Plaidoyer pour un renouveau européen, de Martin Bernard

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

J'entends par "réalité spirituelle" tout ce qui est de la nature de l'esprit, considéré comme une réalité différente de la matière (Larousse).

 

Dans ce Plaidoyer pour un renouveau européen, Martin Bernard pense que le déclin de l'Europe est dû à une vision du monde matérialiste, autrement dit qui considère que la seule réalité accessible à la connaissance est la matière, ce qui est, pour lui, un réductionnisme.

Pour que l'Europe se renouvelle, elle devrait porter plus loin l'humanisme propre à sa tradition de conquête intérieure. C'est-à-dire étudier scientifiquement non seulement les réalités matérielles mais les réalités spirituelles, ne pas s'appuyer seulement sur les premières.

L'auteur estime que le tout n'est pas la somme des parties (pensée réductionniste), mais est contenu entièrement et de manière vivante dans chacune des parties (pensée holiste). Si la pensée réductionniste serait adaptée à la matière inerte, l'holiste serait adaptée au vivant:

L'existence n'est donc pas fournie uniquement par ce que le monde nous offre de l'extérieur, mais aussi par ce que l'être humain produit en lui-même, dit-il avec Goethe.

L'énergie cognitive déployée pour développer la technique pourrait être utilisée pour perfectionner certaines facultés humaines qui ne demandent qu'à l'être, comme le sens de l'observation, la rigueur de pensée qui plonge dans la réalité, l'imagination créative ou l'attention.

L'auteur manque de rigueur quand il cède aux sirènes de la doxa: la vision matérialiste aurait engendré une surexploitation des ressources terrestres et une mise en danger de la biomasse, jusqu'à remettre en question certains équilibres vitaux pour la survie de l'espèce1.

Comme d'autres, il confond ressources naturelles, qui sont sans valeur, avec les ressources qui résultent de l'usage que les hommes en font. Il ne peut donc pas y avoir surexploitation puisque de nouveaux usages peuvent être inventés, comme le montre l'Histoire à l'envi.

L'auteur s'oppose à ce que la science soit dirigée par le monde des affaires, souhaiterait que ses sources de financement soient diverses. Il serait ainsi favorable à la taxation des transactions financières. Sans s'en rendre compte, il voit où le bât blesse sans approfondir.

Ce qui fausse la recherche, ce n'est pas une vision matérialiste de la science, financée par le privé, c'est le capitalisme de connivence, ce que Jean-Marc Ferry, qu'il cite, appelle lui la privatisation du politique, réservant le pouvoir aux complices économiques et politiques.

(La voie était pourtant tracée de voir aussi dans le déclin de l'Europe, le rôle des États, grandissant aux dépens des libertés des personnes, ce qui a favorisé l'émergence de technocraties qui ne sont pas prêtes à abandonner privilèges et pouvoirs qu'elles ont accaparées. Mais il ne l'a pas suivie...)

La foi et le savoir ne sont pas opposés, ni incompatibles, mais de là à dire qu'ils sont intimement liés est un pas que l'auteur franchit allègrement. De même, il aspire à la réconciliation de la spiritualité et de la science et, pourquoi pas, à une philosophie nouvelle:

Unir à la perfection de la logique occidentale tout le contenu des méditations spirituelles de l'Orient, comme le voulait Vladimir Soloviev.

Une piste serait de poursuivre les deux étapes de développement de l'Occident identifiées par Raymond Abellio:

  • formation au contact des idées grecques et latines,
  • développement du cartésianisme et du matérialisme,

par la troisième étape, qu'il appelle de ses voeux, de

  • la réintégration de la métaphysique en tant qu'expérience existentielle de la réalité globale.

On ne peut qu'être d'accord avec cette définition qu'il donne:

Est "humaniste" toute démarche théorique ou pratique mettant l'être humain, son progrès et sa liberté au centre de ses préoccupations.

Et avec ce qu'il dit de l'actuelle vision réductrice de l'être humain:

À écouter les médias et les intellectuels à la mode, tous les malheurs de la planète lui seraient, peu ou prou, imputables.

Mais je ne suis pas sûr qu'il ait raison de dire, car cela me paraît présomptueux:

Désormais l'être humain doit trouver en lui-même, de façon non médiée, la transcendance qu'il trouvait auparavant dans l'image de la divinité.

Bref il voit dans l'introspection le moyen d'accéder à une connaissance directe et vécue du spirituel.

Il faut attendre la postface de Pierre Lorrain  pour que soit cité François Rabelais:

Science sans conscience n'est que ruine de l'âme.

Or c'est essentiel.

Comme est essentielle la propriété privée, naturelle à l'homme, sans laquelle il n'est pas de liberté, absente de cet essai, proie des puissants, id est des socialistes de tous genres 2, pour lesquels le capitalisme étymologique est un vain mot, alors qu'il marche parce qu'il est moral.

 

Francis Richard

 

1 - Il parle également, avec Corine Pelluchon, de destruction des sols et de massacre industriel des animaux.

2 - Qui souvent ignorent qu'ils le sont.

 

Plaidoyer pour un renouveau européen, Martin Bernard, 168 pages, BSN Press

 

Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard

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