Les amours contrariées de l’OTAN

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

La démarche d'adhésion à l'OTAN de la Finlande et de la Suède révèle les contradictions propres aux membres de l'organisation.

Alors que les deux pays nordiques avaient maintenu leur neutralité pendant des décennies durant la Guerre froide, le conflit en Ukraine suffit à faire basculer l'opinion publique en faveur d'une adhésion à l'OTAN. Le 30 mars 2022, un sondage révéla qu'environ 61% des Finlandais étaient favorables à une adhésion de leur pays à l'OTAN. Le lendemain, un sondage similaire en Suède révéla une majorité de 51% des Suédois éprouvant le même sentiment pour leur pays.

Battant le fer pendant qu'il était chaud, les deux États lancèrent des pistes pour une adhésion rapide à l'OTAN - se dépêchant de rejoindre l'alliance pendant que "l'ours russe était occupé à dépecer l'Ukraine", pourrait-on dire. Le 15 mai, le gouvernement finlandais proposa une adhésion à l'OTAN sous réserve d'une validation par le Parlement, laquelle fut approuvée deux jours plus tard. Le Premier ministre suédois Magdalena Andersson annonça quant à elle, le premier avril, l'intention de déposer demande formelle d'adhésion à l'OTAN.

Dans les médias, c'était l'euphorie.

La Turquie siffle la fin de la récréation

La Turquie s'est opposée à ces deux candidatures.

Incapables de relater des faits contrecarrant une si belle histoire, les médias ont immédiatement minimisé la réaction turque face à la demande d'adhésion, parlant de "réticences" ou de "l'expression d'une opposition". Ce n'est pas exact. Le régime de Recep Tayyip Erdoğan a opposé une opposition résolue au processus d'adhésion finlandais et suédois, bloquant dès son origine le dépôt de demande d'adhésion officielle.

Suède et Finlande s'attendaient à une réponse sèche de la part de Moscou, certainement pas de l'OTAN...

Selon Bloomberg, le veto turc s'est accompagné de quatre exigences préalables à toute demande d'adhésion.

Dénoncer formellement le Parti des Travailleurs du Kurdistan comme une organisation terroriste, et s'employer à lutter contre les membres du PKK ayant trouvé refuge en Suède et en Finlande pour continuer leurs opérations à distance. L'exigence s'étend même à d'autres organisations proches, comme le YPG, l'antenne syrienne du PKK. Les deux pays devraient également se livrer à l'extradition vers la Turquie d'une trentaine d'individus accusés là-bas d'actes de terrorisme.

Lever les restrictions sur l'exportation d'armement décidées contre la Turquie en 2019 lors de la guerre en Syrie. Ce volet concerne l'Union Européenne, qui infligea ces pénalités à l'économie turque à la suite de ses interventions militaires syriennes. Il faut noter que la posture occidentale était tout sauf isolationniste puisque les combattants de l'YPG ont bénéficié pendant des années au nord de la Syrie d'un entraînement prodigué par des instructeurs américains, au nez et à la barbe d'autorités turques furieuses.

Restaurer la place de la Turquie dans le programme F-35. La Turquie fut bannie du programme d'armement du chasseur F-35 après avoir acquis des missiles S-400 de fabrication russe. La Turquie fut également privée de l'achat de F-16 pour ses forces aériennes, et de kits d'amélioration pour ses chasseurs F-16 existants. Cette demande adressée à Washington montre comment Recep Tayyip Erdoğan ne se gêne pas pour mettre tous ses interlocuteurs dans le même panier - à eux de se débrouiller ensuite pour s'entendre.

Lever les sanctions contre la Turquie liée à l'acquisition des missiles S-400. Liées de façon proches au programme F-35, les pénalités internationales décidées contre la Turquie pendant l'Administration Trump furent vécues par Ankara comme une humiliation internationale, malgré l'apparente proximité entre les deux chefs d'État.

On peut s'indigner de la posture turque posant des exigences à l'entrée de deux nouveaux membres dans l'OTAN. On peut présenter cela comme un "odieux chantage", et certains ne s'en privent pas.

Mais on peut aussi accepter d'y voir autre chose, comme la volonté d'un chef d'État de défendre ce qu'il pense être les meilleurs intérêts de son pays, et qui profite de la moindre opportunité pour le faire. Une telle attitude est devenue tellement rare au sein de nos gouvernements acquis au globalisme effréné qu'elle parvient à les surprendre...

