Mario Vargas Llosa est mort le 13 avril 2025. Ce texte est le dernier qu'il ait écrit. Il a été publié en espagnol en 2023, après qu'il est retourné au Pérou sur les lieux où le récit se déroule.
Dans ce roman de Mario Vargas Llosa, écrit à la troisième personne et à la première personne, il s'agit en fait de la même personne, un certain Toño Azpilcueta, journaliste et enseignant:
Toño Azpilcueta était un érudit en musique criolla - dans son intégralité, littorale, montagnarde, voire amazonienne -, à laquelle il avait dédié sa vie.
Journaliste, il écrivait des articles sur son sujet préféré. Enseignant, il dispensait des cours de dessin et de musique dans un collège tenu par des religieuses où ses deux filles étaient scolarisées.
Son seul luxe était ses petits déjeuners au Bransa: il devait parfois, pour les financer, emprunter de l'argent à Matilde, son épouse, qui gagnait sa vie comme blanchisseuse et ravaudeuse.
La vie de Toño va être bouleversée quand le professeur José Durand Flores l'invitera à une soirée où Lalo Molfino se produira. Selon le professeur, Lalo est le meilleur guitariste du Pérou.
Or Toño n'en a jamais entendu parler. Il ne se doute pas, plus curieux de connaître le professeur que ce Lalo Molfino, que cette invitation lui apporteraune vérité qu'il n'avait que pressentie.
La musique de Lalo ne ressemblait en rien à ce qu'il avait pu entendre. La foule qui l'écoutait observait un silence révérenciel devant son savoir-faire, sa concentration, sa maîtrise extrême.
Quelques mois après cette soirée mémorable, Toño revoit le professeur au Bransa. Celui-ci s'apprête à quitter le Pérou et à ne pas y revenir avant longtemps et lui apprend que Lalo est mort.
Son amie Cecilia Barraza, avec qui Toño avait rendez-vous, survient après le départ du professeur et lui confirme la mort de Lalo, qui était peut-être un génie mais aussi un garçon difficile:
Un névrosé comme je crois n'en avoir jamais vu. Il refusait de jouer avec ses camarades du groupe, il voulait des morceaux pour lui tout seul.
Meurtri, Toño décide d'écrire son livre sur la musique péruvienne, d'y rendre un hommage posthume au guitariste, d'y apporter sa contribution à la résolution des grands problèmes nationaux.
Quand le récit est écrit à la première personne, il s'agit d'extraits de ce livre savant. La vérité que Toño avait pressentie et que l'invitation du professeur lui avait confirmée y serait dévoilée.
Dans les versions successives de ce livre, il démontrerait de manière de plus en plus détaillée que la musique criolla pouvait venir à bout des préjugés et ouvrir les esprits et les coeurs.
L'hommage posthume à Lalo Molfino, dont il reconstituerait la courte vie, laisserait donc une place de plus en plus grande à la résolution des problèmes nationaux par la musique populaire.
Toño y rappellerait que le meilleur qui était arrivé au Pérou, et à l'Amérique latine, avait été l'unification par l'espagnol, répandu comme une rosée pour intégrer langages, idiomes et dialectes.
Le titre du livre? Lalo Molfino et la révolution silencieuse. Tout un programme, selon lequel la musique populaire unirait davantage la société et permettrait de réduire les conflits sociaux:
- Tu ne crois donc plus que les problèmes de ce pays trouveront un jour leur solution ? lui demandera in fine Cecilia.
- Un jour, peut-être. Mais nous ne serons plus là, Cecilia, pour le voir, lui répondra Toño.
Francis Richard
Je vous dédie mon silence, Mario Vargas Llosa, 288 pages, Gallimard (Albert Bensoussan et Daniel Lefort)
Livres précédemment chroniqués:
Éloge de la lecture et de la fiction, 56 pages, Gallimard (2011) *
Aux cinq rues, Lima, 304 pages, Gallimard (2017)
L'appel de la tribu, 336 pages, Gallimard (2021)
* Mon article, du 13 décembre 2010, était basé sur le texte publié sur le site Nobel.
Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard.
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