En cas de vote négatif le gouvernement et le parlement, astreints dès lors à corriger la loi, devront logiquement admettre que le peuple exige une mouture non pas plus douce mais moins favorable pour les serviteurs de l’Etat.
Ainsi les jusqu'au boutistes de la fonction publique genevoise ont atteint leur objectif. Les citoyens du bout du lac devront voter le 3 mars prochain sur le projet de loi qui aménage le sauvetage de la CIA et de la CEH, organise la fusion des deux caisses et détermine son financement pour l’avenir. Que faut-il penser de cet aboutissement qu’à vrai dire on n’attendait pas ?
En préambule il convient de souligner l’anachronisme et le danger institutionnel représentés par les conditions genevoises de l’exercice des droits populaires. Qu’une poignées d’agitateurs et de démagogues se soient trouvés en mesure de réunir bien davantage que le nombre des signatures requises pour faire aboutir le référendum contre une loi approuvée massivement par le Grand Conseil montre à l’évidence que les exigences en la matière sont totalement insuffisantes. Soit dit en passant, l’incapacité de la Constituante de les adapter aux nécessités du fonctionnement d’un Etat moderne restera le plus flagrant de ses échecs.
La mansuétude des élus
En étudiant les mesures figurant dans la loi adoptée à la fin de l’été par le parlement, on ne pouvait qu’exprimer sa surprise devant ce qu’il faut bien appeler la mansuétude des députés qui l’ont approuvée. Qu’on en juge. Au cours des dernières années, toutes les caisses privées ou presque, comme la nette majorité des caisses publiques, sont passées à la primauté des cotisations ; elles ont élevé l’âge de la retraite à 65 ans en envisageant d’ores et déjà de l’augmenter de deux années supplémentaires ; au surplus, en moyenne suisse, la répartition de la charge des cotisations intervient dans un rapport de 40% pour les employés et 60 % pour les employeurs.
Or le statut proposé par le Grand Conseil ne prévoit pas seulement d’en rester à la primauté des prestations, de maintenir pour une majorité des fonctionnaires les rentes à leur niveau actuel (les plus élevées subissant une baisse de 10 % au maximum), de conserver leur indexation automatique à l’inflation, de ne relever l’âge de retraite qu’à 64 ans et de conserver la répartition existante des cotisations, à savoir 1/3 pour les fonctionnaires et 2/3 pour l’Etat, donc le contribuable. Il impose de surcroît à la collectivité qu’elle prenne quasiment l’intégralité de la recapitalisation des deux caisses, soit pas loin de 7 milliards de francs sur 40 ans.
Interpréter l’éventuel « non » populaire
Ces constats éclairent le paradoxe engendré par l’aboutissement du référendum. La campagne qui précédera la votation ne manquera pas en effet de mettre en évidence les privilèges considérables dont la loi entend continuer à faire bénéficier les fonctionnaires. Et si la loi en question, combattue par les référendaires au prétexte qu’elle serait inéquitable pour les fonctionnaires, était rejetée par les Genevois en mars prochain cela ne pourrait provenir que de leur mobilisation massive contre un texte à leurs yeux trop pénalisant pour eux et trop avantageux pour la fonction publique. En cas de vote négatif le gouvernement et le parlement, astreints dès lors à corriger la loi, devront logiquement admettre que le peuple exige une mouture non pas plus douce mais moins favorable pour les serviteurs l’Etat.
Que pourraient recouvrir les durcissements de la nouvelle loi ? On pense principalement à trois corrections. La première consisterait pour la future caisse issue de la fusion à passer en primauté des cotisations. La deuxième serait d’adopter la répartition moyenne suisse des cotisations entre employés et Etat, soit 40 % pour les employés et 60 % pour l’Etat. La dernière viserait à élever l’âge de la retraite au moins à 65 ans. Ces mesures, même si elles n’étaient pas mises en œuvre intégralement et seulement par étapes, permettraient de réduire considérablement, pour le contribuable, le coût du renflouement des deux caisses de pensions en difficultés.
Des conditions en tous cas provisoires
On doit ici à la vérité de noter que si le peuple de Genève accepte la loi qui lui est soumise, celle-ci devra immanquablement être révisée dans les années à venir. Les spécialistes des problèmes liés à la prévoyance considèrent en effet que certaines hypothèses à la base des schémas de recapitalisation et de fusion de la CIA et de la CEH ne tiendront pas au-delà de la décennie en cours. Par exemple, avant longtemps, seront revus à la baisse aussi bien le taux d’intérêt technique que le taux de conversion, d’où un renforcement supplémentaire des contraintes sur le financement des prestations de la future institution.
En cas de refus de la loi, les risques de désordres dans le fonctionnement de l’Etat ne sont pas négligeables. On en a d’ailleurs ressenti les prémisses dès l’annonce de l’aboutissement du référendum. Un nombre considérable de fonctionnaires proches de la retraite se demandent aujourd’hui s’ils doivent faire le pari du « oui » à la loi ou si, au contraire, ils n’auraient pas intérêt à quitter le service public sans tarder. C’est à ce genre de situations désastreuses que finit par conduire le déni des réalités que le Conseil d’Etat a cultivé aussi obstinément et pendant si longtemps. Cas échéant, il faudra bien qu’il assume les conséquences de sa cécité volontaire.
Un dernier élément vient encore compliquer l’affaire. Le délai dont dispose Genève pour mettre en œuvre un plan de sauvetage de la CIA et de la CEH ne dépasse pas le 31 décembre 2013, faute de quoi la Confédération serait amenée à prononcer la liquidation pure et simple des deux institutions.
Pierre Kunz
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