HEP : des compétences plutôt que des connaissances (III)

Il n’y a pas qu’en matière de techniques d’enseignement que les centres de formation pédagogiques tentent de révolutionner l’école, les contenus sont également dans leur ligne de mire.

Jusqu’ici, traditionnellement, l’école offrait une grande place aux savoirs: on pensait que les connaissances étaient essentielles avant d’aller plus loin. Or, ce temps est désormais révolu: les décideurs de l’instruction publique (et pas seulement les HEP !) veulent désormais que les élèves maîtrisent également des compétences.

Pour ceux qui ne comprendraient pas bien la distinction, tentons une vulgarisation: les savoirs consistent en des mots de vocabulaire, de la grammaire, des formules mathématiques, des événements et dates etc. Alors que les compétences sont plutôt du ressort de l’analyse de textes, de schémas, de la capacité à s’exprimer oralement et j’en passe.

L’idée est séduisant : si ces compétences s’ajoutent aux connaissances traditionnelles, alors l’école romande a tout à y gagner ! Les futurs générations seront des cracks maîtrisant les divers domaines à un point jusque là inégalé.

Malheureusement, dans la pratique, ce n’est pas comme cela que ça se passe: si on prend le cas de l’école obligatoire, il faut bien reconnaître que les différents élèves ont tous des niveaux forts différents. Puisque les compétences s’ajoutent aux connaissances sur la même période de temps, la quantité de travail augmente donc considérablement. Et tout le monde n’est pas prêt à faire ce sacrifice, ce d’autant plus qu’en matière de notes, l’évaluation des compétences à tendance à supplanter celle des connaissances plutôt que de s’y ajouter. Pour l’enseignement des langues par exemple, la maîtrise des fondamentaux comme la grammaire et le vocabulaire ne compte désormais plus que pour ¼ de la note finale alors que les compétences (compréhension écrite, orale et expression orale) dévorent les 3 autres quarts. Dans cette situation, pas besoin de chercher bien loin pourquoi les connaissances de base sont souvent sacrifiées par les élèves, tant qu’ils arrivent à maîtriser les autres aspects.

Alors bon, on pourrait penser que cela n’est pas logique, que pour bien comprendre ou s’exprimer, on est obligé de maîtriser les fondamentaux. C’est à ce niveau-là que se pose un grand dilemme pour les enseignants: s’ils évaluent les compétences en donnant aux connaissances la place qui est théoriquement la leur, alors ils sont certains de voir les élèves faibles sombrer corps et âme, victimes de la surcharge de travail. Les enseignants en arrivent donc à noter la compétence en la découplant largement des connaissances. En clair, si un enseignant prend en compte l’ensemble des fautes de grammaire et de vocabulaire qu’un élève fait lors d’un dialogue dans une langue étrangère et qu’il sanctionne ensuite également le manque de fluidité et autre incohérence de la discussion, alors il est certain de voir les moyennes de certains élèves s’effondrer rapidement. Ce d’autant plus que ces mêmes élèves ne maîtrisent pas leur vocabulaire lors d’interrogations spécifiques à ce sujet.

Devant ce constat, s’ils ne veulent pas augmenter considérablement la masse des redoublants, les enseignants sont obligés de faire quelques sacrifices sur les connaissances dans l’évaluation des compétences. Autrement dit, les savoirs fondamentaux s’amenuisent considérablement. A trop vouloir bien faire on produit un effet inverse à celui que l’on attendait. On en arrive donc à la situation dans laquelle au lieu d’ajouter des compétences aux connaissances, on sacrifie purement et simplement bon nombre de connaissances. Et ce sans que les compétences en question soient toujours réellement bonifiées. Dans cette optique, pas besoin d’aller chercher bien loin pourquoi certains élèves ne maîtrisent plus les fondamentaux !

Un autre cas de figure se dessine dans d’autres branches comme l’histoire notamment. Ici, les compétences peuvent prendre la forme de travaux de recherche historienne. Encore une fois l’idée est séduisante, mais étant donné que la durée des études n’a pas été prolongée, il faut bien caser ce genre d’activités dans le temps qui était dévolu jusqu’ici à apprendre des connaissances. Ce d’autant plus qu’en la matière, il n’est pas possible de travailler autant de connaissances que par le passé. Et par conséquent, les connaissances s’amenuisent comme peau de chagrin.

