Christian Hofer: Livre écrit par l'historien Pierre Milza, spécialiste reconnu de l'Italie contemporaine. Vous noterez le nombre d'occurrences de gauche dans son analyse, le terme même "révolutionnaire" étant un élément revendiqué par l'extrême gauche. Il n'y a strictement aucune référence faisant état d'une idéologie de droite dans sa formation politique ou dans la perception qu'il se faisait de lui-même. On constate ici tout le mensonge socialiste et communiste lorsque ces guignols osent traiter leurs opposants de fascistes sans que personne n'ose les remettre à leur place!
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Nazisme, communisme et fascisme ont bouleversé l'Histoire, engendrant des enthousiasmes dévastateurs dont on ne finit pas de dénombrer les victimes. Si ces idéologies et les états totalitaires qui en sont issus se sont farouchement affrontés, ils n'en gardent pas moins le dénominateur commun de s'être cristallisés dans la personne d'un homme providentiel, qu'il soit "Petit père des peuples", "Führer" ou "Duce". Staline, Hitler, Mussolini, leurs noms sonnent le glas dans nos mémoires et suscitent la même question: comment ces hommes sont-ils devenus les figures emblématiques des moments les plus noirs de notre temps?
A cet égard, Mussolini demeure certainement le moins connu de ces dictateurs. Sans doute parce que la Deuxième Guerre mondiale l'a mis au second plan derrière Hitler ou parce que le fascisme dont il fut l'instigateur est devenu un terme "fourre-tout" qui recouvre aujourd'hui une pléthore de sens, on ne garde souvent de lui qu'une image caricaturale. Pierre Milza, professeur d'histoire contemporaine à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, nous offre une magistrale biographie de Mussolini, étayée par une vaste bibliographie et la richesse de ses travaux antérieurs. De sa Romagne natale à la macabre mise en scène de sa mort sur la place Loreto à Milan, s'ébauche le portrait tout en nuances du dictateur italien soumis à l'analyse de l'historien, loin des poncifs, sans complaisance mais surtout se conformant à une réelle démarche historique excluant tout déterminisme.
Avant d'entrer plus avant dans le contenu même de cette étude, il faut s'arrêter sur le remarquable avant-propos de l'auteur qui opère ici un véritable retour sur lui-même et sa brillante carrière, largement consacrée à l'étude de l'Italie contemporaine et du fascisme. L'honnêteté intellectuelle qui sous-tend les propos de Pierre Milza donne le sentiment au lecteur de comprendre enfin ce qui fait de l'historien un universitaire à part. La modestie, la rigueur, la remise en cause permanente s'allient à la passion pour rendre compte de ce qui a fait notre histoire. Loin de renier ses publications précédentes, Pierre Milza les enrichit et leur donne ici une autre dimension en ajoutant à l'étude des tendances "lourdes" et du temps "long" - si chers à l'école des Annales - une analyse plus anthropocentriste, plus événementielle, en un mot plus proche des repères les plus tangibles du passé. Ajoutant à un tableau pertinent de l'évolution politique, sociale, économique et diplomatique de l'Italie une analyse pointue des éléments marquants de la vie du Duce, l'auteur permet de comprendre comment Mussolini parvint à prendre le pouvoir et à l'accaparer pendant plus de vingt ans.
On reste ébahi de constater à quel point l'émergence du premier fascisme est tributaire de la personnalité du futur Duce. Les origines de Mussolini prennent racine au coeur de la Romagne, région italienne de forte tradition révolutionnaire. Il est issu d'une famille de petits possédants que des revers de fortune ont ruiné et conduit au bord de la prolétarisation sans pour autant l'assimiler à la masse des ouvriers et des manoeuvres. Alessandro Mussolini, son père, est forgeron mais il tient un bistrot où se croisent anarchistes, révolutionnaires et socialistes de tout poil. Sa mère, Rosa, est institutrice et possède quelques biens qui permettent à la famille Mussolini de subsister, particulièrement lorsque Alessandro est emprisonné pour son activisme politique. Véritable "homme du peuple", Benito n'en bénéficie pas moins d'une éducation qui s'assimile plus à celle de la petite bourgeoisie qu'à celle des classes populaires en général. Baigné dans une agitation politique permanente, enclin à jouer les petits chefs de bande et souvent rétif à la discipline imposée par ses professeurs, Benito s'engage rapidement dans la voie de l'activisme révolutionnaire.
Le jeune Mussolini adhère aux thèses socialistes mais semble plus proche du syndicalisme révolutionnaire, largement inspiré par le sorelisme et le mazzinisme, que du dogme marxiste auquel se conforme la plus grande part des révolutionnaires et socialistes italiens. L'évolution politique et intellectuelle de Mussolini doit beaucoup à son séjour de deux ans en Suisse. Cet exil, imposé par son indigence, se révèle vite primordial dans son apprentissage de tribun et de journaliste. Intellectuel déclassé, vêtu de guenilles, Mussolini est au plus bas et survit en acceptant les petits métiers les plus rudes. Il est malgré tout introduit dans les milieux socialistes italiens en Suisse. Le jeune instituteur en rupture de ban obtient d'écrire ses premiers articles dans l'Avvenire del Lavoratore, journal socialiste dont le rédacteur en chef, Marzetto, lui ouvre les colonnes.
