Le dossier de l’Express est un tissu de ragots!

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Entretien avec François Bousquet, rédacteur en chef d’Eléments et fondateur de la Nouvelle librairie


La presse aime les marronniers. Avec les frimas de l’hiver, revient un classique des couvertures aguicheuses : la chasse aux réacs. Dernière victime de l’épuration morale : Sylvain Tesson, que l’hebdomadaire créé par Jean-Jacques Servan-Schreiber taxe d’ « icône réac ». Son crime ? Conspuer l’islam, fréquenter Alain de Benoist, Jean Raspail, Gabriel Matzneff, les colonnes d’Eléments et les étals de la Nouvelle librairie. L’Express ne sait visiblement plus où il habite, décrétant un jour l’explosion du plafond de verre autour de Marine Le Pen, critiquant l’islamisation des territoires perdus ici, assurant le service après-vente de Macron-là. A force de bouffer à tous les râteliers, on risque de se décrocher la mâchoire…

Au sommaire de L’Express cette semaine :

🕮 Enquête : Sylvain Tesson, l’icône réac pic.twitter.com/UoSYV6g8jH

— L’Express (@LEXPRESS) February 26, 2020

Pour y voir plus clair, François Bousquet, rédacteur en chef d’Eléments et fondateur de la Nouvelle librairie, a répondu à mes questions. Entretien.

Causeur. La chasse aux réacs est rouverte ! Dans sa dernière livraison, L’Express bat en effet le rappel sous le titre « Sylvain Tesson, l’icône réac ». Il est pêle-mêle reproché à l’auteur de La Panthère des neiges de conspuer l’islam, de fréquenter Alain de Benoist, Jean Raspail, Gabriel Matzneff, d’apprécier Ernst Jünger, Radio Courtoisie, La Nouvelle librairie ainsi que les pages d’Éléments.  Que vous inspire cet énième procès contre la Nouvelle droite ? C’est reparti comme en 1979 ?

François Bousquet. Plus qu’une nouvelle affaire Nouvelle Droite, on est encore et toujours dans le procès ouvert par Pierre Rosanvallon et Daniel Lindenberg lors de la publication du Rappel à l’ordre, en 2002. La chasse aux réacs, aux néo-réacs, aux paléo-réacs est plus que jamais ouverte, elle ne connaît pas de temps mort. Elle dévoie le journalisme et concourt à conforter son discrédit auprès de l’opinion. Mais, montée des populismes aidant, cette police de la pensée n’est plus le monopole du journalisme ennuyeux, un registre dans lequel L’Express ou Mediapart ont élu domicile, puisqu’elle recrute désormais chez les « people » et enrôle les clowns de cour, de Laurent Ruquier à Yann Barthès. On a beau contrôler tous les leviers de pouvoir, on « résissssste » mais sur le ton de la chanson de France Gall. Aujourd’hui, le camp du Bien, c’est no pasarán avec les réacs, no discutarán avec les populistes, no pactisarán avec les factieux. Le dossier que L’Express consacre à Tesson ne déroge pas à la règle, c’est un tissu de ragots, d’insinuations, d’amalgames qui tiennent de l’inventaire à la Prévert des périls imaginaires et des procès de Moscou. Cafardage et mourchardage en sont les deux mamelles. C’est à qui dénoncera avec le plus de vigueur les dissidents, les mal-pensants, les inconformes.

Difficile de savoir si le dossier de L’Express sera suivi d’autres papiers tant il est déontologiquement scandaleux

Mais y croient-ils seulement, tous ces gardiens du temple, à leur catéchisme ? Leur morale est une posture, leur éthique une imposture. « Je n’y crois pas, mais j’en ai peur », disait des fantômes Madame du Deffand, très grande dame du XVIIIe siècle qui faisait les délices de Cioran. C’est l’état d’esprit des bien-pensants face à l’épouvantail réac.

En une du Point, les services de renseignement nous alertent sur la résurgence d’une ultragauche violente, voire terroriste. En dénonçant sempiternellement le danger fasciste, sinon nazi, que cherchent certains journalistes ?

À maintenir un magistère moral vacillant. C’est quoi, l’ultragauche aujourd’hui ? La voiture-balai d’une révolution qui recommence en farce – et même en farces et attrapes. On est très loin de Marx. Quand on pétitionne sur les campus de Tolbiac, c’est en écriture inclusive, pour appeler à lutter contre le spécisme, l’hétéronormativité, la dysphorie de genre, l’appropriation culturelle, le privilège blanc, le racisme d’État. Au secours ! L’antifascisme est désormais plus intersectionnel qu’insurrectionnel. Tout y est faux. Faux révolutionnaires, faux insurgés, faux antifascistes, mais vrais violents ! Cela ne fait pas moins d’eux des tricheurs. Il faudrait presque faire condamner cette ultragauche pour délit d’usurpation d’identité révolutionnaire. Aujourd’hui, ce sont des fils d’universitaires qui bloquent l’Université. Nous voilà donc au cœur de la reproduction sociale des élites culturelles. Comme disait Pasolini en 1968, « la seule chose que les étudiants connaissent réellement : c’est le moralisme du père magistrat ou expert, le vandalisme conformiste du frère aîné ». Dans ces conditions, comment cette violence de surdiplômés, de doctorants, de fils de famille, ne serait-elle pas parodique ? Disant cela, je ne dis pas qu’elle n’est pas dangereuse. Simplement, elle est indexée au prix du loyer dans les centres-villes. Plus le mètre carré est élevé, plus le niveau d’études est important, plus le recours à la violence est caricatural. À bac + 10, on déchire sa carte d’identité en disant : Zut, flûte, prout au Système ! Et le lendemain, on réintègre son labo au CNRS ou à l’EHESS, l’École des hautes études en sciences sociales. Rappelez-vous la sociologie CSP+ des comparutions immédiates qui ont fait suite aux violences du 1er mai 2018. Rappelez-vous comment toute l’Université de Paris-Nanterre, jusqu’à son conseil d’administration, s’est rangée, en 2016, derrière Antonin Bernanos après l’attaque sauvage d’un véhicule de police. Il va falloir arrêter de brailler dans les manifs CRS-SS. Peut-être que le slogan vraiment subversif sera à l’avenir : CNRS-SS !