Le principal argument avancé pour partir dans cette direction et que nous vivons dans l’ère du savoir et de la communication. Par conséquent, les connaissances sont à portée de clic de tout un chacun. Ceci dit, cette vision des choses est largement insuffisante: en premier lieu, penser que la proximité de l’information rend obsolète la nécessité d’acquérir des connaissances revient à oublier que depuis des lustres cette même information est présente. Certes, il ne suffisait pas d’allumer son ordinateur pour y avoir accès, mais en parcourant une distance somme toute réduite, tout un chacun, dans ce pays, avait accès à une bibliothèque.

Deuxièmement, ce n’est pas parce que l’information est massive et facile d’accès que les gens vont forcément s’y intéresser. Je ne crois pas que dans l’histoire récente, les populations se soient un jour plus éloignés de la connaissance qu’elles ne le sont aujourd’hui, préférant les émissions télé au demeurant fort divertissantes mais sans réel contenu ou de réseaux sociaux dont l’apport en matière de savoir est quasi nul. Vous me direz ce que vous voulez, mais la téléréalité notamment n’apporte strictement rien au développement des personnes et Facebook n’est pas un haut lieu d’échange de la culture.

Dès lors, il faut bien se rendre à l’évidence: si l’école lâche son rôle d’apprentissage de connaissances, personne ne le fera à sa place et nous nous dirigeons vers un monde dominé par des masses d’incultes, ce qui est pour le moins inquiétant dans une époque de globalisation puisque la richesse de la culture permet justement aux êtres humains de maximiser leurs interactions et d’en augmenter l’intérêt. Vous conviendrez j’espère qu’il est toujours plus plaisant d’avoir affaire à quelqu’un qui connaît le sujet dont il parle plutôt qu’à un enragé de l’I-Phone qui passe son temps à pianoter sur son joujou pour trouver l’information nécessaire.

Bien entendu, on trouvera toujours quelqu’un pour nous dire qu’il ne se souvient pas des cours d’histoire (ou autres) qu’il a eu à l’école et que par conséquent cette manière de faire était complètement inutile. Là aussi, la réflexion ne pousse pas bien loin. Il est évident que sans pratique régulière tout savoir ou savoir-faire se perd. Ce qui est valable pour les connaissances l’est aussi pour les compétences. A la nuance près que le fait d’avoir quelques connaissances en un domaine peut créer l’intérêt qui permet justement de continuer à creuser le domaine en question. En d’autres termes, avoir un peu de savoir aide à éveiller la soif de ce même savoir.

Il faut encore ajouter que l’apprentissage par cœur n’a pas comme unique but d’ingurgiter des connaissances mais également d’exercer sa capacité à emmagasiner un nombre important d’informations.  Si la mémoire ne se travaille pas dans la jeunesse, alors il est probable qu’à la longue les capacités de retenir de l’information s’essoufflent plus rapidement.

Mais à mon sens, le principal argument pour défendre l’apprentissage par les connaissances est la valorisation de l’effort. Il est en effet bien plus fastidieux et inintéressant (donc difficile) pour un élève d’apprendre une série de définitions par cœur que d’analyser des textes, graphiques ou autres cartes ou d’apprendre son vocabulaire que de faire des jeux de rôles.

En exigeant de l’élève qu’il sache un certain nombre de choses, l’enseignant lui apprend à crocher, à persévérer dans l’adversité bien plus que s’il se contente de l’amener à développer des compétences d’analyse, de synthèse ou autre.

Enfin, il reste un point à signaler qui nous ramène un peu vers le début de ce texte: pour s’exercer, nombre de compétences demandent des connaissances au préalable. Vous avez beau apprendre à la jeunesse à traiter l’information qu’elle trouve de manière scientifique, il n’est pas certain que celle-ci soit capable de trier dans un premier temps les informations qui sont pertinentes de celles qui ne le sont pas si elle n’y connaît rien. L’internet regorge de théories fantaisistes et sans un minimum de connaissances préalables, il n’est simplement pas possible de faire un tri entre celles-ci.

En conséquence, il nous faut bien admettre que si l’idée de travailler des compétences en plus des connaissances est des plus séduisantes, dans la pratique, un constat inquiétant prend le pas sur l’enthousiasme…

 

Voir encore à ce propos:

Les dogmes des HEP : la situation-problème (I)

Les dogmes des HEP : les travaux de groupe (II)

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