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Robert Hainard disait déjà dans son premier livre “Et la nature ?”, publié en 1943, tout ce qu’il y avait d’insensé et d’irréfléchi dans l’activité économique moderne. Il appelait “idolâtrie” la tendance d’une activité à perdre contact avec la vie et à devenir son propre but. Il dénonçait déjà l’idolâtrie économique, mais aussi celles de la raison, du travail, de l’intelligence, de la force, du courage et même de l’art.
Il avait pris conscience de l’impossibilité d’accepter un monde dans lequel la nature est rognée, adultérée, émasculée, un monde où elle est condamnée à disparaître. Il n’a jamais cessé de pousser ce cri dans plus de 500 publications (livres, articles, etc.), le cri d’un peintre, d’un philosophe et d’un sage.
Qui donc l’a entendu ?
Toutes les activités humaines, quelles qu’elles soient, ont un impact considérable sur l’environnement.
Claude Nicollier disait au retour de sa première mission spatiale qu’il avait été particulièrement frappé par l’avancée inquiétante de la déforestation en Amazonie: 170’000 km2 de forêts tropicales sont détruites chaque année dans le monde (quatre fois la superficie de la Suisse); il est impensable de poursuivre sur cette voie.
Mais quelle est donc la plus grande catastrophe écologique de tous les temps ?
L’éruption du Vésuve ? Le naufrage de l’Exxon Valdez ? Tchernobyl ? La disparition de la mer d’Aral ? Vous n’y êtes pas du tout.
La plus grande catastrophe écologique de tous les temps, c’est vous, vous et moi, nous tous les sept milliards d’hommes qui surpeuplons et surexploitons cette petite planète, comme si nous en avions d’autres à disposition, comme si les ressources naturelles étaient inépuisables, comme si nous n’avions d’autre dessein que de régner sur Terre sans partage, comme si nous pouvions encore croître et nous multiplier indéfiniment, comme si nous tenions notre suprématie sur tout ce qui vit de droit divin, de toute éternité et pour toujours.
L’explosion démographique humaine est le principal obstacle à l’avènement d’un développement durable. La population mondiale doit absolument cesser de croître et sans doute même décroître jusqu’à un niveau écologiquement acceptable pour la biosphère. Ne pas prendre en compte cette évidence ne peut que nous conduire au pire. Réfléchir à la charge écologique globale que représente l’humanité pour toute la biosphère
Il y a longtemps que l’écosystème terrestre n’a pas été aussi profondément modifié. Peut-être faut-il remonter jusqu’à la disparition brutale des dinosaures et de la plupart des espèces vivantes, il y a 65 millions d’années, pour observer des bouleversements aussi importants que ceux que nous mesurons aujourd’hui. L’homme est capable de modifier l’environnement depuis les couches les plus élevées de l’atmosphère jusqu’à des milliers de mètres sous le niveau de la mer; capable de le modifier, mais pas de mesurer l’impact qu’il produit.
En 1988, l’Institut de surveillance internationale avait déjà estimé le coût d’une rationalisation du développement de la planète entre 1990 et l’an 2000 à 983 milliards de francs. Ce montant comprenait les investissements nécessaires au ralentissement de la croissance démographique, à la protection de la couche arable des terres agricoles, aux reboisements, à l’augmentation des rendements énergétiques, au développement des énergies renouvelables et à l’effacement de la dette des pays en voie de développement. Cette somme représentait à l’époque environ un cinquième des dépenses annuelles d’armement de l’ensemble des pays de la planète. Or qu’avons nous fait depuis pour limiter la casse ? Rien d’efficace.
La situation n’a cessé d’empirer et quelques données chiffrées devraient pourtant nous faire réfléchir:
- Au cours des 60 dernières années, la population de la planète a presque triplé; on compte chaque semaine un million d’habitants supplémentaire dans les villes; 40% des terres cultivables sont dégradées; 13 millions d’hectares de forêts tropicales disparaissent chaque année; en un siècle, les trois quarts des variétés qui ont été sélectionnées pendant des millénaires ont disparu;
en prélevant aujourd’hui 100 millions de tonnes de poisson par an, 75% des zones de pêche sont épuisées. A ce rythme là, selon un récent rapport de l’ONU, il n’y aura plus un poisson dans les océans dans 40 ans; avant 2050, 25% des espèces terrestres actuelles seront menacées de disparition; les espèces disparaissent aujourd’hui 1’000 fois plus vite que cela n’a jamais été le cas dans l’histoire de la planète; avec le réchauffement climatique, la fonte du permafrost libérera des millions de tonnes de méthane, un gaz beaucoup plus dangereux que le CO2, quelques dizaines d’années tout au plus pour inverser la tendance; on attend plus de 200 millions de réfugiés climatiques avant 2050.
Aborder l’un ou l’autre de ces problèmes sans maîtriser d’abord la démographie humaine ne nous mènera nulle part.
Les priorités, l’état préoccupant de la planète en ce début de XXIe siècle nous pousse donc à dresser une fois de plus la liste non exhaustive des préoccupations qui devraient être celles de
l’humanité toute entière et l’affaire de tout un chacun:
1) le contrôle de la démographie humaine;
2) la préservation des ressources non renouvelables (pétrole, matières premières, etc.);
3) la préservation des sols et de l’environnement (maintien de la biodiversité par exemple);
4) la mise en place de stratégies économiques viables à long terme (développement durable), strictement limitées par les impératifs écologiques;
5) le développement des énergies renouvelables (énergie solaire, éolienne,hydraulique, géothermique, etc.);
6) la définition de valeurs sociales (travail, consommation individuelle de biens, d’énergie, etc.) acceptables pour les sociétés du monde entier et compatibles avec les impératifs écologiques.
Décider selon plusieurs critères n’est pas un exercice facile et prévoir l’impact sur l’environnement d’une activité humaine est une véritable gageure. Les effets écologiques à moyen et à long terme de décisions prises le plus souvent en fonction de contraintes économiques peuvent se situer aux antipodes de ceux que l’on attendait. Seules des concertations internationales au plus haut niveau portant sur la mise au point de stratégies économiques préservant les écosystèmes comme les ressources naturelles non renouvelables et la diffusion massive des informations sur l’état de la planète nous permettront peut-être d’éviter le pire.
Les parlements nationaux et internationaux ont une responsabilité capitale à assumer pour mettre en place des institutions compétentes, rédiger des lois utiles pour relever les défis environnementaux, économiques et juridiques.
Le taux de croissance de la population suisse est actuellement quatre fois plus élevé que le taux de croissance européen, ce qui signifie que nous devons construire tous les deux ans, sur un territoire exigu, l’équivalent d’une ville comme Lausanne. En abaissant volontairement ce taux de croissance au niveau du taux européen, ce que propose l’initiative Ecopop, la Suisse ferait un premier pas dans la bonne direction.
Patrick Stocco
Biologiste