Tocqueville et le grand et coûteux avènement de la classe moyenne en France

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Théorie de la conspiration, étatisme, fonctionnaires : les pages vengeresses d’Alexis de Tocqueville ! « En 1830, le triomphe de la classe moyenne avait été définitif et complet…
Non seulement elle fut ainsi la directrice unique de la société, mais on peut dire qu’elle en devint la fermière. Elle se logea dans toutes les places, augmenta prodigieusement le nombre de celles-ci et s’habitua à vivre presque autant du Trésor public que de sa propre industrie…
La vérité est, vérité déplorable, que le goût des fonctions publiques et le désir de vivre de l’impôt ne sont point chez nous une maladie particulière à un parti, c’est la grande et permanente infirmité de la nation elle-même… »

Extrait des immanquables Souvenirs – sur cette prodigieuse classe moyenne simple résultante disait Taine de notre monarchie centralisée :

« Notre histoire, de 1789 à 1830, vue de loin et dans son ensemble, ne doit apparaître que comme le tableau d’une lutte acharnée entre l’ancien régime, ses traditions, ses souvenirs, ses espérances et ses hommes représentés par l’aristocratie, et la France nouvelle conduite par la classe moyenne.

1830 a clos cette première période de nos révolutions ou plutôt de notre révolution, car il n’y en a qu’une seule, révolution toujours la même à travers des fortunes diverses, que nos pères ont vu commencer et que, suivant toute vraisemblance, nous ne verrons pas finir.

En 1830, le triomphe de la classe moyenne avait été définitif et si complet que tous les pouvoirs politiques, toutes les franchises, toutes les prérogatives, le gouvernement tout entier se trouvèrent renfermés et comme entassés dans les limites étroites de cette seule classe, à l’exclusion, en droit, de tout ce qui était au-dessous d’elle et, en fait, de tout ce qui avait été au-dessus.

Non seulement elle fut ainsi la directrice unique de la société, mais on peut dire qu’elle en devint la fermière. Elle se logea dans toutes les places, augmenta prodigieusement le nombre de celles-ci et s’habitua à vivre presque autant du Trésor public que de sa propre industrie. »Oui cette classe moyenne adore vivre de son trésor public.[...]

Mais continuons sur ce rapetissement fonctionnaire et mental qui annonce celui dont parle Nietzsche dans Zarathoustra :

« A peine cet événement eut-il été accompli, qu’il se fit un très grand apaisement dans toutes les passions politiques, une sorte de rapetissement universel en toutes choses et un rapide développement de la richesse publique.
L’esprit particulier de la classe moyenne devint l’esprit général du gouvernement ; il domina la politique extérieure aussi bien que les affaires du dedans : esprit actif, industrieux, souvent déshonnête, généralement rangé, téméraire quelquefois par vanité et par égoïsme, timide par tempérament, modéré en toute chose, excepté dans le goût du bien-être, et médiocre ; esprit, qui, mêlé à celui du peuple ou de l’aristocratie, peut faire merveille, mais qui, seul, ne produira jamais qu’un gouvernement sans vertu et sans grandeur.
Maîtresse de tout comme ne l’avait jamais été et ne le sera peut-être jamais aucune aristocratie, la classe moyenne, devenue le gouvernement, prit un air d’industrie privée ; elle se cantonna dans son pouvoir et, bientôt après, dans son égoïsme, chacun de ses membres songeant beaucoup plus à ses affaires privées qu’aux affaires publiques et à ses jouissances qu’à la grandeur de la nation. »

Ne vous étonnez pas après que pour le vaccin ou la Guerre contre la Russie (ou les Allemands) ça ne s’agite jamais trop !

L’important c’est de haïr nos rois et notre passé chrétien (on efface depuis 1789 – et même avant, voyez les observations de Guénon sur cet oubli du moyen âge au siècle de Louis XIV) :

« L’ancienne dynastie était profondément antipathique à la majorité du pays. Au milieu de cet alanguissement de toutes les passions politiques que la fatigue des révolutions et leurs vaines promesses ont produit, une seule passion reste vivace en France : c’est la haine de l’ancien régime et la défiance contre les anciennes classes privilégiées, qui le représentent aux yeux du peuple. Ce sentiment passe à travers les révolutions sans s’y dissoudre, comme l’eau de ces fontaines merveilleuses qui, suivant les anciens, passait au travers des flots de la mer sans s’y mêler et sans y disparaître. »

[...]

On vit dans le pays de la haine molle – et ce dès1849, quand la république a échoué sur tous les plans – mais cette haine molle rend impuissant :

« La république était sans doute très difficile à maintenir, car ceux qui l’aimaient étaient, la plupart, incapables ou indignes de la diriger et ceux qui étaient en état de la conduire la détestaient. Mais elle était aussi assez difficile à abattre. La haine qu’on lui portait était une haine molle, comme toutes les passions que ressentait alors le pays.

D’ailleurs, on réprouvait son gouvernement sans en aimer aucun autre. Trois partis, irréconciliables entre eux, plus ennemis les uns des autres qu’aucun d’eux ne l’était de la république, se disputaient l’avenir. De majorité, il n’y en avait pour rien. »

Obsession française ? Le goût de la fonction publique (et de la retraite qui va avec). Tocqueville écrit durement :

« La vérité est, vérité déplorable, que le goût des fonctions publiques et le désir de vivre de l’impôt ne sont point chez nous une maladie particulière à un parti, c’est la grande et permanente infirmité de la nation elle-même ; c’est le produit combiné de la constitution démocratique de notre société civile et de la centralisation excessive de notre gouvernement ; c’est ce mal secret, qui a rongé tous les anciens pouvoirs et qui rongera de même tous les nouveaux. »

Tocqueville avait déjà envoyé promener le marquis de Circourt sur les causes secrètes de la Révolution (voyez mon texte). Il réécrit à ce sujet :

« C’est mal employer le temps que de rechercher quelles conspirations secrètes ont amené des événements de cette espèce. Les révolutions, qui s’accomplissent par émotion populaire, sont d’ordinaire plutôt désirées que préméditées. Tel qui se vante de les avoir machinées n’a fait qu’en tirer parti. Elles naissent spontanément d’une maladie générale des esprits amenée tout à coup à l’état de crise par une circonstance fortuite que personne n’a prévue ; et, quant aux prétendus inventeurs ou conducteurs de ces révolutions, ils n’inventent et ne conduisent rien ; leur seul mérite est celui des aventuriers qui ont découvert la plupart des terres inconnues. Oser aller toujours droit devant soi tant que le vent vous pousse. »

Et notre lumineux génie d’évoquer des « causes générales fécondées, si l’on peut parler ainsi, par des accidents »…

Nicolas Bonnal sur Amazon.fr

http://www.dedefensa.org/article/tocqueville-face-a-la-theorie-du-complot

https://fr.wikisource.org/wiki/Souvenirs_(Tocqueville)/Texte_entier

https://www.dedefensa.org/article/guenon-et-linterminable-crise-de-la-modernite

source: https://nicolasbonnal.wordpress.com/2023/02/16/theorie-de-la-conspiration-etatisme-fonctionnaires-les-pages-vengeresses-dalexis-de-tocqueville-en-1830-le-triomphe-de-la-classe-moyenne-avait-ete-definitif-et-co/

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voir aussi: Pourquoi le froncé préfèrera crever que réagir (Tocqueville) 

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