L’enseignement de l’informatique à l’école obligatoire : un échec?

Stevan Miljevic
Enseignant

La récente décision des autorités scolaires vaudoises de retirer les cours d’informatique de la gamme des prestations de l’école obligatoire démontre une nouvelle fois à quel point le Plan d’Etude Romand (PER) nous fait marcher sur la tête.

Dans la philosophie du PER, l’informatique n’est pas un objet d’étude suffisamment important pour qu’on lui consacre un cours en soi. Le PER reconnait volontiers la pertinence de l’outil informatique, mais en tant qu’accompagnateur des apprentissages. En clair, on n’apprend plus à utiliser un traitement de texte ou un tableur pour eux-mêmes, mais pour faire des maths, du français, des sciences ou je ne sais quoi d’autre.

Certains ont pu avancer que les élèves avaient ça dans le sang, bien plus que les générations précédentes. Ceux qui pensent justifier ainsi la disparition de l’informatique des programmes scolaires n’ont vraisemblablement pas du avoir beaucoup de contacts avec des adolescents. Ou alors, ils confondent allègrement Office et Instagram ou Twitter. C’est selon. Si les élèves utilisent massivement l’informatique, c’est pour jouer, parler, échanger des photos ou faire des recherches pas toujours très intelligentes sur internet. Mais en ce qui concerne un usage un peu plus sérieux de la chose, on s’approche doucement du néant. Pas pour tout le monde, certes , mais ceux-ci sont bien loin de former une majorité.

L’intégration de l’informatique dans l’enseignement d’autres branches ne permet pas d’acquérir des notions aussi développées qu’un cours qui lui est exclusivement consacré, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, un prof d’anglais ou de géographie, ce n’est pas un prof d’informatique. Tout le monde n’est pas nécessairement versé dans l’utilisation des nouvelles technologies. Et il est impossible, dans un domaine aussi technique, de transmettre ce qu’on ne maitrise pas.

De plus, le programme des autres branches scolaires est déjà suffisamment chargé. Il n’est donc pas possible de consacrer autant de temps que nécessaire à enseigner aux élèves les diverses manipulations des outils bureautiques. Dans tous les cas de figure, et même avec la meilleure volonté du monde, les connaissances acquises ne pourront être que partielles.

En troisième lieu, à supposer que les enseignants soient motivés à introduire massivement l’usage de l’informatique dans leurs cours, il n’est pas sûr que les cours en question leur permettent d’aborder les fonctions élémentaires et essentielles des outils bureautiques. Il est même plutôt probable qu’ils incitent les élèves à user de moyens en ligne qui n’ont pas grand sens en terme d’apprentissage de l’informatique. Utiliser un logiciel de géométrie, un générateur de frise chronologique ou je ne sais quoi d’autre en ligne peut bien entendu s’avérer intéressant pour la branche concernée, mais n’a strictement aucun intérêt en terme d’apprentissage de l’utilisation d’un ordinateur.

Quatrièmement, en admettant que l’ensemble des enseignants veuillent jouer le jeu de manière intelligente et concentrer les efforts sur la bureautique, un gros problème de coordination va se poser: qui va enseigner quoi et à quel moment. Le secondaire I n’est pas le primaire et ce n’est pas un mais une dizaine d’enseignants différents qui sont en charge de la formation de chaque élève. Et même au cas où une répartition détaillée des divers objectifs à atteindre en informatique avait lieu, des problèmes d’accès aux salles d’informatiques peuvent surgir. Toutes les communes ne sont pas forcément dotées de nombreuses salles équipées en ordinateurs et, par conséquent, leur utilisation par l’ensemble des enseignants complique singulièrement la tâche.

Et je ne parle même pas de l’aspect dactylographique qui n’entre tout simplement pas en considération. A supposer donc que les élèves apprennent le minimum en terme d’utilisation des logiciels, les programmes scolaires ne leur permettront de toute manière pas de taper d’une manière et à une vitesse convenable.

Le constat est évident: considérer que l’apprentissage de la bureautique doit se faire par le biais des autres branches est un pari plus que risqué qui risque fort de se retourner contre ses initiants. Ce d’autant plus que puisque l’informatique n’est pas évaluée, les moyens de savoir où ils en sont en la matière sont extrêmement réduits. Avec la suppression de la note disparait un des plus puissants moteurs de mise en activité de l’élève. Croire qu’à cet âge-là, ils sont suffisamment responsables pour approfondir eux-mêmes la question relève de la naïveté la plus totale. Bien sûr, ici aussi des exceptions existent, mais dans l’ensemble il ne faut pas rêver.

Reste donc à savoir si, au moins, l’informatique peut être un outil efficace pour l’enseignement des autres branches. Afin de mesurer l’impact des nouvelles technologies sur l’apprentissage, tournons-nous vers la méga-analyse Visible Learning réalisée par John Hattie qui fait, à ce jour, référence en terme de mesure d’efficacité de diverses pratiques scolaires. Selon cette étude synthétisant des données issues de plus de 50’000 études menées auprès de plus de 80’000’000 d’élèves, l’impact de l’utilisation des nouvelles technologies dans les salles de classe est assez faible. Alors qu’Hattie fixe la moyenne de l’acceptable en terme d’efficacité à un effet d’ampleur de 0.4, l’ensemble des variables concernant les nouvelles technologies confondues, obtiennent une moyenne de 0.22 (1). Par conséquent, si cela n’en fait pas un outil inutile, ce n’est pas non plus une révolution spectaculaire.  Si l’on considère en plus dans l’équation, les coûts générés par l’installation massive d’ordinateurs dans les écoles, il faut bien admettre que de nombreux critères autres, nettement meilleur marché, permettent de bonifier d’une manière tout aussi efficace (voir plus) l’enseignement.

Je conclurai ce billet sur une anecdote ne concernant pas vraiment les niveaux concernés par cette réforme: une étude menée récemment aux Etats-Unis démontre que l’utilisation de l’informatique dans le processus de prise de note s’avère moins efficace que le crayon. La raison en est qu’une personne qui prend des notes grâce aux nouvelles technologies a tendance à reproduire textuellement les exposés sans traiter mentalement l’information (2).

Loin d’être une avancée majeure dans l’histoire de l’école, l’informatique risque donc bien, si l’on s’en tient à la perspective du PER, de prendre la forme d’un retentissant échec. Mais après tout, en termes de réformes absurdes, on n’est plus à ça près.

 Stevan Miljevic, le 7 juin 2014

https://stevanmiljevic.wordpress.com

(1) https://docs.google.com/file/d/0B9acqT9DN0pjUE5tbi1aREc2V2s/edit

(2) http://pss.sagepub.com/content/early/2014/04/22/0956797614524581

3 commentaires

  1. Posté par Fatou sarr le

    J’aimerai bien y participer
    Pour etre une melleuir informaticienne

  2. Posté par Houlmann Henri le

    Qu’on se souvienne des fameux laboratoires de langues des années septante, un bide complet qui coûta fort cher et montra l’incapacité des « autorités » intellectuelles et administratives d’y comprende quoi que ce soit !! Henri Houlmann

  3. Posté par Gerry Blackjerry le

    Ce résumé détaille absolument parfaitement la situation. Tout est dit. Sauf que le gag, c’est qu’au final ce sont une fois de plus les parents qui doivent se coltiner tout le boulot de « pédagogue » à la maison, les soirs et les week-end, pour mettre en forme sur des supports numériques les diverses tâches, recherches et autres « exposés » interminables sur les sujets les plus vastes et les plus incongrus afin d’éviter à leur progéniture de sombrer corps et âme.

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