Il rencontre surtout une égérie dans la personne d'Angelica Balabanoff, passionaria du socialisme, qui va jouer un véritable rôle de mentor.
Elle lui fait acquérir une réelle éducation intellectuelle et politique qui lui permettra de gravir tous les échelons de la hiérarchie socialiste italienne, jusqu'à devenir directeur de l'Avanti, journal du parti socialiste italien.
L'évolution politique de ce "jeune condottiere du socialisme" est en grande partie la conséquence de la Première Guerre mondiale. Pour Mussolini et de nombreux dirigeants révolutionnaires, la guerre est l'antichambre de la révolution. Largement nourrie de patriotisme garibaldien, influencée par l'anarchisme et le syndicalisme révolutionnaire, la pensée mussolinienne s'imprègne alors de nationalisme. La rupture entre Mussolini et les dirigeants du Parti Socialiste Italien (P.S.I.), opposés à toute intervention, est inéluctable. Terriblement affecté par son exclusion de ce qu'il considère comme sa véritable famille politique, Mussolini fonde les premiers "fascios" après avoir participé aux combats de la Grande Guerre. Aux yeux d'une nouvelle génération de jeunes anciens combattants, hostiles au bolchevisme et menacés de déclassement, Mussolini apparaît comme un homme nouveau, apte à engager l'Italie sur la voie de la renaissance et du progrès. Même s'il bénéficie de l'aide financière de grands intérêts privés soucieux de faire barrage au péril rouge, le premier fascisme est érigé sur une base réellement révolutionnaire.
C'est donc un homme de gauche, pétri de culture révolutionnaire qui donne naissance au fascisme.
Toute l'habilité de Mussolini est de rassurer les classes dirigeantes traditionnelles tout en donnant l'espoir à la majorité de la population italienne d'accéder à un rang plus conforme à ses aspirations dans nouvelle société italienne que les fascistes se font fort de construire. Un véritable consensus, largement épaulé par une propagande efficace, se crée autour de Mussolini qui jouit d'une image d'homme providentiel, omnipotent, travaillant sans relâche pour réintégrer l'Italie dans le concert des grandes nations.
Si le personnage public de Mussolini, son ascension et sa chute finale sont remarquablement bien analysés, sans doute est-ce en grande partie grâce à l'étude fine des aspects intimes de Benito. Au fil de la lecture, on découvre un personnage certes brutal mais qui donne l'impression d'une grande fragilité. Ce sentiment que l'on se trouve devant un "écorché vif", au tempérament solitaire et ombrageux s'affirme à mesure que Pierre Milza poursuit son implacable observation du personnage. Cette impression est corroborée par les relations que Mussolini entretient avec son entourage. Le Duce semble éprouver une méfiance maladive à l'égard des hommes à tel point, qu'hormis son frère Arnaldo, peu d'individus peuvent se vanter de son amitié. La manière dont le dictateur manipule ses "ras", les grands hiérarques fascistes, est à cet égard remarquable. Ce trait de caractère personnel pèse sur la manière de gouverner du Duce. Obligé de supporter un roi et un pape auxquels les Italiens restent très attachés, Mussolini ne peut admettre la moindre velléité de clientélisme et de domination chez ses compagnons d'armes. Il pratique donc la rotation régulière des postes et des honneurs, ce qu'il appelle "la relève de la garde".
On comprend mieux alors les relations du Duce avec les femmes. Sans tomber dans l'anecdote et le roman à l'eau de rose, Pierre Milza insiste fort à propos sur le lien indéfectible entre Benito Mussolini et les femmes qui ont marqué sa vie. Qu'elles soient filles de joie ou grandes bourgeoises intellectuelles, simple passade ou amour passionné, les femmes sont omniprésentes dans la vie de Mussolini. Qu'il les violente ou qu'il les adule, c'est toujours vers l'une d'elles que le Duce se tourne. Benito Mussolini doit ses enfants à Donna Rachele, la forte paysanne, son éducation politique à Angelica Balabanoff, la Diva socialiste, sa culture et son audience à Margherita Sarfatti, la grande bourgeoise vénitienne. Ce besoin d'une présence féminine est tragiquement symbolisé par la mort à ses côtés de Claretta Petacci, jeune bourgeoise volage et légère, fidèle jusqu'au bout à son amant-dictateur.
Au point final de cette biographie, on retient le portrait sans concession d'un Mussolini ambigu mais bien loin de la marionnette désincarnée et dérisoire que la postérité a pu retenir de lui. Cet ouvrage n'épargne pas un personnage à l'idéologie détestable, en ne lui faisant grâce ni des violences fascistes, ni de la collusion avec l'Allemagne nazie, ni des affres de la fin de son règne lors de l'épisode sanglant de la république de Salò, mais réussit à démonter les mécanismes qui ont pu porter le dictateur au pouvoir. Benito Mussolini est devenu le Duce parce qu'il a incarné pour les Italiens, les espoirs et la révolte d'une société en butte aux bouleversements les plus profonds. A l'instar de Renzo de Felice en Italie, Pierre Milza dépoussière pour nous l'image du Duce, profondément tronquée par la propagande fasciste puis par une historiographie universitaire contemptrice.
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