Peu importe l'interprétation des exigences d'Ankara, elles existent. L'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN requiert l'unanimité de tous les autres membres de l'Alliance. Le chef d'État turc le sait parfaitement et a bien l'intention de jouer sa carte.

Outre les aspects géopolitiques, il y a un sentiment de revanche assez compréhensible dans la posture turque. La Turquie frappe à la porte de l'UE depuis le 14 avril 1987, excusez du peu. En face, il suffit que Zelensky - président corrompu d'un pays pauvre et en guerre - fasse la même demande pour que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, déclare que, "à long terme, ils sont avec nous en fait. Ils sont des nôtres et nous les voulons avec nous" dans une interview à Euronews. Trente-cinq ans d'attente et rien en vue d'un côté, une formalité de l'autre? Il y aurait de quoi éprouver un certain sentiment d'injustice.

La même chose vaut pour quantité de dossiers. La guerre en Syrie, où la Turquie s'est retrouvée pointée du doigt, alors qu'elle est frontalière au territoire concerné et dut assumer seule la gestion de millions de réfugiés. La lutte contre le terrorisme, où on pardonne volontiers aux communistes du PKK leur combat puisqu'il s'applique contre des islamistes. Le rejet des sanctions contre la Russie, alors que cette dernière est un fournisseur d'armes attitré d'Ankara dans une région où, il faut bien le dire, les militaires ne servent pas qu'à défiler en rang dans les avenues.

Les limites de l'OTAN

La Turquie offre donc une certaine résistance, mais la question de l'adhésion de deux nouveaux membres devrait aussi se poser du point de vue de Washington. Qu'est-ce que le gouvernement américain a à gagner à intégrer dans une alliance défensive - reposant essentiellement sur la puissance américaine - des pays géopolitiquement négligeables, et qui ne peuvent objectivement apporter que des ennuis? Le citoyen-soldat américain a-t-il intérêt à ce que l'OTAN s'étende progressivement à la planète entière sauf la Russie et la Chine?

Car plus l'OTAN s'étend, plus les problèmes se posent, et ils sont déjà nombreux aujourd'hui. La Turquie fait obstacle et on peut le lui reprocher, mais la Turquie de 2022 est très différente de la Turquie qui adhéra à l'OTAN en 1952. Les révolutions, qu'elles soient islamiques ou communistes, et tous les autres revirements possibles font qu'un pays respectable le jour de la signature du traité ne le reste pas forcément éternellement.

L'OTAN a selon moi il a perdu sa raison d'être avec la disparition de l'URSS. Mais c'est le propre des organisations de perdurer et de s'étendre, même lorsqu'elles sont devenues sans objet. Je suis presque étonné que la Suisse n'ait pas encore fait sa demande d'adhésion.

L'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN ne sera pas un long fleuve tranquille. La manœuvre visant à prendre la Russie de vitesse pour mettre Moscou devant le fait accompli a d'ores et déjà échoué. En guise d'alliance défensive, les deux pays nordiques se retrouvent sur la liste des pays hostiles tenue par Moscou, qui leur coupe le gaz et l'électricité. Ils sont plus isolés qu'avant, doivent trouver leur énergie ailleurs, et sont désormais perçus comme une menace par leur encombrant voisin.

Ce piètre résultat valait-il la peine d'abandonner la neutralité?

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 22 mai 2022

2 commentaires

  1. Posté par Crt le

    Il faut « virer » la Turquie de l’OTAN. Elle achète du matériel militaire Russe. C’est de moins en moins une « démocratie ». Un (gros) os, la base américane d’INCIRLIC à déménager !

  2. Posté par antoine le

     »Ce piètre résultat valait-il la peine d’abandonner la neutralité ? »
    La Finlande doit se passer du gaz russe et de l’électricité russe !
    Les Finlandais vont apprécier les coûts exorbitants des énergies de remplacement … cela va relancer et augmenter l’inflation !
    Les Suédois sont très partagés pour faire partie de l’OTAN, à peine 51% !
    D’autre part, ils n’ont pas de frontière commune avec la Russie !
    Concernant la Suisse, sa  »neutralité » fout le camp depuis qu’on a un siège à l’ONU … neutralité  »active » ou  »relative » on en subira tous les conséquences néfastes.
    Nos 7 nains du Conseil Fédéral devraient démissionner en bloc !
    Manipuler la Constitution suisse est indéfendable !

Et vous, qu'en pensez vous ?

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