelt, dans l’unique congrégation monastique contemplative de tout le Maghreb, Notre-Dame-de-l’Atlas, où certains croyants des deux bords voient parfois un potentiel second Toumliline, pour que puisse enfin s’accomplir le vœu de Mohamed V, exprimé en août 1956, à Rabat, de voir le Maroc devenir « un lien entre civilisations d’Orient et d’Occident ». Inchallah.
* Rappelons qu’en français Islam prend une majuscule quand il désigne la civilisation, la communauté humaine (comme Chrétienté, Occident, etc.) et une minuscule lorsqu’il concerne la religion (comme on dit le shintoïsme, le catholicisme, etc.).
** En principe ce ne serait plus possible sous Mohamed VI lequel, en tournée africaine, a fait savoir que seuls ses sujets (musulmans ou juifs) avaient la possibilité, s’ils le désiraient, de pratiquer le baisemain royal.
Michel Garroté, 16.12.2015
http://www.ndf.fr/les-religions/09-12-2015/le-grand-silence-de-leglise-de-france-face-a-lislam#.VnAfvr-NGM9
http://lafautearousseau.hautetfort.com/archive/2015/12/15/et-si-toumliline-avait-continue-5731500.html
Repris du journal en ligne marocain le 360 du 12.12.2015