A lire aussi, François Bousquet: «La droite a proclamé sa victoire culturelle un peu vite!»

Avant cette cabale de L’Express, Sylvain Tesson semblait unanimement apprécié, d’Emmanuel Macron au gangster Redoïne Faïd en passant par France Inter. Son talent littéraire explique-t-il à lui seul l’impunité idéologique dont il a longtemps bénéficié malgré son conservatisme écologiste assumé ? 

L’écologie est conservatrice. Pour le reste, difficile de savoir si le dossier de L’Express sera suivi d’autres papiers tant il est déontologiquement scandaleux. Il a été malgré tout repris le jour même de sa parution, sans plus de vérification, par la revue de presse de France Inter, entre l’appel matinal de la prière du rire et l’appel du moulin à prières Greta Thunberg (ce qui n’est pas piquée des hannetons puisque c’est la radio d’État qui a commandé à Tesson son Été avec Homère). Sur le papier de L’Express plus spécifiquement, il y aurait tant à dire de ces deux cosignataires : Jérôme Dupuis et Camille Vigogne Le Coat. Jérôme Dupuis, qui sait lire, est fasciné par l’extrême droite littéraire, par Morand, par Rebatet ; il est presque fébrile quand il en parle. Camille Vigogne Le Coat, en charge de la droite et de l’extrême droite à L’Express, illustre jusqu’à la caricature l’endogamie journalistique – le même épouse le même – puisque son mari, Olivier Faye, occupe la même fonction au journal Le Monde. L’extrême droite, une histoire de famille ! Quant à savoir si Tesson est protégé, il l’est d’abord par son immense talent et par ses ventes records. On ne va pas s’en plaindre : pour une fois qu’un grand est plébiscité par le grand public ! Ses lecteurs sentent, confusément ou pas, qu’ils ont face à eux un Destin qui a sillonné de part en part l’Eurasie, traversé les steppes d’Asie centrale, pris d’assaut l’Himalaya, foncé sur la Sibérie, à pied, à cheval, en side-car. Un funambule qui a joué avec le feu, patiné sur des eaux glacés et des océans de vodka, avant de se fracasser et de se réveiller, la gueule cassée, dans le corps d’un autre, avec des broches, des vis et des tubes. Ce qu’on peut lui reprocher, s’il y a une chose à lui reprocher, au contraire du procès en démonologie politique des Dupuis et Vigogne, c’est de croire qu’on peut échapper au politique et au social. Sous son allure de pionnier soviétique, la casquette vissée sur la tête et le foulard noué autour du cou, Tesson évoque les personnages de Nicolas Leskov, le grand chroniqueur de la vieille Russie, les asociaux et les réfractaires, les franciscains en errance perpétuelle, qui imaginent pouvoir se soustraire à l’État-Léviathan. Mais il vous rattrape toujours. Voilà qui nous éloigne du croquemitaine dépeint par L’Express.

François Bousquet, écrivain, éditeur et journaliste
François Bousquet, écrivain, éditeur et journaliste

L’Express évoque un épisode troublant de la guerre contre l’État islamique en Irak. Un commandant de milice chrétienne aurait arraché une ville à Daech puis interdit aux musulmans d’y circuler avant de bivouaquer toute la nuit avec Sylvain Tesson. Au nom du combat contre l’islamisme et du soutien aux chrétiens d’Orient, une certaine droite n’ethnicise-t-elle pas l’identité « musulmane » comme elle a jadis pu le faire pour soutenir les Serbes contre les Bosniaques et les Albanais du Kosovo ?

Oui et non. Oui, parce que, comme nous le rappelle Tigrane Yégavian dans son récent Minorités d’Orient, les oubliés de l’Histoire, les chrétiens autochtones se pensent d’abord comme arabes et non d’abord comme chrétiens. Non, parce que les Arabes musulmans les pensent d’abord comme chrétiens, et non prioritairement comme arabes. Dans un étonnant chassé-croisé, l’Orient est rattrapé par les guerres que l’Occident y mène au nom du pétrole et l’Occident par celles que l’Orient y exporte dans les suites de l’immigration. On ne saurait non plus sous-estimer l’arabité de l’islam, autrement plus profonde que notre romanité, pour la raison que c’est la langue de la révélation coranique. Il faut observer chez nombre de peuples musulmans non arabes la fascination qu’exercent sur eux les Saoudiens, les mœurs des Saoudiens, la pureté présumée, parce que première, des Saoudiens – V.S. Naipaul doit l’écrire quelque part – comme pour masquer la fragilité de leur islamité de conversion et de leur arabité d’emprunt.

 

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