L’âme tourmentée du CICR

Les relations du Comité international de la Croix-Rouge avec le secteur privé et la double casquette de son président, Peter Maurer, également membre du conseil de fondation du World Economic Forum, font courir le risque que le CICR soit perçu comme partial. La sécurité des délégués sur le terrain est en jeu.

C’était le 9 octobre 2017. Sans tambour ni trompette, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) déclarait mettre fin avec effet immédiat au partenariat qu’il entretenait avec la multinationale LafargeHolcim. Cette dernière était l’une des douze sociétés appartenant au Corporate Support Group du CICR, un groupe de partenaires stratégiques du secteur privé. Motif: LafargeHolcim (LH), entreprise née de la fusion entre la société suisse Holcim et le français Lafarge lancée en 2014 et effective en 2015, est accusée d’avoir financé des groupes djihadistes en Syrie, dont l’organisation Etat islamique, à travers sa filiale Lafarge Cement Syria (LCS) et la cimenterie de Jalabiya.

La justice française a depuis mis en examen sept cadres de la société soupçonnés de «financement du terrorisme». Dans sa communication de l’automne dernier, le CICR est explicite: il «n’a pas travaillé avec LH ou avec Lafarge en Syrie, et n’a aucune connexion avec la situation complexe dans laquelle se trouve LH actuellement.»

L’affaire LafargeHolcim

L’exemple soulève la question des rapports du CICR avec ses partenaires privés […]

Les risques de conflit d’intérêts

[…]

L’institution ne peut se permettre de mettre en péril le formidable capital de confiance qu’elle a accumulé au cours de son siècle et demi d’existence.

Le groupe des 25

Le réflexe pourrait être de voir dans cette mobilisation un combat d’arrière-garde entre des anciens, dépassés, et des nouveaux, progressistes. Or l’inquiétude dépasse largement ce cercle et provient aussi des délégués actifs sur le terrain. Elle ne porte pas tant sur la collaboration avec le secteur privé que sur les conditions dans lesquelles celle-ci se matérialise. Cette inquiétude est exacerbée par plusieurs facteurs: face aux multiples crises humanitaires et à leur complexité croissante, face à l’irrespect crasse du droit international humanitaire, le CICR évolue dans un contexte extraordinairement difficile. Il est présent dans 86 pays et emploie 18 000 collaborateurs. Son travail, remarquable, est reconnu.

Si nombre d’entreprises privées ont régulièrement soutenu l’auguste institution, elles l’ont surtout fait sous une forme philanthropique. «Aujourd’hui, c’est davantage du donnant-donnant» […]

Perception du CICR, un acquis fragile

Difficile par ailleurs de demander au contribuable d’en faire davantage, la Confédération appuyant le CICR déjà à hauteur de 148 millions de francs (2017). Le financement par les Etats soulève aussi son lot de questions. Un ancien haut responsable de l’institution le souligne: «Les contributions versées par certains Etats relèvent plus de la stratégie de communication que d’un réel engagement humanitaire.» […]

Au CICR, on le martèle: le monde a changé. Gérer simplement l’urgence humanitaire ne suffit plus. Il faut «inscrire l’urgence dans la durée», dans le développement durable d’un Etat, d’une communauté. Le savoir-faire du secteur privé peut s’avérer utile pour améliorer des situations humanitaires catastrophiques lorsque les services de l’Etat se sont effondrés. Mais qu’obtiennent en contrepartie les entreprises stratégiques du CSG, hormis la possibilité d’utiliser le logo du CICR? […]

Un rôle flou

«Notre intérêt, explique au Temps Yves Daccord, directeur général du CICR, réside surtout dans l’échange de compétences avec le secteur privé. Avec Swiss Re, nous avons un intérêt à coopérer avec le secteur de la réassurance. En Syrie, si on laisse le système s’effondrer, cela aura un énorme impact humanitaire.» Les critiques estiment toutefois que le CICR en fait trop en aidant ses partenaires à développer des activités économiques là où il est présent. Yves Daccord s’en défend: «Il est exclu que le CICR fournisse des renseignements situationnels à ses partenaires. Ce serait de la folie.» Devant l’Acanu, Peter Maurer précise: «Nous ne sommes pas impliqués dans la reconstruction.» [...]

La proximité avec le WEF critiquée

[…]

Changement de culture

Au CICR, le choc des cultures est une réalité. Le monde a changé et l’institution genevoise aussi. Peter Maurer est beaucoup sur le terrain: en Libye, au Yémen, en Syrie. On reconnaît à cet ex-ambassadeur de Suisse auprès de l’ONU à New York un grand talent diplomatique qui lui a valu de rencontrer les grands de la planète: Xi Jinping, Vladimir Poutine, Barack Obama. En termes de budget, l’organisation atteint désormais les 2 milliards. Pour les uns, c’est une course à la croissance effrénée par laquelle le CICR s’éloigne de sa mission spécifique de protection des civils pour embrasser toute une série d’activités de développement propres à une «agence para-onusienne».

[…]

Article complet : Le Temps

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Les 10 pays qui contribuent le plus au CICR en millions de francs en 2017

Les États-Unis:             356,5 millions

La Com. Européenne:  148,1 millions

La Suisse:                     148,1 millions

Allemagne:                    120,2 millions

Grande-Bretagne:          104,9 millions

Canada:                            56,9 millions

Suède:                              52,9 millions

Pays-Bas:                         50,6 millions

Norvège:                          47,6 millions

Australie:                         44,6 millions

Source: Le Temps

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Quel est le budget du CICR ?

Pour financer ses opérations en 2018, le CICR a lancé un appel de fonds d'un peu plus de 2 milliards de francs suisses. En cours d'année, des rallonges budgétaires sont régulièrement demandées afin de répondre à des besoins imprévus nécessitant une action humanitaire accrue.

Le budget opérationnel de l'institution augmente chaque année. La hausse de 11,6 % qu'il enregistre en 2018 doit nous permettre de porter assistance à la population des zones de conflit les plus durement touchées de la planète. [...]

Source: CICR: Pratiques du CICR en matière de financement et de dépenses

Un commentaire

  1. Posté par fabiola le

    «Les contributions versées par certains Etats relèvent plus de la stratégie de communication que d’un réel engagement humanitaire.» […]. Je dirais même que c’est de la poudre aux yeux, car depuis le temps que les gens versent de l’argent pour diverses associations humanitaires, ben le monde devrait aller beaucoup mieux, mais c’est l’inverse qui se produit, à qui profitent ces crimes contre l’humanité ? Que chaque pays s’occupe donc de sa propre urgence humanitaire, car il y a urgence partout !

Et vous, qu'en pensez vous ?

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