Plaidoyer humaniste pour une armée de milice

Caïn Marchenoir
Nom de plume, chroniqueur

La page d’accueil du site du GSSA décrit les buts poursuivis par l’association : selon eux, « la Suisse n’est pas menacée militairement », « l’armée n’apporte pas de réponses aux problèmes réels », détournant notre attention des vrais défis de notre temps. Ce diagnostic posé, le GSSA se propose de participer à la « construction d’un monde plus juste et moins violent » et a lancé une initiative à cet effet visant à supprimer l’obligation de servir.

Disons le tout de suite, ceux qui croient que l’abolition de l’obligation de servir permettra un mieux-être généralisé se fourvoient complètement. L’histoire de l’entre-deux-guerres démontre magistralement qu’une situation de paix, quelle qu’elle soit, ne dure pas automatiquement. Le pacte Briand-Kellog, visant à mettre la guerre hors-la-loi eut beau être signé par 63 pays, il n’a guère fallu qu’une dizaine d’années pour que la situation se dégrade magistralement et que ses principaux signataires mettent de côté leurs grands principes, se jetant dans la plus grande boucherie que l’humanité ait connu. Comme quoi les grands idéaux cèdent rapidement le pas à l’horreur lorsque certains intérêts sont en jeu.

Puisque l’éventualité de la guerre ne peut, en aucun cas, être exclue, reste à savoir quelle forme d’armée est la plus apte à y faire face raisonnablement. La milice ne pourra pas être remplacée par une formation de volontaires sans voir émerger à ses côtés une structure de professionnels, notamment privée. Structure qui, soit dit en passant, a déjà commencé à se développer au sein de l’armée suisse par l’intermédiaire notamment du DRA-10. La véritable question se situe là : voulons-nous continuer à défendre nos chaumières nous-mêmes ou déléguer cette tâche à des mercenaires ? La question mérite d’être posée.

Si un professionnel a vraisemblablement une meilleure maîtrise du conflit armé qu’un milicien, sa motivation à se battre jusqu’au bout n’est de loin pas acquise. Celui qui défend sa maison et sa famille lui-même a des motivations bien plus profondes qu’un salarié dont l’unique moteur serait l’argent. Il baissera donc plus difficilement pavillon devant l’adversité, si fort soit-il.

Outre cet aspect téléologique, il ne faudrait pas oublier que la Suisse s'est considérablement rapprochée de l’Union européenne et de l’OTAN ces dernières années. Si personne (ou presque) n’articule ouvertement une volonté claire et précise de le faire, et que la population y est majoritairement opposée, il n’est pas exclu qu’à la longue, le vent se mette à tourner. Bien des lois impensables, quelques années avant leur adoption, ont fini par faire leur petit bonhomme de chemin. Il est par conséquent, là aussi, impossible de dire avec certitude où la Suisse en sera dans quelques années, si sa neutralité lui permettra toujours d’éviter de participer aux velléités guerrières que pourraient avoir l’une ou l’autre de ces organisations supranationales. Garder une structure milicienne semble être la meilleure manière de se prémunir d’une dérive potentielle : un milicien ne part pas se battre aux quatre coins du globe pour des causes qui ne sont pas siennes.

Et si, pour une raison ou une autre, cela devait malgré tout être le cas, il ne faudrait pas oublier non plus que le spectacle des corps des soldats tombés au champ d'honneur est un des moyens les plus efficaces pour qu’à terme, un gouvernement soit contraint de revoir à la baisse ses humeurs belliqueuses. La douleur des familles est un puissant remède aux thymies querelleuses des gouvernements, alors qu’un mercenaire tombé sur le champ de bataille n'est guère propre à émouvoir l’opinion publique, si précieuse en temps de guerre. Prétendre construire un monde moins violent en se passant de la milice relève donc du pur délire.

Certains doivent penser qu’il ne s’agit là que de politique-fiction. Ils n’ont pas entièrement tort, néanmoins, gouverner c’est aussi prévoir. Ceci dit, il existe encore un certain nombre d’aspects à mettre en avant pour défendre le principe de la milice.

 

« Construire un monde plus juste » ?

L’histoire peut aussi nous apprendre une seconde chose : lorsque le citoyen est en armes, il se garde un droit de toujours pouvoir faire valoir ses points de vue politiques face à un pouvoir qui n’aurait pas/plus la volonté de le servir correctement. C’est parce qu’elle se composaient majoritairement de citoyens romains que les légions ont pu exercer, pendant un certain temps, une réelle influence sur le Sénat. La question mériterait d’être approfondie, étayée par d’autres exemples, mais il semble plus que probable qu’un peuple armé aura toujours beaucoup plus d’influence sur son gouvernement que dans un pays où le pouvoir s’appuie sur des militaires de carrière, et ce pour des raisons évidentes ! L’armée de milice, ce n’est pas qu’une faculté de faire la guerre, c’est aussi une garantie d’un plus grand espace de liberté et de plus de bienveillance de la part du gouvernement.

Il est également cocasse de constater que le principal soutien à cette initiative du GSsA provient des rangs de la gauche. Ceux-là même qui enfourchent régulièrement le cheval de bataille de la solidarité face à l’individualisme ambiant. Pourtant, s’il y a une école de vie où l'on apprend à être ensemble, c’est bien l’armée de milice ! On vit ensemble, on dort ensemble, on souffre ensemble, et j’en passe, sans distinction de classe !

Enfin, last but not least, il ne faudrait pas oublier non plus tout le travail abattu par l’armée pour le bien commun : qu’on pense à l’organisation de grandes manifestations ou, surtout, à la gestion des grandes catastrophes que la protection civile n’a tout simplement pas les moyens de gérer toute seule !

En définitive, l’affirmation selon laquelle supprimer l’armée de milice c’est « construire un monde plus juste et moins violent » reste encore à démontrer. J’aurai même tendance à dire que la réalité confirme tout le contraire…

Caïn Marchenoir

Un commentaire

  1. Posté par Un autre pragmatique le

    Si vis pacem para bellum…

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